Sociologie des organisations, Thomas Reverdy
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La sociologie des organisations, pourquoi ?
Max Weber, fin observateur des transformations de la société à la fin du XIXe siècle, fait le
constat du développement des grandes organisations modernes comme l’armée, l’industrie,
l’administration, lesquelles prennent peu à peu le pas sur l’Église, les corporations d’artisan,
les grandes familles… Pour Max Weber, l’émergence de ces grandes organisations est le
résultat d’un changement plus profond dans la façon de penser la vie sociale, le remplacement
de comportements fondés sur des valeurs communes ou des normes sociales, par des
comportements orientés par une recherche plus systématique d’« efficacité », une logique
« instrumentale » qui subordonne toute action à des objectifs, des buts. Cette rationalité
« instrumentale », technique et économique, prend le pas sur les considérations politiques,
morales, culturelle, et guide le processus d’organisation de la vie sociale, du travail productif
jusqu’à la vie quotidienne.
Ainsi, pour Max Weber, l’idéal de rationalité instrumentale est au fondement des
organisations modernes. Cet idéal de rationalité instrumentale justifie l’existence les efforts
d’amélioration de l’organisation. Cet idéal rend légitime le pouvoir qui s’exerce dans
l’organisation : si une personne de la hiérarchie peut imposer un ordre à un subordonné, c’est
parce que l’un et l’autre appartiennent à l’organisation, que chacun y occupe une position, et
qu’il est considéré comme rationnel et efficace que cet ordre soit donné et respecté. Max
Weber utilise le terme de « domination rationnelle-légale » pour décrire comment s’exerce
cette rationalité et la légitimité qu’elle donne à celui qui exerce un pouvoir dans
l’organisation. L’exercice de l’autorité, pour le responsable hiérarchique, est soumis à cette
rationalité : il ne peut donner n’importe quel ordre, il faut que celui-ci soit cohérent avec les
orientations de l’organisation et les règles qui y sont formalisées. Les organisations modernes
diffèrent de la société traditionnelle où les positions étaient souvent héritées par naissance, où
le pouvoir pouvait s’exercer de façon arbitraire ou « politique », en vertu de jeux d’alliance
complexes.… Les organisations modernes et les activités de leurs membres, poursuivent cet
idéal d’un exercice libre de la raison, d’une capacité à rechercher les moyens les plus adaptés,
les plus efficaces… Mais la réalité est-elle à la hauteur de cet idéal ?
Le champ de recherche que constitue la sociologie des organisations propose d’interroger cet
idéal et sa traduction concrète dans l’organisation. Il s’est développé dans plusieurs
directions : l’analyse de la rationalité et de la prise de décision, l’analyse des relations de
dépendance et de pouvoir, l’analyse des dynamiques de changement… Des auteurs comme
Crozier et Friedberg ont établir ce champ de recherche, en France, sur des fondements
intellectuels solides et complets, ce qui a donné à cette discipline un large succès. On peut
dire aujourd’hui cependant qu’elle souffre de cet impressionnant héritage. La sociologie des
organisations, en France, lui est restée fidèle et a adopté une trajectoire propre, en décalage
avec les évolutions de la théorie des organisations, européenne ou anglo-saxonne, qui a aussi
évoluée de son côté. Le risque pour les sociologues français des organisations est de rester
isolé de ce champ qui a connu de nombreux développements. Notre ambition ici était de le
faire connaître plus largement.