revue Virologie 2009, 13 (6) : 317-25 L’hépatite E chronique 1,2 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Jacques Izopet 3,4 Nassim Kamar 1,2 Florence Abravanel 1,2 Martine Dubois 1,2 Sébastien Lhomme 2 Jean-Michel Mansuy 5 Laurent Alric 6 Jean-Marie Peron 1,3 Lionel Rostaing 1 Inserm U563, centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan, 31024 Toulouse, France 2 Laboratoire de virologie, institut fédératif de biologie de Purpan, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France <[email protected]> Résumé. Le virus de l’hépatite E (HEV) est responsable d’hépatites aiguës transmises par voie féco-orale dans les régions tropicales et subtropicales. De nombreux arguments épidémiologiques et moléculaires sont en faveur d’une transmission zoonotique dans les pays industrialisés. Les génotypes 1 et 2 sont strictement humains alors que les génotypes 3 et 4 ont été caractérisés chez l’homme et chez les animaux (porc, sanglier, cervidés, rongeurs). L’hépatite virale E peut évoluer vers la chronicité et conduire parfois à des cirrhoses rapidement progressives chez les patients présentant une immunodépression : transplantés d’organes solides, patients atteints d’une maladie hématologique, patients infectés par HIV ayant un faible nombre de lymphocytes T CD4 circulants. Le génotype 3 est à ce jour le seul génotype décrit dans les hépatites E chroniques. Les facteurs de l’hôte et le niveau d’immunodépression semblent être des facteurs majeurs associés à la persistance virale. La modulation de l’immunosuppression ainsi qu’un traitement par interféronα et/ou ribavirine constituent des approches thérapeutiques prometteuses. Mots clés : virus de l’hépatite E, hépatite chronique, immunodépression, transplantés d’organes 3 Service de néphrologie-hypertension artérielle-dialyse-transplantation, hôpital Rangueil, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France 4 Inserm U858, 31059 Toulouse, France 5 Service de médecine interne, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France 6 Service d’hépatogastroentérologie, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, 31059 Toulouse, France Abstract. Hepatitis E virus (HEV) is an agent responsible for waterborne acute hepatitis in tropical and subtropical areas. Epidemiological and molecular data indicate zoonotic transmission of HEV in industrialized countries. Genotypes 1 and 2 HEV are found only in humans. By contrast, genotypes 3 and 4 HEV have been characterized both in humans and several animal species (pigs, wild-boars, deers and rodents). Hepatitis E can evolve towards chronicity and rapidly progressive cirrhosis in immunosuppressed patients : organ transplant recipients, patients with hematological diseases and immunodeficiency virus type 1 infected patients with low CD4 cell count. So far, genotype 3 has been the only HEV genotype described in chronic hepatitis E. Host factors and the level of immunosuppression are major factors associated with virus persistence. The reduction of immunosuppressive therapy and treatment with alphainterferon and/or ribavirin are considered as promising therapeutic options. Keywords: Hepatitis E virus, chronic hepatitis, immunosuppression, organ-transplant recipients doi: 10.1684/vir.2009.0276 Introduction L’hépatite E est avant tout une hépatite virale aiguë d’origine hydrique évoluant selon un mode endémoépidémique dans les régions tropicales et subtropicales. Des cas sporadiques survenant chez des sujets n’ayant jamais séjourné en région de forte endémie sont cependant de Tirés à part : J. Izopet Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 plus en plus fréquemment identifiés dans les pays industrialisés. De nombreux arguments épidémiologiques et moléculaires sont en faveur d’une transmission zoonotique. Les principales espèces constituant le réservoir animal sont le porc, le sanglier et les cervidés. L’hépatite E était considérée jusqu’à présent comme une hépatite aiguë constamment résolutive. Des données récentes indiquent au