Pose de la première pierre de l`Institut Français de

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Discours de Monsieur Gérard Collomb
Sénateur-Maire de Lyon
A l’occasion de la pose de la première pierre de
l’Institut Français de Civilisation Musulmane
146, Boulevard Pinel – Lyon 8e
Jeudi 24 Novembre 2016
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1 Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Monsieur le Préfet de la Région Auvergne- Rhône- Alpes, Préfet
du Rhône,
Monsieur l’Ambassadeur d’Arabie Saoudite,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Monsieur le Président de l’Institut Français de Civilisation
musulmane, Recteur de la Grande Mosquée de Lyon, Cher Kamel
Kabtane,
Mesdames et Messieurs les membres du corps consulaire de
Lyon,
Monsieur le Général de Corps d’Armée, Gouverneur Militaire de
Lyon,
Mesdames et Messieurs les élus,
Messieurs les membres des Autorités Judiciaires,
Monsieur le représentant du Président du Conseil National
Economique et Social d’Algérie,
Messieurs les Président et Vice-Président du Conseil Régional
du Culte Musulman,
Monsieur le Président de l’Université de Lyon,
Messieurs les représentants des Présidents d’Université,
Monsieur le Représentant
d’Auvergne-Rhône-Alpes,
de
la
Rectrice
de
l’Académie
Messieurs les représentants des Autorités religieuses, et je suis
heureux que tous les cultes soient ici représentés,
Monsieur l’Architecte, Cher Dominique Gautier,
2 Mesdames et Messieurs les Présidents d’Associations,
Mesdames et Messieurs,
C’est un geste important que nous accomplissons aujourd’hui avec la
pose de cette première pierre.
Des premières pierres, vous en avez, Monsieur le Ministre, tout comme
le Préfet et moi-même, posé peut-être des centaines, j’allais dire des
milliers. Toutes sont importantes, parce qu’à chaque fois, quand on crée
un bâtiment, c’est de la vie qu’on apporte à une ville, à un territoire.
Mais évidemment, plus fondamentale est la portée de celle que nous
avons posée il y a quelques instants, pour construire dans les prochains
mois un Institut Français de Civilisation Musulmane.
Parce qu’elle témoigne de votre part, de notre part, de la façon même
dont nous concevons le monde. Parce qu’elle incarne la vision que nous
en avons. Non pas la vision d’un monde monolithique, où chaque
groupe, - chaque peuple, chaque ethnie-, serait inexorablement
condamné à se
replier sur lui-même. Qu’il serait pauvre et gris ce
monde-là ! Mais d’un monde pluriel où chacun puisse non seulement
respecter, mais aussi s’enrichir de la culture de l’autre. Ce qui suppose
d’abord qu’on soit capable de la connaître, de manière à pouvoir ensuite
essayer de mieux la comprendre.
C’est cette conception-là que veut porter, que doit porter l’Institut
Français de Civilisation Musulmane.
3 Oh je vois bien que ce projet peut être fortement combattu, au nom de
ce que d’aucuns présentent comme un élément supplémentaire d’un
envahissement culturel de la France, une tentative de plus pour
dénaturer une civilisation française qui, au cours des millénaires, serait
restée immuable.
Non seulement c’est là un discours qui ne correspond en rien à la réalité,
car l’histoire de la France est infiniment plus complexe. Mais c’est surtout
un discours que l’on a déjà entendu sous d’autres formes dans les
années sombres de l’avant-guerre où des esprits pourtant brillants
finirent par se fourvoyer dans des idées racistes et xénophobes qui ne
pouvaient que les conduire sur le chemin du déshonneur.
Il y a ces attaques-là, et puis il est d’autres attaques, plus sournoises. Et
on nous traite de naïfs. Nous ne verrions pas le lien qui pourrait se tisser
entre l’IFCM et certaines de ces mosquées où peut se répandre un Islam
dévoyé, conduisant quelques esprits faibles à une vraie détestation de la
France, à une adhésion progressive à l’idéologie criminelle que portent
des organisations comme Daesh.
Eh bien nous, nous ne sommes pas dans l’amalgame. Contre les lieux où
se développent de telles thèses qui violent les lois de la République, il
faut réagir avec la plus grande vigueur. Et je sais, Monsieur le Ministre
de l’Intérieur, que c’est ce que vous faites avec les forces de police, de
renseignement, avec le concours ô combien déterminant des juridictions
spécialisées.
4 Mais on ne saurait tout confondre : les actes barbares d’une minorité
d’individus fanatisés qui atteignent d’ailleurs, dans leur chair et dans leur
âme, toutes les populations, quelles que soient leurs origines ou la
religion qu’elles pratiquent, et cette immense majorité des cinq millions
de Musulmans qui, dans notre pays, aspirent à vivre en paix, se sentent
profondément citoyens français et veulent pratiquer leur religion de
manière apaisée.
