Les « soins hors diagnostic » : de l`accueil aux soins étape par étape

Journal Identification = IPE Article Identification = 1059 Date: May 3, 2013 Time: 12:26 pm
L’Information psychiatrique 2013 ; 89 : 327–32
QUESTION OUVERTE
Les «soins hors diagnostic »: de l’accueil
aux soins étape par étape
Guy Baillon 1, Patrick Chaltiel 2, Dimitri Karavokyros 1
RÉSUMÉ
À partir d’un article d’Allen Francès, « chief director » du DSM IV dénonc¸ant l’inflation diagnostique créée par cette
classification des maladies mentales et proposant son évitement par l’instauration de soins hors diagnostic, les auteurs
montrent la convergence de cette proposition avec le concept de « travail d’accueil et de crise ». Au travers de la relation de
deux expériences de ce travail initié en France dès 1980, les auteurs montrent qu’il se déroule en effet « hors diagnostic »
dans le souci de permettre au patient de dépasser la méconnaissance de ses troubles en créant au préalable à tout diagnostic
précis, un lien thérapeutique bâti sur la confiance et le transfert grâce à des soignants référents lors d’une série d’entretiens
intensifs avant toute hospitalisation. Si Allen Francès voit dans le soin hors diagnostic une diminution des coûts, les auteurs
franc¸ais insistent sur l’importance de la place de sujet ainsi restaurée dès le début des soins.
Mots clés : diagnostic médical, psychiatrie, nosologie, DSM, étude critique, urgence psychiatrique, centre de crise,
sectorisation psychiatrique, accueil, travail en équipe
ABSTRACT
“Non-diagnostic care”: a step by step approach. Based on an article by Allen Francès, “Chief Director” of the DSM IV,
regarding the diagnostic inflation due to its classification of mental illness and the subsequent avoidance of diagnosis by
proposing the use of care alone without prior diagnosis, authors of this article show the convergence of this proposal by
introducing the concept of the “work of reception and crisis”. Through the relationship of two experiments of this study
initiated in France in 1980, the authors show what in fact takes place in “ non-diagnosis care”, in order to permit the patient
to overcome the difficulties in understanding their disorder. This is done by initially creating a therapeutic relationship
built on trust and transfer with their respective caregivers, before any definite diagnosis is made, during a series of intensive
interviews before hospitalization. If Allen Francès sees a care cost-reduction in this non-diagnostic approach, French
authors in contrast emphasize the importance of the role of the individual as a focal point at the beginning of care.
Key words: medical diagnosis, psychiatric nosology, DSM, critical study, psychiatric emergency, crisis center, psychiatric
sectorization, reception, teamwork
1Psychiatres des hôpitaux
2Psychiatre des hôpitaux et chef de secteur de Bondy et Pavillon-sous-Bois
Tirés à part : G. Baillon
doi:10.1684/ipe.2013.1059
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N4 - AVRIL 2013 327
Pour citer cet article : Baillon G, Chaltiel P, Karavokyros D. Les « soins hors diagnostic»:del’accueil aux soins étape par étape. L’Information psychiatrique 2013 ; 89 :
327-32 doi:10.1684/ipe.2013.1059
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G. Baillon, et al.
RESUMEN
La «atención fuera del diagnóstico »: de la acogida al cuidado etapa tras etapa. Partiendo de un artículo de Allen
Francès, ‘chief director’ del DSM IV que pone en evidencia la inflación diagnóstica creada por esta clasificación de
las enfermedades mentales y propone evitarla instaurando una atención fuera del diagnóstico, los autores se˜
nalan la
convergencia de esta propuesta con el concepto de ‘trabajo de acogida y crisis’. Mediante el reporte de dos experiencias de
este trabajo iniciado Francia desde 1980 los autores muestran que se desenvuelve en efecto ‘fuera del diagnóstico’ con la
preocupación de permitir que el paciente supere el desconocimiento de sus trastornos creando previamente al diagnóstico
preciso un vínculo terapéutico fundado en la confianza y la transferencia gracias a un personal sanitario referente durante
una serie de entrevistas intensivas antes de cualquier hospitalización. Si bien Allen Francès ve en el cuidado fuera del
diagnóstico una disminución de los costos, los autores franceses insisten en la importancia del lugar del sujeto restaurado
con ello desde el principio de la atención.
