Novembre 2016
Faiblesse de la productivité américaine: signe
avant-coureur de marché baissier?
L’économie américaine faiblit, mais les actions n’en ont cure.
Un phénomène passé quasi-inaperçu sur les marchés finan-
ciers fait l’objet d’un débat enflammé entre économistes
depuis des mois: l’affaiblissement récent de la productivité
américaine n’est-il que provisoire? La réponse à cette que-
stion n’est pas seulement cruciale pour les perspectives de
croissance à long terme, elle peut aussi mettre le feu aux
poudres sur les marchés financiers. Le ralentissement de
la productivité et de la croissance économique devrait
s’accompagner d’une croissance bénéficiaire plus faible et
donc d’une baisse significative des cours.
Les données présentées (graphique 1) peuvent être interp-
rétées diversement. Pour les pessimistes, les Etats-Unis se
trouvent dans une phase post-industrielle où les effets des
grandes évolutions technologiques sur la productivité se
dissipent et les innovations récentes exercent une influence
moindre sur l’économie. De plus, l’augmentation modérée
de la population active et la part historiquement élevée des
dettes dans le budget public limitent la croissance à long
terme des Etats-Unis.
Pour les optimistes, la faiblesse de la productivité américaine
ne tient pas au ralentissement du progrès technologique,
mais plutôt à son accélération constante. A l’heure actuelle,
celui-ci est en effet plus rapide que la capacité de réaction
de l’économie. Toutefois, la restructuration en cours mettra
en évidence les effets sur la productivité et la croissance. Au
premier regard, le marché des actions américain semble se
rallier à l’approche optimiste.
Indifférent aux vents défavorables qui soufflent sur la crois-
sance, celui-ci évolue à un niveau élevé, volant de record en
record depuis plusieurs mois: la vigueur des actions améri-
caines semble tenir à d’autres raisons, plus concluantes.
Première explication: la part des bénéfices des entreprises
dans le revenu national est en augmentation depuis les an-
nées 90. Les entreprises ont ainsi pu compenser le ralentisse-
ment de la croissance économique aux Etats-Unis.
Mais depuis deux ans, cette part recule. D’où la deuxième
explication: la juste valeur de marché des actions est calculée
sur la base des bénéfices futurs attendus. Afin d’attribuer une
valeur actuelle aux bénéfices futurs, on les actualise sur la
base des taux d’intérêts. Depuis la crise financière, ces taux
sont en baisse constante, ce qui entraînerait la hausse des va-
leurs actuelles.
Quelles perspectives pour les actions dans cet environnement
marqué par des influences divergentes? Soit la croissance des
bénéfices diminuera à long terme, en raison du ralentisse-
ment de la croissance de la productivité ou de la réduction
de la part des bénéfices dans le revenu national, et l’évolution
des taux des marchés financiers jouera un rôle décisif. Soit
ceux-ci renoueront avec une forte hausse ces prochaines an-
nées, et une pression à la baisse s’exercerait non seulement
sur les obligations, mais aussi sur les actions.
Pourquoi les taux d’intérêt sont-ils si bas? Selon John B. Tay-
lor (Stanford), la Réserve fédérale américaine pousse agres-
sivement le taux cible des fonds fédéraux en dessous de leur
valeur d’équilibre. Grâce à cette politique de taux bas, elle
maintient artificiellement l’ensemble des rendements à un
bas niveau sur le marché financier américain afin de remettre
l’économie sur les rails de la croissance qui prévalait avant la
grande crise financière de 2008.
Pour Lawrence H. Summers (Harvard), cette explication ne
va pas assez loin. Selon lui, il est évident que le taux d’équilibre
a chuté sous l’effet de circonstances liées à l’économie réelle
et que les autorités monétaires américaines ont pris ce fait
en compte dans leur politique de fixation des taux d’intérêt.
Des tendances à long terme au niveau de l’offre et de la
demande d’épargne globale expliquent le recul du taux
d’équilibre: alors que les ménages épargnent davantage, les
entreprises nécessitent moins de capital grâce à l’économie
numérique.
Nous avons chiffré ces deux théories contradictoires sur les
taux et les avons confrontées au taux réel du marché mo-
nétaire (graphique 2). Si Taylor a raison (courbe grise), une
forte hausse des taux n’est plus qu’une question de temps. La
stimulation monétaire ravivera tôt ou tard l’inflation et inci-
tera donc la Réserve fédérale à changer de cap. Mais si c’est
Summers qui a raison (courbe orange), il faudrait s’attendre
à long terme à des fluctuations cycliques autour d’un niveau
de taux durablement bas. En fin de compte, les analyses em-
piriques dont nous disposons semblent plutôt donner raison
à Summers.
Quelles sont nos perspectives à long terme concernant le mar-
ché des actions américain? Nous ne croyons pas à un marché
baissier durable. Nous penchons plutôt pour un scénario de
croissance bénéficiaire faible et de taux historiquement bas
sur les marchés financiers. A long terme, les rendements des
marchés boursiers devraient s’élever à moins de 5%. Parmi
les différentes prévisions, nous optons pour une hausse de la
volatilité. La victoire surprenante de Donald Trump aux pré-
sidentielles américaines et l’incertitude qui plane autour de sa
politique conforte notre vue sur la volatilité. En général, une
politique protectionniste devrait avoir un effet négatif sur la
productivité. Reste à savoir si les effets positifs à plus long