Sociologie des organisations
Thomas Reverdy
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Thomas Reverdy. Sociologie des organisations. Master. Sociologie des organisations, Grenoble-
INP, France. 2013, pp.160. <cel-00918864v2>
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Sociologie des organisations, Thomas Reverdy
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Cours de Sociologie des organisations
Rédigé par Thomas Reverdy
Maître de conférences en Sociologie
(Grenoble-INP, PACTE)
Ce cours s’appuie largement sur les travaux de recherche d’origines américaine ou
européenne appartenant aux « organisations studies » et qui mobilisent les cadres théoriques
de la sociologie. Il est construit autour des principaux thèmes de la théorie des organisations :
la décision, le contrôle, la division du travail, le changement, les institutions. Notre objectif
était d’illustrer autant que possible les concepts par des recherches empiriques et par des
expériences de la vie économique ou de la vie quotidienne. Nous citons aussi des travaux
issus de la psychologie sociale dans la mesure celle-ci a produit de nombreux résultats
expérimentaux qui confortent les hypothèses de la sociologie des organisations. Ce cours a été
rédigé initialement à destination d’élèves ingénieurs en 2e année d’école, qui avaient déjà des
bases en sociologie du travail et en sociologie des organisations. Il s’adresse à tout public, en
particulier à un public qui souhaite comprendre comment la sociologie peut contribuer à
mieux exercer ses activités et ses responsabilités en entreprise ou plus globalement dans les
organisations. Enfin, le cours est ponctué de vignettes du personnage de Dilbert, qui offre une
vision cynique, mais souvent très juste, de la vie organisationnelle
Sociologie des organisations, Thomas Reverdy
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La sociologie des organisations, pourquoi ?
Max Weber, fin observateur des transformations de la société à la fin du XIXe siècle, fait le
constat du développement des grandes organisations modernes comme l’armée, l’industrie,
l’administration, lesquelles prennent peu à peu le pas sur l’Église, les corporations d’artisan,
les grandes familles… Pour Max Weber, l’émergence de ces grandes organisations est le
résultat d’un changement plus profond dans la façon de penser la vie sociale, le remplacement
de comportements fondés sur des valeurs communes ou des normes sociales, par des
comportements orientés par une recherche plus systématique d’« efficacité », une logique
« instrumentale » qui subordonne toute action à des objectifs, des buts. Cette rationalité
« instrumentale », technique et économique, prend le pas sur les considérations politiques,
morales, culturelle, et guide le processus d’organisation de la vie sociale, du travail productif
jusqu’à la vie quotidienne.
Ainsi, pour Max Weber, l’idéal de rationalité instrumentale est au fondement des
organisations modernes. Cet idéal de rationalité instrumentale justifie l’existence les efforts
d’amélioration de l’organisation. Cet idéal rend légitime le pouvoir qui s’exerce dans
l’organisation : si une personne de la hiérarchie peut imposer un ordre à un subordonné, c’est
parce que l’un et l’autre appartiennent à l’organisation, que chacun y occupe une position, et
qu’il est considéré comme rationnel et efficace que cet ordre soit donné et respecté. Max
Weber utilise le terme de « domination rationnelle-légale » pour décrire comment s’exerce
cette rationalité et la légitimité qu’elle donne à celui qui exerce un pouvoir dans
l’organisation. L’exercice de l’autorité, pour le responsable hiérarchique, est soumis à cette
rationalité : il ne peut donner n’importe quel ordre, il faut que celui-ci soit cohérent avec les
orientations de l’organisation et les règles qui y sont formalisées. Les organisations modernes
diffèrent de la société traditionnelle les positions étaient souvent héritées par naissance,
le pouvoir pouvait s’exercer de façon arbitraire ou « politique », en vertu de jeux d’alliance
complexes.… Les organisations modernes et les activités de leurs membres, poursuivent cet
idéal d’un exercice libre de la raison, d’une capacité à rechercher les moyens les plus adaptés,
les plus efficaces… Mais la réalité est-elle à la hauteur de cet idéal ?
Le champ de recherche que constitue la sociologie des organisations propose d’interroger cet
idéal et sa traduction concrète dans l’organisation. Il s’est développé dans plusieurs
directions : l’analyse de la rationalité et de la prise de décision, l’analyse des relations de
dépendance et de pouvoir, l’analyse des dynamiques de changement… Des auteurs comme
Crozier et Friedberg ont établir ce champ de recherche, en France, sur des fondements
intellectuels solides et complets, ce qui a donné à cette discipline un large succès. On peut
dire aujourd’hui cependant qu’elle souffre de cet impressionnant héritage. La sociologie des
organisations, en France, lui est restée fidèle et a adopté une trajectoire propre, en décalage
avec les évolutions de la théorie des organisations, européenne ou anglo-saxonne, qui a aussi
évoluée de son côté. Le risque pour les sociologues français des organisations est de rester
isolé de ce champ qui a connu de nombreux développements. Notre ambition ici était de le
faire connaître plus largement.
