Une insuffisance cardiaque droite particulière

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Une insuffisance cardiaque
droite particulière
● B. Gallet, M. Goudjil, C. Adams*
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n homme de 70 ans a été hospitalisé pour une tamponade au début du mois d’août 1999 dans la région
où il séjournait pour ses vacances. Un drainage péricardique a permis l’évacuation de 700 ml de liquide séro-hématique, dont l’examen cytologique n’a pas montré d’anomalie. Les
suites opératoires ont été marquées par des troubles rythmiques
et conductifs qui ont conduit à l’implantation d’un stimulateur
cardiaque double chambre. Au mois de septembre 1999 ont été
mises en évidence des adénopathies périphériques dont la biopsie a conclu à un lymphome non hodgkinien centroblastique B.
La biopsie osseuse a montré un envahissement médullaire. Le
scanner abdominal était normal. Le patient a alors été transféré
près de son domicile et hospitalisé dans le service d’hématologie
de notre institution. À son arrivée, on constatait une insuffisance
cardiaque droite avec hépatomégalie, turgescence et reflux
hépato-jugulaire, œdèmes des membres inférieurs, faisant évoquer initialement la possibilité d’une récidive d’épanchement
péricardique.
L’échocardiogramme transthoracique ne montrait pas d’épanchement péricardique, mais une masse de 4 à 5 cm prolabant au
travers de l’orifice tricuspide et gênant le remplissage du ventricule droit (figure 1). On notait aussi une hypertrophie concentrique du ventricule gauche avec un aspect anormalement échogène des parois. L’échocardiogramme transœsophagien (ETO)
montrait en coupe transversale une masse polylobée intéressant
le septum interauriculaire et les deux oreillettes (figure 2). La
masse intra-auriculaire droite était très volumineuse, mesurant
9 cm x 3 cm, enclavée dans l’orifice tricuspide, avec un aspect
turbulent et comprimé du flux de remplissage tricuspide en doppler couleur témoignant d’une gêne majeure au remplissage du
ventricule droit (figures 3 et 4). En coupe longitudinale, la masse
intra-auriculaire gauche intéressait aussi la paroi postérieure de
l’aorte, où elle mesurait 2,5 cm d’épaisseur (figure 5).
Le diagnostic de lymphome cardiaque secondaire était retenu, et
une chimiothérapie de type CHOP était instaurée. L’échocardiogramme transthoracique et l’ETO réalisés deux semaines après
le début du traitement montraient une importante régression de
la masse intracardiaque (figures 6 et 7). L’évolution secondaire
était marquée par une rémission totale avec une disparition com-
* Service de cardiologie, centre hospitalier Victor-Dupouy, 95100 Argenteuil.
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plète de la masse intracardiaque, mais une rechute du lymphome
survenait en mars 2002 au niveau testiculaire, sans atteinte
cardiaque associée, nécessitant une orchidectomie gauche et la
reprise d’une chimiothérapie.
Figure 1. Échocardiogramme transthoracique : coupe apicale 4 cavités Masse de 4,6 cm x 3,4 cm enclavée au travers de l’orifice tricuspide
(OD : oreillette droite, OG : oreillette gauche, VD : ventricule droit,
VG : ventricule gauche).
Figure 2. ETO, incidence transversale : volumineuse masse intéressant
le septum interauriculaire et les deux oreillettes (OD : oreillette droite,
OG : oreillette gauche).
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Figure 3. ETO, incidence transversale orientée vers les cavités droites :
masse intra-auriculaire droite mesurant 9 cm x 3 c m enclavée dans la
valve tricuspide (OD : oreillette droite, OG : oreillette gauche, VD : ventricule droit).
Figure 4. ETO, même incidence que la figure 3 : aspect laminé du flux de
remplissage transtricuspide en doppler couleur témoignant d’une gêne
majeure au remplissage du ventricule droit [flèche] (OD : oreillette droite,
OG : oreillette gauche, VD : ventricule droit, VG : ventricule gauche).
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Figure 6. ETO réalisé deux semaines après le début de la chimiothérapie : incidence longitudinale orientée vers le septum interauriculaire et
les deux oreillettes ; nette régression de la masse biauriculaire en comparaison de la figure 2 (OD : oreillette droite, OG : oreillette gauche).
