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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 3, mai-juin 2007
thématique
Dossier
L’environnement chimique perturbe-t-il
la fonction thyroïdienne ?
Does chemical environment disrupt thyroid function?
E. Louiset*
* Inserm U413, IFRMP 23, université de Rouen.
L
e concept de perturbateur endo-
crinien s’est progressivement
imposé au cours des deux der-
nières décennies. À ce jour, les effets
délétères de produits chimiques les
mieux documentés concernent la
fonction de reproduction masculine.
Toutefois, des études récentes menées
in vitro et in vivo sur des modèles
animaux fournissent de plus en plus
de preuves de la vulnérabilité du sys-
tème thyroïdien aux xénobiotiques.
Du fait de la diversité des produits
de synthèse et la persistance de cer-
tains polluants dans l’environnement,
il n’est pas toujours aisé d’établir un
lien direct de causalité entre l’exposi-
tion à certaines substances chimiques
et l’apparition de troubles thyroïdiens.
Des études épidémiologiques, réali-
sées à la fois sur la faune sauvage et
chez l’homme, viennent étayer cette
relation de causalité. L’exposition
des adultes aux agents chimiques a le
plus souvent pour conséquence une
hypothyroïdie subclinique. Néan-
moins, compte tenu du rôle crucial
des hormones thyroïdiennes au cours
du développement, on peut s’attendre
à ce que les périodes pré- et postna-
tales constituent des phases critiques
d’exposition aux xénobiotiques.
Les polluants organiques
persistants (POP)
Polychlorobiphényle (PCB)
La classe des polychlorobiphényles
(PCB) compte 209 produits chimi-
Les polluants organiques persistants (POP) tels que les polychlorobiphé-
nyles, les dioxines, les polychlorodibenzo-furanes, les polybromodiphényl-
éthers et les pesticides organochlorés sont des produits bio-accumulables
présentant une demi-vie biologique de plusieurs années.
Des études expérimentales réalisées sur différents modèles animaux
ont montré que les POP induisent une hypothyroïdie.
Des études épidémiologiques menées sur la faune sauvage et chez
l’homme ont révélé que les taux de POP sont corrélés négativement aux
concentrations plasmatiques de T3 et T4. Ce faible taux d’hormones thyroï-
diennes s’accompagne, dans certains cas, d’une élévation de la TSH circu-
lante et d’une hyperplasie de la thyroïde.
Les xénobiotiques peuvent agir à chacun des niveaux de contrôle de
l’homéostasie thyroïdienne, c’est-à-dire lors de la synthèse (réduction de
l’expression du symporteur iodure/sodium), du transport (liaison à la pré-
albumine et à la thyroxine-binding globulin), de l’action (modification du
profil d’expression de gènes placés sous le contrôle de la T3) et du méta-
bolisme (inhibition des déiodinases, stimulation de l’uridine diphosphate
glucuronyl transférase hépatique) des hormones thyroïdiennes.
Les polluants organiques persistants pourraient favoriser un ralentisse-
ment modéré de la fonction thyroïdienne chez l’adulte.
Au vu du rôle crucial des hormones thyroïdiennes au cours du dévelop-
pement, les périodes pré- et postnatales constituent des phases critiques
d’exposition aux xénobiotiques.
Mots-clés : Polychlorobiphényle – Dioxine – Polychlorodibenzo-furane
– Polybromodiphényléther – Pesticides organochlorés – Phtalate –
Triiodothyronine – Thyroxine – Thyrotropine – Hypothyroïdie.
Keywords: Polychlorinated biphenyl – Dioxin – Polychlorodibenzo-
furan – Polybrominated diphenyl ether – Phthalate – Thyroxine – Tri-
iodothyronine – Thyroid-stimulating hormone – Hypothyroidism – Orga-
nochlorinated pesticides.
points FORTS
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Figure 1. Structure chimique des hormones thyroïdiennes et de différentes classes de xéno-
biotiques.
