SAGESSE ET PHILOSOPHIE Par Léon Sobel

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Coordination Nationale de la Formation Continuée du Moyen et du Secondaire / Philosophie / Documents de formation de 2004
Léon Sobel Diagne, Sagesse et Philosophie
SAGESSE ET PHILOSOPHIE
Par Léon Sobel Diagne
Conseiller Pédagogique Itinérant
PRF de Dakar
Sagesse et philosophie ou philosophie et sagesse, l’ordre importe peu, dira-t-on. Ce
qui n’est point évident. Car le plus souvent, c’est au renversement de la formule qu’on assiste,
c’est-à-dire philosophie et sagesse. Pour quelle raison ? Nous nous gardons pour le moment
de répondre à cette question, préférant accorder la priorité à l’objet de notre réflexion.
Ainsi notre constat de départ est qu’il n’est certainement pas toujours aisé de faire la
part des choses entre les mots sagesse et philosophie, tellement ils semblent si proches l’un de
l’autre, si entremêlés l’un et l’autre. Toutefois, cette difficulté ne devrait pas entraîner le
découragement au point de laisser s’installer ou perdurer la confusion ambiante. Il est donc
nécessaire de revisiter ces deux notions pour savoir si la tendance à les confondre est fondée
ou si elle procède d’une paresse intellectuelle néfaste, et devant être corrigée au plus vite.
Une approche notionnelle, historique et comparative des deux termes aidera sans doute
à tirer cette problématique au clair. Encore qu’il ne s’agira là que d’un avis que les uns et les
autres pourront apprécier et, à coup sûr, enrichir.
I.
LA SAGESSE
I.1.
QUELLE SAGESSE ?
En regardant autour de nous, dans la vie de tous les jours, la sagesse se manifeste et
fait beaucoup parler d’elle, au moins à deux niveaux de la vie de l’homme. Deux niveaux
assez opposés pour ne pas dire aux antipodes l’un de l’autre ; nous voulons parler de l’enfance
et de la vieillesse.
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I.1.1. LA SAGESSE ET L’ENFANCE
A ce stade de la vie, la sagesse apparaît comme une qualité à acquérir, des mécanismes
comportementaux à installer chez l’enfant. Nous connaissons tous cette belle chanson des
tout-petits au jardin d’enfants, quand le maître ou la maîtresse veut instaurer la discipline.
«je suis sage (bis)
les mains sur la table (bis)
je ne bouge plus (bis)»
Avec les parents, à la maison, la sagesse n’est plus suggérée à l’enfant par un moyen
pédagogique orthodoxe, mais par un gentil chantage. «Mon enfant, dira maman, si tu es sage,
je te donnerai des bonbons».
Compte tenu du contexte dans lequel cette promesse lui avait était faite, l’enfant
comprend ce qu’on attend de lui, c’est une bonne conduite.
La sagesse pour l’enfant se résumerait donc à ceci : ne pas déranger sous quelque
forme que ce soit, être poli et respectueux, prendre des initiatives louables dans le sens de ce
que les scouts appellent la B.A.1
Mais ne s’agit-il pas là de la pseudo-sagesse que Platon stigmatise en ces termes ?
«Or, donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l’on y professe et de ceux
qui y furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu’il se réjouira du changement et
plaindra ces derniers» ?2 «Pour moi (c’est Platon qui parle toujours) telle est mon opinion…,
et il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée comme dans la vie
publique».3
1
La bonne Action Quotidienne.
La République, livre VII.
3
Ibid.
2
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I.1.2. SAGESSE ET VIEILLESSE
A l’autre bout de la vie, on ne parle plus de sagesse en termes d’acquisition, mais
d’accumulation. Le vieillard ou la vieille, proportionnellement au nombre d’années égrainées,
à tout ce qui a été vu, vécu et entendu, devient un grenier de savoir et de sagesse, finalement
un lieu de refuge, celui auprès de qui on espère trouver la solution au problème qui bloque le
sommeil.
