Introduction `
a la Philosophie du Langage
Alain Lecomte
Universit´
e Paris 8 - Vincennes-Saint-Denis
Licence de Sciences du Langage
1 Introduction
1.1 Qu’est-ce que la philosophie du langage ?
1.1.1 Anciennet´
e de la r´
eflexion sur le langage
La r´
eflexion sur le langage est tr`
es ancienne. Elle est attest´
ee d´
ej`
a autour de 1500 avant notre
`
ere dans les ´
ecrits v´
ediques (source de la tradition philosophique indienne). A son origine, cette
r´
eflexion porte sur le caract`
ere sacr´
e de la langue : la parole est assimil´
ee au souffle divin. Dans
la tradition indienne antique, cela va jusqu’`
a une certaine r´
eticence vis-`
a-vis de l’´
ecriture, accus´
ee
de ”figer” la parole et de la d´
enaturer. A cette ´
epoque, l’enseignement est transmis oralement, les
techniques de m´
emorisation sont nombreuses ([P-S Filliozat 92]). Vers le IVeme si`
ecle avant J.C.
le pandit (”sage”) Panini codifie les r`
egles du sanskrit. Le sanskrit (litt. langue bien apprˆ
et´
ee) est
la langue des V´
edas, c’est une langue sacr´
ee (qui s’oppose `
a la prakrit, langue parl´
ee couramment)
utilis´
ee essentiellement par les brahmans, c’est-`
a-dire la plus haute caste. Par cette codification,
cette langue ne bougera pas au cours des temps. En voulant ainsi fixer les usages, Panini a en
r´
ealit´
e fait autre chose qui nous fait apparaˆ
ıtre son oeuvre comme remarquable encore aujourd’hui :
il est le premier `
a avoir donn´
e une description quasi exhaustive d’une langue et `
a l’avoir fait au
moyen de r`
egles explicites (analogues `
a celles d’une grammaire chomskyenne). Il a ainsi ´
etudi´
e
la morphologie (comment sont form´
es les mots du sanskrit, au moyen de quelles racines, de quels
affixes, suffixes etc.), et il a ´
egalement ´
et´
e le premier `
a faire oeuvre de phonologue, en proposant
un syst`
eme de repr´
esentation tr`
es d´
etaill´
e du syst`
eme phonique de cette langue1.
Nous verrons dans la suite de ce cours que cette r´
eflexion a ´
et´
e´
egalement constante au cours de
l’Antiquit´
e, notamment dans la Gr`
ece antique (Platon, Aristote).
Commentaire : Ceci nous conduit incidemment vers une question : notre langue usuelle est-elle
optimale pour faire ce que nous voulons faire avec ? Mais que voulons-nous faire avec ?
exprimer la r´
ealit´
e de la mani`
ere la plus pr´
ecise possible ?
pouvoir nous comprendre les uns les autres sans barri`
eres de langues ?
raisonner et faire de la science ?
1Le sanskrit s’´
ecrit en effet au moyen de l’´
ecriture dite devanagari (´
ecriture des dieux) qui est une ´
ecriture
phon´
etique : chaque lettre repr´
esente un son (une consonne), et elles sont class´
ees selon leurs propri´
et´
es de pro-
nonciation. Les voyelles ne sont marqu´
ees que comme des signes diacritiques ajout´
es aux consonnes.
1
Les philosophes du d´
ebut du XX`
eme si`
ecle - Frege, Russell... - pensaient que notre langage n’´
etait
pas adapt´
e aux besoins de la science. C’est la raison pour laquelle ils ont voulu inventer des lan-
gages formels, comme celui de la logique ou des math´
ematiques. Nous verrons cela plus loin dans
le cours. Ce faisant, ils proposaient des outils pour d´
emˆ
eler les ambigu¨
ıt´
es du langage ordinaire,
qui est tr`
es impr´
ecis (tout le monde a en m´
emoire les nombreuses sources d’ambigu¨
ıt´
e dans la
langue : sources lexicales, syntaxiques, s´
emantiques, par ailleurs il est ´
evident qu’une formule
math´
ematique exprime de mani`
ere concise et pr´
ecise ce que notre langage ne saurait exprimer.