T4 (thyroxine) Amiodarone
T3 (triiodothyronine) Polybromodiphényléther
(2,2’,4,4’,5-pentabromodiphényléther)
PCB (4 hydroxy-3,3’,4’,5’-tétrachlorobiphényle) DDT (dichloro-diphényl-trichloréthane)
Dioxine (TCDD ; 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-p-dioxine) Op’DDD
PCDF (2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-furane) Phtalate
ques industriels, composés d’un
groupement biphényle portant de
1 à 10 atomes de chlore (figure 1).
Ces substances ont été utilisées
massivement entre les années 1950
et 1970, notamment pour la fabrica-
tion des transformateurs électriques,
encres d’imprimerie, revêtements
plastiques et adhésifs. Ces produits
nocifs pour l’environnement et pour
l’homme se sont révélés très stables,
si bien qu’ils sont toujours présents
dans notre environnement malgré
l’arrêt de leur production en Europe
depuis 1980. Ces polluants organi-
ques persistants et leurs métabolites,
des dérivés hydroxylés, présentent
une analogie structurale avec les
hormones thyroïdiennes (figure 1),
ce qui a conduit à spéculer sur un
effet perturbateur de l’homéostasie
thyroïdienne.
L’influence des PCB sur la fonction
thyroïdienne a été étudiée sur diffé-
rents modèles animaux. Ces études
ont montré que l’exposition aux PCB
réduit le taux plasmatique d’hor-
mones thyroïdiennes. On peut citer
pour exemple les travaux de K.J. Van
den Berg et al. (1), démontrant que
l’administration orale de 3,4,3’,4’-
tétrachlorobiphényle (TCB) pendant
plusieurs semaines provoque, chez le
singe, une diminution dose-dépen-
dante de triiodothyronine (T3) et de
thyroxine (T4) libre et totale (– 81 %
en réponse à 1 mg de TCB/kg), mais
induit une augmentation de thyro-
tropine (TSH). Ces variations de
concentration hormonale s’accompa-
gnent d’une hyperplasie des cellules
folliculaires de la thyroïde compa-
tible avec une hypothyroïdie. L’effet
perturbateur des PCB sur la fonc-
tion thyroïdienne est retrouvé chez
le xénope, un amphibien, chez qui
l’on observe un retard de métamor-
phose (2). Le xénope constitue donc
un modèle physiologique permettant
d’évaluer l’action de xénobiotiques
sur l’homéostasie thyroïdienne. Il
y a de nombreuses évidences du
passage des PCB à travers la barrière
placentaire des mammifères. Ainsi,
il a été montré que l’exposition de
rattes gestantes au dérivé hydroxylé
4-OH-2,3,3’,4’,5-pentachlorobi-
phényle entraîne une accumulation
de ces métabolites dans le foie, le
cerveau et le plasma des fœtus (3).
Cette exposition in utero induit une
réduction de T4 (89 % de la T4 totale
et 41 % de la T4 libre au 20e jour
de gestation) et une augmentation
de la TSH (124 %) dans le sang
fœtal (3). Elle entraîne également
une réduction de 35 % du contenu
cérébral fœtal en T4, ce qui suggère
que les PCB peuvent avoir un reten-
tissement sur le développement
du système nerveux central. Des
corrélations entre accumulation de
métabolites des PCB et trouble de la
fonction thyroïdienne ont également
été constatées chez de nombreuses
espèces d’animaux sauvages, telles
que le phoque et l’ours polaire,
montrant que la présence de PCB
dans l’environnement peut altérer
l’homéostasie thyroïdienne (4-6).