Mais tout change, devenant par le fait même insolite, quand il s’agit de l’ancien
disciple de Sartre, soucieux de savoir s’il faut aller au front, en Angleterre, défendre la patrie,
ou rester auprès de sa vieille mère qui a besoin de soutien. Pourquoi a-t-il laissé derrière lui
cette vieille mère pour solliciter le secours d’un professeur de philosophie ? Est-ce à dire que
la fonction, autrefois dévolue aux vieillards et aux vieilles, revient maintenant aux
philosophes ? Nous savons, faut-il le rappeler, que Sartre n’a pas donné satisfaction à la
requête du disciple. Sartre a-t-il trahi la sagesse reconnue au philosophe, à l’image des
imperturbables peintres de ce tableau de Schopenhauer. «Accord intime, prédominance de la
pensée pure sur le vouloir, cela peut se produire en tout lieu : témoins ces admirables
peintres hollandais, qui on su voir d’une façon si objective des objets si minimes, et qui nous
ont laissé une preuve si durable de leur détachement et de leur placidité d’esprit dans les
scènes d’intérieurs. Le spectateur ne peut les considérer sans être touché, sans se représenter
l’état d’esprit de l’artiste tranquille, paisible, plein de sérénité, tel qu’il le fallait pour fixer
son attention à des objets insignifiants, indifférents et les reproduire avec tant de sollicitude ;
et l’impression est d’autant plus forte que par un retour sur nous-mêmes, nous sommes
frappés du contraste de ces peintures si calmes avec nos sentiments toujours obscurcis,
toujours agités d’inquiétudes et de désirs». 4
Malgré tout, peut-on parler d’inter-changeabilité entre sagesse et philosophie ? Tout
porte à le croire, mais il faut encore considérer la même hypothèse sous un angle historique.
I.2.
4
LA SAGESSE D’UN POINT DE VUE HISTORIQUE
Le Monde comme Volonté ou comme Représentation.
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I.2.1. LA SAGESSE OU LA PHILOSOPHIE AVANT LE MOT
Si l’on part du fait que le mot philosophie (du grec philos = ami, sophia = sagesse) a
été forgé par Pythagore à une date imprécise du VIème siècle avant notre ère, il est bien
possible de dire que tout ce qui a précédé Pythagore, sur ce plan, répondait du nom de
sagesse. Comme le confirme, du reste, l’argumentation par laquelle Pythagore préfère qu’on
l’appelle «philosophos», c’est-à-dire philosophe, plutôt que «sophos», autrement dit sage.
L’on rapporte que c’est par modestie que ce dernier avait préféré se donner comme
philosophe, estimant que la sagesse est un idéal vers lequel on ne pouvait que tendre, au lieu
de prétendre le posséder.
Avant Pythagore personne ne semblait réunir suffisamment de sagesse pour être
dérangé par ce titre. D’où le mérite de Pythagore d’avoir été à l’origine d’une grande
révolution conceptuelle, et même idéologique. Du coup s’opéra une rupture inoubliable dans
l’histoire de la pensée, une rupture si décisive qu’en pâtirent ceux qu’on a appelé jusque-là les
sept sages de la Grèce, et qu’on a dû rebaptiser philosophes.
I.2.2. LES SEPT SAGES DE LA GRECE
«Les sept sages» – Nom donné par la Grèce à des philosophes et des tyrans du VIIe
siècle avant notre ère, à qui on attribuerait des maximes devenues très populaires à l’époque
hellénistique. La liste des sept sages varie selon les historiens, mais inclut le plus souvent les
noms de :
1. Thalès de Milet, mathématicien, physicien, astronome qui aurait vécu entre la fin
du VIIe siècle et le début du VIe siècle avant notre ère. Reconnu comme le plus ancien des
sept sages, il fut considéré par Aristote comme le premier des philosophes ioniens… Dans sa
doctrine philosophique qui constitue un premier essai de «philosophie de la nature», il existe
une seule substance primordiale, l’eau : tout en procède et non seulement la vie, l’eau donne
naissance aux autres éléments (transformation par condensation, raréfaction, etc.) Cette
conception le conduisit à considérer notre univers comme une bulle d’air hémisphérique au
sein d’une masse liquide infinie…
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2. Pittacus ou Pittacos – vers -648 à vers -569 tyran de Mytilene (-589 à -579)
délivra Lesbos de la tyrannie de Melanchros… et bâtit les athéniens. Investi de l’autorité
suprême par ses concitoyens, il gouverna avec sagesse, il donna des lois à la cité…
