Document 1 : Les critères de la pensée rationnelles.
La pensée rationnelle peut être caractérisée par deux traits principaux, qui s'opposent à
ceux des mentalités prélogiques, ou prérationnelles : la rigueur logique et la perméabilité
à l'expérience.
La rigueur logique est due à l'emploi du principe d'identité et de ses corollaires, les
principes de non-contradiction et du tiers-exclu : «une même chose ne peut pas, à la fois
être et n'être pas ce qu'elle est, en même temps et sous le même rapport» ; A est A ; A
n'est pas non-A ; entre A et non-A, il n'y a pas de terme intermédiaire. Ce principe donne
aux concepts qui entrent comme éléments dans nos raisonnements une «rigidité»
comparable à celle qu'ont les solides géométriques dans les démonstrations malgré les
translations que le géomètre leur fait subir, en pensée, dans l'espace euclidien.
La perméabilité à l'expérience est cette propriété de la même mentalité de ne tenir
compte, pour l'explication des phénomènes naturels, que d'autres phénomènes naturels.
Autrement dit, elle exclut toutes les causes surnaturelles comme la volonté ou les forces
occultes, qu'envisagent les primitifs et les enfants. À ce caractère de perméabilité à
l'expérience se rattache le principe du déterminisme, qui règle toutes les démarches de la
connaissance expérimentale, et qui s'exprime de plusieurs manières : tout a une cause,
rien ne vient de rien, les mêmes causes produisent les mêmes effets, toute la nature
obéit à des lois, etc. Gaston Viaud (1899-1961)
L'intelligence, son évolution et ses formes, 1946
Document 2 : La diversité des philosophies repose sur l’unité de la démarche philosophique, dont
notamment dans le rapport à la raison.
Se pourrait-il qu'il y eût plus d'une philosophie ? Non seulement il y a eu différentes
manières de philosopher et de remonter aux premiers principes de la raison, afin de
fonder avec plus ou moins de bonheur un système, mais encore il était nécessaire qu'un
grand nombre de ces tentatives eût lieu, chacune d'entre elle ayant quelque mérité pour
la philosophie actuelle ; néanmoins puisque objectivement, il ne peut y avoir qu'une
raison humaine, il ne peut se faire qu'il y ait plusieurs philosophies, c'est-à-dire qu'il n'y a
qu'un vrai système rationnel possible d'après les principes, si diversement et si souvent
contradictoirement que l'on ait pu philosopher sur une seule et même proposition.
Emmanuel Kant (1724-1804)
Métaphysique des mœurs
Document 3 : La philosophie repose sur la recherche d’une norme opérative donnée par la raison.
Voici le point de départ de la philosophie : la conscience du conflit qui met aux prises les
hommes entre eux, la recherche de l'origine de ce conflit, la condamnation de la simple
opinion et la défiance à son égard, une sorte de critique de l'opinion pour déterminer si on
a raison de la tenir, l'invention d'une norme, de même que nous avons inventé la balance
pour la détermination du poids, ou le cordeau pour distinguer ce qui est droit de ce qui
est tordu.
Est-ce là le point de départ de la philosophie ? Est-il juste tout ce qui parait tel à chacun ?
Et comment est-il possible que les opinions qui se contredisent soient justes ? Par
conséquent, non pas toutes. Mais celles qui nous paraissent à nous justes ? Pourquoi à
nous plutôt qu’aux Syriens, plutôt qu'aux Égyptiens ? Plutôt que celles qui paraissent
telles à moi ou à un tel ? Pas plus les unes que les autres. Donc l'opinion de chacun n'est
pas suffisante pour déterminer la vérité.
Nous ne nous contentons pas non plus quand il s'agit de poids ou de mesures de la
simple apparence, mais nous avons inventé une norme pour ces différents cas. Et dans
le cas présent, n'y a-t-il donc aucune norme supérieure à l'opinion ? Et comment est-il
possible qu'il n'y ait aucun moyen de déterminer et de découvrir ce qu'il y a pour les
hommes de plus nécessaire ?
- Il y a donc une norme.
Alors, pourquoi ne pas la chercher et ne pas la trouver, et après l'avoir trouvée, pourquoi
ne pas nous en servir par la suite rigoureusement, sans nous en écarter d'un pouce ? Car
Association ALDÉRAN © - Conférence 1600-198 : “Philosophie et raison” - 16/10/2006 - page 4