Recherches sur l`embryon : l`effet domino de la libéralisation

Lettre d’information et d’analyse sur lactualité bioéthique
°167 : J / A 2014
On n’est plus dans le débat qui a conduit à
la libéralisation à l’été 2013 des recherches
qui détruisent des embryons pour utiliser
des cellules souches. Le Comité d’éthique
de l’INSERM annonce l’objectif de sa note
dès le départ : il ne s’agit pas de la ques-
tion des cellules souches mais de la « re-
cherche sur l’embryon» en tant que telle.
Le comité devrait parler ici d’études et non
de recherches sur l’embryon2 (l’eacement
de la distinction est-il anodin ?) de quoi
s’agit-il concrètement ? D’un point de vue
fondamental, d’étudier le développement
normal et pathologique de l’embryon avant
son implantation et dans un but applicatif
d’étudier l’embryon lui-même et les condi-
tions de son développement : « pour lutter
contre la stérilité » et « la transmission de
pathologies », « notamment dans le cadre
de l’assistance médicale à la procréation ».
LAMP, l’enjeu est celui là.
Ainsi, le papier est orienté par une idée
unique, et non discutée : il faut qu’il y ait
davantage de « recherches » (en réalité
études) sur l’embryon en France, cette né-
cessité ne venant pas d’une urgence scien-
tique ou clinique, mais d’un principe. A
aucun moment dans le développement de
la note ne se trouve une ébauche de raison-
nement justiant ce parti pris, de tableau de
ce à quoi pourrait servir ces études que l’on
veut permettre, comme un absolu en soi –
sauf sur un point qui apparaît plus loin.
Le cœur de la note, son motif concret, juri-
dique, est donné en page 9 sous le titre
«une organisation plus performante de la
recherche » : « Si la levée de l’interdiction
du principe de la recherche (consécutive
à la loi du 6 août 2013) est justiée, d’un
point de vue scientique et médical, et
acceptable d’un point de vue éthique, il ne
s’agit pas d’une mesure susante pour
permettre la promotion de recherches dans
l’intérêt de l’embryon ». Cette déclaration
d’intention comporte en fait deux volets
contradictoires : d’un côté le groupe de
travail de l’INSERM veut éliminer les res-
trictions qui limitent encore l’accès des
scientiques aux embryons écartés par
les cliniques ; mais de l’autre il doit tenir
compte des réalités juridiques qui veulent
que la recherche sur l’embryon prote à
celui-ci (directement ou indirectement),
ce qui est incompatible avec le premier
terme, l’embryon étant dans le premier cas
détruit.
Cette contradiction n’est en fait qu’appa-
rente, car elle est utilisée pour justier le
« transfert des embryons ayant été inclus
dans une recherche », et l’on devine que
c’est là le motif principal de la note, ce
qu’elle propose en pratique. Ce motif était
d’ailleurs déjà annoncé en page 8, dans une
phrase qui paraissait alors sibylline mais
qui prend toute sa signication a posteriori:
« Ces recherches pourraient être faites sur
des embryons ne répondant plus à un projet
parental mais aussi pour partie sur des em-
bryons susceptibles d’être transférés dans
l’utérus à des ns de gestation. Dans ce der-
nier cas la recherche serait au bénéce des
futurs parents mais aussi au bénéce
de l’embryon lui-même dans la mesure où
il aurait une meilleure potentialité de déve-
loppement. Enn les connaissances ainsi
acquises pourraient bénécier aux autres
embryons et auraient pour conséquence de
diminuer le nombre d’embryons créés pour
répondre au mieux au projet parental des
personnes qui ont recours à une AMP ». De
quoi s’agit-il ? De passer d’une recherche
sur l’embryon destructrice à une recherche
sur l’embryon lui-même, non seulement
non destructrice mais en fait visant, pour
cet embryon ou pour d’autres embryons qui
seraient dans le même cas, à l’étudier le
plus loin possible dans la grossesse, ce qui
suppose sa survie.