3. Bias – vers -570, législateur, avocat ou arbitre entre ses concitoyens en discorde.
Les aphorismes qu’on lui attribue traditionnellement sont des sentences morales, pleines de
sens commun…
4. Solon d’Athènes – Législateur et poète athénien, vers -640 à vers -558. Très
estimé par ses concitoyens pour son patriotisme et son honnêteté, il fut élu archonte avec des
pouvoirs extraordinaires vers -594… Les poésies de Solon, dont il nous reste des fragments,
étaient composées à l’appui de sa philosophie morale et politique évoquant son programme de
réformes…
5. Cléobule (vers VIème siècle) personnage à demi-légendaire. Il aurait été tyran de
Lindos (Rhodes – Initié à la sagesse égyptienne et auteur de nombreuses énigmes composées
en vers…).
6. Périandre, tyran de Corinthe ( vers -627 – -585 ) ; plus grand tyran de la Grèce
archaïque, il répondit à la crise agraire et démographique par des mesures hardies dont
l’interdiction d’achat d’esclaves, la dévaluation monétaire, le développement de l’industrie et
du commerce… ; de caractère violent, il tua sa femme, Melissa, lors d’une scène de ménage
en la précipitant du haut d’un escalier.
7. Chilon (vers VIe siècle), Ephore de sparte vers -556, il fit confier aux Ephores5 le
droit de déposer les rois. Il mourut de joie, dit-on, quand son fils fut couronné aux jeux
olympiques.
I.2.3. PREMIERE REMARQUE : MODESTIE OU INDIGNATION
CONSTRUCTIVE DE PYTHAGORE.
Ce que nous venons de découvrir avec les notes biographiques des sept sages ne
permet pas toujours de comprendre pourquoi certains noms figurent sur cette liste, tellement
leurs actes sont parfois en contradiction avec ce qu’on attend d’un sage. Il se peut d’ailleurs
que l’écart entre l’idéal de sagesse et le comportement desdits sages ait été à l’origine de
l’indignation de Pythagore.
5
Ephore : chacun des cinq magistrats de Sparte, établis pour contrebalancer l’autorité du roi et du Sénat. Le Petit
Robert des noms propres.
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I.2.4. DEUXIEME REMARQUE : UNE MENTION SUSPECTE
Cléobule est présenté comme personnage demi-légendaire qui aurait été initié à la
sagesse égyptienne. Pourquoi le seul des sept sages à avoir été initié à la sagesse égyptienne
est un personnage demi-légendaire ? N’y a-t-il pas là une volonté inavouée de refuser une
origine égyptienne de fait ?
I.3. QU’EST- CE QUE LA SAGESSE ?
La réponse qu’appelle cette question, nous l’emprunterons à Renouvier [1815-1903],
selon qui «le plus ancien nom de la philosophie fut sagesse. Elle apparaissait alors comme
l’unité de la science»6. Au vu de ce qui est dit là, tout se passe comme si la philosophie,
«totalité du savoir» selon Aristote, avait hérité de cet encyclopédisme de la sagesse.
I.
II.1.
PHILOSOPHIE
DEFINITION DE LA PHILOSOPHIE
Contrairement à ce qu’on a coutume d’entendre, à savoir la philosophie est
indéfinissable, c’est-à-dire qu’on ne peut pas enfermer la philosophie dans une seule et unique
définition, nombreux sont ceux qui pensent que la philosophie n’est pas difficile à définir.
Pour ceux-là, tout le monde est philosophe dès l’instant que chacun a «une conception, une
vision des choses».
Hegel a vivement réagi contre cette prétendue définition plutôt dévalorisante pour la
philosophie. «Il paraît particulièrement nécessaire de faire de nouveau de la philosophie une
affaire sérieuse, pour toutes les sciences, les arts, les talents, les techniques, prévaut la
conviction qu’on ne les possède pas sans se donner de la peine et sans faire l’effort de les
apprendre et de les pratiquer. […] De nos jours domine le préjugé selon lequel chacun sait
immédiatement philosopher et apprécier la philosophie puisqu’il possède l’unité de mesure
nécessaire dans sa raison naturelle. […]»
6
Charles Renouvier, Manuel de philosophie, cité dans le Vocabulaire Technique et Critique de Lalande.
