Utilisation de la classification de la végétation dans l`aménagement

428 Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010
Utilisation
de la classification de la végétation
dans l’aménagementforestier au Québec
Jean-Pierre Saucier –Jocelyn Gosselin –Claude Morneau –Pierre Grondin
La classification écologique des forêts du Québec té réalisée en développant des méthodes
et des concepts originaux, adaptés aux besoins et aussi àl’immensité du territoire àclassifier.
Ces développements ont été influencés par la phytosociologie àl’européenne, par la typologie
forestière scandinave et aussi par l’écologie numérique nord-américaine. Cela adonné une
approche phytoécologique, intimement liée àlacartographiedes écosystèmes et orientée vers
l’aménagementduterritoire, qui est présentée sous forme de guides de reconnaissance faciles à
utiliser par les praticiens. Plus tard, afin de comparer les écosystèmes du Québec àceux de
l’Amérique du Nord, on aaussi senti le besoin de traiter les données de végétation de façon
plus phytosociologique en mettant l’emphase sur les communautés végétales. Enfin, une classi-
fication tire sa valeur des diverses utilisations qui en sont faites. Ainsi, pour en favoriser l’utili-
sation et la diffusion, les classificateurs doivent contribuer àlaformation des utilisateurs et
collaborer avec eux pour démontrer comment la classification peut répondre àleurs besoins.
INFLUENCES DE LA CLASSIFICATION DE LA VÉGÉTATION
AU QUÉBEC
Trois grandes influences ont façonné la classification de la végétation au Québec. D’abord, l’in-
fluence marquante de la phytosociologie àl’européenne qui té popularisée au Québec par les
travaux de M. Grandtner (1966) et de ses étudiants. Puis, la méthode de typologie forestière à
la finlandaise,utilisant les espèces indicatrices du sous-bois, inspirée de la méthode de Cajander
té appliquée àlazone boréale du Québec par M. Lafond (1969). Enfin, ces deux méthodes
de classification, qui font appel àune structuration des relevés selon les perceptions du classifi-
cateur, ont été comparées aux méthodes de classification numériques nord-américaines (Legendre
et Legendre, 1998) ou européennes (Ter Braak, 1986).
La mise àl’épreuve de ces méthodes amené au développement graduel d’une approche phyto-
écologique qui s’appuie sur l’intégration des caractéristiques physiques du milieu et de la compo-
sition végétale pour la définitiondes unités de classification de la végétation.Dans un contexte
où les perturbations naturelles sont variées et fréquentes et où la nature et la composition de
la forêt n’ont été que peu influencées par les interventions humaines, la prise en compte de la
dynamique forestièredans la classification s’est imposée. Il en est alors résulté une transforma-
tion graduelle de la classification de la végétation vers la classification des écosystèmes incluant
àlafois leurs caractéristiques biotiques et abiotiques ainsi que leur dynamique.Afin de permettre
la prise en compte de ces connaissances dans l’aménagement du territoire, on aassisté au déve-
Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010 429
loppement de systèmes de classification orientés vers l’utilisation du territoire et la réaction de
la végétation en fonction du temps et des perturbations. Les travaux de Jurdant en sont des
exemples (Jurdant
et al.
,1977) et c’est l’inspiration des travaux que mène le ministère des
Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNFQ) depuis 1986.
MÉTHODES DE CLASSIFICATION ÉCOLOGIQUE AU MRNFQ
Le mandat de mieux connaître les différents types forestiers du Québec, les milieux où ils crois-
sent ainsi que leur dynamique, en vue de guider l’aménagement forestier té confié au MRNFQ
en 1986. La première étape té de se doter d’une base de données standardiséecouvrant l’en-
semble des milieux, des compositions végétales et du territoire. Le MRNFQ adonc réalisé un
inventaire écologique qui s’est déroulé de 1986 à2000. Un total de 28 400 points d’observation
écologiqueaété réalisé dans les forêts du Québec méridional, couvrant une superficie de
760 000 km2,cequi représente 51 %duterritoire total du Québec. Les points d’observation ont
été répartis géographiquement en fonction de la structuredupaysage, déterminée àl’aide d’une
cartographie des districts écologiques (Robitaille, 1995). Les districts écologiques sont des
portions de territoire, de l’ordre de quelques centaines de kilomètres carrés, caractérisées par un
pattern propre du relief, de la géologie, de la géomorphologie et de la végétation régionale
(Jurdant
et al
., 1977 ;Robitaille, 1995). Les points d’observations étaient distribués le long de
transects de façon àexplorer la diversité des combinaisons sol-végétation caractéristiques du
territoire. Àchaque point d’observation écologique, un relevé complet de la végétation et des
caractéristiques du milieu té réalisé. Cela comprend des données sur sa localisation, les carac-
téristiques physiques de la station, les caractéristiques du sol (humus, texture, dépôts de surface,
drainage), le recouvrement des espèces dans les différentes strates végétales (arborescentes,
arbustives,herbacées, muscinales et lichéniques)ainsi que des données de dynamique et de
compositiondupeuplement forestier (Saucier
et al.
,1994).