Ces travaux présenteraient a priori des in-
térêts scientiques : prélèvement de blas-
tomères, comme dans le cas du diagnostic
pré implantatoire, déjà autorisé par la loi,
études métaboliques, génétiques, épigé-
nétiques, sur les facteurs de croissance,
ultimement interventions de thérapie
génique sur l’embryon, actuellement non
permises par la loi. C’est dans ce dernier
cas que pourraient intervenir, par exemple,
la correction d’une anomalie génétique
«familiale » ou même d’une trisomie.
Cependant des questions fondamentales
et inquiétantes restent en suspens :
Ces études ne peuvent-elles pas être
conduites sur des embryons animaux ?
Si tant est que ces études puissent réel-
lement conduire à des interventions béné-
ques pour les embryons, dans quelle
échelle de temps cela est-il envisageable?
D’ici là combien d’embryons seront des
cobayes ?
L’intérêt aché étant d’améliorer les
techniques d’AMP, ociellement pour
limiter le nombre d’embryons créés inuti-
lement, les études sur l’embryon n’ont de
réelle portée que lorsque l’embryon étudié
est ensuite transféré et son développe-
ment étudié au cours de la grossesse. Quid
de l’information aux parents ? On voit mal
des parents, ayant recours à une FIV pour
cause d’hypofécondité, accepter que l’on
manipule ainsi leur enfant au stade em-
bryonnaire, avec les risques d’anomalies
et de pertes d’embryon que cela comporte.
Recherches sur l’embryon :
l’effet domino de la libéralisation
1. Pour lire la note dans son intégralité, rendez-vous sur le site de l’INSERM, rubrique Actualités en date du 18 juin 2014 ; 2. Dans la loi française, depuis la première loi de bioéthique en 1994, il est fait une
distinction entre les études et les recherches sur l’embryon, les premières ne portant pas atteinte à ce dernier, contrairement au secondes qui conduisent à sa destruction.
Le 18 juin 2014, un an après la libéralisation de la recherche sur l’embryon, le Comité d’éthique de l’INSERM rendait public une « note1 »
dans laquelle un de ses groupes de travail y regrette que soient menées « très peu de recherches sur l’embryon en France ». S’il paraît sur-
prenant qu’un comité d’éthique pousse à accélérer des pratiques qu’il est censé réguler, il ne l’est pas moins de constater qu’il prône une
extension de la libéralisation vers les études sur l’embryon et semble même faire de l’implantation des embryons expérimentés (le passage
à la grossesse) l’enjeu majeur. Explications.
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
C : cont[email protected]g - T. : 01 44 49 73 39 - S : www.genethique.org - S  : 31 rue Galande 75005 Paris
D    : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Guenièvre Mouchet - I : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498
Quand bien même les parents accepte-
raient de telles manipulations, ils ne sont
pas les « possesseurs » de leur enfant.
Plus problématique encore, la note fait
entrer la grossesse dans le champ de
l’expérimentation : les auteurs de la note
semblent accréditer l’implantation utérine
«expérimentale» d’embryons jugés non
implantables. Il s’agirait d’accepter dans
le but de la recherche, le développement
intra utérin d’un enfant dont la viabilité ou
la normalité phénotypique apparait d’em-
blée compromise.
Il est toujours surprenant – mais pourtant
si courant – de constater qu’un comité
d’éthique se positionne au sommet de
l’avant-garde utilitariste et matérialiste
(il faut lire la paragraphe sur « la juste
place» de l’embryon en page 7).
En l’occurrence, alors qu’une partie de la
recherche française fait de la libéralisa-
tion absolue de toutes formes de travaux
sur l’embryon un leitmotiv, il est dicile
de lire cette note sans y voir une promo-
tion déconcertante du toujours plus.
Un fœtus victime dun homicide involontaire :
le Tribunal correctionnel de Tarbes retrouve
le chemin du bon sens • Tribune de Jerry Sainte-Rose, Avocat général
honoraire à la Cour de cassation et ancien Conseiller d’Etat
Le 20 janvier 2012, un automobiliste per-
dait le contrôle de son véhicule, fonçait
sur le trottoir et renversait une femme, en-
ceinte de 7 mois. L’enfant à naître, un gar-
çon de 1,750 kg, que les parents avaient
choisi d’appeler Yanis, fut tué sur le coup.