Palabras claves : diagnóstico médico, psiquiatría, nosolología, DSM, estudio crítico, urgencia psiquiátrica, centro de
crisis, sectorización psiquiátrica, acogida, trabajo en equipo
Nous avons été ravis et soulagés d’apprendre par notre
ami Michel Minard [1] et l’interview d’Allen Francès [2]
que le DSM IV est vivement critiqué aux États-Unis, en
particulier par celui-ci, qui en avait été « chief director ».
Michel Minard a rassemblé une bibliographie considéra-
ble démontrant que cette critique existe en fait depuis des
années. Allen Francès met surtout en évidence le danger de
la version V de 2013 et souligne l’inflation actuelle consi-
dérable des diagnostics psychiatriques qui va augmenter de
fac¸on vertigineuse avec cette version et sa conséquence, une
dépense illimitée.
Nous ne reprenons pas ici les autres critiques à por-
ter aux DSM IV et V. Rappelons que la France critique
cette classification des maladies mentales depuis long-
temps (T. Trémine 1986, E. Zarifian 1993, Misès qui a su
lui opposer une classification adaptée aux enfants et aux
adolescents, puis Corcos et d’autres), alors que les univer-
sitaires franc¸ais se sont montrés totalement soumis jusqu’à
ce jour à cette oukase internationale.
Parmi les autres articles d’Allen Francès, notre attention
a été vivement attirée par un article, souligné par Franc¸ois
Gonon, où Allen Francès montre que l’on peut limiter
la catastrophe du DSM, en effet, il relate une expérience
hollandaise où une partie de la pratique psychiatrique se
déroule « hors diagnostic », ce qui ne paraissait pas pos-
sible avant, tout en ayant l’intérêt considérable de diminuer
son coût [3].
Le récit de cette expérience nous a aussitôt intéressés, car
elle reproduit de très près une démarche initiée en France
dans les années 1980 avec les unités d’Accueil-Crise1.
Il nous a semblé pertinent de décrire les origines de ce
travail2, son évolution qui le rapproche des « soins hors
1Le premier Centre d’accueil a été créé par Ginette Amado ancien médecin
directeur à La Queue-en-Brie en 1978. Nous avons créé celui de Bondy en
1982 à la demande des patients ; au point d’en faire reconnaître l’intérêt
par J.-F. Bauduret chef du Bureau de la psychiatrie au ministère, lequel l’a
intégré sous plusieurs formes dans l’arrêté du 15 mars 1986 ; bon nombre
d’autres collègues ensuite, parmi eux Dimitri Karavokyros en 1999.
2Précisons : un travail d’accueil-crise se veut répondre non seulement au
premier trouble psychique dit « urgent » d’un patient, mais aussi à tout
diagnostic » présentés dans cet article. Le témoignage de
l’équipe de Bondy sera suivi de celui de l’équipe de Dimitri
Karavokyros à Gap.
Cela a pour nous l’intérêt de nourrir le débat autour de la
démarche diagnostique en psychiatrie, en particulier en psy-
chiatrie de secteur. Ne pouvons-nous trouver là l’occasion
de défendre et faire renaître « le secteur », en insistant sur
l’importance pour tout trouble psychique de la fac¸on dont
une équipe engage un soin et ainsi prépare ou relance sa
continuité ?