Des études épidémiologiques ont été
consacrées aux effets des PCB sur la
santé humaine. A.K. Bahn et al. (7)
ont constaté que 11 % des personnels
ayant travaillé avant 1980 dans une
usine de production de PCB présen-
taient une hypothyroïdie. Il a égale-
>>>
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ment été observé que les employés et
la population adulte résidant à proxi-
mité d’usines slovaques fabriquant
des PCB présentent des concen-
trations de PCB dans le sang trois
fois supérieures à celles de sujets
vivant dans des zones non polluées
(7 300 ± 871 versus 2 045 ± 147 ng/g
de lipides sériques) [8, 9]. Les
populations fortement exposées à la
pollution véhiculée à la fois par l’air
et l’eau présentent des taux d’hor-
mones thyroïdiennes circulantes
anormalement faibles et des taux
élevés de TSH (10). De plus, une
augmentation du volume thyroïdien
a été constatée chez 5 % des sujets
contaminés par les PCB (conta-
mination supérieure à 3 000 ng/g
de lipides sériques) [9]. Des effets
délétères des PCB sur la fonction
thyroïdienne ont été retrouvés dans
une cohorte de 320 enfants âgés
de 7 à 10 ans, vivant à proximité
d’usines d’incinération de déchets
(11). Ces différentes études notent
l’existence d’une corrélation entre
l’exposition aux PCB et une hypo-
thyroïdie primitive dans des popula-
tions vivant près de sites d’émission
de PCB. Toutefois, des corrélations
entre présence de PCB dans le sang
et dysfonctionnement thyroïdien
ont également été observées dans
des populations demeurant dans les
zones septentrionales de la planète,
très éloignées des sites de production
de polluants (12). La contamination
par les PCB des Inuits canadiens ou
des riverains suédois et finlandais de
la mer Baltique est due à la consom-
mation de poissons riches en graisse
(12-14). En effet, de par leur faible
biodégradabilité et leur hydrophobi-
cité, les PCB s’accumulent le long
de la chaîne alimentaire dans les
tissus lipidiques des prédateurs. Les
PCB ingérés par les mères se retrou-
vent en concentration importante
dans le sang du cordon ombilical
(14, 15) et le lait maternel (16, 17).
Une étude menée chez des nouveau-
nés de la région de Fukuoka, ville
côtière du Japon, a récemment révélé
l’existence d’une contamination par
des PCB chez des enfants souffrant
d’une hypothyroïdie congénitale
et d’un crétinisme (17). Une forte
exposition périnatale aux PCB peut
donc, en provoquant une hypothy-
roïdie, avoir des retentissements
sur le développement physique et
psychomoteur des enfants.
Dioxine
Les polychlorodibenzo-p-dioxines
(PCDD) sont des composés aroma-
tiques tricycliques chlorés à deux
atomes d’oxygène, appelés couram-
ment dioxines (figure 1). La plus
toxique des dioxines est la 2,3,7,8-
tétrachlorodibenzo-p-dioxine
(TCDD), surnommée dioxine de
Seveso en référence à la catastrophe
italienne. On inclut également dans
la famille des dioxines les polychlo-
rodibenzo-furanes (PCDF), ou plus
simplement furanes, qui se diffé-
rencient des PCDD par la présence
d’un seul atome d’oxygène dans le
cycle central entouré de deux cycles
benzéniques (figure 1). Les dioxines
sont des résidus d’une combustion
incomplète se produisant à très haute
température lors de productions
industrielles ou de l’incinération de
déchets. Ces polluants sont extrême-
ment persistants et bio-accumulables.
La demi-vie biologique de la TCDD
est d’environ 9,6 ans chez la femme
et 6,5 ans chez l’homme (18).
Comme pour les PCB, les études
expérimentales ont montré que les
dioxines induisent chez l’animal une
hypothyroïdie. À titre d’exemple, on
peut citer les travaux de N. Nishi-
mura et al., démontrant que l’ad-
ministration d’une seule dose de
TCDD (1 à 4 μg/kg) provoque chez
le rat une réduction des taux plas-
matiques de T4 totale et libre, ainsi
qu’une augmentation de la TSH
circulante qui s’accompagne d’une
hyperplasie de la glande thyroïde
(19). Les rattes transmettent la
contamination à leur progéniture
par le biais du passage de la TCDD
à travers la barrière placentaire
et celle de la glande mammaire.
Cependant, il a été observé que
seule la lactation induit une hypo-
thyroïdie primitive chez les rats
nouveau-nés (20).