Sur le plan de la communication, la barri`
ere des langues est souvent regrett´
ee : ne pourrions-nous
tous communiquer dans la mˆ
eme langue ? Le mythe de Babel pose cela comme une sorte d’in-
terdit. N´
eanmoins, les essais furent nombreux de cr´
eer des langues `
a des fins de communication
universelle, comme l’esperanto, le volap¨
uk etc. mais en g´
en´
eral sans grand succ`
es. Aujourd’hui,
l’Anglais s’impose comme langue internationale, `
a cause de la pr´
e´
eminence des pays anglo-saxons
sur le plan ´
economique, peut-ˆ
etre dans un si`
ecle, ce sera le Chinois...
Sur ce th`
eme de l’universalit´
e, noter que si les humains ne s’expriment pas dans la mˆ
eme langue
(loin s’en faut !), en revanche, ils sont capables de d´
ebattre et d’argumenter. L´
echange des rai-
sons est reconnu comme une finalit´
e universelle du langage. Elle s’exprime par le fait que des
cultures tr`
es diff´
erentes en arrivent `
a codifier des r`
egles logiques semblables. Les philosophes sus-
mentionn´
es ont voulu raffermir cette tendance en proposant que l’on puisse voir le raisonnement
logique comme un calcul. Au XX`
eme si`
ecle, cela a d´
ebouch´
e sur l’Intelligence Artificielle.
Les premi`
eres questions pos´
ees ont ´
evidemment trait aux origines du langage : d’o`
u vient-il ?
Comment est-il apparu chez l’homme ? Comment se fait-il qu’il y ait une diversit´
e de langues ?
Les animaux ont-ils des moyens de communiquer s’apparentant `
a notre langage humain ? etc.
1.1.2 Permanence de la r´
eflexion sur le langage
Il est facile de constater aujourd’hui que cette r´
eflexion sur la langue est permanente : il suffit
par exemple de constater l’intensit´
e des d´
ebats qui ont lieu autour de la correction du langage,
certains penseurs ´
etant convaincus que les alt´
erations que subit une langue comme le Franc¸ais par
exemple, sous l’effet de la p´
en´
etration de mots d’une autre origine (principalement anglaise) ou
bien sous celui des transformations qu’elle subit dans certains parlers (le ”parler djeun”, le parler
dit ”des cit´
es” etc.) sont d´
esastreux pour la compr´
ehension et l’expression de la pens´
ee, d’autres
estimant au contraire que de telles ´
evolutions sont in´
evitables et ont toujours exist´
e. Noter au
passage que ce d´
ebat pose d´
ej`
a un probl`
eme que nous aurons l’occasion de revoir : c’est celui du
rapport du langage et de la pens´
ee. Dans quelle mesure le langage que nous utilisons influence-t-il
notre pens´
ee ? Ou bien `
a l’inverse, pouvons-nous dire que notre langage est une sorte de reflet de
notre pens´
ee ? Cette question est abondamment ´
etudi´
ee de nos jours (en liaison avec ce qui est
connu comme l’hypoth`
ese Sapir-Whorf, du nom d’un linguiste et d’un anthropologue du XX`
eme
si`
ecle qui ont exprim´
e l’id´
ee que des langues diff´
erentes entraˆ
ınaient in´
eluctablement des syst`
emes
de pens´
ee diff´
erents, ce qui va dans le sens d’une incommensurabilit´
edes cultures entre elles, et
donc d’une incommunicabilit´
e.), et elle est beaucoup plus int´
eressante `
a traiter que le fait de savoir
si nous devons parler une langue ”pure” et s’il faut s’insurger contre les ”d´
eviations” observ´
ees
autour de nous dans les pratiques langagi`
eres que nous avons apprises ou que nos parents ont
apprises.
2
La philosophie du langage s’int´
eresse donc `
a de multiples questions autour de la r´
ealit´
e langagi`
ere :
origine du langage, certes (encore que, comme nous le verrons, cette question ait ´
et´
e autrefois
jug´
ee tellement oiseuse qu’un interdit avait marqu´
e son abord, par la Soci´
et´
e Internationale de
Linguistique en 1866 et que cet interdit n’a ´
et´
e lev´
e que tr`
es r´
ecemment [S. Auroux 08]), mais aussi
nature du signe (le signe est-il naturel ou conventionnel ?) et fonction du langage (`
a quoi sert-il ?).
Lorsque nous parlons, nous contentons-nous d’´
emettre des constats sur la r´
ealit´
e environnante ou
bien faisons-nous autre chose aussi ? La transformons-nous par exemple ?