L’expérience de Bondy
Dès sa création en 1971, l’équipe du secteur 14 du
93, cherche à améliorer et rendre plus humains les trois
pavillons asilaires qui lui ont été attribués à l’hôpital de
Ville-Évrard tout en commenc¸ant à donner ses soins en
ville, au CMP et en étant consultants au nouvel hôpital
général (1976) de l’AP Jean-Verdier à Bondy. En 1979, une
rencontre avec les CEMEA lui permet de tenir une petite
réunion publique en ville, occasion de savoir comment était
appréciée cette amélioration des conditions de soins que
nous pensions considérable. La réponse a été cinglante et
claire : les habitants savaient tout cela, mais tenaient à nous
dire qu’ils refuseraient tout soin dans l’ancien « asile »,
comme tout soin « déplacé » à l’hôpital général. « Tant que
tous vos soins ne seront pas disponibles “en ville” 24/24 h,
vous ne serez pas crédibles à nos yeux ». C’était clair, précis.
Évident ! Le message fut rec¸u [4].
Le 15 octobre 1982, dans quatre pièces d’un dispen-
saire trop grand nous ouvrons à Bondy un Centre d’accueil
24 heures sur 24 sans lit avec dix infirmiers et une psychiatre
assistante, après avoir pris la précaution « autoritaire »
d’inviter tous les médecins et psychiatres environnants
d’adresser à l’Accueil toute prescription d’hospitalisation
nouveau trouble intense chez un ancien patient, et survenant soit après
une « rupture de soin », soit lors de la reprise d’un processus pathologique
antérieur (préféré à rechute).
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Les «soins hors diagnostic »: de l’accueil aux soins étape par étape
directe, en la traduisant en demande de « soins intensifs »
au lieu de demander d’hospitaliser. Résultat immédiat se
confirmant en six mois : diminution d’un tiers du nombre
des hospitalisations, les autres voyaient leur durée diminuée
d’un tiers. Cela s’est pérennisé, puisque dix ans plus tard,
conformément à la demande des habitants de relocaliser
notre hospitalisation en ville, nous avons pensé que 20 lits
suffiraient pour notre secteur. Ce qui fut fait à Bondy en
2000, hors hôpital dans un espace neuf pour deux secteurs3.
Lors de l’ouverture du Centre d’accueil en 1982, le soin
se limitait à recevoir sans rendez-vous ni délais tous les
malades présentant une souffrance psychique aiguë, qu’ils
soient adressés ou venant d’eux-mêmes. Rec¸us en entretien
plusieurs fois de suite pendant deux à 15 jours par deux infir-
miers, ceux-ci avec leur carnet de rendez-vous, proposaient
les rencontres paraissant nécessaires, le psychiatre débordé
ne pouvait tous les voir, ce sont les infirmiers qui tout en
étant supervisés, installaient un soin psychothérapique en
continuité, n’utilisant que peu ou pas de médicaments.
L’équipe constate d’abord que les troubles psychiques
n’étant pas figés, car initiaux, évoluent vite et de fac¸on
plus variée qu’elle avait l’habitude de le voir en hospita-
lisation ; elle constate ensuite que de nombreux troubles
pourtant impressionnants se désamorcent rapidement ; de
plus, l’entourage écouté enfin avec attention se montre
capable d’apporter un soutien concret, immédiat et effi-
cace ; les entretiens au lieu de chercher à préciser un
diagnostic précis montraient que la plupart des patients
témoignaient d’une « perte » comme élément déclenchant,
et l’opportunité d’en parler (une rupture, un décès, un
emploi, un idéal, un projet, un amour) suffisait souvent pour
ramener le calme ; un trouble persistant accompagnait plu-
tôt des troubles psychiques plus profonds et justifiait un
soin plus complexe, décidé alors : hospitalisation complète,
partielle, ou CMP.
Au total, les soignants étaient très satisfaits de ce résultat,
mais épuisés au bout de trois ans, car les mêmes soignants
s’organisaient au détriment de leur temps personnel pour
revoir les mêmes patients et ne savaient comment arrêter ce
soin [5].
En 1985, nous avons la chance lors d’un séminaire du
XIIIeà Paris de rencontrer A. Andréoli et sa collaboratrice
F. Quartier, de Genève que René Diatkine avait invités [6]
pour présenter leur Centre de thérapie brève (CTB) et son
« travail de crise ». Nous avons compris aussitôt qu’ils nous
apportaient les éléments nécessaires pour structurer notre
travail d’accueil, en lui donnant les bases théoriques dont
nous avions besoin.