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Comme pour emboîter le pas à Hegel, Ludwig Wittgenstein esquisse une définition
négative de la philosophie avant de dire ce qu’elle est : «la philosophie n’est aucune des
sciences de la nature. La philosophie n’est pas une doctrine […] le mot «philosophie» doit
signifier quelque chose qui est au-dessus ou au-dessous, mais pas à coté des sciences de la
nature.»
C’est le même souci de définir la philosophie et de montrer qu’elle n’est pas ce que
n’importe qui veut en faire qui habite Auguste Comte quand il dit : «j’emploie le mot
philosophie dans l’acception que lui donnaient les anciens, et particulièrement Aristote
comme désignant le système général des conceptions humaines (…) par philosophie positive,
comparée à sciences positives, j’entends seulement l’étude propre des généralités des
différentes sciences, conçues comme soumise à une méthode unique, et comme formant les
différentes parties d’un plan général de recherche … »7
Mais cette philosophie qui ne laisse personne indifférent, d’où vient-elle ?
II.2.
LES ORIGINES DE LA PHILOSOPHIE
Comme sa définition, l’origine de la philosophie n’est pas facile à déterminer.
D’ailleurs, il n’y aurait pas une, mais plusieurs origines.
L’origine égyptienne
Des savants grecs auraient importé la philosophie d’Egypte sous la forme d’une
méditation pratiquée par les prêtres égyptiens. Le seul mérite des grecs auraient alors été de
rationaliser cette activité en la rendant plus critique.
En parlant de sagesse plus haut, nous avons noté que la sagesse est le plus ancien nom
de la philosophie. La preuve, c’est que la plupart des sages antérieurs à Pythagore sont perçus
par la postérité comme des philosophes.
Mais, c’est surtout au VIe siècle, avec Pythagore, que l’on situe d’habitude la
naissance de la philosophie, précisément quand ce dernier a dit que la philosophie, c’est
l’amour de la sagesse.
7
Cours de philosophie positive, I.
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Pourtant, Socrate qui est postérieur à Pythagore se donne quelque part, ou est présenté
par Platon, comme le père de la philosophie. Aujourd’hui encore, certains n’hésitent pas à
faire commencer la philosophie par Socrate (-470 – -399). Platon, son disciple, le considéraitil comme tel ? Il y a de quoi le croire quand on pense à ces mots du livre VII de La
République. «Il nous incombera donc à nous fondateurs, d’obliger les meilleurs naturels à se
retourner vers cette science que nous avons reconnue tout à l’heure comme la plus sublime, à
voir le bien et à faire cette ascension.»
Aristote, parlant de manière un peu plus explicite, donne son point de vue sur l’origine
de la philosophie. «Ce qui dès l’origine poussa les premiers hommes aux recherches
philosophiques c’était comme aujourd’hui l’étonnement. Entre les objets qui les étonnaient et
dont ils ne pouvaient rendre compte ils s’appliquèrent d’abord à ceux qui étaient à leur
portée… si les premiers philosophes philosophèrent pour échapper à l’ignorance, il est
évident qu’ils poursuivaient la science pour savoir et non en vue de quelque utilité».8
Jacques Maritain (1883- 1973) s’en remet à Platon quand il dit : «la philosophie lui
doit l’éclair qui l’a fait naître, l’instinct aberrant dont elle aurait pu mourir».9
III. PHILOSOPHIE ET SAGESSE
L’Egypte, terre d’origine
Aussi bien pour la philosophie que pour la sagesse, l’Egypte est souvent cité comme
une terre d’origine, un lieu de ressourcement. Ainsi Cléobule, l’un des sept sages de la Grèce,
a, dit-on, été initié à la sagesse égyptienne. Malheureusement, cette mention est minimisée
quand un certain européocentrisme mal déguisé voudrait que Cléobule soit un personnage
demi-légendaire. Tout cela mérite réflexion.
