Evaluation de la douleur du patient non communicant Douleur des personnes âgées B. Pradines. Service de Soins de Longue Durée du Centre Hospitalier d'Albi. 81013 ALBI Cedex* Introduction L’intérêt de l’évaluation de la douleur résulte en une mobilisation médico-soignante accrue envers la douleur, une diminution de la subjectivité de chaque professionnel, une meilleure appréciation de l’intensité douloureuse, une augmentation du nombre de traitements adaptés et une augmentation du nombre de réévaluations des traitements (1). Cependant, les troubles de la communication verbale sont un obstacle à l’évaluation classique chez des personnes atteintes de démences sévères ou très sévères. De même, une comorbidité ou une autre pathologie non démentielle peuvent invalider l’interrogatoire. Ce sujet est d’actualité, surtout du fait de : - l'augmentation du nombre des personnes âgées et très âgées, - l'augmentation du nombre des personnes âgées souffrant de troubles cognitifs, - la grande fréquence des pathologies douloureuses au grand âge. Par exemple, Lopez-Tourres (2) retrouve toujours une douleur chez trente-trois patients déments en fin de vie. - l’éventualité de voir les personnes démentes parvenir plus régulièrement en phase avancée non verbalisante du fait des progrès réalisés dans leur prise en charge. Par « non communicant », on entend généralement l’impossibilité d’établir une relation, de transmettre une information, un message 1. En médecine, l’interrogatoire revêt une importance que les progrès des examens complémentaires n’ont pas supplantée. Le sujet âgé demeure heureusement communicant dans la quasi-totalité des cas par le « langage non-verbal ». Le néologisme de « dyscommunicant » (1) (3) ou le qualificatif de « non-verbalisant » sont sans doute mieux adaptés à la description de ces situations où le langage corporel seul est exploitable. Face à la douleur, l’efficacité du traitement dépend de la qualité de l’évaluation qui doit être systématique afin de la dépister. Principales échelles d’hétéro évaluation utilisées en France Qui sont les malades nécessitant une hétéro-évaluation ? L’hétéro-évaluation est requise quand les malades présentent une expression verbale qui n'est pas considérée comme crédible par l'observateur, ce qui équivaut à une incapacité à s'auto évaluer, même avec l’assistance du soignant. Items proposés dans les outils d’hétéro-évaluation Les grilles d'hétéro-évaluation utilisent des termes variés. Pourtant, ces derniers sont souvent identiques ou comparables. Ces grilles rendent compte des éléments suivants : - Observations du patient en dehors des soins et des sollicitations. - Observations du patient pendant les soins et les sollicitations. - Retentissements de la douleur sur ses activités de la vie quotidienne (AVQ). Le tableau 1 objective les items généralement cités dans la littérature. * Site web : http://www.geriatrie-albi.fr E-mail : [email protected] Tableau 1. Items notés selon leur intérêt par 46 soignants sollicités par nos soins en 2003. 1 Encyclopædia Universalis 2006 1 Les items en italique se retrouvent avec des formulations comparables dans les trois grilles françaises Doloplus 2, ECPA-2 et ECS (échelle comportementale simplifiée). Item Expression du visage : mimique et regard crispés Plaintes non verbales exprimées pendant le soin telles que : cris, gémissements, geignements, grognements, soupirs Réactions pendant la mobilisation à type de crispation Réactions pendant les soins des zones suspectes à type de crispation Plaintes non verbales exprimées en dehors du soin telles que : cris, gémissements, geignements, grognements, soupirs Position spontanée au repos (position antalgique) Changement de comportement Protection, soutien, frottement, ou massage d'une zone suspecte