Les points d’observations écologiques ont été analysés àl’aide de méthodes numériques
(CANOCO, Ter Braak et Smilauer, 1998) de façon àdégager les relationsentre les caractéristiques
du sol et la composition végétale, identifier les gradients trophiques et climatiques ainsi que les
successions végétales. L’analyse espèce par espèce apermis d’identifier des groupes d’espèces
indicatrices qui partagent les mêmes affinités et jouent des rôles similaires dans les écosystèmes.
Une synthèse des compositions végétales et de leur stade évolutif en fonction de leur milieu et
de l’historique des perturbations apermis de dégager une typologieforestière. Les liens dyna-
miques entre les différentes phases forestières servent àdéterminer les végétationspotentielles
caractéristiques de chaque milieu.
SYSTÈME HIÉRARCHIQUE DE CLASSIFICATION ÉCOLOGIQUE DU TERRITOIRE
Afin de structurer les connaissances acquises lors des phases de classification écologique et de
la cartographie des districts écologiques, et aussi pour permettre la cartographie des écosys-
tèmes àdifférents niveaux de perception, un système hiérarchique de classification écologique du
territoire té développé (Robitaille et Saucier, 1995 ;Saucier
et al
., 1998 ;Robitaille et Saucier,
1998 ;Saucier
et al.,
2009). Ce système, développé par le MRNFQ, est àlafois typologique et
cartographiqueetprésente le territoire québécois àdifférents niveaux de perception exprimés à
des échelles cartographiques appropriées (tableau I, p. 430). Ces unités sont homogènes au
regard de l’organisation spatiale de plusieurs facteurs écologiques qui structurent le paysage.
Selon le niveau hiérarchique et l’échelle choisie, les facteurs du climat ou du milieu physique
Session 3-Laphytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels
Ta bleau I Système hiérarchique de classification écologique du Québec :
Facteurs écologiques déterminants
Niveau hiérarchiqueFacteurcologiquesdéterminants Échelle
de représentation
Ordre
de grandeur
despolygones
Zone de végétation Grandes formations végétales. Continentale 106km2
Sous-zone de végétation Formation végétale dominante
dans le paysage.
Domaine bioclimatique Végétation potentielle exprimant l’équilibre
entreleclimat et les sites mésiques.
Nationale 105km2
Sous-domaine
bioclimatique
Régime des précipitations
et des perturbations naturelles.
Région écologique Végétation potentielle des sites mésiques
et répartition des types écologiques
dans le paysage.
Régionale 104km2
Sous-région écologique Abondance des végétations potentielles
exprimant la transition
vers un domaine plus méridional
ou plus septentrional.
Unité de paysage
régional
Nature, abondance et récurrence
des principaux facteurs écologiques
permanents du milieu et de la végétation.
Du paysage 103km2
District écologique Natureetarrangement spatial
des facteurs physiques du milieu
102km2
Étage de végétation Structuredelavégétation modifiée
par les variations altitudinales
101km2
Type écologique Combinaison permanente de la végétation
potentielle et des caractéristiques
physiques de la station.
Locale 0,2 km2
Type forestier Composition et structureactuelle
de la végétation
0,1 km2
430 Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010
JEAN-PIERRE SAUCIER -JOCELYN GOSSELIN -CLAUDE MORNEAU -PIERRE GRONDIN
(relief, altitude, etc.), de la végétation potentielle (donc de la dynamique forestière), des pertur-
bations naturelles (feux, épidémies, etc.) ou encore de la végétation actuelle ont un rôle prépon-
dérant pour la définition des unités de classification écologique (tableau I).
Àl’échelle continentale, la zone de végétation et la sous-zone de végétation délimitent de très
vastes étendues caractérisées par la nature des grandes formations végétales qui ydominent.
Àceniveau très général de présentation, trois zones de végétation sont identifiées :lazone
tempérée nordique (érablières et forêt mixte), la zone boréale (essences résineuses et essences
feuillues de lumière), et la zone arctique (absence d’arbres). La sous-zone est définie suivant les
mêmes critères que la zone (climat, grandes formations végétales), mais ces derniers sont consi-
dérésavec plus de détails (figure 1, p. 433). Àcette échelle de perception, la zone tempérée
nordique du Québec estsubdivisée en deux sous-zones, celle de la forêt décidue et celle de la
forêt mélangée. La vaste zone boréale est subdivisée en trois sous-zones :celle de la forêt
boréale continue (forêt fermée), dont le développement est associé aux épidémies d’insectes
(sapinières) ou encore liée àdes feux plus ou moins fréquents (pessières) ;celle de la taïga
Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010 431
Session 3-Laphytosociologie, un outil incontournable pour les gestionnaires des milieux naturels
(forêt ouverte) dépendante de l’aridité du climat et du cycle des feux ;etenfin la sous-zone de
la toundra forestière (mosaïque de peuplements de densité variable, de landes et de toundra)
qui est conditionnée par la rigueur du climat.
