Algies cervicales et bulles

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Cas clinique
Cas clinique
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Algies cervicales et bulles…
A. Thorin-Savouré*
M
adame L., 30 ans, n’a pas d’antécédent médicochirurgical particulier. Elle consulte en urgence
pour cervicalgies antérieures violentes évoluant
depuis trois jours dans un contexte d’hyperthermie.
L’examen clinique trouve un poids de 56,4 kg (poids
habituel : 58 kg) pour 1,68 m, un rythme cardiaque régulier à 110 pulsations par minute, une pression artérielle à
110/60 mmHg et une fièvre à 39° C. La température
cutanée est augmentée. La patiente se plaint de tremblements, de sueurs, de thermophobie et de palpitations.
L’inspection retrouve un œdème avec empâtement des
parties molles de toute la région cervicale antérieure. La
palpation est extrêmement douloureuse. Une échographie
réalisée en urgence retrouve, au niveau du lobe thyroïdien
gauche, une formation hypoéchogène mal limitée, sans
caractère franchement liquidien, mesurant 27 mm de
grand axe. Des petites images hyperéchogènes évoquant
des structures gazeuses sont retrouvées à son niveau ainsi
que dans les parties molles antérieures. Il existe de multiples adénopathies satellites (figure 1). Une ponction
thyroïdienne ramène un liquide purulent adressé en
bactériologie. Des prélèvements sanguins pour NFS, VS,
CRP et des hémocultures sont effectués en urgence. Ces
dernières reviendront secondairement positives pour un
bacille gram négatif anaérobie. Une antibiothérapie probabiliste (Augmentin®) est débutée. Simultanément, des
échantillons de sang sont prélevés pour dosage de la TSH
et de la thyroglobuline. Un scanner cervical met en évidence une cellulite cervicale avec une masse collectée
intrathyroïdienne gauche et de multiples abcès sous les
muscles hyoïdiens cervicaux, extensifs en intramédiastinal
avec bulle aérique à l’intérieur (figure 2). La patiente est
adressée en urgence au service de chirurgie ORL. Un
drainage chirurgical est effectué. Les biopsies réalisées
au cours du drainage cervical retrouvent un aspect histologique compatible avec celui d’un kyste malformatif. Le
diagnostic de cellulite cervicale et médiastinale sur malformation de la troisième ou de la quatrième poche branchiale est retenu.
Les anomalies de l’appareil branchial sont congénitales.
Elles peuvent se présenter sous la forme d’un kyste (la
plus fréquente), d’un sinus ou d’une fistule.
Chez les tétrapodes, la thyroïde est un dérivé de la fusion
d’une ébauche thyroïdienne centrale (ETC) impaire et
médiane et d’une paire d’ébauches latérales, les corps
ultimobranchiaux (CUB) (figure 3).
L’ETC apparaît à la troisième semaine de développement
embryonnaire ; elle dérive de l’endoderme du pharynx
* Service d’endocrinologie et des maladies métaboliques, CHU de Rouen.
Figure 2. Aspect scanographique de la lésion.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
Figure 1. Image échographique de surinfection d’un kyste malformatif
intrathyroïdien.
primitif, se rétrécit pour former le canal thyréoglosse qui
connecte l’ébauche linguale et la portion caudale de
l’ETC. L’ETC se subdivise ensuite en deux lobes reliés
par l’ébauche de l’isthme. Par la suite, le canal thyréoglosse se fragmente. Dans un cas sur deux, sa portion
caudale persiste sous la forme du lobe pyramidal de la
thyroïde. Par ailleurs, une fossette vestigiale, le foramen
cæcum de la langue, correspondant à l’origine du canal
thyréoglosse, reste visible chez un tiers des individus. La
thyroïde atteint sa situation définitive à la septième
semaine de développement après avoir effectué sa migration descendante.
Au final, l’ETC est à l’origine :
– des deux lobes thyroïdiens ;
– de l’isthme ;
– +/- du lobe pyramidal.