Mouvements réduits ou mobilité réduite, hors et/ou dans le lit Troubles du comportement à type d'agitation Anticipation anxieuse aux soins Sommeil perturbé Toilette et/ou habillage perturbés Signes neurovégétatifs tels que : tachycardie, hypertension, sueurs Perturbation de la relation à autrui Appétit perturbé Note moyenne sur 20 et écart-type 18,93 +/- 1,58 18,89 +/- 1,47 17,80 +/- 2,56 17,76 +/- 2,68 17,34 +/- 2,88 17,15 +/- 3,39 16,67 +/- 2,95 16,21 +/- 3,60 15,60 +/- 3,79 15,5 +/- 3,72 14,43 +/- 4,26 14,21 +/- 4,38 13,97 +/- 3,90 13,63 +/- 4,06 13,60 +/- 3,85 13,45 +/- 4,62 Les outils français Dans tous les cas, lorsque la personne âgée est communicante et coopérante, il est logique d'utiliser les outils d'autoévaluation : en effet, nul ne connaît mieux sa douleur que le patient lui-même. Les trois outils d’hétéro évaluation les plus utilisés en France en 2010 comportent de nombreux items identiques ou très proches : le Doloplus 2 (4), l’ECPA-2 (5), et l’Algoplus (6). En complément, le schéma corporel nous semble indispensable dans la prise en charge thérapeutique (7). Tout instrument de mesure, pour être utilisable en pratique, doit être validé. Ce qui revient à vérifier qu'il donne un résultat sensible, reproductible, fiable et spécifique. Il ne faut pas comparer les scores entre malades. Seule l'évolution d'un patient donné nous intéresse : c’est la cinétique des scores. Les grilles peuvent être divisées toutefois en deux groupes : celles faisant état d’une description globale ou bien celles qui établissent une distinction nette entre le repos d’une part, les mouvements et les soins d’autre part. - Les grilles faisant état d’une description globale : en France, le Doloplus 2 et l'Algoplus. * le Doloplus 2 est validé depuis 2001 (8). Cette grille mesure des symptômes regroupés en trois familles de retentissements comportant en tout dix items cotés de 0 à 3 : retentissement somatique retentissement psychomoteur retentissement psychosocial L'utilisation nécessite un apprentissage. Il convient de coter en équipe pluridisciplinaire de préférence. Il ne faut pas coter en cas d'item inadapté. La cotation d'un item isolé n'a pas de sens. C'est le score global qui est à considérer. Si celui-ci se concentre sur les derniers items, la douleur est peu probable, ce qui s’accorde avec les résultats de notre enquête de 2003 citée ci-dessus. Le Doloplus 2 possède le mérite de son ancienneté, de sa validation, de la qualité du site Internet le décrivant. Il est pourtant peu utilisé, souvent considéré comme long à mettre en œuvre et à coter. L’Algoplus (9) possède le mérite d’une simplicité accrue : cinq items seulement appelant une réponse par oui ou par non : 2 1 – Visage : froncement des sourcils, grimaces, crispation, mâchoires serrées, visage figé, 2 – Regard : regard inattentif, fixe, lointain ou suppliant, pleurs, yeux fermés, 3 – Plaintes : « Aie », « Ouille », « j’ai mal », gémissements, cris, 4 – Corps : Retrait ou protection d’une zone, refus de mobilisation, attitudes figées 5 – Comportements : Agitation ou agressivité, agrippement. Sa brièveté pourrait assurer son succès, encore difficile à apprécier du fait de sa nouveauté (2007). L'échelle Algoplus a été spécifiquement développée pour évaluer et permettre la prise en charge des douleurs aiguës chez un patient âgé pour tous les cas où une auto évaluation fiable n'est pas praticable (troubles de la communication verbale). L'utilisation d'Algoplus est ainsi particulièrement recommandée pour le dépistage et l'évaluation des : - pathologies douloureuses aigues (ex : fractures, période post-opératoire, ischémie, lumbago, zona, rétentions urinaires...) - accès douloureux transitoires (ex : névralgies faciales, poussées douloureuses sur cancer...) - douleurs provoquées par