Le 14 février 2014, la Chambre correction-
nelle du Tribunal de Grande Instance de
Tarbes a condamné l’automobiliste, non
seulement pour les blessures infligées
à la femme, mais aussi pour l’homicide
involontaire du fœtus. Le lien de causa-
lité entre le choc et le décès de l’enfant,
direct et certain, a été établi par expertise
médicale. En outre, une expertise psycho-
logique a mis « en évidence un très impor-
tant traumatisme psychologique supporté
par la jeune femme du fait de cette terrible
perte » tandis que, de son côté, l’auteur
de l’accident « fait état d’importants sen-
timents de culpabilité à l’évocation de
l’accident » et «précise qu’il a conscience
d’avoir provoqué la mort d’un bébé dont il
ne veut pas que soit contestée la qualité
d’être humain à part entière ».
Sur le fondement de l’article 221-6 du
code pénal qui incrimine l’homicide invo-
lontaire, le tribunal a retenu la culpabilité
de l’auteur de l’accident pour avoir invo-
lontairement causé la mort de Yanis C.,
enfant né sans vie.
Il ressort du jugement que le lien de
causalité entre l’accident et la mort de
l’enfant à naître étant établi, l’homicide
est caractérisé. Le prévenu, « conscient
d’avoir provoqué la mort d’un bébé », ne
conteste pas et reconnaît les faits d’homi-
cide involontaire. Il « revendique, pour
pouvoir se reconstruire, d’être sanctionné
(…) pour avoir mis n à la vie de cet enfant
à naître ».
Cette décision renoue avec une tradition
ancienne. Depuis l’époque franque, en
passant par le Code pénal de 1810 dans
le sillage de la doctrine des droits de
l’homme, les atteintes à la vie de l’enfant à
naître ont été incriminées. A partir du XIXe
siècle, les juridictions répressives ont ad-
mis que l’enfant à naître, particulièrement
exposé aux risques de la vie quotidienne
comme aux fautes médicales, pouvait
être victime d’un homicide involontaire.
Toutefois, depuis 1999, la Cour de cassa-
tion, brisant une jurisprudence plus que
séculaire, juge que la mort de l’enfant in
utero causée par l’imprudence ou la né-
gligence d’un tiers n’est pas constitutive
d’un tel délit.
Pourtant, rien dans les travaux prépara-
toires du code pénal entré en vigueur en
1994, ne permet de dire que le législateur
ait entendu priver le fœtus - qui pour la
médecine est un patient - de la protection
pénale dont il bénéciait naguère.
Nous ne sommes pas ici dans le cas parti-
culier de l’interruption volontaire de gros-
sesse, liberté concédée à la seule femme
enceinte et sous certaines conditions par
une loi de dépénalisation. Cette liberté
constitue une exception, du reste unique,
au principe qui gure en tête des disposi-
tions relatives à l’IVG et selon lequel «la
loi garantit le respect de l’être humain dès
le commencement de sa vie », principe
repris par l’article 16 du code civil qui est
d’ordre public.
La plupart des commentateurs ont mis en
évidence les conséquences paradoxales
d’une jurisprudence qui plonge l’enfant à
naître dans le néant pénal, quel que soit
son degré de développement : donner
la mort dans le sein maternel n’est pas
punissable alors que le même acte sera
sanctionné s’il ne provoque que des bles-
sures ou si le décès survient ne serait ce
que quelques instants après la naissance.
Dans l’aaire commentée, les parents
« ne sollicitent pas de demande nan-
cière pour Yanis », mais seulement la
reconnaissance de la vie et de la mort
de leur enfant, et l’expert conclut qu’« il
est essentiel de permettre aux parents de
donner toute la place à cet enfant mort
en l’inscrivant dans une histoire au sein
d’une famille et par là d’assurer leur rôle
de parents en deuil». Comment le deuil de
l’enfant pourrait-il se faire si la justice est
dans le déni de son existence, de sa vie
comme de sa mort ?
En reconnaissant que l’homicide désigne
la destruction de la vie humaine, que
Yanis C. vivait et qu’il est mort, par la faute
de l’automobiliste coupable d’homicide
involontaire, ce jugement du Tribunal de
Tarbes renoue avec la tradition pénale, le
bon sens et l’humanité.
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