Les cellules folliculaires se développent au sein de ces
structures. Les CUB sont des diverticules ventraux secondaires émanant des quatrièmes poches pharyngiennes. Au
cours de leur développement, ils entrent au contact de
l’ETC, fusionnent avec elle et se détachent du pharynx.
Les cellules ultimobranchiales envahissent les lobes thyroïdiens et se différencient en cellules parafolliculaires
(cellules claires ou cellules C) (1). De cette embryologie
découle la distinction entre deux sortes de reliquats :
– ceux localisés sur la ligne médiane : kystes pouvant se
former en n’importe quel point le long du trajet du canal
thyréoglosse persistant ;
– les paramédians : vestiges du corps ultimobranchial,
situés à l’union des un tiers moyen et supérieur de chaque
lobe.
Les kystes secondaires à une anomalie du quatrième arc
se situent rarement à droite du fait du développement
asymétrique de celui-ci. Ils peuvent se révéler à n’importe
quel âge, mais un pic d’incidence est retrouvé entre la
deuxième et la quatrième décades. Le tableau clinique est
processus
mandibulaire
poches
octobranchiales
poches
entobranchiales
celui d’une masse latérocervicale gauche bas située,
souvent inflammatoire au contact de la thyroïde, faisant
évoquer alors une thyroïdite aiguë. Cette symptomatologie peut survenir après des épisodes répétés d’infection
ORL. Plusieurs cas de la littérature rapportent une inflation des taux d’hormones thyroïdiennes (pouvant mimer
une hyperthyroïdie) lors de suppurations thyroïdiennes
(2).
Sur les clichés radiologiques, une déviation laryngotrachéale, avec parfois un niveau hydroaérique, peuvent
être mis en évidence. L’échographie et le scanner retrouvent une masse latérothyroïdienne gauche avec présence
d’air. Se pose alors le diagnostic différentiel avec une
duplication digestive, un diverticule congénital de l’œsophage, un diverticule pharyngé postérieur congénital ou
une laryngocèle externe. Pour cette raison, une endoscopie
ou un transit œsophagien baryté peuvent parfois être
utiles, ce dernier présentant surtout un intérêt de détection
hors de tout contexte d’urgence (3). Le diagnostic de certitude est difficile. Il repose sur la chirurgie associée à
une antibiothérapie et à un traitement antalgique (4).
Cette observation montre un cas particulièrement aigu de
surinfection d’un kyste malformatif intrathyroïdien, puisqu’il se révèle au stade de médiastinite compliquée de
septicémie.
Références
1. Mark M. La glande thyroïde normale, embryologie de la thyroïde. In :
Leclère J, Orgiazzi J, Rousset B et al. (eds). La thyroïde. Paris : éditions Elsevier 2001 ; 3-6.
2. Houghton DJ, Gray HW, MacKenzie K. The tender neck : thyroiditis or thyroid abscess ? Clin Endocrinol 1998 ; 48 : 521-4.
3. Leesen E, Janssen L, Smet M, Brysem L. Acute suppurative thyroiditis. JBRBTR 2001 ; 84 : 68.
4. Marsot-Dupuch K, Levret N, Pharaboz C et al. Pathologie cervicale congénitale : origine embryologique et diagnostic. Rapport du Ciréol J Radiol 1995 ;
76 : 405-15.
plancher
du pharynx
cavité
tympanique
conduit
externe
auditif
cæcum
foramen
conduit auditif
externe
amygdale palatine
glande parathyroïde sup.
(venant de la 4e poche)
glande parathyroïde intne
(venant de la 3e poche)
crête
épicardique
sinus
cervical
Cas clinique
Cas clinique
glande
thyroïde
corps ultimo-branchial
thymus
intestin
antérieur
Figure 3. Rappels sur l’embryogenèse : les arcs branchiaux.
Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition (VII), no 1, janvier/février 2003
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