Y a-t-il une diff´
erence entre ce que nous disons r´
eellement et ce que nous voulons dire ? Ceci est
une question que nous nous posons souvent lors des discussions que nous avons avec nos proches et
finit souvent en dispute. Je peux avoir dit quelque chose sans avoir voulu le dire, tout simplement
parce que je ne suis pas maˆ
ıtre des inf´
erences que les autres peuvent faire. Mais je peux aussi
utiliser cela de mani`
ere `
a dire quand mˆ
eme quelque chose, tout en envisageant de me d´
efendre
ensuite en pr´
etendant que je ne l’ai pas dit. Les maximes de Grice, que nous ´
etudierons plus loin,
tentent de codifier une partie de ces ph´
enom`
enes. Evidemment, lorsque, en r´
eponse `
a quelqu’un qui
me dit qu’il a soif, je r´
eponds `
ıl y a de la bi`
ere de la frigo’, je ne donne pas une r´
eponse directe `
a sa
demande, je ne fais que dire ‘il y a de la bi`
ere dans le frigo’, mais c’est ´
evidemment pour que l’autre
soit au courant d’une information qui peut lui permettre d’´
etancher sa soif. Imaginons qu’`
a un ami
qui me propose de sortir par un beau matin d’hiver, je r´
eponde ‘il fait froid ce matin’, je n’aurai
pas vraiment dit que je refusais de l’accompagner, n´
eanmoins j’aurai d´
eclench´
e un m´
ecanisme
d’inf´
erence qui aboutit `
a interpr´
eter cela comme un refus.
Autre cas : je peux dire de quelqu’un qu’il ou elle ’est pas tr`
es fut´
e(e)’, tout en me r´
etractant ensuite
en disant : ‘mais je n’ai pas dit qu’il ou elle ´
etait bˆ
ete’ !
En faisant cela, j’´
etablis bien sˆ
ur que je fais une diff´
erence entre le dire et le vouloir dire.
1.1.3 La question du sens et la nature du signe
L’un des th`
emes centraux de la philosophie du langage est ´
evidemment celui du sens. Qu’est-ce
que le sens ? Pour Aristote, les sons ´
etaient ”les symboles des ´
etats de l’ˆ
ame”. Qu’est-ce `
a dire ?
Les ”´
etats de l’ˆ
ame” sont des repr´
esentations internes, on dirait aujourd’hui : mentales. Nous avons
tendance `
a consid´
erer de nos jours que de telles repr´
esentations mentales sont propres `
a chacun de
nous, elles sont ”priv´
ees” en quelque sorte (et on peut comprendre imm´
ediatement que, si tel est
le cas, nous aurons beaucoup de mal `
a nous comprendre en parlant !). Mais Aristote ne voyait pas
les choses de cette mani`
ere. Pour lui, ces ´
etats de l’ˆ
ame ´
etaient les mˆ
emes pour tous, et ils pro-
venaient simplement des choses du monde, ils avaient au moins quelque chose de commun avec
ces derni`
eres : c’´
etait leur forme ! Ils avaient ainsi la mˆ
eme ”forme” que les choses dont ils ´
etaient
les id´
ees. Cette conception est assez commode pour expliquer le sens, mais elle a vite ses limites !
quelle forme pour un concept abstrait par exemple ? Des philosophes bien post´
erieurs (Spinoza)
diront au contraire que ”l’id´
ee de cercle n’est pas circulaire” et Descartes, quant `
a lui, en instituant
une coupure stricte (le dualisme cart´
esien) entre le corps et l’esprit, empˆ
eche que les propri´
et´
es
des objets se refl`
etent directement dans les id´
ees qui les repr´
esentent. D`
es lors, en quoi peut bien
consister le sens ? Nous reviendrons sur cette question de mani`
ere d´
etaill´
ee en abordant la philoso-
phie de G. Frege ([G. Frege trad. 71]).
Une autre question, bien entendu, est celle de la nature du signe. Qu’est-ce qu’un signe ? (exercice :
3
faire une enquˆ
ete par vous-mˆ
eme concernant la d´
efinition des mots : ”signe”, ”symbole”, ”indice”,
”icˆ
one”). D’une mani`
ere rapide, on peut dire que le signe est un objet mat´
eriel, concret, se r´
ealisant
par la voix ou par l’inscription, qui sert `
a´
evoquer une chose, un ´
ev`
enement ou une action mˆ
eme en
leur absence (cet ´
el´
ement ici est important). Nous verrons que le Platon du Cratyle avait tendance
`
a expliquer le signe lui-mˆ
eme (et pas seulement l’id´
ee que le signe est sens´
e symboliser) par une
ressemblance, alors que, pour Aristote le signe linguistique est conventionnel, ce qui pr´
efigure la
c´
el`
ebre th`
ese de l’arbitrarit´
e du signe, formul´
ee par Ferdinand de Saussure. Mais si arbitrarit´
e il y
a, d’o`
u vient quand mˆ
eme le lien qui existe entre le signe et la chose ? Platon prenait le nom propre
comme arch´
etype du signe, cela pose la question de savoir comment des noms viennent aux choses
(et particuli`
erement des noms propres aux choses singuli`
eres). Baser le signe sur une convention
n’est pas sans poser de probl`
emes : qui pose cette convention ? s’agit-il d’un contrat ? mais si tel
´
etait le cas, alors il faudrait que l’on poss`
ede d´
ej`
a des mots pour parler des termes du contrat !