Àune échelle nationale, le domaine bioclimatique et le sous-domaine bioclimatique englobent de
grandes étendues caractérisées par des conditions climatiques relativement homogènes,
auxquelles sont associées des espèces végétales dominantes et sous-dominantes (généralement
des arbres), les caractéristiques des communautés qu’elles forment (densité, composition floris-
tique), la végétation potentielle des sites mésiques (1),c’est-à-dire ceux dont le régime hydrique
et le régime nutritif ne sont ni trop riches ni trop pauvres, et le régime de perturbationsnatu-
relles (dynamique écologique) qui les conditionnent. On compte dix domaines bioclimatiques au
Québec qui sont généralement dénommés àpartir de la végétation actuelle ou potentielle domi-
nante, àl’exception des trois plus nordiques qui sont nommés par la formation végétale domi-
nante. Du sud au nord, les domaines bioclimatiques sont ceux de l’érablière àCaryer
cordiforme (2),del’érablière àTilleul, de l’érablière àBouleau jaune, de la sapinière àBouleau
jaune, de la sapinière àBouleau blanc, de la pessière noire àmousses, de la pessière noire à
lichens, de la toundra forestière, de la toundra arctique arbustive et de la toundra arctique
herbacée (figure 1, p. 433). Certains des domaines sont subdivisés en sous-domaines sur la base
du régime de précipitations, du cycle de feu et de la végétation potentielle. Les sous-domaines
de l’ouest sont généralement plus secs (continentaux) et soumis àuncycle de feu relativement
court, comparativement aux sous-domaines de l’est, àpluviosité plus importante et davantage
affectés par les épidémies que par les feux. Par exemple, au 51eparallèle, dans le domaine
bioclimatiquedelapessière noire àmousses, le sous-domaine de l’ouest reçoit en moyenne 850
à1000 mm de précipitations annuelles et on yobserve un cycle de feu de 100 à200 ans
(Chabot
et al.
,2009), ce qui se traduit par une abondance de peuplements réguliers d’épinettes
noires, de pins gris (
Pinus banksiana
Lamb.) ou de peupliers faux-tremble (
Populus tremuloides
Michx.). Dans le sous-domaine de l’est, où les précipitations varient de 950 à1150 mm par an
en moyenne, le cycle des feux varie de 500 à1100 ans avec surtout des peuplements irrégu-
liers d’épinettes noires et de sapins en mélange.
Àune échelle régionale, la région écologique et la sous-région écologique regroupent des
étendues présentant des conditions mésoclimatiques, des caractéristiques du relief, une altitude,
une géologieetdes dépôts de surface relativementhomogènes (Saucier
et al.
,1998). Les condi-
tions mésoclimatiques distinguant les régions écologiques sont généralement interprétées àpartir
de la réponse de la végétation (distribution d’espèces ou de types forestiers) de sorte que les
critèresprépondérants permettant de les distinguer coïncident souvent avec des discontinuités
du milieu physique en raison de soneffet sur la distribution de la végétation. Certaines régions
écologiques ont été subdivisées en sous-régions pour signaler des zones de transition entre deux
domaines bioclimatiques.
Àl’échelle du paysage, on compte trois niveaux :l’unité de paysage régional, le district écolo-
gique et l’étage de végétation (tableau I). L’unité de paysage régional est une portion de terri-
toire caractériséepar une organisation récurrente des principaux facteurs permanents du milieu
et de la végétation (Robitaille et Saucier, 1998). Les facteurs écologiques considérés àceniveau
hiérarchique sont le type de relief, l’altitude moyenne, la nature et l’importance des principaux
dépôts de surface, l’hydrographie ainsi que la nature et la distribution des types écologiques et
(1) Selon le Dictionnaire de la foresterie (Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, 2003), on qualifie de mésiques (
mesic
en anglais)
des stations ou des habitats qui ne sont ni très humides (hydriques) ni très secs (xériques). Métro (1975) donne la même définition
au terme «mésoïque ».
(2) Érable àsucre (
Acer saccharum
Marsh.), Caryer cordiforme (
Carya cordiformis
(Wanggenh.) K. Koch.), Tilleul d’Amérique (
Tilia ameri-
cana
L.), Bouleau jaune (
Betula alleghaniensis
Britt.), Sapin baumier (
Abies balsamea
(L.) Mill.), Bouleau blanc ou Bouleau àpapier
(
Betula papyrifera
Marsh.), Épinette noire (
Picea mariana
(Mill.) B.S.P.).
432 Rev. For. Fr. LXII -3-4–2010
JEAN-PIERRE SAUCIER -JOCELYN GOSSELIN -CLAUDE MORNEAU -PIERRE GRONDIN
Photo 1
Paysage de la sous-zone
de la forêt mélangée
àl’automne
Photo Jean-Pierre SAUCIER -MRNF
Photo 2
Sous-bois caractéristique
du domaine bioclimatique
de la pessière
àÉpinette noire
et mousses
en forêt boréale
Photo Jean-Pierre SAUCIER -MRNF
Photo 3
Peuplement caractéristique
du domaine bioclimatique
de la sapinière
àBouleau blanc
en forêt boréale
Photo Jean-Pierre SAUCIER -MRNF
1 / 11 100%