Cas clinique Cas clinique 44 Algies cervicales et bulles… A. Thorin-Savouré* M adame L., 30 ans, n’a pas d’antécédent médicochirurgical particulier. Elle consulte en urgence pour cervicalgies antérieures violentes évoluant depuis trois jours dans un contexte d’hyperthermie. L’examen clinique trouve un poids de 56,4 kg (poids habituel : 58 kg) pour 1,68 m, un rythme cardiaque régulier à 110 pulsations par minute, une pression artérielle à 110/60 mmHg et une fièvre à 39° C. La température cutanée est augmentée. La patiente se plaint de tremblements, de sueurs, de thermophobie et de palpitations. L’inspection retrouve un œdème avec empâtement des parties molles de toute la région cervicale antérieure. La palpation est extrêmement douloureuse. Une échographie réalisée en urgence retrouve, au niveau du lobe thyroïdien gauche, une formation hypoéchogène mal limitée, sans caractère franchement liquidien, mesurant 27 mm de grand axe. Des petites images hyperéchogènes évoquant des structures gazeuses sont retrouvées à son niveau ainsi que dans les parties molles antérieures. Il existe de multiples adénopathies satellites (figure 1). Une ponction thyroïdienne ramène un liquide purulent adressé en bactériologie. Des prélèvements sanguins pour NFS, VS, CRP et des hémocultures sont effectués en urgence. Ces dernières reviendront secondairement positives pour un bacille gram négatif anaérobie. Une antibiothérapie probabiliste (Augmentin®) est débutée. Simultanément, des échantillons de sang sont prélevés pour dosage de la TSH et de la thyroglobuline. Un scanner cervical met en évidence une cellulite cervicale avec une masse collectée intrathyroïdienne gauche et de multiples abcès sous les muscles hyoïdiens cervicaux, extensifs en intramédiastinal avec bulle aérique à l’intérieur (figure 2). La patiente est adressée en urgence au service de chirurgie ORL. Un drainage chirurgical est effectué. Les biopsies réalisées au cours du drainage cervical retrouvent un aspect histologique compatible avec celui d’un kyste malformatif. Le diagnostic de cellulite cervicale et médiastinale sur malformation de la troisième ou de la quatrième poche branchiale est retenu. Les anomalies de l’appareil branchial sont congénitales. Elles peuvent se présenter sous la forme d’un kyste (la plus fréquente), d’un sinus ou d’une fistule. Chez les tétrapodes, la thyroïde est un dérivé de la fusion d’une ébauche thyroïdienne centrale (ETC) impaire et médiane et d’une paire d’ébauches latérales, les corps ultimobranchiaux (CUB) (figure 3). L’ETC apparaît à la troisième semaine de développement embryonnaire ; elle dérive de l’endoderme du pharynx * Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen. Figure 2. Aspect scanographique de la lésion. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003 Figure 1. Image échographique de surinfection d’un kyste malformatif intrathyroïdien. primitif, se rétrécit pour former le canal thyréoglosse qui connecte l’ébauche linguale et la portion caudale de l’ETC. L’ETC se subdivise ensuite en deux lobes reliés par l’ébauche de l’isthme. Par la suite, le canal thyréoglosse se fragmente. Dans un cas sur deux, sa portion caudale persiste sous la forme du lobe pyramidal de la thyroïde. Par ailleurs, une fossette vestigiale, le foramen cæcum de la langue, correspondant à l’origine du canal thyréoglosse, reste visible chez un tiers des individus. La thyroïde atteint sa situation définitive à la septième semaine de développement après avoir effectué sa migration descendante. Au final, l’ETC est à l’origine : – des deux lobes thyroïdiens ; – de l’isthme ; – +/- du lobe pyramidal. Les cellules folliculaires se développent au sein de ces structures. Les CUB sont des diverticules ventraux secondaires émanant des quatrièmes poches pharyngiennes. Au cours de leur développement, ils entrent au contact de l’ETC, fusionnent avec elle et se détachent du pharynx. Les cellules ultimobranchiales envahissent les lobes thyroïdiens et se différencient en cellules parafolliculaires (cellules claires ou cellules C) (1). De cette embryologie découle la distinction entre deux sortes de reliquats : – ceux localisés sur la ligne médiane : kystes pouvant se former en n’importe quel point le long du trajet du canal thyréoglosse persistant ; – les paramédians : vestiges du corps ultimobranchial, situés à l’union des un tiers moyen et supérieur de chaque lobe. Les kystes secondaires à une anomalie du quatrième arc se situent rarement à droite du fait du développement asymétrique de celui-ci. Ils peuvent se révéler à n’importe quel âge, mais un pic d’incidence est retrouvé entre la deuxième et la quatrième décades. Le tableau clinique est processus mandibulaire poches octobranchiales poches entobranchiales celui d’une masse latérocervicale gauche bas située, souvent inflammatoire au contact de la thyroïde, faisant évoquer alors une thyroïdite aiguë. Cette symptomatologie peut survenir après des épisodes répétés d’infection ORL. Plusieurs cas de la littérature rapportent une inflation des taux d’hormones thyroïdiennes (pouvant mimer une hyperthyroïdie) lors de suppurations thyroïdiennes (2). Sur les clichés radiologiques, une déviation laryngotrachéale, avec parfois un niveau hydroaérique, peuvent être mis en évidence. L’échographie et le scanner retrouvent une masse latérothyroïdienne gauche avec présence d’air. Se pose alors le diagnostic différentiel avec une duplication digestive, un diverticule congénital de l’œsophage, un diverticule pharyngé postérieur congénital ou une laryngocèle externe. Pour cette raison, une endoscopie ou un transit œsophagien baryté peuvent parfois être utiles, ce dernier présentant surtout un intérêt de détection hors de tout contexte d’urgence (3). Le diagnostic de certitude est difficile. Il repose sur la chirurgie associée à une antibiothérapie et à un traitement antalgique (4). Cette observation montre un cas particulièrement aigu de surinfection d’un kyste malformatif intrathyroïdien, puisqu’il se révèle au stade de médiastinite compliquée de septicémie. Références 1. Mark M. La glande thyroïde normale, embryologie de la thyroïde. In : Leclère J, Orgiazzi J, Rousset B et al. (eds). La thyroïde. Paris : éditions Elsevier 2001 ; 3-6. 2. Houghton DJ, Gray HW, MacKenzie K. The tender neck : thyroiditis or thyroid abscess ? Clin Endocrinol 1998 ; 48 : 521-4. 3. Leesen E, Janssen L, Smet M, Brysem L. Acute suppurative thyroiditis. JBRBTR 2001 ; 84 : 68. 4. Marsot-Dupuch K, Levret N, Pharaboz C et al. Pathologie cervicale congénitale : origine embryologique et diagnostic. Rapport du Ciréol J Radiol 1995 ; 76 : 405-15. plancher du pharynx cavité tympanique conduit externe auditif cæcum foramen conduit auditif externe amygdale palatine glande parathyroïde sup. (venant de la 4e poche) glande parathyroïde intne (venant de la 3e poche) crête épicardique sinus cervical Cas clinique Cas clinique glande thyroïde corps ultimo-branchial thymus intestin antérieur Figure 3. Rappels sur l’embryogenèse : les arcs branchiaux. Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003 45