les soins ou les actes médicaux diagnostiques. La présence d'un seul comportement dans chacun des items suffit pour le coter « oui ». Chaque item coté « oui » est compté un point et la somme des items permet d'obtenir un score total sur cinq. Un score égal ou supérieur à 3 est fortement évocateur : la présence d'une douleur est alors détectée avec une sensibilité de 87% et une spécificité de 80%. Il est ensuite nécessaire de pratiquer régulièrement de nouvelles cotations. La prise en charge est satisfaisante quand le score reste strictement inférieur à deux. Testé tout d’abord aux Urgences, il pourrait constituer un outil simple de dépistage de la douleur et de suivi thérapeutique en institution gériatrique si l’on admet que les douleurs les plus fréquemment rencontrées sont aiguës, intermittentes et persistantes. Elles apparaissent presque toujours lors des mobilisations et des soins. L’Algoplus s’apparente à la grille CNPI 2 publiée par Feldt (10). - Les grilles évaluant des items au repos et pendant le mouvement ou les soins. Parmi elles, l’échelle française ECPA-2 (Echelle Comportementale d'évaluation de la douleur pour la Personne Agée) validée depuis 2007 (11). Comme le Doloplus 2, l’ECPA-2 est recommandée par l’ANAES (12). L’ECPA-2 s’adresse aux personnes âgées d’âge égal ou supérieur à 65 ans souffrant de troubles de la communication verbale. Tous les mots de l’échelle sont issus du vocabulaire des soignants. Ainsi, l'ECPA-2 peut être utilisée aussi bien par des infirmières, des aides-soignantes que par des médecins. Elle comprend 8 items avec 5 modalités de réponses cotées de 0 à 4. Chaque niveau représente un degré de douleur croissante et est exclusif des autres pour le même item. Le score total varie donc de 0 (absence de douleur) à 32 (douleur totale). La cotation par une seule personne est possible. Le temps de cotation varie selon l’entraînement de l’observateur : elle oscille entre 1 et 5 minutes. La seule mais indispensable précaution est de coter la dimension « observation avant les soins » réellement avant les soins et non pas de mémoire après ceux-ci. Il y aurait alors contamination de la deuxième dimension sur la première. La cotation douloureuse n’a pas de cadre restrictif : on peut l’effectuer à n’importe quel moment et la répéter à volonté. - Le schéma corporel Le patient ne pouvant pas mettre en garde les soignants quant à ses zones douloureuses, il est très utile de disposer d’un schéma corporel sur lequel elles sont consignées afin de pratiquer des manipulations adaptées. Ce renseignement simple est d’autant plus justifié que la rotation des personnels et des patients est rapide et que l’on se situe au début du séjour hospitalier. Les familles représentent la meilleure source 2 Check list of Nonverbal Pain Indicators 3 d’information dans ce domaine. Aucune prémédication antalgique ne remplacera un geste correct et doux effectué par des soignants formés et informés. - Notre pratique des outils : Le schéma corporel est diffusé auprès de tous les intervenants dès qu’une zone douloureuse est connue ou identifiée. Nous avons utilisé en soins de longue durée d’abord le Doloplus 2, puis l’ECPA-2, enfin l’Algoplus en mesurant un score au repos et un score lors des mouvements et des soins. Cette pratique, bien que rapide et vite adoptée par les équipes soignantes, n’est pas validée. Elle est toutefois informative sur les douleurs les plus fréquentes dans ce type de services : les douleurs incidentes liées aux mouvements et aux soins. Discussion Caractéristiques des sujets âgés non verbalisants Dans la situation de la communication exclusivement non verbale, les patients âgés souffrent le plus souvent de démence sévère ou très sévère (13). La phase ultime de la maladie démentielle est représentée par le