Faut-il dire «la philosophie» ou «les philosophies» ?
Supports de réflexion
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Il n'y a qu'une seule philosophie
L'histoire de la philosophie ne manifeste, dans les philosophies en apparence diverses, qu'une seule philosophie
aux divers degrés de son développement, et d'autre part, les principes particuliers1, dont l'un sert de base à un
système, sont simplement les ramifications d'une seule et même totalité. La dernière venue des philosophies est
le résultat de toutes les précédentes, et doit contenir par conséquent les principes de toutes les autres ; si
vraiment elle est une philosophie, elle doit être la plus développée, la plus riche, la plus concrète.
Remarque. En tant de philosophies en apparences diverses, il faut, d'après leur détermination propre, distinguer le
général et le particulier2. Le général, saisi formellement3 et placé à côté du particulier, devient lui-même un
particulier. S'il s'agissait d'objets de la vie commune, une telle position frapperait d'elle-même, comme
inadéquate et maladroite; c'est, par exemple, comme si quelqu'un demandait des fruits et refusait cerises,
poires, raisins, etc.. comme étant des cerises, des poires, des raisins et non des fruits. Cependant, à l'égard de la
philosophie, on se permet de justifier le dédain qu'on a pour elle, par la raison qu'il existe tant de philosophies
diverses, chacune n'étant qu'une philosophie et non la philosophie, - comme si les cerises n'étaient pas des
fruits. Il arrive même que l'on place une philosophie dont le principe est général, à côté d'une autre dont le
principe est particulier, même à côté de doctrines assurant qu'il n'y a pas de philosophie, en prétendant qu'il n'y
a que des conceptions différentes de la philosophie, comme si, par exemple, la lumière et l'obscurité étaient
considérées comme deux espèces différentes de lumière.
Hegel (1770-1831)
Précis de l'encyclopédie des sciences philosophiques
1. Principes particuliers : ce sont les formes particulières que prend la pensée chez tel ou tel philosophe.
2. Général : le contenu universel, c'est-à-dire universellement transmissible. Particulier : c'est-à-dire la forme, ou encore les
démarches et les préoccupations propres à chaque penseur.
3. Saisi formellement : c'est-à-dire séparé de son contenu essentiel
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Il y a eu plusieurs tentatives, mais il n’y a qu’une seule raison humaine
Se pourrait-il qu'il y eût plus d'une philosophie ? Non seulement il y a eu différentes manières de philosopher et
de remonter aux premiers principes de la raison, afin de fonder avec plus ou moins de bonheur un système,
mais encore il était nécessaire qu'un grand nombre de ces tentatives eût lieu, chacune d'entre elle ayant quelque
mérité pour la philosophie actuelle ; néanmoins puisque objectivement, il ne peut y avoir qu'une raison
humaine, il ne peut se faire qu'il y ait plusieurs philosophies, c'est-à-dire qu'il n'y a qu'un vrai système rationnel
possible d'après les principes, si diversement et si souvent contradictoirement que l'on ait pu philosopher sur
une seule et même proposition.
Emmanuel Kant (1724-1804)
Métaphysique des mœurs
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La philosophie n'est pas, mais il y a des philosophies
La philosophie apparaît à certains comme un milieu homogène : les pensées y naissent, y meurent, les systèmes
s'y édifient pour s'y écrouler. D'autres la tiennent pour une certaine attitude qu'il serait toujours en notre
liber d'adopter. D'autres pour un secteur déterminé de la culture. A nos yeux, la philosophie n'est pas ; sous
quelque forme qu'on la considère, cette ombre de la science, cette éminence grise de l'humanité n'est qu'une
abstraction hypostasiée. En fait, il y a des philosophies. Ou plutôt - car vous n'en trouverez jamais plus d'une à la
fois qui soit vivante - en certaines circonstances bien définies, une philosophie se constitue pour donner son
expression au mouvement général de la société - et, tant qu'elle vit, c'est elle qui sert de milieu culturel aux
contemporains. Cet objet déconcertant se présente à la fois sous des aspects profondément distincts dont il
opère constamment l'unification.