contraire que l’infection aiguë peut évoluer vers une forme chronique dans différentes 317 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. situations d’immunodépression. Des réactivations survenant après une guérison apparente de l’hépatite E aiguë ont également été décrites. Après une brève description des caractères du virus et des modalités de transmission, seront abordés, dans cette revue, les hépatites E chroniques décrites à ce jour, les mécanismes possibles de persistance ainsi que les moyens diagnostiques, thérapeutiques et prophylactiques permettant le contrôle de cette infection. Caractéristiques générales du virus et des modes de transmission Virus de l’hépatite E (HEV) HEV est un petit virus non enveloppé de 27 à 34 nm de diamètre. Il possède une capside icosaédrique et un génome à ARN simple brin de polarité positive d’environ 7,2 kilobases. L’ARN est coiffé en 5’ (7 méthyl guanine) et polyadénylé en 3’. Il comporte trois phases ouvertes de lecture (ORF1, ORF2 et ORF3) flanquées de régions non codantes en 5’ et 3’ [1]. ORF1 code une polyprotéine non structurale dont les principaux domaines fonctionnels sont une méthyltranférase, une cystéine protéase, une hélicase et une ARN polymérase ARN dépendante. ORF2 code une protéine de capside de 660 acides aminés dont la structure cristallographique a été récemment décrite [2-4]. ORF3 code une phosphoprotéine de 122/123 acides aminés associée au cytosquelette pouvant également se lier à l’ARN ainsi qu’à la protéine de capside. Les protéines ORF2 et ORF3 sont traduites à partir d’un ARN sous-génomique bicistronique. HEV est le seul membre de la famille des Hepeviridae. Un seul sérotype a été décrit. Des souches de mammifères et des souches aviaires ont été caractérisées. Les souches de mammifères appartiennent au genre Hepevirus et comportent quatre génotypes principaux. Ceux-ci différent par leur répartition géographique et par leur spectre d’hôte (figure 1). Un nouveau génotype a été récemment caractérisé en Chine chez le lapin [5]. Pour chaque génotype (72 à 77 % d’identité en nucléotides), différents sous-types ont été identifiés : cinq pour le génotype 1 (1a à 1e), deux pour le génotype 2 (2a, 2b), dix pour le génotype 3 (3a à 3j) et sept pour le génotype 4 (4a à 4g) [6]. Les génotypes 1 et 2, identifiés uniquement chez l’homme, sont prévalents dans les pays non industrialisés : Asie/Afrique pour le génotype 1 et Mexique/Afrique pour le génotype 2. Les génotypes 3 et 4 ont été identifiés à la fois chez l’homme et chez l’animal (porc, sanglier, cerf). Alors que la répartition géographique du génotype 4 semble limitée à l’Asie, le génotype 3 présente une large distribution sur l’ensemble des continents. Les analyses phylogénétiques réalisées à partir des souches humaines et animales de génotypes 3 et 4 suggèrent que l’HEV pourrait être un agent 318 zoonotique [7-11]. Les souches aviaires, caractérisées sur trois continents (Australie, Amérique du Nord, Europe), sont responsables d’un syndrome hépatosplénomégalique chez le poulet [12-14]. Elles pourraient constituer un nouveau genre au sein de la famille des Hepeviridae. Le génome présente une organisation similaire à celui des souches de mammifères mais sa longueur est plus courte (environ 6,5 kilobases). L’identité en nucléotides entre les souches aviaires et les souches de mammifères est d’environ 50 %. Contrairement aux quatre génotypes du genre Hepevirus, les souches aviaires ne sont pas transmissibles expérimentalement au macaque, au chimpanzé ou au porc. En raison des erreurs de la polymérase virale, HEV existe chez l’hôte infecté sous la forme d’une quasi-espèce constituée de multiples variants viraux génétiquement proches mais néanmoins différents. Les quasi-espèces du HEV ont été initialement étudiées chez des sujets présentant une hépatite E aiguë [15], et plus récemment dans le cadre d’une infection chronique [16]. Le clonage et le séquençage de multiples clones moléculaires dans la région ORF1 a permis de décrire une évolution dans