Ils proposaient un travail de crise de deux mois mené par
les deux mêmes infirmiers supervisés. Nous avons traduit
leur travail ainsi [7] : aux situations dites « d’urgences »
3Avec le Secteur 11 de Jacques Chazaud, repris par Daniel Zagury. Local
lumineux ouvert sur la ville, architecte brillante : Emmanuelle Colboc.
qui nous étaient adressées sous divers aspects nous allions
apporter une réponse immédiate et la même pour tous, dif-
férente de celle employée en médecine, nous allions nous
servir de l’énergie (la tension) de l’urgence pour créer « un
lien thérapeutique » au lieu de chercher à effacer la souf-
france. La confiance ainsi créée permettait au patient de
mener avec nous une élaboration psychique rassemblant
tout ce qui entourait cette souffrance, grâce à une série
d’entretiens avec les mêmes soignants : ainsi était prise
en compte la force du transfert supervisé par le médecin,
celui-ci intervenait aussi lorsque la souffrance exprimée
était intense ou complexe, transfert associé aux propositions
des thérapies brèves se focalisant sur un objectif précis,
ici c’était mettre des mots sur la souffrance actuelle ; en
effet pour un grand nombre de patients une « interaction de
crise » impliquant l’entourage suffisait en quelques jours
ou une semaine à apaiser les troubles ; pour d’autres se jus-
tifiait en plus un travail « d’intervention de crise », limité à
un ou deux mois, son terme étant annoncé d’emblée.
Chaque série d’entretiens se terminait autour d’une
négociation de soins rendue possible par le fait que le patient
dépassait la méconnaissance de ses troubles, commenc¸ait à
mettre des mots sur ses souffrances (avant toute évocation
de diagnostic), quittant sa passivité pour devenir actif et
capable d’envisager l’utilité d’un soin à la décision duquel
il participait.
Ce travail se déroulait grâce aux entretiens successifs
et aux interactions avec divers membres de l’entourage,
en n’ayant recours que de fac¸on limitée et modeste aux
traitements chimiques. Le résultat de ce travail d’accueil
et de crise a été remarquable. Il a satisfait l’équipe tout
en nécessitant une formation permanente régulière pour en
intégrer le fonctionnement et l’évaluer. En même temps
nous avons remarqué, comme Andréoli et Florence Quar-
tier l’avaient noté, que les réponses variaient avec la gravité
des troubles sous-jacents : les soins aux durées courtes
étaient en lien avec des troubles légers ou passagers, les
troubles psychiques graves résistaient plus et nécessitaient
un soin plus complexe et plus long. Entre les deux tous les
intermédiaires.
Ce que nous avons compris était la nécessité de travailler
la fac¸on dont cet échange pouvait donner suite à un autre
soin (l’indication restait souvent sans suite). Nous avons
insisté sur la notion de « passage » [8] (c’est en réalité un
souci commun à toute la pratique de secteur) : nous avons
compris que le « passage » d’un travail d’accueil ou de
crise à un autre soin était possible lorsque nous mettions en
place à son terme un entretien où en présence du patient
un soignant du Centre d’accueil présentait son travail à
un soignant du soin suivant, le patient intervient toujours
et, de ce fait, déplace ses investissements du soignant de
l’ancienne équipe de soin vers celui de la nouvelle, dès
lors le soin suivant s’amorcera solidement, sans être bloqué
par le deuil du précédent. Nous avons décrit ailleurs [9] ce
concept de travail d’accueil et de crise, et pourquoi après
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G. Baillon, et al.
s’être multipliés ces centres ont diminué [10] : le ministère
craignant que ce soit une occasion pour que l’équipe de sec-
teur demande des moyens supplémentaires, alors que nous
avions montré que son personnel existait si parallèlement
un pavillon hospitalier était fermé (pour les équipes ayant
rec¸u en dot trois pavillons), mais ilyaeuuneautre raison
d’échouer : peu d’équipes se sont souciées de soutenir ce
travail d’un appui théorique, et de celui du chef de secteur,
appui nécessaire pour les ruptures de soin attribuées à des
conflits institutionnels et rec¸ues au Centre d’accueil, si elles
ne sont pas médiatisées par l’implication du médecin-chef
elles peuvent faire imploser l’équipe de secteur.