Une philosophie, quand elle est dans sa pleine virulence, ne se présente jamais comme une chose inerte,
comme l'unité passive et déjà déterminée du Savoir, née du mouvement social, elle est mouvement elle-même
et mord sur l'avenir : cette totalisation concrète est en même temps le projet abstrait de poursuivre l'unification
jusqu'à ses dernières limites ; sous cet aspect, la philosophie se caractérise comme une méthode d'investigation
et d'explication, la confiance qu'elle met en elle-même et dans développement futur ne fait que reproduire les
certitudes de la classe qui la porte.
Jean-Paul Sartre (1905-1980)
Critique de la raison dialectique
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La philosophie a besoin de la science, elle progresse avec elle
Car la philosophie, entretenant un questionnement émerveillé devant le monde, devant l'homme, devant l'être,
devant la conscience d'être, incite à l'insolence face au carcan des conventions et des conformismes. Elle est le
meilleur rempart contre la barbarie. Or cette barbarie s'insinue sournoisement dans notre société par mille
canaux.
Pour mener cette lutte, les philosophes ont aujourd'hui besoin du renfort de toutes les disciplines, et
particulièrement des disciplines scientifiques. Si la philosophie est un combat contre l'ignorance, elle ne peut
pas ignorer la science dont c'est tout autant la fonction. Il n'est guère raisonnable de présenter l'un sans l'autre
les deux membres de cet attelage. Malheureusement, dans ce monde qui se transforme, l'important est la
capacité à imaginer, à inventer, l'enseignement ne s'est pas adapté à nos besoins nouveaux et à nos connaissances
nouvelles. La philosophie reste séparée de la science.
Albert Jacquard (1925-2013)
Petite philosophie à l'usage des non-philosophes, 1997
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Le point de départ de la philosophie est la recherche d’une norme intellectuelle
Voici le point de départ de la philosophie : la conscience du conflit qui met aux prises les hommes entre eux, la
recherche de l'origine de ce conflit, la condamnation de la simple opinion et la défiance à son égard, une sorte
de critique de l'opinion pour déterminer si on a raison de la tenir, l'invention d'une norme, de même que nous
avons inventé la balance pour la détermination du poids, ou le cordeau pour distinguer ce qui est droit de ce
qui est tordu.
Est-ce le point de départ de la philosophie ? Est juste tout ce qui paraît tel à chacun ? Et comment est-il
possible que les opinions qui se contredisent soient justes ? Par conséquent, non pas toutes. Mais celles qui nous
paraissent à nous justes ? Pourquoi à nous plutôt qu'aux Syriens, plutôt qu'aux Égyptiens ? Plutôt que celles qui
paraissent telles à moi ou à un tel ? Pas plus les unes que les autres. Donc l'opinion de chacun n'est pas
suffisante pour déterminer la vérité.
Nous ne nous contentons pas non plus quand il s'agit de poids ou de mesures de la simple apparence, mais nous
avons inventé une norme pour ces différents cas. Et dans le cas présent, n'y a-t-il donc aucune norme
supérieure à l'opinion ? Et comment est-il possible qu'il n'y ait aucun moyen de déterminer et de découvrir ce
qu'il y a pour les hommes de plus nécessaire ?
- Il y a donc une norme.
Alors, pourquoi ne pas la chercher et ne pas la trouver, et après l'avoir trouvée, pourquoi ne pas nous en servir
par la suite rigoureusement, sans nous en écarter d'un pouce ? Car voilà, à mon avis, ce qui, une fois trouvé,
délivrera de leur folie les gens qui se servent en tout d'une seule mesure, l'opinion, et nous permettra
désormais, partant de principes connus et clairement définis, de nous servir, pour juger des cas particuliers,
d'un système de prénotions.
Epictète (50? - 130?)