stade 7 de la classification GDS de Reisberg (14) : « toutes les capacités verbales sont perdues au cours de ce stade ». Les stades moins tardifs peuvent être concernés, mais de manière moins constante. Une co-morbidité préalable ou simultanée peut empêcher ou altérer la communication verbale, telle qu'une aphasie, une dysarthrie sévère ou une aphonie. Il en va de même d'un trouble sensoriel grave tel qu’une surdité totale (12) ou des troubles visuels sévères qui interfèrent avec l'évaluation de la douleur en interdisant l'usage de certains outils. Un état confusionnel empêchera le plus souvent toute autoévaluation pertinente. L’évaluation des fonctions cognitives à l’aide du MMSE (15) est souvent inférieure à 5, voire irréalisable, alors que ce test totalement réalisé aboutit à un score de 30 points. Toutefois, le score obtenu avec cet outil ne constitue pas un élément fiable pour départager les personnes relevant d’une autoévaluation et celles qui obligent à recourir à l’hétéro évaluation (16). Or, l’autoévaluation est toujours préférable : échelle numérique (EN) et échelle verbale simple (EVS) sont les seuls outils praticables dan ces situations. Les limites de leur utilisation restent encore à préciser : incohérence des réponses aux qualificatifs de l’EVS, EVS et EN effectuées simultanément et concurremment, rappel de mots après tâche distractive (17) … La psychopathologie, dominée par les troubles de l’humeur (anxiété, dépression) et les productions (délire, hallucinations), doit impérativement être appréciée sous peine d’échec thérapeutique tant son lien avec la douleur est désormais bien établi. Les limites de l’hétéro évaluation Les outils peuvent donner l'illusion que les douleurs sont d'appréciation simple, alors que l’hétéro évaluation n'est qu'un élément de la prise en charge de la douleur, à l'instar de la détection, du diagnostic et du traitement. Ils ne disent rien du diagnostic qu’ils ne doivent pas retarder car l’attitude thérapeutique adéquate en dépend. Ils ne proposent pas une pondération de leurs items dont la pertinence est variable, comme nous l’avons présumé à la lecture des réponses de l’enquête de 2003 évoquée précédemment. L'effet de nouveauté a pu conduire à les privilégier par rapport à l’autoévaluation : le risque est de renoncer à la composante verbale quand elle est encore exploitable. Une autre dérive est la confiance excessive dans les scores dont découleraient des protocoles de soins stéréotypés : Grille => score => protocole => traitement standardisé Il convient aussi de ne pas conclure trop vite sur un ou deux symptômes. Pour Regnard (18), il n’est pas possible de distinguer la douleur parmi les autres inconforts majeurs dans une population de malades de soins palliatifs souffrant de troubles cognitifs sévères. Dans l’éventualité où un inconfort non douloureux ne peut pas être mis en évidence, un test antalgique pourrait trouver sa justification. Toutefois, il conviendra de conclure prudemment. S’il est aisé de pratiquer un tel essai avec un médicament de palier 1, il n’en est pas de même avec le recours aux paliers 2 et 3 dont on connaît les effets secondaires sédatifs qui peuvent faire conclure à l’existence d’une douleur alors que les opioïdes agissent sur l’anxiété de manière non spécifique. 