le temps des populations virales chez un patient transplanté. D’une manière concomitante à la survenue de manifestations neurologiques, une compartimentation du HEV entre le sang et le liquide céphalorachidien a été mise en évidence (figure 2) [16]. Des co-infections impliquant les génotypes 3 et 4 ont été identifiées et l’analyse de séquences complètes de génotype 3 a laissé supposer que certains génomes pouvaient être issus d’un événement de recombinaison entre une souche humaine et une souche porcine [17]. Ce phénomène pourrait ainsi conduire à l’émergence de souches plus virulentes et/ou mieux adaptées à l’homme. Modes de transmission L’hépatite E est une hépatite à transmission principalement entérique. L’infection par HEV comporte deux formes épidémiologiques : de grandes épidémies survenant exclusivement dans les régions hyperendémiques (Asie, Afrique, Amérique Centrale) dans des situations où l’hygiène collective est insuffisante et des cas sporadiques observés aussi bien dans les régions de forte endémie que dans les pays industrialisés. Les cas sporadiques survenant en région hyperendémique concernent plutôt l’enfant et l’adulte jeune. Dans les pays industrialisés, l’hépatite E a longtemps été considérée comme une infection contractée au cours d’un voyage en régions d’endémie. Les données actuelles indiquent en fait que la grande majorité des cas est d’origine autochtone et que toutes les tranches d’âge sont concernées, notamment les sujets âgés de plus de 55 ans. On note également une prédominance masculine. La transmission autochtone du HEV a été décrite dans de nombreux pays d’Europe, aux États-Unis et au Japon. En France, la prévalence des Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 revue M80581-1b-Pakistan L08816-1b-Chine X98292-1c-Inde Génotype 1 AF051830-1a-Népal M73218-1a-Burma AY204877-1e Tchad 100 AY230202-1d-Maroc M74506-2a-Mexico Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. 96 Génotype 2 AVIAN-AY535004 AVIAN-EF206691 Souches aviaires AVIAN-AM943646 100 AB481227-4c-Porc-Japon AB291967-4c-Japon AB108537-4g-Chine 100 Génotype 4 FJ610232-4d-Porc-Chine AB291964-4b-Japon FJ906895-lapin-Chine FJ906896-lapin-Chine lPLR57-lapin86 Souches de lapin GY11-lapin87 EU495148-3f-France AB290313-3f-porc-Mongolie AB291958-3e-Japon GC-3e AF455784-3g-kyrgyzstan-porc GC-3c AB290312-3x-porc-Mongolie Génotype 3 AB369689-3x-Japon AB089824-3a-Japon AF082843-3a-porc-USA AY115488-3j-porc-Canada AB189070-3b-verrat-Japon 0.1 AB291956-3b-Japon Figure 1. Arbre phylogénétique réalisé à partir de séquences HEV de longueur génomique. Le nombre de souches présentées n’est pas représentatif de la fréquence des différents génotypes. anticorps anti-HEV chez les donneurs de sang est variable selon les régions : 3,2 % pour la région parisienne et l’ouest de la France [18], mais 16,6 % pour la région toulousaine où des cas autochtones sont fréquemment rapportés [19, 20]. L’origine des contaminations dans les pays industrialisés reste à préciser. Si un contact direct avec des animaux infectés peut être à l’origine d’infections, la consommation de denrées alimentaires contaminées ou l’ingestion d’eau contaminée par l’environnement semblent être les principaux vecteurs [21]. Les modes de transmission chez l’immunodéprimé semblent similaires à ceux de l’immunocompétent. Les études réalisées en Europe suggèrent que la consommation de gibier ou de viande de porc insuffisamment cuite constitue un facteur de risque important. Une étude contrôlée conduite en Allemagne en population généVirologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 rale a montré que la consommation d’abats et de viande de sanglier était le principal facteur associé à une contamination humaine [22]. Une étude cas-témoin conduite lors de la survenue de cas groupés de jaunisse sur un bateau de croisière a montré que la contamination par HEV était associée à la consommation de coquillages [23]. Une étude contrôlée récente a également été réalisée chez les patients transplantés de la région Midi-Pyrénées [24]. La consommation de gibier, de produits d’origine porcine et de moules étaient les principaux facteurs associés à la contamination par HEV. En analyse multivariée, le seul facteur associé à la transmission était la consommation de gibier. La transmission parentérale du HEV est également possible. Une transmission par transfusion de produits sanguins labiles a été rapportée en Europe et au Japon [25, 26]. En Inde, la 319 revue Clones HEV dans le LCR Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. 