Ne tirez plus sur l`empereur!

publicité
© ANOLiR
NE TIREZ PLUS SUR L’EMPEREUR !1
Par le Lieutenant-colonel OLRAT (H) Michel KLEN2
Il faut toujours que ce qui est grand soit attaqué par les esprits petits (Voltaire).
Depuis quelques années, une cohorte d’intellectuels auto-proclamés et de
commentateurs se livrent à une campagne insidieuse de dénigrement de
Napoléon Ier. Certains critiques vont même jusqu’à donner de ce personnage
hors-normes une image comparable à celle des dictateurs les plus cruels. Ce
pitoyable procès à charge a ainsi entraîné l’absence de la célébration, au niveau
national, du bicentenaire de la victoire d’Austerlitz le 2 décembre 2005.
Cet affront aux officiers saint-cyriens
s’appuyait sur le prétexte que, lorsqu’il
était
Premier
Consul,
Napoléon
Bonaparte rétablit l’esclavage dans les
colonies antillaises en 18023. Pourtant,
l’éclatante
victoire
de
ce
chef
exceptionnel
à
cette
mémorable
« bataille des trois empereurs » reste un
modèle du genre qui est toujours cité en
exemple dans les académies militaires
de nombreux pays. Certes, l’empereur a
commis des erreurs et fait traverser à
son armée des périodes tragiques
(guerre d’Espagne, campagne de
Russie), mais force est de constater qu’il
reste l’un des plus glorieux acteurs de
l’Histoire de France, en particulier l’un
de nos plus grands stratèges. En outre,
son œuvre est considérable dans une
multitude de domaines (législatif,
économique,
financier,
juridique,
éducatif, etc.).
COUDER. Le 25 décembre 1799, le Conseil d’État, l’un
des corps administratifs préférés du futur empereur,
s’installe au Palais du Petit-Luxembourg. Bonaparte,
Cambacérès et Lebrun reçoivent les serments des
présidents.
L’héritage
Le souvenir de Napoléon avait déjà été sali dans la première moitié du XIXe siècle.
Victor Hugo avait alors apporté une réponse cinglante à ses détracteurs le 14 juin
1847 à la Chambre des Pairs. Cette réplique demeure d’actualité de nos jours pour
les enragés du discrédit qui s’échinent à rabaisser d’une façon honteuse le grand
homme : « Par quels crimes ce Napoléon avait pu mériter d’être ainsi frappé à jamais
1
Article initialement publié dans Le Casoar, avril 2014, Tribune libre, pp. 44-45.
Saint-Cyr, promotion « Maréchal Juin » (1966-1968), auteur du livre Les ravages de la
désinformation (Favre).
3
En 1802, le Premier Consul a rétabli l’esclavage qui avait été aboli par la Convention en février 1794.
Mais pendant la période des « cent jours » en 1815, Napoléon décrètera l’abolition de « la traite des
Noirs ». Cette décision sera ignorée sous la Restauration. L’abolition de l’esclavage sera finalement
promulguée le 27 avril 1848.
2
www.anolir.org - [email protected]
1
© ANOLiR
dans toute sa race ? Messieurs, ces crimes les voici : c’est la religion relevée ; c’est
la Code civil rédigé ; c’est la France augmentée de ces frontières naturelles ; c’est
Marengo, Iéna, Wagram, Austerlitz ; c’est la plus magnifique dot de puissance et de
gloire qu’un grand homme ait jamais apportée à une grande nation. » On pourrait
ajouter : les victoires illustres du tout jeune général Bonaparte dans la campagne
d’Italie et l’expédition en Égypte qui marqua le début de l’égyptologie moderne grâce
à l’importante équipe de savants amenée avec le corps expéditionnaire.
La plupart des grands historiens
considèrent que le bilan de l’empereur
est particulièrement élogieux, car deux
siècles
plus
tard,
ses
grandes
réalisations ont survécu à l’usure du
temps et aux changements de régime.
C’est notamment le cas du code civil,
appelé code Napoléon, promulgué en
1804. Cette œuvre que l’on peut qualifier
de « révolutionnaire » a forgé le socle
juridique de la France moderne en
établissant les règles qui déterminent le
statut des personnes (livre I), des biens
(livre II) et celui des relations entre
personnes privées (livres III-IV). Malgré
des modifications dues à l’évolution de la
société, ce creuset impressionnant de la
législation reste le fondement, non
seulement du droit civil français, mais
aussi du droit civil dans les nombreux
pays européens qui s’en sont inspirés.
