LE G È N E D U M O I S
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La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 2 - mars-avril 2004
é g a lement que des cancers du sein de type lobulaire, caractérisés par
un aspect diffus à cellules isolées, aient aussi été décrits dans ces
familles ( 1 3 ) .
La distinction du type histologique diffus est essentielle pour
poser un diagnostic de cancer héréditaire de l’estomac. En effet,
des agrégations familiales de cancers de l’estomac d’un autre type
histologique ne constituent pas un critère diagnostique de ce syn-
dr o m e ( 9 ) . Un travail récent a montré qu’aucune mutation du gène
CDH1 n’est décelable dans les agrégations familiales compre-
nant un diagnostic histologique autre que celui des cancers gas-
triques diffus ( 1 4 ) .
Les cancers gastriques diffus héréditaires sont définis comme une
famille répondant aux critères suivants :
✓au moins deux cas de cancer gastrique diffus (prouvés histolo-
giquement) chez des apparentés du premier et/ou du second
d e gré, avec au moins un cas diagnostiqué avant l’âge de 50 ans ;
✓au moins trois cas de cancer gastrique diffus (prouvés histolo-
giquement) chez des apparentés du premier et/ou du second
degré, indépendamment de l’âge au moment du diagnostic.
Sur la base très limitée des familles documentées, on estime actuel-
lement que 25 % des familles répondant à ces critères vont pré-
senter une mutation germinale délétère du gène CDH1. D ’ a u t r e s
types de cancer, comme des cancers du sein lobulaire, des can-
cers colorectaux et des cancers de la prostate, ont été décrits chez
les porteurs d’une mutation du gène CDH1, mais il est trop tôt
pour inclure ces tumeurs dans les critères diagnostiques.
CDH1, DE LA DESCRIPTION DU GÈNE À CELLE DES FAMILLES
CDH1 est localisé sur le locus 16q22.1. Le promoteur de la cadhé-
rine E est sous le contrôle étroit de SNAI1. Des transfections de
SNAI1 sur plusieurs lignées cellulaires de cancers épithéliaux
ont montré une réduction importante de l’expression de la cadhé-
r i n e E et l’acquisition d’un phénotype de type fibroblaste ( 1 5 ) .
Le gène de CDH1 a été cloné en 1995 par Berx (13). Il comprend
1 6 exons, qui s’étendent sur une distance d’environ 100 kbp. La
structure de la protéine est semblable à celle des autres cadhé-
rines. Une réduction de l’expression de la cadhérine E est consi-
dérée comme un des éléments majeurs de la dysfonction de
l’adhésion intercellulaire, conduisant au processus d’invasion
tissulaire et de métastatisation à distance (11). Une perte d’expres-
s i o n de la cadhérine E a ainsi été démontrée pour les cancers gas-
t r i q u e s diffus, les cancers du sein lobulaires et certaines formes
de cancer du côlon (13). Guilford a été le premier à isoler des
mutations du gène CDH1 chez trois familles de cancer gastrique
diffus dans la population Maori de Nouvelle-Zélande ( 1 6 ) .
Parmi huit familles de cancer héréditaire de l’estomac en
Grande-Bretagne, Richards a identifié deux nouvelles mutations
de CDH1 dans deux familles. Ces deux mutations étaient prédic-
tives d’une protéine tronquée empêchant la fonction normale de
la cadhérine E (17). Gayther a analysé 18 familles d’origine
européenne avec une histoire familiale de cancer de l’estomac et
a identifié trois familles porteuses d’une mutation délétère de
CDH1. Aucune mutation n’a été découverte dans les familles
dont l’histologie était de type intestinal. L’âge d’apparition des
cancers était variable, et la pénétrance incomplète ( 1 8 ) .
PRISE EN CHARGE CLINIQUE
La pénétrance de la maladie chez les porteurs d’une mutation de
CDH1 étant estimée à 70 % durant l’existence, et l’âge d’appari-
tion du cancer étant en moyenne de 38 ans (avec plusieurs cas rap-
portés entre 20 et 30 ans), une prophylaxie chirurgicale, similaire à
celle adoptée pour les cancers du sein et de l’ovaire héréditaires ou
les cancers médullaires de la thyroïde, a été envisagée (9). E n
effet, la surveillance endoscopique de ces cancers de l’estomac se
révèle difficile, puisque les cancers de l’estomac de type diffus se
manifestent souvent sous la forme d’une linite plastique sans alté-
ration de la muqueuse (9). La gastrectomie préventive est efficace,
mais grevée d’une morbidité élevée. On estime que la gastrectomie
prophylactique dans une population de jeunes adultes en bonne
santé causerait une mortalité de 1 à 2 % et une morbidité aiguë
majeure de 10 à 20 %, principalement en relation avec des pro-
blèmes d’anastomoses œsophagiennes. De plus, 100 % des
patients présenteront des complications à long terme en relation
avec un transit intestinal accéléré, des diarrhées, un dumping syn -
d r o m e et une perte de poids ( 9 ) . La gastrectomie préventive doit
être complète, afin d’enlever toute muqueuse à risque. Les
tranches de sections doivent donc emporter les limites entre l’esto-
mac et l’oesophage et entre l’estomac et le duodénum ( 9 ) . H u n t s-
man rapporte le devenir de deux familles atteintes d’un cancer gas-
trique diffus héréditaire rapporté précédemment par Gayther ( 1 9 ) .
Une gastrectomie préventive a été effectuée chez cinq porteurs
d’une mutation de CDH1 âgés de 22 à 40 ans. Une analyse micro-
scopique extensive des pièces opératoires a été effectuées. Dans
les cinq cas, des infiltrats de cellules malignes de type “en bague à
chaton” (signet ring cells) ont été identifiés. Dans trois cas, les
cancers gastriques diffus précoces étaient multifocaux, mais repré-
sentaient moins de 2 % de la muqueuse gastrique. Ces données
anatomopathologiques sont inquiétantes, et encouragent au dépis-
tage génétique des apparentés non atteints et à la proposition d’une
gastrectomie préventive. Ces patients devraient être référés, après
plusieurs conseils génétiques, dans un centre expérimenté de
chirurgie de l’estomac. Chez les porteurs d’une mutation ne sou-
haitant pas l’opération, une gastroscopie effectuée tous les six à
douze mois est indispensable, et ce dès l’âge de 20 ans au moins.
Les risques d’autres cancers, comme le cancer du sein ( 2 0 ) o u
celui du côlon ( 2 1 ) , doivent également être pris en charge par des
méthodes de dépistage adéquates (mammographie, colonoscopie)
( 9 ) . Il faut cependant reconnaître que cette entité diagnostique, le
“cancer héréditaire diffus de l’estomac”, est une pathologie rare,
puisque à ce jour seules 18 mutations du gène CDH1 ont été rap-
portées. De surcroît, seuls cinq cas de gastrectomie préventive ont
été publiés (22), et tous les cas de cancer diffus héréditaire de
l’estomac ne sont pas en relation avec une mutation de CDH1. Une
étude italienne n’a trouvé aucune mutation de ce gène chez les
1 1 patients atteints de cancer avec une agrégation familiale de cancers
de l’estomac diffus ( 2 3 ) . Des altérations complexes, comme des
anomalies de s p l i c e, sont vraisemblablement présentes. D’autres
gènes sont probablement en cause également. Il reste donc primor-
dial pour les cancérologues et les gastro-entérologues de connaître
ce nouveau syndrome, et de pouvoir référer ces familles dans les
centres d’oncogénétique appropriés. Seule l’étude de grandes
séries permettra de définir une prise en charge adéquate et sûre.
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