86 Clones HEV dans le sang 0.01 Figure 2. Clones moléculaires du HEV (fragment de 1 400 nucléotides dans la région ORF1) après 12 mois d’infection dans le sang ), et lors de la survenue de manifestations neurologiques après 33 mois d’infection dans le sang ( ) et dans le liquide ( ). céphalorachidien ( transmission de la mère à l’enfant a été décrite dans environ un tiers des cas d’hépatite aiguë survenant chez la mère au troisième trimestre de la grossesse [27]. Formes chroniques de l’infection On pensait jusqu’à présent que l’infection par HEV ne pouvait conduire qu’à des hépatites aiguës, parfois sous la forme d’hépatites fulminantes en particulier chez la femme enceinte ou chez les individus présentant une hépatopathie sous-jacente [28, 29]. Une évolution vers la chronicité, définie par la persistance d’une virémie pendant plus de six mois, a été récemment démontrée dans différentes situations d’immunodépression : transplantation, maladie hématologique, infection par le virus de l’immunodéficience humaine (HIV). 320 Transplantation Les patients transplantés d’organes sont traités au long cours par des immunosuppresseurs visant à éviter le rejet. Trois groupes indépendants ont montré l’existence d’hépatites E chroniques dans cette population [30-32]. Les organes transplantés étaient le rein (ou rein/pancréas) et le foie. Les lésions histologiques après biopsie hépatique étaient principalement lobulaires, avec inflammation mais sans ballonisation, et nécrose avec corps acidophiles. Les espaces portes présentaient un infiltrat inflammatoire composé principalement de lymphocytes. Dans une série de 14 cas d’hépatite E survenant chez des transplantés hépatiques et rénaux, huit patients ont développé une infection chronique [32]. Leurs taux de lymphocytes totaux et de lymphocytes T CD4+ étaient significativement plus faibles que chez les patients ayant guéri après la phase aiguë, suggérant que l’hépatite E évolue vers la Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. A B C chronicité chez les patients les plus immunodéprimés. De 2004 à 2009, 38 cas d’hépatite E autochtones ont été répertoriés chez des transplantés d’organes de la région Midi-Pyrénées. L’infection est survenue systématiquement après la transplantation, mais aucun cas de transmission via le greffon n’a été identifié. L’évolution vers une infection chronique a été observée dans environ 60 % des cas [24]. Des cirrhoses ont également été décrites et prouvées histologiquement chez des patients transplantés rénaux [30, 33] et hépatiques [31]. Les cirrhoses rapidement progressives ont été surtout observées chez les transplantés rénaux chroniquement infectés par HEV (figure 3). Le délai de survenue de la cirrhose allait de 12 à 36 mois pour les premiers cas décrits [30, 33]. Chez les transplantés rénaux chroniquement infectés par HEV, le score de fibrose entre deux biopsies espacées en moyenne de deux ans a progressé significativement d’une unité Métavir (de 1 à 2) [34]. Une étude antérieure conduite chez des transplantés rénaux infectés par HCV chez lesquels des biopsies séquentielles ont été réalisées tous les trois et quatre ans, après la transplantation a montré que la vitesse de progression de la fibrose était de 0,09 ± 0,03 unités Métavir/an [35]. Ces données suggèrent que l’infection à HEV chez le transplanté rénal pourrait être plus sévère que l’infection à HCV. Maladie hématologique Le développement d’une infection chronique à HEV a été décrit chez plusieurs patients