4 Même l’utilisation du paracétamol sera sujette à caution du fait de la faible efficacité de cette substance : que déduire en l’absence de réponse ? Enfin, nous savons bien peu de choses de l’effet placebo dans ce contexte, effet trompeur donc non éthique. S’il n’est pas possible de comparer les scores entre malades, sommes-nous assurés qu’une appréciation relative n’est toutefois pas opérée entre les plaintes des malades ? Pour Jean (19), le grand biais clinique de l'hétéro évaluation réside dans la douleur projetée de l'observateur lui-même : c’est ici le domaine de l’intersubjectivité. Par ailleurs, ces outils viennent s'ajouter à de multiples échelles d'évaluation dans les autres domaines des soins. Ils sont relativement longs à mettre en œuvre au début de leur utilisation dans un service ou dans un EHPAD. Devant l’abondance des exigences de soins, la définition individuelle des priorités est de mise. De plus, il s'agit à l'heure actuelle d'outils non standardisés, variables selon les pays, dont la validation, quand elle existe, est d'appréciation complexe, souvent versus EVA. Les séries témoins sont constituées par des patients dont l’expression verbale est encore possible, par exemple présentant un MMSE inférieur à 18 sur 30. Or, la physiopathologie de la douleur, modifiée par l’âge (20), est probablement modulée aussi par l’évolution démentielle, voire par le type de démence (21). Dans ces conditions, les patients sont assurément différents et toute comparaison semble sujette à caution. Pour la société américaine de gériatrie (22), si les comportements évocateurs surviennent à la mobilisation il s’agit bien d’une douleur. Cette affirmation implique une observation accrue du patient lors des mouvements et des soins. Toutefois, l’anxiété réactionnelle à l’approche soignante est souvent liée à l’incompréhension du patient dément, par rapport au sens des soins qui lui sont prodigués, qu’ils soient de nursing ou techniques. Surtout, en dehors des manipulations, une manifestation d’inconfort peut en imposer pour des signes de douleur. Toute source de stress est susceptible de provoquer des réactions comportementales atypiques, facteurs confondants avec des symptômes évocateurs de douleur : l’anxiété anticipatrice aux soins, la faim, la soif, la constipation, un prurit, une dyspepsie, une dyspnée, le besoin d’être lavé ou changé de linge de corps, la fatigue au fauteuil ou encore l’excès de bruit, de lumière ou de chaleur, etc... Le diagnostic différentiel tient ici du contexte pathologique et environnemental, du caractère inopiné ou non de la symptomatologie. Fort différentes sont les situations d’un patient dément présentant des vocalisations non verbales au long cours d’une part et un malade confus depuis quelques heures d’autre part. La biologie et l’imagerie reprennent souvent leurs droits devant une clinique peu informative, même après un examen attentif. Par ailleurs, l’anxiété soignante est prévisible devant un malade incompréhensible donc incompris dans un service d’urgences surchargé et souvent peu adapté à l’accueil gériatrique. L’illusion que tout peut être mesuré, quantifié, mis en données exploitables se heurte dans ce domaine à une complexité qui ne peut pas être réduite à un score. Le travail pluridisciplinaire à l’écoute de l’observation par tous les témoins (soignants, familles, bénévoles, visiteurs) est certainement bien plus instructif. Pour utiliser une métaphore, le médecin prescripteur possède une photographie du patient. Or, il convient de regarder un film pour apprécier correctement les douleurs incidentes habituelles chez ces malades. Apports potentiels de l’hétéro évaluation Des progrès récents sont survenus dans la prise en charge des malades non verbalisants au cours des dix dernières années, en particulier par la mise au point en cours d’échelles d'hétéro-évaluation destinées aux patients cantonnés à la composante comportementale non verbale. Ces dernières comportent des items moins empiriques, plus spécifiques qu'une observation non guidée. Elles constituent une base constructive de discussion en équipe autour de la suspicion ou de la certitude de l’existence d’une douleur. Elles permettent la comparaison, voire la confrontation des observations d'un même patient, mais aussi la surveillance de l'évolution de la douleur sous traitement. 