Sociologie des organisations, Thomas Reverdy
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La sociologie des organisations, pourquoi ? .............................................................................. 2
Partie 1 : sommes-nous vraiment rationnels ? ............................................................................ 4
Partie 2. La structure organisationnelle et ses effets sur la décision ........................................ 30
Partie 3. Diriger : déléguer, contrôler .................................................................................. 46
Partie 4 : Les instruments de gestion : une forme de contrôle à distance ......................... 74
Partie 5. Manager la transversalité par les processus ......................................................... 86
Partie 6. La transversalité par le management de projet .................................................... 97
Partie 7. La dynamique de la mode managériale ............................................................... 118
Partie 8. La conduite du changement ..................................................................................... 121
Partie 9. L’organisation et les individus sous influence : apports de la théorie néo-
institutionnaliste ..................................................................................................................... 132
Sociologie des organisations, Thomas Reverdy
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Partie 1. La décision : sommes-nous vraiment rationnels ?
Dans les années 60, J.G. March et H. Simon, deux auteurs contestent la vision harmonieuse et
rationnelle de l’organisation. Ils expliquent que l’exercice de la rationalité, dans une
organisation, s’appuie sur une diversité de compétences et de points de vue. La création des
grandes organisations est allée de pair avec le développement d’une division des rôles entre
les membres, avec une spécialisation croissante des compétences. Grâce à cette spécialisation,
la performance de l’organisation et sa maîtrise stratégique se sont développées : elles
devenaient capables de concevoir, fabriquer, vendre, réparer, des produits de plus en plus
complexes. Paradoxalement, cette spécialisation a généré une diversité de façons de raisonner,
une diversité de « logiques d’action », sans pour autant parvenir à séparer totalement les
domaines d’action. Comme les responsabilités se recouvrent les unes les autres, plusieurs
compétences spécialisées peuvent être conduites à prendre position sur une même situation :
chaque métier la comprend à sa façon, met en valeur une définition du « problème », et
proposera une solution spécifique. Par exemple, un client insatisfait sera, pour l’un, un
problème de fiabilité du process, pour l’autre un mauvais choix de conception, un troisième,
un problème de cible de clientèle…
Ainsi l’exigence de rationalité ne signifie pas un alignement des pratiques et des
comportements sur une rationalité unique et stabilisée. Bien au contraire ! La réalité
organisationnelle est faite d’une pluralité des rationalités qui coexistent. Le comportement
d’une organisation, ses impacts techniques, économiques et sociaux, résultent davantage de la
combinaison hasardeuse de rationalités diverses et dispersées en son sein que des
raisonnements rationnels de leurs décideurs.
Avec ces quelques propositions simples ces deux auteurs vont construire un nouveau projet de
recherche, qu’ils appelleront la « théorie comportementale de la firme », fondé sur l’idée que
le comportement de la firme résulte d’un fonctionnement interne complexe. Ils s’opposent
ainsi à la vision économique de la firme, qui l’assimile à une fonction de coût ou de profit.
Ce projet de recherche va nourrir ensuite de nombreux travaux, que l’on regroupe aujourd’hui
dans la « théorie de la décision ». Il est possible de distinguer clairement deux axes de
recherches complémentaires dans la théorie de la décision. Un premier axe s’intéresse à
l’exercice de la rationalité individuelle dans une organisation : comprendre d’où viennent ces
rationalités, comment elles prennent racines dans des croyances, des raisonnements
ordinaires, des instruments ou des expériences, Un second axe s’intéresse à la combinaison
des rationalités entre elles dans un processus de décision : comprendre comment elles
coexistent, comment elles entrent en concurrence ou se consolident mutuellement, comment
différentes rationalités peuvent se combiner au service de finalités communes.
Dans un cas comme dans l’autre, la théorie des organisations défend l’idée que la structure
organisationnelle joue un rôle important sans être totalement déterminant : dans le premier
axe, la structure influence fortement la situation d’action des membres de l’organisation, et
donc leur rationalité. Dans le second axe, l’articulation entre rationalité est assumée en partie
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