versets révélés ont été consignés, recopiés, par les proches et compagnons du Prophète.
L’historiographie traditionnelle du Coran repose sur des akhbâr, informations ou récits relatant
les circonstances de la révélation mais aussi de la collecte des versets révélés. L’établissement
de ces akhbâr est l’objet d’une discipline religieuse traditionnelle, qui procède par la discussion
et l’établissement de « chaînes » (isnad) de garants supposées établir l’authenticité de
l’information (c’est de la même manière que procèdent les savants religieux pour les hadiths,
dires, logia, du Prophète). Les divers akhbâr laissent entendre (de façon pas toujours univoque)
que la collecte des fragments qui ont constitué les différentes sourates a été effectuée de façon
non coordonnée ni systématique, progressivement, dans l’entourage du Prophète, de son vivant
et après sa disparition.
L’existence d’une histoire humaine du texte sacré est donc non seulement inévitable au vu
des données historiques, mais encore en partie reconnue au sein de la tradition musulmane.
Certes, la littérature traditionnelle à ce sujet a pour but de conforter la version d’une
progressive consolidation du texte autour d’une transmission authentique. Mais elle atteste par
là même de résistances, de divergences durables. De fait, diverses collections coraniques ont
circulé durant un temps assez long, et la mise au point d’une version canonique s’est faite assez
tard, pour des raisons politiques évidentes. Des témoignages assez nombreux montrent que
l’extension rapide des conquêtes musulmanes a favorisé une multiplication de collections
concurrentes, dont la mise en avant pouvait prendre une coloration politique. Comme le dit
très bien De Prémare, « ce fut (…) au milieu de situations conflictuelles graves que l’ont
entreprit d’établir des textes religieux de référence pour une communauté divisée ». La version
d’un mushaf (codex coranique) établi par ‘Uthman, qui aurait fait brûlé les autres codex, résiste
difficilement à l’historiographie, qui sans établir de certitudes, révèle une histoire plus
complexe et moins linéaire. De Prémare signale même l’existence de légères variantes du texte
de la Fatiha (la sourate qui, à tous les sens du terme, « ouvre » le Coran et vaut comme
profession de foi) dans quelques traditions et ouvrages anciens. Jusque dans son noyau le plus
sacré et le plus immuable, le texte a une histoire humaine, celle de sa réception.
Concernant cette histoire de l’établissement du texte, le mieux est là encore de citer
directement de Prémare :
« ‘Uthmân (644-656), le troisième successeur du fondateur de l’islam, aurait tenté d’obtenir,
ou d’imposer, un consensus autour des collections d’écrits réalisées à Médine. Le consensus
n’était pas établi pour autant, car nous avons, pour l’époque du premier calife omeyyade de
Damas, Mu’âwiya (661-680), l’écho d’une intervention officielle visant à mettre fin aux
dissensions. Vers la fin de ce même siècle ou au début du VIIIe siècle, une recension à peu près
constituée, mais non encore totalement stabilisée, fut imposée par ‘Abd el malik (685-705),
Calife omeyyade de Damas, à partir des écrits mis au point à Médine, dit-on. Ceux-ci,
cependant, auraient été revus, corrigés, et sans doute augmentés, sous le contrôle de Hajjâj b.
Yûsuf, le gouverneur le plus important de l’empire. C’est sans doute cette recension encore
instable que connurent les premiers polémistes chrétiens discutant certains textes du Coran.
Vers la fin du VIIIe siècle, al-Mahdî, le troisième calife abbasside (775-785) intervint encore en
envoyant à Médine un codex coranique qui fut substitué à celui de Hajjâj. Le travail et le débat
sur les textes s’achevèrent dans la première moitié du Xe siècle, par la sélection des variantes de
lecture qui seraient désormais les seules autorisées dans l’enseignement et les pratiques
cultuelles, pour un Coran au texte officiel et définitivement clos ».
On comprend à partir de là que la représentation qu’ont nos élèves d’un livre absolument
monolithique et intemporel est simpliste…et qu’elle est elle-même le fruit d’une histoire, celle
de la constitution d’une orthodoxie dont un des piliers devait être la référence à un texte unique
transmis.
La mention de l’histoire de la réception et de la constitution d’un Coran « définitif » suppose
évidemment de recourir à une connaissance du contexte historique que nos élèves n’ont pas
toujours. Mais elle est utile au moins pour éclairer le caractère hétérogène d’un texte qui est un
« recueil » de révélations. Et il peut être assez facile de faire admettre à qui accorde au texte