Journal Identification = IPE Article Identification = 1059 Date: May 3, 2013 Time: 12:26 pm
Les «soins hors diagnostic »: de l’accueil aux soins étape par étape
travail est très structuré et codifié. L’entretien d’accueil y
est toujours un accueil d’équipe (au moins deux interve-
nants, jamais un seul et jamais de psychiatre à l’entretien
d’accueil). L’implication de l’entourage y est systématique-
ment encouragée. L’intervention dure environ une à deux
heures au moins. Le travail de crise comprendra en outre
un travail de reprise par toute l’équipe comprenant le psy-
chiatre. Ce débriefing immédiat de la situation se conclut
par une proposition d’orientation et une réponse toujours
explicitée. Il s’agit soit d’une orientation sur une autre
structure médicale, psychiatrique ou sociale, individuelle
ou institutionnelle. Il peut encore s’agir d’une intervention
unique ayant valeur de consultation de recadrage, ou de
solution immédiate, soit enfin d’un travail qui se poursuivra
in-situ, pas plus de six à huit semaines. Un retour systéma-
tique est fait en direction de ceux qui ont initié la demande.
La finalité du CAC est de proposer une modalité d’abord
de la détresse psychique, de souffrance ou de décompen-
sation inaugurale ou processuelle permettant d’aborder la
psychiatrie avant l’entrée en soin pour mieux cerner, limiter
et éviter les effets iatrogènes et de dépendance trop immé-
diats dans l’abord thérapeutique proposé habituellement.
L’alliance thérapeutique et la compliance de la personne
intéressée, de l’entourage et de l’équipe en sont considéra-
blement améliorés.
Il est essentiel de revenir sur le fait qu’il s’agit
d’un travail d’équipe réunissant psychiatre, travailleurs
sociaux et infirmiers. Les premiers entretiens n’impliquent
jamais la présence du psychiatre. Celui-ci est, immé-
diatement après, impliqué dans le travail d’échange, de
partage et d’interaction intersubjective que mène l’équipe.
L’intersubjectivité est ici travaillée par la transversalité de
la démarche de contact, de compréhension empathique, de
vécu et d’élaboration de la subjectivité de chaque soignant.
L’analyse du vécu relationnel, subjectif, de la qualité de
l’angoisse vécue par chaque participant constitue l’essentiel
du travail, sans élaboration de diagnostic nosologique, mais
dans une perspective d’aide et d’accompagnement d’un
moment de difficulté psychique parfois dramatique.
On retrouve ici l’importance du travail de dé-
hiérarchisation statutaire, telle que l’a formulée Pierre
Delion, et de re-hiérarchisation subjectale de chaque soi-
gnant qui trouve dans le travail de l’équipe la possibilité de
l’émergence de sa position de sujet soignant, élaborant et
échangeant collectivement à travers le travail collectif de
l’équipe. La position du médecin et son savoir, pour indis-
pensable que soit leur présence, ne signifient nullement une
prévalence, en particulier d’élaboration et de décision dans
ce travail d’accueil.
Ces positions ne sont tenables que dans un travail de
petites équipes. Comme l’écrit Hélène Chaigneau [20]
(Paroles p.40:«Lastabilité, les dimensions relativement
modestes des équipes appliquant ce mode de travail donnent
prise à un repérage de la hiérarchie en tant qu’instrument
de rigidité et de contre-pouvoir thérapeutique »).
La « dé-hiérarchisation des relations des soignants, entre
eux et avec les patients, apparaît comme une condition fon-
damentale de la qualité thérapeutique d’un organisme de
soin ».
L’entrée en soins dans de telles modalités de travail,
pourrait ne pas être évidente, bien qu’à notre sens, ce travail
de psychiatrie et de soin de secteur soit parti prenante à
part entière à un début de soin. Pour autant, il est certain
qu’il n’est pas posé de diagnostic au sens strict et médical,
signifiant traditionnel, majeur et pour nous fondamental de
la place du médecin, surtout psychiatre dans la médecine,
c’est-à-dire la signification de la morbidité, et donc du soin.
La psychiatrie de secteur est un déploiement majeur de la
médecine psychiatrique dans notre société.
Dans le travail d’accueil, il n’est pas demandé que le
psychiatre pose un diagnostic, mais que par sa présence il
garantisse que le soin d’accueil se déroule dans le champ
médical, avec la compétence de celui qui par ailleurs a qua-
lité pour poser un diagnostic médical, c’est-à-dire, décrire,
identifier le trouble pathologique pour le distinguer des
autres espèces et éventuellement l’inclure dans une taxi-
nomie.
L’équipe dans sa démarche pratique un soin sans dia-
gnostic, mais elle prend des décisions dans une démarche
soignante. Tout au plus pourrait-on parler de diagnostic
de situation, mais non de diagnostic à visée nosologique
ni psychopathologique. Dans une équipe de secteur prati-
quant l’accueil, c’est dans le temps du passage de relais
du soin que pourra se poser l’opportunité de la discussion
diagnostique. Cette démarche, rigoureuse et très atten-
tive, en s’effectuant « hors diagnostic » est une démarche
à forte intentionnalité soignante, très exigeante dans la
connaissance des problématiques humaines abordées et
dans l’engagement personnel et collectif de ceux qui la
pratiquent. C’est sans doute là qu’il faudrait éventuelle-
ment repérer l’essentiel des résistances à cette pratique de
désenclavement, d’ouverture et de prévention.
Conclusion
Lorsque nous rapprochons ces deux témoignages de
l’expérience relatée par Allen Francès et l’expérience
hollandaise, nous pouvons faire un certain nombre de
remarques : nous pourrions désigner le soin du « travail
d’Accueil et de Crise » sous le terme « d’une séquence de
soin de psychiatrie générale », hors diagnostic, précédant
souvent mais pas nécessairement une séquence de soins
plus spécialisés, lesquels eux nécessitent un diagnostic plus
approfondi à la fois de personnalité, de syndrome actuel et
d’évaluation de l’environnement humain.
Tout cela justifie donc que l’on approfondisse la notion
de diagnostic, qu’on puisse l’entendre comme « un pro-
cessus » se déroulant dans le temps, justifiant d’être inclus
dans un échange thérapeutique pour que, confiance aidant,
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦4 - AVRIL 2013 331
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