Entretiens
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La philosophie a une origine unique, historique et géographique
Poussons l'analyse à son terme : l'Europe a un lieu de naissance. Je ne songe pas, en termes de géographie, à un
territoire, quoique elle en possède un, mais à un lieu spirituel de naissance, dans une nation ou dans le coeur de
quelques hommes isolés et de groupes d'hommes appartenant à cette nation. Cette nation est la Grèce antique
du VIIe et du VIe siècles avant Jésus-Christ. C'est chez elle qu'est apparue une attitude d'un genre nouveau à
l'égard du monde environnant ; il en est résulté l'irruption d'un type absolument nouveau de créations
spirituelles qui rapidement ont pris les proportions d'une forme culturelle nettement délimitée. Les Grecs lui
ont donné le nom de philosophie ; correctement traduit selon son sens originel, ce terme est un autre nom
pour la science universelle, la science du tout du monde, de l'unique totalité qui embrasse tout ce qui est. Très
vite l'intérêt d'abord dirigé sur le tout et, par même, la question du devenir qui englobe toutes choses et de
l'être qui subsiste dans le devenir commencent à se scinder en fonction des formes générales et des régions de
l'être ; et ainsi la philosophie, l'unique science, se ramifie en une diversité de sciences particulières.
L'irruption de la philosophie prise en ce sens, en y incluant toutes les sciences, est donc à mes yeux, si
paradoxal qu'il paraisse, le phénomène originel qui caractérise l'Europe au point de vue spirituel.
Edmund Husserl !(1859-1938)
La Crise de l'humanité européenne et la philosophie
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L’origine de la philosophie est en même temps sa fin
Je voudrais ici affronter une objection toute prête : à savoir, que la philosophie, la science des Grecs ne serait
pas leur création distinctive et qu'ils n'auraient fait que la diffuser dans le monde. Eux-mêmes abondent en
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récits sur la sagesse égyptienne, babylonienne, etc. !; même en fait ils ont beaucoup reçu d'eux. Nous possédons
aujourd'hui une masse de travaux sur les philosophies indienne, chinoise, etc., qui ne sont aucunement
analogues à celles des Grecs. Et pourtant on ne doit pas supprimer les différences de principe et passer à côté
de ce qui est plus essentiel que tout le reste. La manière de poser le but et, par voie de conséquence, le sens des
résultats atteints sont fondamentalement différents de part et d'autre.
Seule la philosophie grecque conduit, par un développement propre, à une science en forme de théorie infinie,
dont la géométrie grecque nous a fourni durant des millénaires l'exemple et le modèle souverain. La
mathématique, - l'idée d'infini, de tâches infinies - est comme une tour babylonienne : bien qu'inachevée elle
demeure une tâche pleine de sens, ouverte sur l'infini ; cette infinité a pour corrélat l'homme nouveau aux buts
infinis.
Edmund Husserl !(1859-1938)
La Crise de l'humanité européenne et la philosophie
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Pour approfondir ce sujet
- Antimanuel de philosophie, Michel Onfray, Breal
- Éloge de la philosophie antique, Pierre Hadot, Allia
- La philosophie comme manière de vivre, Pierre Hadot, Lgf
- Qu'est-ce que la philosophie antique ?, Pierre Hadot, Gallimard
- Présentation de la philosophie, André Comte-Sponville, Lgf, poche
- Le monde de Sophie, Jostein Gaarder, Seuil, 1995
- L'étonnement philosophique, Jeanne Hersch, Gallimard, 1995
- Éloge de la philosophie, Maurice Merleau-Ponty, Gallimard, 1979
- Introduction à la philosophie, Karl Jaspers, 1950
- Pour une réforme de la philosophie, Ludwig Feuerbach (1841), Éditions Mille et une nuits, 2004
- Contre la philosophie universitaire, Schopenhauer (1851), Coll. Rivages poche
- Le discours de la méthode; Dioptrique, René Descartes (1637), Gallimard, 1991
- Consolation de la philosophie, Boèce, Rivages-poche
- Pensées pour moi-même, suivies du manuel d'Epictète, Marc Aurèle, Flammarion, 1992
- Le banquet, Platon, Librio, 1992
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