Figure 7. ETO réalisé deux semaines après le début de la chimiothérapie, incidence longitudinale : nette régression de la masse intra-auriculaire gauche en comparaison de la figure 5 avec régression de l’infiltration de la paroi postérieure de l’aorte, qui ne mesure plus que 1 cm (AO :
aorte, OG : oreillette gauche).
DISCUSSION
Figure 5. ETO, incidence longitudinale : masse intra-auriculaire gauche
infiltrant la paroi postérieure de l’aorte ascendante où elle mesure
2,5 cm (AO : aorte, OG : oreillette gauche).
La Lettre du Cardiologue - n° 368 - octobre 2003
Cette observation rappporte un cas de localisation cardiaque
secondaire d’un lymphome non hodgkinien, particulière par la
taille volumineuse des masses intracardiaques observées et par
une évolution favorable sous chimiothérapie. Malgré l’absence
de preuve histologique, le diagnostic peut raisonnablement être
retenu en raison du lymphome ganglionnaire d’une part et de la
régression complète de la masse intracardiaque sous chimiothérapie d’autre part.
Une localisation cardiaque secondaire est assez fréquente en cas
de lymphome et survient dans 10 % à 25 % des cas, alors que les
lymphomes cardiaques primitifs sont rares (1, 2). La dissémina31
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tion se fait généralement par voie hématogène, ce qui explique
qu’une atteinte cardiaque puisse compliquer un lymphome extrathoracique (3). Les trois tuniques peuvent être touchées (endocarde, myocarde, péricarde). Les manifestations cliniques sont
variables et dépendent des tuniques intéressées. L’atteinte cardiaque peut rester infraclinique, entraîner des signes non spécifiques (dyspnée, douleurs thoraciques, palpitations, perte de
connaissance), une atteinte péricardique avec parfois tamponade,
une insuffisance cardiaque souvent à prédominance droite, des
troubles rythmiques et conductifs, ou un syndrome cave supérieur. L’ECG peut retrouver des troubles du rythme ou de la
conduction, un microvoltage, et des anomalies de repolarisation
(1, 2).
L’échocardiogramme peut montrer un épanchement péricardique,
avec ou sans tamponade, une atteinte myocardique et des masses
intracavitaires. L’atteinte myocardique peut entraîner un aspect
d’hypertrophie ventriculaire gauche concentrique associée à une
échostructure anormale (1), une infiltration tumorale ou des
troubles de la cinétique. Les masses intracardiaques siègent préférentiellement au niveau du cœur droit (2, 4), pouvant entraîner
une obstruction tricuspide (2, 4). Elles apparaissent polylobées
(2), souvent volumineuses, fixes ou mobiles. Elles peuvent également concerner l’oreillette gauche, le septum interauriculaire,
l’auricule gauche et la région périaortique (5-7). L’ETO paraît
particulièrement performant pour le diagnostic, permettant de
l’évoquer chez des patients encore asymptomatiques (5), et pouvant guider un geste de biopsie (8). Les autres méthodes d’imagerie utiles sont le scanner et l’IRM. Le diagnostic de certitude
repose sur la biopsie, éventuellement guidée par ETO, mais une
histologie négative n’exclut pas le diagnostic en cas d’atteinte
localisée (1).
Le pronostic est habituellement réservé (1, 5), mais des évolutions favorables sous chimiothérapie ont été rapportées
(1, 4, 7).
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CONCLUSION
Cette observation permet d’illustrer plusieurs aspects cliniques
et échocardiographiques des lymphomes cardiaques secondaires :
atteinte péricardique avec tamponade initiale, atteinte myocardique avec hypertrophie concentrique du ventricule gauche,
troubles rythmiques et conductifs ayant conduit à l’implantation
d’un stimulateur cardiaque, et, surtout, volumineuse masse intracardiaque biauriculaire obstruant l’orifice tricuspide et responsable d’une insuffisance cardiaque droite. Elle souligne l’intérêt
diagnostique de l’ETO dans cette situation, et montre que l’évolution de ces tumeurs intracardiaques peut être favorable sous
chimiothérapie.
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