atteints de lymphomes [3639]. Les effets combinés de l’hémopathie et du traitement (corticoïdes à forte dose, rituximab, etc.) sont probablement à l’origine de cette évolution. Lorsque des biopsies hépatiques ont été réalisées, les lésions histologiques étaient soit modérées [38], soit sévères avec un score Métavir A3F3 [37]. Sur la base de données épidémiologiques et moléculaires, un patient chroniquement infecté a probablement été à l’origine de la transmission du virus au sein de la même unité d’hématologie [36]. La réactivation d’une infection par HEV chez un patient atteint de leucémie aiguë a également été décrite après greffe de moelle allogénique [40]. Ce patient avait présenté une hépatite E deux mois avant la greffe et l’ARN viral n’était plus détectable dans le sang au moment de celle-ci. La réémergence d’un virus identique trois mois après la greffe est en faveur de la persistance du virus dans le foie ou dans un autre compartiment. Figure 3. Évolution histologique vers la cirrhose d’un patient transplanté rénal infecté par le virus de l’hépatite E (coloration au trichrome de Masson, ×100) : A. hépatite aiguë ; B. hépatite chronique ; C. cirrhose. Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 321 revue Infection par HIV Deux études récentes ont rapporté la persistance du HEV chez deux patients infectés par HIV [41, 42]. Il importe de noter que les patients présentaient un faible nombre de lymphocytes T CD4 circulants : 30/mm3 pour l’un et 144/mm3 pour l’autre. La fréquence des hépatopathies chroniques liées au HEV dans cette population reste à évaluer. Aucun cas n’a été mis en évidence dans une étude réalisée en Espagne chez 93 patients dont le taux de lymphocytes CD4 était inférieur à 200 cellules/mm3 [43]. Dans la cohorte Suisse, parmi 19 patients ayant des anticorps anti-HEV et une cytolyse inexpliquée, un cas d’infection chronique a été objectivé chez un patient présentant 50 lymphocytes T CD4/mm3 [44]. Il est intéressant de noter que l’élimination naturelle du HEV a été obtenue après plusieurs mois de traitement antirétroviral efficace de manière concomitante à la restauration immunitaire (figure 4). Mécanismes de persistance du HEV chez l’immunodéprimé Facteurs de l’hôte Les données disponibles suggèrent que le niveau d’immunodépression joue un rôle très important [32, 34]. Cependant, la nature des réponses immunes innées ou adaptatives dont l’altération conduit à la chronicité n’a pas été identi- fiée à ce jour. Cet aspect est particulièrement intéressant, car plusieurs études conduites avec des effectifs plus importants que les premiers cas rapportés indiquent que le nombre total de lymphocytes T CD3 ainsi que le nombre total de lymphocytes T CD4 ne diffèrent pas significativement entre les patients éliminant naturellement le virus et ceux développant une infection chronique [24, 34]. En revanche, l’activité des aminotransférases au stade aigü de l’hépatite est significativement plus élevée chez les sujets présentant une élimination naturelle du HEV malgré l’immunodépression [24]. Les réponses spécifiques antiHEV T CD4/T CD8 ainsi que les anticorps neutralisants font l’objet d’études. L’existence de déterminants génétiques associés à la persistance du HEV mérite aussi d’être étudiée. Facteurs viraux Jusqu’à présent, seul le génotype 3 a été décrit dans les hépatites E chroniques. On ne sait pas si les autres génotypes peuvent être impliqués dans une infection chronique. De plus, des différences liées au sous-type pourraient exister au sein du génotype 3. La plupart des hépatites E chroniques décrites à ce jour concernent les sous-types 3f et 3c. Cependant, cela peut simplement traduire le caractère prépondérant de ces sous-types sur le continent Européen [8]. Certains domaines de la protéine ORF1 pourraient moduler la réplication virale chez un hôte donné, et interagir avec les voies de signalisation de l’hôte afin de maintenir la survie cellulaire [45]. Des expériences in vitro ont également montré le rôle de la protéine ORF3 dans