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Courrier de la Cellule Environnement de l'INRA n° 18
L'Amérique du Sud a été envahie par des virus de souris {cf. encadré), mais elle est surtout frappée par
la dengue. Cette maladie tropicale qui avait naguère l'allure d'une grippe s'est fait remarquer en 1981
par une épidémie qui a touché 300 000 personnes à Cuba. Mais l'infection a aujourd'hui pris un nou-
veau cours. Un sujet infecté une première fois par une variété (sous-type du virus) peut faire une forme
sévère (fièvre hémorragique) de la maladie s'il est ensuite infecté par un autre sous-type du virus. Or,
on voit la forme hémorragique de la dengue devenir de plus en plus fréquente au fur et à mesure que se
développent différents sous-types du virus.
Virus non identifiés
Le tableau général est plutôt sombre. Il donne pourtant une raison d'être optimiste. Puisque
l'émergence de nouveaux virus est essentiellement liée à l'activité humaine, on peut donc espérer la
contrôler, dans une certaine mesure. Les virologues savent maintenant qu'il existe un vaste réservoir
de virus dont certains représentent une réelle menace. Mais, fait remarquer Mirko Grmek, « il existe
de nombreux virus et bactéries non encore identifiés. La Legionella était très répandue, mais on ne l'a
caractérisée que lorsque, dans certaines conditions, elle est devenue pathogène ».
Mirko Grmek : on peut avoir demain une terrible épidémie de peste
Mirko Grmek est médecin, professeur d'histoire de la mé-
decine à l'école des Hautes-Etudes en sciences sociales et
auteur d'une Histoire du sida (Payot). Mais ses plus ré-
cents travaux sont consacrés aux nouveaux virus.
Q : Peut-on parler de nouveaux virus au sens strict, ou
bien existent-ils déjà dans l'environnement ?
Mirko Gmerk : Les virus sont nécessairement préexis-
tants. Ce sont des êtres très petits, mais pas très simples :
ils ne peuvent pas naître de rien. On peut aussi penser
qu'un virus est totalement nouveau si c'est un gène
échappé d'un organisme. D'endoparasite, il devient exo-
parasite. Mais cette théorie n'est qu'une hypothèse.
Les virus nouveaux sont très rares. Il y a des virus qui ne
changent en rien mais dont l'environnement change. Il
peut aussi y avoir un virus relativement nouveau avec une
petite mutation. Dans les deux cas, une nouvelle maladie
peut apparaître.
Prenons un rétrovirus, par exemple. S'il n'y a pas
d'affinité pour le lymphocyte T4, il ne l'attaque pas. Mais
il suffit d'un petit changement dans sa structure pour qu'il
y ait accès.
Q : Y a-t-il plus de maladie nouvelles aujourd'hui
qu'autrefois ?
MG : Les maladies nouvelles vont être plus fréquentes
maintenant, parce que les changements de milieux sont
plus radicaux qu'auparavant. En 50 ans, la France a plus
changé qu'en plusieurs siècles. Par ailleurs, l'élimination
des maladies infectieuses classiques permet à d'autres
d'apparaître.
Le sida est un événement très rare qui s'inscrit à contre-
courant du progrès médical. Les nouvelles maladies de
société, telles les maladies cardio-vasculaires ou les can-
cers, touchaient jusqu'à présent plus tard dans la vie,
puisque les maladies d'enfance et de jeunesse (diphtérie,
tuberculose) ont été efficacement combattues. Or, le sida
tue justement très tôt : il ne respecte pas les « règles du
jeu » habituelles, d'où, en partie, le sentiment d'injustice
et d'impuissance qu'il inspire.
Q : Et les fièvres hémorragiques ?
MG : Les fièvres hémorragiques sont des maladies
d'animaux sauvages.
Ce sont des zoonoses qui changent d'hôte. Voyez la
peste : elle tue parce que ce n'est pas une maladie hu-
maine. Pour le germe, peu importe si l'homme survit ou
non, puisque c'est une maladie de rongeurs.
Q : Vous utilisez le concept de pathocénose. Quelles sont
ses lois ?
MG : Comme la biocénose (l'équilibre de la répartition
des animaux et des plantes dans un écosystème), la pa-
thocénose est un système où le nombre de malades d'une
maladie dépend du germe, mais aussi du nombre de ma-
lades d'autres maladies. C'est un système en équilibre.
Une épidémie est un déséquilibre dans cette pathocénose,
donc elle ne dure pas. Elle finit toujours par reculer et at-
teindre un plateau : il y a une endémie à un certain
niveau.
C'est vrai aussi pour le sida. L'épidémie cessera, c'est sûr,
mais à quel niveau ? On ne le sait pas On peut prévoir la
forme de la courbe : en S avec un plateau. Mais ni le ni-
veau, ni le moment.
Q : La France est-elle particulièrement menacée par
certaines maladies ?
MG : Non. Personne n'aurait pu prédire le sida. De
même, pas une seule des prédictions du CDC (Center for
Disease Control) d'Atlanta concernant les épidémies de
grippe n'a été confirmée.
Et regardez la peste chez les rats aux Etats-Unis : depuis
20 ans, elle avance d'ouest en est. Elle est maintenant à
mi-chemin des deux côtes, sans être passée à l'homme.
Mais demain, on peut avoir une terrible épidémie de peste
si certaines conditions de vie sont remplies.
Un retour de tous les germes existants est toujours pos-
sible. Le choléra par exemple, ou le typhus. Celui-ci est
endémique en France. Mais on sait que si certaines
conditions de vie sont réunies (la guerre par exemple), le
germe du typhus va ressurgir.
Propos recueillis par l'Auteur