Plusieurs centres d’accueil ont survécu en raison du plai-
sir pris par les soignants devant l’efficacité de ce soin et son
ampleur. Ainsi celle de Bondy où Patrick Chaltiel a pris la
suite de Guy Baillon en apportant sa compétence de thé-
rapeute familial. Ouvert depuis 30 ans et au début situé
dans un CMP, puis lors de la relocalisation en ville des lits
en 2000 l’Accueil placé à l’entrée de cet espace, facilitant
ainsi les liens avec les habitants et permettant d’imaginer
que le travail de crise puisse se réaliser non seulement au
début des troubles, mais aussi au terme d’une hospitalisa-
tion pour faciliter le retour du patient dans son espace de
vie dit « persécuteur ».
Pendant 30 ans, ce Centre d’accueil et de crise a joué un
rôle central dans l’évolution et la stabilité de l’équipe du
secteur 14 ; équipe travaillant dans l’esprit de la psychothé-
rapie institutionnelle et sa filiation avec Hélène Chaigneau
[11] et Pierre Delion [12], avec le souci de le développer
en lien avec l’hôpital général [13] 4(l’Accueil intervient à
ses urgences aussi et l’équipe dans ses services) et avec la
psychiatrie infanto-juvénile (qui a toujours constitué à nos
yeux la pratique la plus élaborée du travail de secteur).
Au total, ce travail que nous avions appelé au début
« un travail de prévention » est bien un « soin psychique »,
constitué essentiellement d’entretiens successifs, intenses,
menés par les mêmes soignants pendant une durée de deux à
60 jours, avec très peu de médicaments, au Centre d’accueil
comme aux urgences de l’hôpital général [14, 15] ; sans se
préoccuper du diagnostic, il joue un rôle très structurant lors
du début d’un trouble psychique grave et lors de la reprise
du processus pathologique à diverses étapes de son évolu-
tion. De plus, il est beaucoup moins onéreux qu’un temps
d’hospitalisation, beaucoup moins lourd qu’une hospitali-
sation courte en centre dit d’urgence, enfin il raccourcit la
durée habituelle de l’ensemble des soins. Surtout au lieu
d’être agressif auprès d’un patient mis en situation de pas-
sivité, il est mieux toléré et permet au patient de prendre sa
part active dans le soin, d’être acteur de son traitement.
4En 1988 avec plusieurs équipes ayant créé un centre d’Accueil nous
avions créé « L’Association Accueils » qui a tenu un colloque national
annuel pendant dix ans, souvent en collaboration avec une autre associa-
tion : avec l’AFERUP, puis la SOFOR, la SEREP, les CEMEA.
L’équipe de l’Accueil de Bondy et Patrick Chaltiel, le
responsable du secteur 14, ont à nouveau rencontré en
janvier 2013 Florence Quartier [16] pour superviser son
évolution. Son livre Psychiatrie mode d’emploi éclaire cette
démarche mais va bien au-delà, intégrant passé et moder-
nité, il renouvelle fondamentalement et avec bonheur la
pratique de la psychiatrie.
Témoignage de l’équipe
du Centre d’accueil de Gap,
1999-2004 Dr Dimitri Karavokyros
À la même époque, et dans la suite de ce travail, l’équipe
du secteur de Gap s’engageait dans une démarche de ce
type. La fin des années 1980 et les années 1990 virent
les travaux sur l’urgence puis sur l’accueil au premier
plan dans les avancées théoriques et pratiques de quelques
équipes de secteur. Le cadre de notre travail (rappelé dans
le volume 17 de l’année 1996 de l’IP sur les urgences psy-
chiatriques) [17] a permis de prolonger la réflexion et la
pratique en s’impliquant dans le travail d’accueil et de crise,
à la suite des travaux de Baillon, Andréoli, Quartier-Frings,
De Clercq [18, 19].