Quelques publications ont rele
l’impact des dioxines sur la fonc-
tion thyroïdienne humaine, notam-
ment une large étude réalisée sur
1 429 vétérans américains fortement
exposés au TCDD lors de l’épandage
de l’ “agent orange” durant la guerre
du Vietnam, qui a fait état d’une
élévation significative de leur taux
de TSH plasmatique (21). La TCDD
est aussi tenue pour responsable de
la baisse de la T3 chez des hommes
qui pulvérisent un herbicide conte-
nant cette dioxine sur les champs
australiens (22). Les dioxines n’em-
pruntent pas uniquement les voies
aériennes comme c’est le cas lors
d’une manipulation professionnelle
de produits ou chez les individus
vivant à proximité d’un incinérateur
de déchets ménagers. La contamina-
tion par les dioxines et les furanes
se produit également par ingestion
(23). Les taux de TCDD mesurés
chez les consommateurs de poissons
de la mer Baltique sont équivalents
aux niveaux d’exposition relevés
lors de l’accident de Seveso (environ
110 pg/g de lipide) [13]. Toutefois,
il n’a pas été rapporté à ce jour de
dysfonctionnement thyroïdien dû à
la consommation d’aliments pollués
par ce type de xénobiotique. De
même, plusieurs travaux ont montré
que la contamination périnatale par
des PCDD, véhiculée par le sang
maternel ou le lait, semble avoir peu
d’incidence sur l’équilibre thyroïdien
des nouveau-nés (15, 18, 24). En
revanche, une étude japonaise très
récente, réalisée sur 34 nourrissons,
a révélé que l’exposition périnatale
aux PCDF est corrélée à l’apparition
d’une hypothyroïdie congénitale ou
d’un crétinisme (17). Ces données
renforcent l’idée selon laquelle les
dioxines et les polychlorodibenzo-
furanes perturbent l’homéostasie
thyroïdienne. Elles sont à rapprocher
des effets secondaires connus de
>>>
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Figure 2. Sites d’action de polluants sur l’homéostasie thyroïdienne. Les polluants organochlorés
persistants (POP) et les phtalates peuvent agir aux niveaux de la synthèse, du transport, de
l’action et de la dégradation des hormones thyroïdiennes T3 et T4.
TR, récepteur de la T3 ; TSH-R, récepteur de la TSH ; NIS, symporteur sodium/iode ; TPO,
thyroperoxydase ; pré-Alb., pré-albumine (transthyrétine) ; TBG, thyroxine binding globulin ;
DIO, déiodinase ; TRE, élément de réponse de l’hormone thyroïdienne ; UDPGT, uridine
diphosphate glucuronyl transférase.
Hypothalamus
Hypophyse
Thyroïde
TRβ
POP
Phtalate
Phénol
POP, phtalate
POP
TRH
TRβ
TSH
TSH-R
NIS
TPO
T4
T3 Pré-Alb.
TBG
T4
T3
Sang
Foie
POP DIO
UDPGT
T4-G
T3-G Bile
POP, phtalate
POP
T4 T3
Cellule cible
DIO
T3
TR
l’amiodarone (Cordarone®). L’amio-
darone est un benzofurane substitué
par deux atomes d’iode (figure 1).
Ce médicament, utilisé dans le trai-
tement de nombreux troubles du
rythme cardiaque, affecte fréquem-
ment la fonction thyroïdienne. Il est
responsable de cas d’hypothyroïdie
ou de thyrotoxicose (25).
Polybromodiphényléther
Les polybromodiphényléthers
(PBDE) appartiennent à la famille
des retardateurs de flamme, consti-
tuée de plusieurs classes de produits
chimiques incluant également le
tétrabromobisphénol A (TBBPA)
et les polybromobiphényles (PBB).
Ces substances de synthèse, qui sont
utilisées dans la fabrication de plas-
tiques, peintures, textiles et compo-
sants électriques, présentent une
forte analogie structurale avec les
hormones thyroïdiennes (figure 1).
Chez les rongeurs, les PBDE (sous
forme de tétra- et pentabromodi-
phényléthers) réduisent les taux
circulants d’hormones thyroïdiennes
T3 et T4 (libre et totale), mais
augmentent la concentration de TSH
plasmatique (26, 27). Ces effets s’ac-
compagnent de signes histologiques
d’hypothyroïdie primitive (26). Les
xénobiotiques administrés aux rattes
gestantes induisent, chez le fœtus et
le nouveau-né, une diminution de la
T4 et une augmentation de la TSH,
mais n’affectent pas le taux sérique
de T3 (28, 29).