Hume a propos´
e la ”convention tacite” (`
a l’image des rameurs, ou des musiciens de jazz, qui n’ont
pas besoin de se concerter `
a l’avance, ni d’un chef d’orchestre, pour arriver `
a s’entendre). Plus
r´
ecemment, des linguistes cogniticiens comme Steven Pinker ([S. Pinker 94]) ont parl´
e d’un ”ins-
tinct de langage” comme d’une sorte de force irr´
esistible qui pousse les humains `
a cr´
eer un langage
s’ils n’en disposent pas (ici, les connaissances nouvelles que nous avons sur la langue des signes
peuvent nous aider `
a r´
esoudre ce genre de question). Le nom propre a-t-il un sens ? oui, diraient
Platon et peut-ˆ
etre, `
a une ´
epoque plus r´
ecente, Frege. Si ”nom propre” signifie ”d´
enomination d’un
objet singulier”, on peut, `
a vrai dire, ne pas voir de diff´
erence entre ”Aristote” et ce qu’on appelle
une description d´
efinie, comme ”le pr´
ecepteur d’Alexandre” ou bien ”l’auteur de l’Organon” etc. :
toutes ces expressions sont l`
a en effet pour d´
esigner un unique individu, donc selon la d´
efinition
usuelle du nom propre, ce sont des noms propres. Or, ici, nous voyons surgir un probl`
eme. En
g´
en´
eral, nous consid´
erons (cf. la discussion que nous aurons sur les futurs contingents chez Aris-
tote) que le cours des ´
ev`
enements n’est pas compl`
etement d´
etermin´
e (voire pr´
e-d´
etermin´
e). Ainsi,
G. W. Bush aurait tr`
es bien pu ne pas ˆ
etre ´
elu en 2000 (il s’en est fallu de peu !), autrement dit,
”G. W. Bush” aurait certainement pu ne pas ˆ
etre ”le 43`
eme pr´
esident des Etats-Unis”. Et de mˆ
eme,
Aristote aurait tr`
es bien pu ne pas ˆ
etre le pr´
ecepteur d’Alexandre. Mais. . .. Aristote aurait-il pu ne
pas ˆ
etre Aristote ? On sent bien ici une difficult´
e. Certes quelqu’un peut dire : si Aristote n’avait pas
´
et´
e l’auteur de l’Organon, il n’aurait pas ´
et´
e Aristote (r´
efl´
echir `
a dans quel sens on peut dire c¸a). . .
Si Alain Lecomte n’avait pas de moustache, il ne serait pas Alain Lecomte. . . Vrai ? On a l’im-
pression que ce que l’on veut dire est : ”il ne serait pas le Alain Lecomte que nous connaissons”
ou ”le Aristote dont on parle dans les livres”. Peut-ˆ
etre n’aurait-on pas parl´
e d’Aristote du tout
d’ailleurs. . . mais le fait mˆ
eme qu’on continue d’utiliser le nom propre dans toutes ces expressions
montre que Aristote n’en aurait pas moins exist´
e, et avec la mˆ
eme r´
ef´
erence (le mˆ
eme individu que
ce nom d´
esigne) que l’Aristote que nous connaissons.
Cette question ouvre un d´
ebat qui ne sera r´
esolu que dans les ann´
ees soixante du XX`
eme si`
ecle,
par le philosophe am´
ericain Sa¨
ul Kripke (n´
e en 1941).