Sagesse et philosophie d’un point de vue sémantique
8
9
Métaphysique, livre I.
Le Paysan de la Garonne.
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Avec Alain, on est certainement en droit de penser que la sagesse est un sens vulgaire
de la philosophie : «le mot philosophie, pris dans son sens vulgaire, enferme l’essentiel de la
notion. C’est aux yeux de chacun, une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour
effet de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets… »10
L’on se rappelle aussi que de l’avis de Renouvier, «la sagesse est le plus ancien nom
de la philosophie».
Descartes, quant à lui, pousse la relation sémantique entre sagesse et philosophie
jusqu’à définir la dernière par la première. «Ce mot de philosophie signifie l’étude de la
sagesse, et que par la sagesse on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais
une parfaite connaissance de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la conduite
de sa vie que pour la conservation de sa santé et l’invention de tous les arts».11
Sagesse et philosophie corrélativement à la raison
La raison qu’on a tendance à établir comme une spécificité de la philosophie est aussi
revendiquée par la sagesse. D’un coté comme de l’autre, sa prépondérance se passe de
commentaires.
«Concevoir ce qui est, est la tâche de la philosophie, car ce qui est, c’est la raison»
affirme Hegel dans la Philosophie du Droit.
Bien avant cela Platon se demandait dans le livre IV de La République :
«N’appartient-il pas à la raison de commander, parce qu’elle est sage ?» Il affirmera
quelques ligne après : «Et il (l’homme) est sage par cette petite partie (la raison) qui a
commandé en lui».
Sagesse et philosophie : quel rapport avec la science ?
Platon ne voit aucun inconvénient à établir un rapport entre la sagesse et la science.
10
11
Eléments de Philosophie.
Principes, préface.
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«Soit qu’il (l’homme) travaille à s’enrichir, soit qu’il soigne son corps, soit qu’il s’occupe de
politique… il juge toujours et nomme juste et belle, l’action qui maintient et contribue à
réaliser cet état d’âme, et qu’il tient pour sagesse la science qui inspire cette action».12
Parlant de la science au sens moderne, Brunschvicg l’inscrit dans une complicité
constructive avec la philosophie. «La science refuse son appui à une métaphysique de la
nature, à un réalisme : elle l’accorde à une philosophie de la pensée, à un idéalisme».13
Ainsi, précisera le même Brunschvicg : «La philosophie que justifie la science moderne est un
rationalisme ouvert ou un idéalisme critique».14
Quand sagesse et philosophie se réclament de la réflexion, Alain assigne à la réflexion
la noble fonction de rendre plus sage. «On appelle réflexion le mouvement critique, qui de
toutes les connaissances revient toujours à celui qui les forme, en vue de le rendre plus
sage».15
Tournant davantage son regard du coté de la philosophie, Karl Jaspers retient ceci :
«La philosophie est une réflexion critique, c’est-à-dire un retour de l’esprit sur lui-même».
Philosophie et Sagesse : la commune utilité
Tout comme la sagesse, la philosophie vise l’utilité, malgré le préjugé défavorable qui
pèse sur elle. «Les hommes dont la principale partie est l’esprit devraient employer leurs
principaux soins à la recherche de la sagesse qui en est la vraie nourriture».16
Dans le prolongement du constat d’utilité de la sagesse, Descartes rappelle qu’il en est
de même pour la philosophie. «Et le plaisir de voir toute les choses que notre vue découvre
n’est point comparable à la satisfaction que donne la connaissance de celles qu’on trouve par
la philosophie… Cette étude est plus nécessaire pour régler nos mœurs et nous conduire en
cette vie, que n’est l’usage de nos yeux pour guider nos pas».17
12
Platon, livre IV de La République.
La Philosophie de l’esprit.
14
Ibid.
15
Eléments de philosophie.
16
Descartes, préface des Principes.
17
Ibid.
13
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Léon Sobel Diagne, Sagesse et Philosophie
Au moment de conclure cette réflexion, il importe de dire clairement que, certes,
sagesse et philosophie ont beaucoup de points communs, partagent un certain nombre de
choses, mais de là à établir qu’elles se confondent sur toute la ligne, nous émettons des
réserves. Par exemple, le rapport que la sagesse entretient avec la prudence, la philosophie ne
s’en mêle pas forcément, pour ne pas dire qu’elle n’a rien à y voir.