l’immunomodulation et la survie cellulaire par la diminution de la translocation nucléaire de STAT3 et le maintien dans les endosomes précoces du récepteur au facteur de croissance eucaryote (EGFR) [46]. Traitement anti-HIV 500 100000 400 Charge virale (copies/ml) 1000000 10000 300 1000 200 100 Contage 100 10 1 06 07 .20 01 .20 08 01 .20 01 04 .20 02 06 .20 08 02 .20 10 02 .20 12 02 .20 01 02 .20 02 03 .20 03 08 .20 01 03 .20 04 07 .20 0 12 4 .20 04 0 CD4 (cellules/mm3)/ALT (UI/L) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Enfin, une infection chronique par HEV a été récemment décrite chez un patient présentant une leucémie à tricholeucocytes ne nécessitant aucun traitement en raison d’une évolution très lente de l’hémopathie. IgG HEV IgM HEV + + + + + + + + + + + + + Figure 4. Évolution des alanines aminotransférases (ALAT) ), du taux de lymphocytes T CD4 ( ), de la charge ( virale HIV ( ), de la charge virale HEV ( ) et des anticorps anti-HEV de classe IgG et IgM chez un patient infecté par HIV. 322 Moyens de contrôle de l’infection Diagnostic Les progrès réalisés dans les techniques virologiques ont contribué à identifier de plus en plus de cas sporadiques dans les pays industrialisés. Compte tenu de la transmission autochtone du virus, la recherche des marqueurs spécifiques du HEV est à présent réalisée au-delà du bilan étiologique d’une hépatite aiguë survenant chez un sujet ayant séjourné en pays de forte endémie. La recherche d’une hépatite E doit être réalisée chez tous les sujets immunodéprimés ayant une hépatopathie chronique inexpliquée. Chez ces patients, la cytolyse hépatique est plus modérée que chez les sujets immunocompétents et une vigilance accrue apparaît justifiée [34]. Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. revue Traitement La problématique essentielle dans ce domaine concerne le traitement de l’hépatite E chronique. L’approche de première ligne chez le transplanté consiste à moduler l’immunodépression thérapeutique tout en évitant d’induire un rejet. Dans une série de 16 hépatites E chroniques, cette stratégie a permis l’élimination du virus chez quatre transplantés hépatiques soit environ 25 % des patients [34]. De même, l’arrêt d’une chimiothérapie, lorsque cela est possible, peut permettre une élimination virale. Une étude chez un nombre limité de patients (n = 3) a récemment apporté la preuve du concept d’efficacité d’un traitement par interféron chez le transplanté hépatique [49]. L’administration d’interféron-α pégylé à la posologie de 135 µg/semaine pendant trois mois a permis une éradication du virus chez deux patients avec un recul de plus de six mois après l’arrêt du traitement. Le troisième patient a présenté une réponse initiale sous traitement, mais une rechute a été observée 15 jours après l’arrêt de l’interféron. Cette rechute était marquée par une nouvelle détection de l’ARN du HEV dans le sang ainsi qu’une reprise de la cytolyse hépatique. La cinétique Virologie, Vol. 13, no 6, novembre-décembre 2009 Interferon-α pégylé 7 450 400 6 350 300 250 5 4 200 150 100 3 50 0 1 2 ARN HEV plasmatique (log copies/ml) Activités enzymatiques (UI/L) Les techniques sérologiques permettent la mise en évidence d’anticorps de classe IgG et IgM grâce à des trousses immunoenzymatiques basées sur des protéines recombinantes ou des peptides de synthèse correspondant aux régions ORF2 et ORF3. Les performances de ces trousses, fondées sur des antigènes issus des génotypes 1 et 2, semblent adaptées à la mise en évidence d’infections à génotype 3. Cela est cohérent avec l’existence d’un seul sérotype pour ce virus. Une étude récente conduite sur un panel d’échantillons collectés au stade aiguë de l’hépatite E a montré que la sensibilité des trousses pour la détection des IgM anti-HEV variait entre 82 et 90 % et que la spécificité était supérieure à 99 % [47]. Des performances similaires ont été observées chez l’immunodéprimé [24]. En revanche, la sensibilité des trousses pour la mise en évidence des IgG anti-HEV semble plus