5 Surtout, elles facilitent la sensibilisation et la formation des intervenants, quelle que soit leur fonction : soignant, famille, bénévole. Leur pratique systématique permet une meilleure connaissance des signes et symptômes à repérer afin de mieux détecter les patients douloureux. Les diffuser largement n’augmentera pas l’incidence des plaintes mais contribuera à une culture de la douleur propice à un dépistage précoce. Enfin, leur multiplicité stimule la recherche dans le domaine des douleurs chez la personne âgée non verbalisante. L’expression du visage et du regard ainsi que les vocalisations à type de plainte se placent au premier rang des items à observer. Ceci devrait avoir des conséquences pratiques : si l’on est seul(e) à effectuer le soin, dispose-t-on d’un simple miroir pour observer la mimique lors de la réfection d’un pansement d’escarres ? Lorsque l’on examine une zone douloureuse, se concentre-t-on uniquement sur celle -ci ou bien observe-t-on aussi le visage du patient et son attitude ? Des études ultérieures ne seraient-elles pas souhaitables dans l’optique d’une éventuelle pondération des items d’hétéro évaluation ? Conclusion L’évaluation de la douleur chez la personne âgée non verbalisante ne peut pas se réduire au renseignement d’échelles standardisées, voire validées. Elle nécessite une approche clinique multifactorielle bien plus complexe que le simple renseignement d'une grille. Les outils en cours de développement (23) trouvent leur principal intérêt dans le dépistage de la douleur et dans le suivi en équipe de l'efficacité thérapeutique. Il serait instructif de déterminer les limites de l’autoévaluation et de s’interroger sur une éventuelle pondération des items de l’hétéro évaluation. Si tous les intervenants s’approprient ces instruments, l’entourage soignant et familial sera impliqué dans une démarche pluridisciplinaire, pierre angulaire de la lutte contre la douleur dans cette population. Pourtant, de nombreux progrès demeurent encore à accomplir. Par exemple, le prescripteur des antalgiques est encore trop rarement présent lors des toilettes douloureuses, des soins de kinésithérapie et même des soins d'escarres. Une évaluation de qualité encouragera une attitude non médicamenteuse : douceur des manipulations argumentée par la connaissance des zones douloureuses avec le secours d’un schéma corporel, évitement des positions inconfortables, habits spécialement adaptés ne nécessitant pas un déshabillage et un habillage en force, utilisation d’une douchette pour la toilette des localisations algiques. Une prémédication antalgique ajustée à l’agression nociceptive viendra éventuellement compléter la prise en charge optimale de la douleur provoquée par les soins. L'écoute et la pluridisciplinarité ne sont pas seulement souhaitables. Elles sont indispensables, ici comme ailleurs en gériatrie. Références (1) Petrognani A. L’échelle Comportementale Simplifiée, un outil pour l’évaluation et la prise en charge de la douleur du patient dyscommunicant. 12è Congrès National. Société Française d'Accompagnement et de Soins Palliatifs. 15, 16 & 17 juin 2006. Montpellier. Poster 292. (2) Lopez-Tourres F, Lefebvre-Chapiro S, Guichardon M, Burlaud A, Feteanu D, Trivalle C. Fin de vie et maladie d’Alzheimer : étude rétrospective dans un service de gériatrie. NPG, Volume 10, numéro 55, février 2010, pages 37-42. (3) Bonnin-Koang HY, Froger J, Pellas F, Laffont I, Pélissier J. Evaluation de la prise en charge de la douleur chez le patient cérébro-lésé dyscommunicant. Symposium HAS - BMJ : Impact clinique des programmes d'amélioration de la qualité (Clinical impact of quality improvement) - Nice, 19 avril 2010. (4) La grille Doloplus 2 : http://www.doloplus.com/ (5) La grille ECPA : http://geriatrie-albi.com/ECPA.html (6) http://www.doloplus.com/travaux/travaux4.php (7) http://geriatrie-albi.com/bonhommedouleur.html (8) Wary B, Serbouti S. « Doloplus : validation d'une échelle d'évaluation comportementale de la douleur chez la personne âgée ». Revue Douleurs, 2001, 2 ; 1 :35-38. 