1.1.4 Du sens `
a l’action
Celles et ceux qui ont suivi les cours de s´
emantique 2 et 3 auront peut-ˆ
etre ´
et´
e surpris de ce
qui peut sembler ˆ
etre une vision partielle du langage : celle qui est bas´
ee compl`
etement sur l’id´
ee
4
que le langage servirait principalement `
a communiquer des assertions qui peuvent ˆ
etre jug´
ees soit
vraies soit fausses. La s´
emantique, depuis G. Frege (1848-1925) (un philosophe dont nous par-
lerons longuement dans ce cours, qui, `
a vrai dire, ne s’est jamais dit ”s´
emanticien”, mais plutˆ
ot
logicien, et dont les travaux visaient surtout la formalisation des math´
ematiques) est en effet mas-
sivement domin´
ee par cette id´
ee. Or, si nous y r´
efl´
echissons un peu, nous voyons tout de suite que
beaucoup des ´
enonc´
es que nous prof´
erons ne le sont pas dans une vis´
ee d’´
evaluation au moyen
des valeurs de v´
erit´
e. Il est clair que si je dis : ”l’universit´
e Paris 8 est install´
ee sur la commune de
Saint-Denis”, il s’agit bien d’une assertion ´
evaluable par ”vrai” ou ”faux”. Soit je dis une v´
erit´
e,
soit je dis une fausset´
e (en l’occurrence ici une v´
erit´
e), de mˆ
eme que si je disais ”l’universit´
e Paris
8 est install´
ee sur la commune d’Aubervilliers”, j’´
enoncerais quelque chose ´
evaluable de la mˆ
eme
fac¸on, et, en l’occurrence cette fois quelque chose de faux.
Les choses changent imm´
ediatement si je dis : ”je sais que l’universit´
e Paris 8 est install´
ee sur la
commune de Saint-Denis”. En effet, je ne m’attends pas dans ce cas, `
a ce que mon interlocuteur
juge de la v´
erit´
e ou de la fausset´
e du fait que je sache telle ou telle chose. A la rigueur, je m’attends
`
a ce qu’il juge de la v´
erit´
e ou de la fausset´
e du contenu de ce que j’affirme savoir, ce qui n’est
pas la mˆ
eme chose. Ainsi, en disant ”je sais que p”, je ne prononce pas une phrase dont la totalit´
e
est susceptible d’ˆ
etre ´
evalu´
ee `
a ”vrai” ou ”faux”, je ne fais simplement que m’engager dans une
affirmation.
De la mˆ
eme fac¸on, supposons que je dise : ”je parie que les universitaires seront en gr`
eve le 9
f´
evrier”, l`
a non plus, je n’asserte pas quelque chose de ”vrai” ou ”faux” (sauf, encore une fois en
ce qui concerne le contenu de ce que j’avance, la phrase enchˆ
ass´
ee qui vient apr`
es ”que”), mais,
plus encore que dans l’exemple pr´
ec´
edent, je m’engage dans une pr´
ediction. On notera de plus,
au passage, que cette phrase contient une action particuli`
ere : parier, et qu’il n’est gu`
ere possible
de commettre cette action autrement qu’en disant ”je parie que. . .”. Autre cas similaire : ”je vous
promets que l’examen sera facile” est une phrase qui n’´
enonce ni une v´
erit´
e, ni une fausset´
e. Elle
´
enonce. . . une promesse ! Et l`
a encore, il est difficile, pour promettre, de faire autrement que dire
”je promets”.
Ainsi il apparaˆ
ıt, comme l’a remarqu´
e en particulier le philosophe anglais J. L. Austin (1911 -
1960) ([J. L. Austin 70]), que beaucoup (peut-ˆ
etre mˆ
eme la plupart) des paroles que nous prof´
erons
ne sont pas dites dans le but de dire une v´
erit´
e ou une fausset´
e, mais dans le but de commettre cer-
taines actions. Certes, dire qu’une chose est ou qu’une chose n’est pas peut aussi ˆ
etre consid´
er´
e
comme une action. En ce cas, nous voyons que tous les dires sont des actions et que ceux qui sont
´
evaluables en termes de valeurs de v´
erit´
e ne forment qu’un sous-ensemble de ces ´
enonc´
es.
Ce cours d’introduction `
a la philosophie du langage sera donc un moyen de prendre un peu de dis-
tance par rapport `
a la s´
emantique ”v´
ericonditionnelle” et de prendre en consid´
eration les ´
enonc´
es
de la langue en tant qu’actes assimilables `
a d’autres actes de la vie courante, mˆ
eme s’ils ont la
particularit´
e de s’effectuer par le moyen de la langue.
1.1.5 L’humour dans le langage
Que fait-on d’autre encore dans et par le langage ? Quelque chose qui est rarement abord´
e par
les sp´
ecialistes, y compris de la philosophie du langage, est tout simplement... l’humour. On peut
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