Peu d’études ont été consacrées
à l’analyse des effets des retarda-
teurs de flamme sur l’homéostasie
thyroïdienne chez l’homme. Des
dosages plasmatiques de PBDE et
des hormones thyroïdiennes ont été
pratiqués de façon régulière durant
un an et demi chez 11 hommes
travaillant dans le recyclage d’ap-
pareils électroniques, sans que
puisse être mise en évidence une
quelconque modification des taux
circulants de T3, T4 ou TSH (30).
En revanche, une corrélation néga-
tive entre les concentrations plas-
matiques de PBDE (sous forme de
tétrabromodiphényléther) et de TSH
a été observée chez 110 Suédois,
dont l’alimentation était principa-
lement basée sur la consommation
de poissons de la mer Baltique (31).
Bien que les PBDE passent aisément
du sang maternel dans la circulation
fœtale et le lait maternel, ces xéno-
biotiques ne semblent pas affecter
l’homéostasie thyroïdienne des
nouveau-nés (32). Dans l’état actuel
des connaissances, l’effet des retar-
dateurs de flamme sur les sécrétions
de la glande thyroïde paraît donc
assez faible.
Pesticides organochlorés
Les pesticides organochlorés sont
également des polluants organiques
persistants. L’un des plus connus,
le dichloro-diphényl-trichloréthane
(DDT), est un insecticide utilisé de la
Seconde Guerre mondiale jusqu’aux
années 1980 comme arme chimique,
comme produit phytosanitaire et
pour lutter contre les insectes trans-
mettant le paludisme, le thyphus et la
fièvre jaune. Le DDT est métabolisé
en dichloro-diphényl-dichloréthy-
lène (DDE). Ces substances hydro-
phobes, extrêmement persistantes, se
concentrent dans les tissus adipeux.
La demi-vie biologique du DDT est
d’environ huit ans.
La recherche des actions endocrines
des pesticides organochlorés a fait
l’objet de nombreuses études chez
l’animal. Dès 1981, M. Goldman
montrait que, chez le rat adulte,
l’administration d’une seule dose
de DDT perturbe l’équilibre des
hormones thyroïdiennes (33). De
même, l’administration de DDE
diminue significativement les
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Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (XI), n° 3, mai-juin 2007
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concentrations plasmatiques de T3
et T4 des rongeurs (34). Des cas
d’hypothyroïdie primitive causée
par une exposition expérimentale
ou environnementale au DDT et
au DDE ont été rapportés chez de
nombreuses espèces d’oiseaux (35).
De faibles taux de T3 plasmatique
associés à une contamination par le
DDT ont également été décrits chez
des mammifères de la faune sauvage,
tels que le phoque et le lion de mer
(5, 36).
La contamination de l’homme par le
DDT ou le DDE se produit de nos
jours essentiellement via la consom-
mation de poissons riches en graisse
(31, 37, 38). Elle peut engendrer un
déséquilibre des hormones thyroï-
diennes plasmatiques (37, 38) et une
hypertrophie de la glande. L’hypo-
thyroïdie primitive est associée à
une production d’anticorps dirigés
contre la thyroperoxydase et à une
dérégulation de la glycémie mesurée
à jeun (38). Une étude japonaise
récente a révélé que l’exposition
périnatale au DDT, par le biais de
l’allaitement, est corrélée à l’appa-
rition d’une hypothyroïdie congéni-
tale ou d’un crétinisme (17). Malgré
l’interruption de l’utilisation du
DDT depuis de nombreuses années,
l’insecticide représente toujours un
polluant perturbateur de la fonction
thyroïdienne.
Un pesticide dérivé du DDT, l’op’-
DDD (mitotane [Lysodren®]), est
prescrit depuis de nombreuses
années dans le traitement du cancer
de la glande surrénale respon-
sable d’un syndrome de Cushing
(figure 1). À ce jour, une seule
étude a décrit une baisse du taux
de T4 plasmatique chez un patient
traité à l’op’-DDD (39). Il serait
intéressant d’évaluer l’activité de
l’axe hypophyso-thyroïdien dans
une série de patients traités à l’op’-
DDD. Une molécule dérivée du
DDE, le 3-méthylsulfonyl-DDE, est
actuellement testée, in vitro et sur
des modèles animaux, en vue d’une
utilisation également dans le traite-
ment du corticosurrénalome (40).