faible chez l’immunodéprimé que chez le sujet immunocompétent. Les techniques moléculaires fondées sur la détection de l’ARN HEV par PCR en temps réel dans le sang ou dans les selles constituent une approche de choix. Des hépatites E sérologiquement muettes ont été décrites chez l’immunodéprimé mais également chez des sujets immunocompétents [48]. La persistance de l’ARN HEV dans le sang pendant plus de six mois après l’épisode aigu définit l’évolution vers la chronicité. La mesure de la concentration sanguine de l’ARN HEV ainsi que la détermination du génotype par séquençage d’un fragment génomique constituent des marqueurs complémentaires pouvant être utiles dans la prise en charge médicale [24]. 0 J0 J7 J14 J21 M1 M2 M3 M4 M5 M6 M7 Figure 5. Évolution des paramètres biologiques, charge virale ), ALAT ( ), ASAT ( ), γGT ( ) HEV ( d’un patient porteur d’une hépatite E chronique traité par interféron-α pégylé pendant trois mois. d’évolution des marqueurs chez un patient porteur d’une hépatite E chronique ayant guéri après un traitement par interféron est illustrée sur la figure 5. L’effet antiviral de la ribavirine, en particulier chez les sujets présentant une contre-indication à l’interféron comme le transplanté rénal [50], est en cours d’évaluation. Le schéma thérapeutique optimal de l’hépatite E chronique devra être déterminé dans le cadre d’études cliniques plus larges. Prévention La prévention dans les régions tropicales et subtropicales repose principalement sur la disponibilité d’eau potable et sur l’amélioration du traitement des eaux usées. Si le respect des règles hygiénodiététiques est indispensable pour le voyageur séjournant dans ces régions, on sait à présent que le risque de contamination par HEV existe aussi dans les régions tempérées où l’infection semble parfois même évoluer selon un mode endémique. Une meilleure connaissance du mécanisme de transmission prenant en compte le potentiel zoonotique du virus est indispensable pour optimiser les mesures prophylactiques. Compte tenu du risque d’évolution chronique de l’infection chez l’immunodéprimé et du risque de survenue de formes graves chez la femme enceinte et les sujets ayant une hépatopathie sousjacente, il importe de recommander la cuisson de tous les aliments à base de produits porcins ou de gibiers. En France, les risques pour le consommateur et les risques liés à l’environnement ont fait l’objet en 2009 d’avis de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Dans l’avenir, un vaccin fondé sur la protéine de capside recombinante pourrait être utilisé. Le succès récent d’un essai clinique de phase 2 conduit au Népal constitue une première étape [51]. Les perspectives ainsi que les défis en matière de vaccination contre l’hépatite E ont fait l’objet d’une revue récente [52]. Aucune donnée de vaccination n’est disponible chez l’immunodéprimé. 323 revue Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Downloaded by a robot coming from 88.99.165.207 on 24/05/2017. Conclusion Au-delà des épidémies d’origine hydrique dans les régions tropicales et subtropicales, l’hépatite E est devenue aujourd’hui une préoccupation importante dans les pays industrialisés. Le potentiel zoonotique de ce virus pourrait être à l’origine d’un nouvel exemple d’émergence virale. La description de formes chroniques chez l’immunodéprimé et la survenue de cirrhoses parfois rapidement progressives signent la découverte d’une nouvelle maladie dont on ne connaît pas encore la véritable étendue. Des études complémentaires sont en cours afin de mieux comprendre les facteurs écologiques, l’histoire naturelle de l’infection chez l’immunodéprimé, et mettre au point un traitement efficace. Références 1. Chandra V, Taneja S, Kalia M, Jameel S. Molecular biology and pathogenesis of hepatitis E virus. J Biosci 2008 ; 33 : 451-64. 2. Guu TS, Liu Z, Ye Q, et al. Structure of the hepatitis E virus-like particle suggests mechanisms for virus assembly and receptor binding. 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