Notre souci était de mettre en place et de théoriser le
travail de l’accessibilité aux soins psychiatriques (thème
à l’ordre du jour au milieu des années 1990) et de leurs
modalités d’accueil. Parallèlement, le travail en réseau, en
particulier à l’hôpital général, aux urgences et dans le réseau
médicosocial, était un paramètre fort de toute avancée.
Cette pratique amena à beaucoup travailler la disponi-
bilité du travail en équipe et l’évaluation de son travail,
tout particulièrement concernant la réflexion sur les nou-
velles expressions de la pathologie psychiatrique surtout
concernant la caractéristique diagnostique de ces troubles.
Le Centre d’accueil et de consultation « le Relais » est
ouvert en avril 1999. Au cœur de la cité, il privilégie les pre-
miers contacts avec la psychiatrie et se veut une nouvelle
approche du travail en réseau avec les usagers, les malades,
les médecins généralistes, les familles et tout l’entourage
social et institutionnel. L’équipe qui l’anime intervient éga-
lement au Centre de santé mentale, et à l’hôpital général,
en particulier aux urgences.
L’équipe, effectivement présente tous les jours de 13 h
à 18 h, est composée d’un psychiatre, deux infirmiers et
un travailleur social qui interviennent ensemble, en équipe,
tous les jours, sauf le week-end. L’accueil se fait sans
rendez-vous après contact téléphonique. Il répond à toute
demande provenant non seulement d’un particulier, mais de
son environnement familial, médical ou social. De même,
les services de l’hôpital général et particulièrement les
urgences y ont recours, ainsi que le CMP de Gap.
Le travail d’accueil s’inspire des techniques du travail
d’accueil et de crise tels qu’ils ont été théorisés par Guy
Baillon dans son livre « Les urgences de la Folie ». Ce
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Les «soins hors diagnostic »: de l’accueil aux soins étape par étape
travail est très structuré et codifié. L’entretien d’accueil y
est toujours un accueil d’équipe (au moins deux interve-
nants, jamais un seul et jamais de psychiatre à l’entretien
d’accueil). L’implication de l’entourage y est systématique-
ment encouragée. L’intervention dure environ une à deux
heures au moins. Le travail de crise comprendra en outre
un travail de reprise par toute l’équipe comprenant le psy-
chiatre. Ce débriefing immédiat de la situation se conclut
par une proposition d’orientation et une réponse toujours
explicitée. Il s’agit soit d’une orientation sur une autre
structure médicale, psychiatrique ou sociale, individuelle
ou institutionnelle. Il peut encore s’agir d’une intervention
unique ayant valeur de consultation de recadrage, ou de
solution immédiate, soit enfin d’un travail qui se poursuivra
in-situ, pas plus de six à huit semaines. Un retour systéma-
tique est fait en direction de ceux qui ont initié la demande.
La finalité du CAC est de proposer une modalité d’abord
de la détresse psychique, de souffrance ou de décompen-
sation inaugurale ou processuelle permettant d’aborder la
psychiatrie avant l’entrée en soin pour mieux cerner, limiter
et éviter les effets iatrogènes et de dépendance trop immé-
diats dans l’abord thérapeutique proposé habituellement.
L’alliance thérapeutique et la compliance de la personne
intéressée, de l’entourage et de l’équipe en sont considéra-
blement améliorés.
Il est essentiel de revenir sur le fait qu’il s’agit
d’un travail d’équipe réunissant psychiatre, travailleurs
sociaux et infirmiers. Les premiers entretiens n’impliquent
jamais la présence du psychiatre. Celui-ci est, immé-
diatement après, impliqué dans le travail d’échange, de
partage et d’interaction intersubjective que mène l’équipe.
L’intersubjectivité est ici travaillée par la transversalité de
la démarche de contact, de compréhension empathique, de
vécu et d’élaboration de la subjectivité de chaque soignant.