De par sa structure chimique, nous
pouvons envisager que cette molé-
cule ait aussi un retentissement sur
la fonction thyroïdienne.
De nombreux autres pesticides ont
été ou sont actuellement utilisés.
Parmi ceux-ci, on peut citer l’hexa-
chlorobenzène, dont les effets
perturbateurs de l’homéostasie
thyroïdienne sont largement docu-
mentés tant chez l’animal de labora-
toire (41) ou la faune sauvage (5, 42)
que chez l’homme (37).
Phtalates
Les phtalates sont des molécules
hydrophobes composées d’un noyau
benzénique et de deux groupements
carboxylates variables (figure 1).
Ces substances sont utilisées depuis
50 ans comme additifs dans la fabri-
cation des matières plastiques pour
augmenter la souplesse et la flexibi-
lité du polychlorure de vinyle (PVC).
N’étant pas liés chimiquement au
PVC, les phtalates se libèrent de la
matière plastique. Ils entrent dans
la composition de nombreux objets
de la vie courante comme les sacs
plastiques, les emballages alimen-
taires et les jouets, qui sont source
d’une contamination principalement
par ingestion. Les cosmétiques tels
que les crèmes, les produits capil-
laires et les déodorants représentent
un autre mode d’exposition aux
phtalates, par diffusion à travers
la peau. En marge de ces contacts
quotidiens, l’organisme peut être
exposé aux phtalates lors d’une
hospitalisation, par le biais du maté-
riel médical comme les poches de
sang ou les cathéters de perfusion
intraveineuse. La quantité à laquelle
le patient est exposé est faible, mais
la contamination se fait directement
par voie sanguine. Les phtalates
sont rapidement métabolisés et
excrétés (réduction d’environ 60 %
en 24 heures).
Des études de l’effet perturbateur
potentiel des phtalates sur la fonc-
tion thyroïdienne ont été entreprises
chez le rat. Il a été montré que l’ad-
ministration de fortes doses (2 g/kg
de masse corporelle) de di(2-
éthylhexyl)phtalate (DEHP) réduit
les taux circulants de T4 (43). De
même, le di-n-butyl phtalate abaisse
le taux de T3 et T4 des rongeurs
de façon dose-dépendante (34).
En revanche, il a été observé que
l’injection intraveineuse de DEHP
à une concentration équivalente à
celle présente dans les poches de
transfusion sanguine provoque une
augmentation transitoire de T3 et
T4 (44). Des modifications histo-
logiques de la glande thyroïde ont
été décrites chez des rats traités au
DEHP (45).
La seule étude des effets des phta-
lates réalisée à ce jour chez l’homme
repose sur le suivi de 19 adoles-
cents ayant été exposés au DEHP
en service de néonatalogie par le
biais d’un système d’oxygénation à
membrane extracorporelle (46). Il
n’a pas été constaté de dysfonction-
nement thyroïdien une quinzaine
d’années après la période d’exposi-
tion. À l’avenir, des études devront
rechercher des effets transitoires
des phtalates sur l’équilibre des
sécrétions thyroïdiennes, et évaluer
leur impact sur le métabolisme et
la maturation du système nerveux
central.
L’homme est donc couramment
exposé à différents mélanges de
substances chimiques à action endo-
crine dont les effets individuels sur
l’homéostasie thyroïdienne sont
plus ou moins avérés. Nous pouvons
envisager que les nombreux produits
chimiques présents dans l’environ-
nement additionnent leurs effets
ou agissent en synergie sur l’axe
thyroïdien. Cette dernière hypothèse
est étayée par des résultats expéri-
mentaux montrant que, chez le rat,
l’administration combinée de PCB,
dioxines, dibenzo-furanes et PBDE
provoque une réduction du taux de
T4 plus ample que celle calculée par
l’addition de l’effet de chacune des
molécules (47).
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