6 (9) Rat P, Jouve E, Bonin-Guillaume S, Donnarel, Michel M, Capriz F, Chapiro S, Gauquelin F, Firmin G, Di Vico L, Drouot AS, Piechnick JL, ElAouadi S et le Collectif DOLOPLUS. Présentation de l’échelle de la douleur aiguë pour personnes âgées : ALGOPLUS. Douleurs Vol 8, N° HS1 - octobre 2007, pp. 45-46. (10) Feldt KS. The checklist of nonverbal pain indicators (CNPI). Pain Manag Nurs. 2000 Mar; 1 (1):13-21. (11) Morello R, Jean A, Alix M, Sellin-Peres D, Fermanian J. A scale to measure pain in non-verbally communicating older patients: the EPCA-2. Study of its psychometric properties. Pain. 2007 Dec 15; 133(1-3): 87-98. (12) ANAES : Agence Nationale d'Accréditation et d'Évaluation en Santé. Recommandations d'octobre 2000 relatives à l’évaluation et à la prise en charge thérapeutique de la douleur chez les personnes âgées ayant des troubles de la communication verbale. Accessibles le 6 juin 2010 en téléchargement à l'adresse suivante : http://geriatrie-albi.com/ANAESoct2000doulpersag.pdf (13) Vellas B, Gauthier S, Allain H, Andrieu S, Aquino J-P, Berrut G, Berthel M, Blanchard F, Camus V, Dartigues J-F, Dubois B, Forette F. et al. Consensus sur la démence de type Alzheimer au stade sévère. La Revue de Gériatrie, Tome 30, n°9, novembre 2005, p 627-640. (14) Reisberg B, Ferris SH, de Leon MJ, Crook T. The Global Deterioration Scale for assessment of primary degenerative dementia. Am J Psychiatry 1982 Sep; 139(9): 1136-9. (15) Folstein MF, Folstein SE, McHugh PR. "Minimental state". A practical method for grading the cognitive state of patients for the clinician. J Psychiatr Res 1975; 12:189-98. (16) Wynne CF, Ling SM, Remsburg R. Comparison of pain assessment instruments in cognitively intact and cognitively impaired nursing home residents. Geriatr Nurs. 2000 Jan-Feb; 21(1): 20-3. (17) Buffum MD, Miaskowski C, Sands L, Brod M. A pilot study of the relationship between discomfort and agitation in patients with dementia. Geriatr Nurs. 2001 Mar-Apr; 22(2): 80-5. (18) Regnard C, Matthews D, Gibson L, Clarke C, Watson B. Difficulties in identifying distress and its causes in people with severe communication problems. International Journal of Palliative Nursing, 2003, 9(3): 173-6. (19) Jean A. et le groupe ECPA. L'hétéro-évaluation de la douleur du sujet âgé en institution gériatrique : l'échelle ECPA in La douleur des femmes et des hommes âgés. Sebag-Lanoë R., Wary B., Mischlich D. MASSON, Paris 2002, Chapitre 15, pp 226-233. (20) Pickering G. Epidémiologie et modifications de la douleur au cours du vieillissement. Journée thématique douleur de la SFETD. Douleur et Gériatrie. La douleur chez la personne âgée. 9 octobre 2009, Paris. (21) Scherder E, Oosterman J, Swaab D, Herr K, Ooms M, Ribbe M, Segeant J, Pickering G, Benedetti F. Recent developments in pain in dementia. British Medical Journal. 2005;26:330:461– 464. (22) AGS. The management of persistent pain in older person. AGS panel on persistent pain in older persons. JAGS. 50/S205-S224, 2002, p 5. (23) Hadjistavropoulos T, Herr K, Turk DC, Fine PG, Dworkin RH, Helme R, Jackson K, Parmelee PA, Rudy TE, Lynn Beattie B, Chibnall JT, Craig KD, Ferrell B, Ferrell B, Fillingim RB, Gagliese L, Gallagher R, Gibson SJ, Harrison EL, Katz B, Keefe FJ, Lieber SJ, Lussier D, Schmader KE, Tait RC, Weiner DK, Williams J. An interdisciplinary expert consensus statement on assessment of pain in older persons. Clin J Pain. 2007 Jan; 23(1 Suppl): S1-43. 7