Édition originale du « Code Napoléon »
Napoléon a également réglé les rapports entre l’Église et l’État en signant le
Concordat (1801), toujours en application aujourd’hui en Alsace et en Moselle. De
nombreux systèmes imaginés par ce véritable génie créateur ont conservé une
empreinte durable : établissement du cadastre, création du Franc germinal (1803) qui
restera l’unité monétaire de référence jusqu’en 1928, mise en place du découpage
administratif de la France avec un préfet à la tête du département, un sous-préfet
pour l’arrondissement et un maire pour la commune. D’autres institutions
prestigieuses ont aussi survécu à leur créateur : Conseil d’État et Sénat (fondés en
1799), Banque de France (1800), École de Saint-Cyr, Légion d’Honneur et
Chambres de Commerce (1802), Cours d’appel et Cour de cassation (1804), Conseil
des prud’hommes et refondation de l’éducation supérieure sous une forme qui
conduit aux actuelles universités (1806), Cour des Comptes (1807), baccalauréat
(1808), code pénal (1810), bataillon (qui s’agrandira ensuite en une brigade) des
sapeurs-pompiers de Paris (1811).
Dans cet inventaire conséquent, il faut ajouter une myriade de lancements de projets
d’architecture et d’urbanisme : Arc de triomphe de l’Étoile, colonne Vendôme, Arc de
triomphe du Carrousel, Palais Brongniart (Bourse de Paris), église de La Madeleine,
nouvelle façade du Palais-Bourbon, canal de l’Ourcq, de Saint-Martin et de SaintDenis, aménagement du cimetière du Père-Lachaise et de nombreux espaces verts
www.anolir.org - [email protected]
2
© ANOLiR
(jardin des Plantes, jardin du Luxembourg), etc. Malheureusement, l’enseignement
de l’œuvre de Napoléon est largement escamoté dans les programmes de
l’Éducation nationale, tout comme celui de l’œuvre de Louis XIV et d’autres grands
personnages qui ont façonné l’Histoire de France. Ces sommités sont victimes, aux
yeux d’une certaine intelligentsia, d’avoir été de glorieux conquérants.
À titre d’exemple, on préfère réduire drastiquement le temps d’apprentissage de
l’Histoire de l’Empire pour consacrer une réflexion, appelée « regards sur l’Afrique »,
qui permet à des élèves de 12-13 ans de s’appesantir sur une civilisation africaine
comme l’empire de Monomotapa au XVe siècle ou l’empire Songhaï du XIIe au
XVIe siècle (programme de cinquième). Qui plus est, on a substitué à l’étude des
grandes périodes, la présentation de grands thèmes qui privilégient une approche
compassionnelle des sujets de société où le « politiquement correct » règne en
maître : droits de l’homme, antiracisme, esclavagisme, traite négrière, autant de
matières qui induisent la culpabilisation et la repentance, mais il s’agit d’une
pénitence à sens unique. Comme le souligne l’historien Pierre Nora, membre de
l’Académie française, l’Histoire enseignée s’apparente à une séquence où « deux
mille ans de culpabilité chrétienne relayée par les droits de l’homme se sont
réinvestis (…) dans la mise en accusation et la disqualification de la France. Et
l’école publique s’est engouffrée dans la brèche avec d’autant plus d’ardeur, qu’à la
faveur du multiculturalisme, elle a trouvé dans cette repentance et ce masochisme
une nouvelle mission. »4 Par ailleurs, la disparition de la chronologie empêche de
comprendre le processus de construction de la nation. L’Histoire inculquée
aujourd’hui à nos élèves est devenue une « histoire zapping, sans dates, réduite à
des flashs d’information »5 et qui oublie l’essentiel : l’apprentissage de notre grand
récit national. Les pères fondateurs de la République doivent se retourner dans leur
tombe !
Le paradoxe de cette affaire est que la mémoire de certains de nos héros est mieux
préservée à l’étranger. Ainsi, c’est un jeu anglo-saxon qui met en lumière le génie et
la gloire de Napoléon : le jeu vidéo sur ordinateur Napoleon Total War, créé par les
Britanniques en 2010, a été vendu à plusieurs millions d’exemplaires, non seulement
dans les pays anglo-saxons, mais aussi en Europe de l’Est, en Chine, au Japon et
dans d’autres États asiatiques. Dans cette même veine de reconnaissance à
l’empereur, on trouve à l’article « Napoléon » dans L’Encyclopedia Britannica :
« Napoléon a changé l’Histoire de la France et du monde, il est un des plus grands
héros de tous les temps. » Cette analyse ne fait que reprendre l’opinion éclairée du
grand dramaturge allemand Goethe : « Sa vie a brillé d’une splendeur que le monde
n’avait pas vue avant lui et que sans doute on ne reverra pas. » On est très loin de la
perception que l’on observe dans certains cercles de la pensée française qui se
prétend « historiquement correcte ». La riposte à cette perversion peut être fournie
par l’adage pertinent de l’écrivain Ernest Renan : « C’est une grave erreur de croire
qu’on honore sa patrie en calomniant ceux qui l’ont fondée. »
4
5
Liberté pour l’Histoire, éditions du CNRS, 2008.
Dimitri Casali, L’Histoire de France interdite, J-C Lattès, 2012.
www.anolir.org - [email protected]
3
Téléchargement