La sagesse est au-dessus de la prudence.
«Puisque la prudence concerne les choses humaines et la sagesse au contraire la
cause suprême, il ne se peut pas que de prudence soit la vertu plus grande que la sagesse».18
Plus que le fait d’être supérieur à la prudence, la sagesse commande à la prudence :
«la prudence ne commande donc pas la sagesse, mais la sagesse à la prudence».19
Ainsi se présentent le rôle et la place de la prudence par rapport à la sagesse : «la
prudence en effet n’a pas à se mêler des choses sublimes que considère la sagesse ; elle
commande dans les matières qui la lient à la sagesse, et prescrit notamment ce que l’homme
doit faire pour y parvenir : si bien que la prudence ou vertu politique, est en cela servante de
la sagesse, car elle y introduit et en prépare la route comme le serviteur qui se tient au seuil
du roi».20
La sagesse comme perspective eschatologique ou le point culminant de la consécration
de la sagesse pour Platon : «Socrate : Nous n’aurons, semble-t-il, ce que nous désirons et
prétendons aimer, la sagesse, qu’après la mort».21
Dans un tout autre ordre, la philosophie se voit, elle aussi, rehaussée par son effort de
rationalité, par le recours à toutes les méthodes qui font sa fierté aujourd’hui.
La maïeutique socratique, par exemple, ou le jeu questions-réponses. «Mon art
d’accoucheur comprend donc toutes les fonctions que remplissent les sages-femmes ; mais il
diffère du leur en ce qu’il délivre des hommes et non des femmes et qu’il surveille leur âme en
18
St Thomas d’Aquin, La Somme Théologique.
Ibid.
20
Ibid.
21
La République, Livre VII.
19
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travail et non leur corps. Mais le principal avantage de mon art, c’est qu’il rend capable de
discerner si l’esprit du jeune homme enfante une chimère et une fausseté, ou un fruit réel et
vrai».22
La dialectique platonicienne. - «Comprends maintenant que j’entends par deuxième
division du monde intelligible celle que la raison même atteint par la puissance de la
dialectique en faisant des hypothèses, qu’elle ne regarde pas comme des principes, mais
réellement comme des hypothèses c’est-à-dire des points de départ et des tremplins pour
s’élever jusqu’au principe universel qui ne suppose plus de conditions, une fois ce principe
saisi, elle s’attache à toutes les conséquences qui en dépendent, et descend ainsi jusqu’à la
conclusion sans avoir recours à toute donnée sensible, mais aux seules Idées, par quoi elle
procède et à quoi elle aboutit».23
La dialectique hégélienne ou la loi de la contradiction - «La contradiction est la
racine de tout mouvement et de toute manifestation vitale ; c’est seulement dans la mesure où
elle renferme une contradiction qu’une chose est capable de mouvement, d’activité, de
manifester des tendances ou impulsions».24 «Une chose n’est donc vivante que pour autant
qu’elle renferme une contradiction et possède la force de l’embrasser et de la soutenir».25
La dialectique marxiste - «Ma méthode dialectique, non seulement diffère par la base
de la méthode hégélienne, mais elle en est l’exact opposé. Pour Hegel, le mouvement de la
pensée, qu’il personnifie sous le nom de l’idée, est le démiurge de la réalité, laquelle n’est
que la forme phénoménale de l’idée. Pour moi, au contraire, le mouvement de la pensée n’est
que la réflexion du mouvement réel, transporté et transporté dans le cerveau de l’homme».26
Les quatre règles de la méthode cartésienne - «Au lieu de ce grand nombre de
préceptes dont la logique est composée, je crus que, j’aurais assez des quatre suivants et se
résumant en l’évidence, la division, l’analyse et le dénombrement.»27
22
Platon, Théétète.
Livre VI de La République.
24
Science de la Logique.
25
Ibid.
26
Le Capital, I, Ed. Sociales.
27
René Descartes, Discours de la Méthode.
23
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