L’analyse du vécu relationnel, subjectif, de la qualité de
l’angoisse vécue par chaque participant constitue l’essentiel
du travail, sans élaboration de diagnostic nosologique, mais
dans une perspective d’aide et d’accompagnement d’un
moment de difficulté psychique parfois dramatique.
On retrouve ici l’importance du travail de dé-
hiérarchisation statutaire, telle que l’a formulée Pierre
Delion, et de re-hiérarchisation subjectale de chaque soi-
gnant qui trouve dans le travail de l’équipe la possibilité de
l’émergence de sa position de sujet soignant, élaborant et
échangeant collectivement à travers le travail collectif de
l’équipe. La position du médecin et son savoir, pour indis-
pensable que soit leur présence, ne signifient nullement une
prévalence, en particulier d’élaboration et de décision dans
ce travail d’accueil.
Ces positions ne sont tenables que dans un travail de
petites équipes. Comme l’écrit Hélène Chaigneau [20]
(Paroles p.40:«Lastabilité, les dimensions relativement
modestes des équipes appliquant ce mode de travail donnent
prise à un repérage de la hiérarchie en tant qu’instrument
de rigidité et de contre-pouvoir thérapeutique »).
La « dé-hiérarchisation des relations des soignants, entre
eux et avec les patients, apparaît comme une condition fon-
damentale de la qualité thérapeutique d’un organisme de
soin ».
L’entrée en soins dans de telles modalités de travail,
pourrait ne pas être évidente, bien qu’à notre sens, ce travail
de psychiatrie et de soin de secteur soit parti prenante à
part entière à un début de soin. Pour autant, il est certain
qu’il n’est pas posé de diagnostic au sens strict et médical,
signifiant traditionnel, majeur et pour nous fondamental de
la place du médecin, surtout psychiatre dans la médecine,
c’est-à-dire la signification de la morbidité, et donc du soin.
La psychiatrie de secteur est un déploiement majeur de la
médecine psychiatrique dans notre société.
Dans le travail d’accueil, il n’est pas demandé que le
psychiatre pose un diagnostic, mais que par sa présence il
garantisse que le soin d’accueil se déroule dans le champ
médical, avec la compétence de celui qui par ailleurs a qua-
lité pour poser un diagnostic médical, c’est-à-dire, décrire,
identifier le trouble pathologique pour le distinguer des
autres espèces et éventuellement l’inclure dans une taxi-
nomie.
L’équipe dans sa démarche pratique un soin sans dia-
gnostic, mais elle prend des décisions dans une démarche
soignante. Tout au plus pourrait-on parler de diagnostic
de situation, mais non de diagnostic à visée nosologique
ni psychopathologique. Dans une équipe de secteur prati-
quant l’accueil, c’est dans le temps du passage de relais
du soin que pourra se poser l’opportunité de la discussion
diagnostique. Cette démarche, rigoureuse et très atten-
tive, en s’effectuant « hors diagnostic » est une démarche
à forte intentionnalité soignante, très exigeante dans la
connaissance des problématiques humaines abordées et
dans l’engagement personnel et collectif de ceux qui la
pratiquent. C’est sans doute là qu’il faudrait éventuelle-
ment repérer l’essentiel des résistances à cette pratique de
désenclavement, d’ouverture et de prévention.
Conclusion
Lorsque nous rapprochons ces deux témoignages de
l’expérience relatée par Allen Francès et l’expérience
hollandaise, nous pouvons faire un certain nombre de
remarques : nous pourrions désigner le soin du « travail
d’Accueil et de Crise » sous le terme « d’une séquence de
soin de psychiatrie générale », hors diagnostic, précédant
souvent mais pas nécessairement une séquence de soins
plus spécialisés, lesquels eux nécessitent un diagnostic plus
approfondi à la fois de personnalité, de syndrome actuel et
d’évaluation de l’environnement humain.
Tout cela justifie donc que l’on approfondisse la notion
de diagnostic, qu’on puisse l’entendre comme « un pro-
cessus » se déroulant dans le temps, justifiant d’être inclus
dans un échange thérapeutique pour que, confiance aidant,
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