Et c’est justement pour mieux combattre les ignorances, les préjugés,
tout ce qui peut amener aux pires dérives que nous avons voulu que
prenne forme ici un lieu où les Musulmans comme les non Musulmans
apprendront à connaître l’Islam. A mieux connaître son histoire, les
valeurs qu’il porte, la richesse des civilisations qu’il a fait naître à travers
le monde.
Car ce lieu, nous le voulons comme un lieu de connaissance.
Il doit d’abord permettre de mieux comprendre les origines de l’Islam.
Celui-ci n’a pas surgi de nulle part. Il s’inscrit au contraire dans la
continuité des deux grandes religions monothéistes qui l’avaient précédé
sur les bords de la Méditerranée.
Il est bien sûr évident que nous avons entre nous des racines
communes.
Liens de l’Islam avec le Judaïsme et le Christianisme : c’est l’Archange
Gabriel, par qui tout commence dans la religion musulmane quand, selon
la tradition en 610, il délivre à Mahomet la parole sacrée que le prophète
retranscrira dans le Coran.
5 Lien de l’Islam avec ces deux religions : Abraham, figure centrale du livre
de la Genèse dans l’Ancien testament, est aussi pour les Musulmans un
fondateur, un Hanif, précurseur de cette idée de l’unité de Dieu.
Il y a donc dans l’Islam cette idée que la parole révélée aux différents
prophètes au cours des temps est une.
C’est pourquoi on retrouve dans les trois grandes religions un certain
nombre de valeurs partagées, valeurs de fraternité, de charité, de
dépassement de soi, et cette vision du monde qui affirme l’humilité de
l’homme devant le mystère de la vie.
On ne comprend donc pas l’Islam si l’on n’a pas à l’esprit ce socle
commun des trois grandes religions du Livre.
On ne comprend pas non plus l’Islam si on ne perçoit pas qu’il est aussi
très divers et que les Musulmans, qui représentent un sixième de
l’humanité, ont des manières de pratiquer leur religion, de vivre et de
penser très différentes.
On connaît, bien sûr, comment se produisit, autour de 680, soit un demisiècle après la mort du Prophète, la grande césure entre Sunnites,
Chiites et Kharidjites. On sait ensuite qu’au sein même de ces groupes, il
y eut la formation d’un foisonnement de courants, du Hanafisme au
Chaféisme, en passant par le Hanbalisme et le Malikisme pour les
Sunnites, des Duodécimains aux Septimains et aux Zaïdites pour les
Chiites.
6 Sans oublier le Soufisme, lié à la fois au Chiisme et au Sunnisme et qui a
donné lieu à des théologies d’une immense sophistication, avec des
auteurs comme Al Ghazali, Ibn Arabi au Moyen-Âge ou plus près de
nous, au 19e siècle, l’Emir Abd El Kader, que vous avez cité Cher Kamel
Kabtane, qui est plus connu comme chef de guerre, mais qui fut aussi
sans doute l’un des plus grands mystiques de l’Islam.
Oui, à l’IFCM, il faudra savoir prendre en compte cette diversité de
l’Islam. Il faudra aussi savoir évoquer l’histoire des grandes dynasties qui
le portèrent : Omeyyades de Damas et de Cordoue, Abbassides de
Bagdad, Fatimides du Caire et de Kairouan, Ottomans de Constantinople.
Car si l’Islam est riche, il l’est par la diversité de ses courants de pensée,
la variété des territoires et des cultures qu’il a façonnés : au Proche et au
Moyen-Orient, au Maghreb, dans le Sud de l’Europe, en Afrique de
l’Ouest, dans l’Océan indien, en Asie.
Partout, des peuples se réclament de l’Islam mais ils sont différents dans
leurs pratiques
religieuses, dans leurs modes de vie, dans leurs
traditions vestimentaires.
Nous voulons donc que l’Institut Français de Civilisation Musulmane
puisse montrer toute cette pluralité, souligner la richesse qu’elle
représente.
S’il ne faut parler que du bassin méditerranéen, comment ne pas voir
que les liens ont toujours existé entre l’occident et le monde musulman ?
Comment ne pas voir l’apport de philosophes comme Averroès ou
Avicenne, de sociologues comme Ibn Khaldoun, mais aussi l’apport dans
le domaine des sciences, de l’algèbre, de l’arithmétique, de la
mécanique, de l’astronomie, dans le domaine de la médecine, dans celui
des arts.
7 Oui, l’occident s’est enrichi de la civilisation arabo-musulmane comme la
civilisation arabo-musulmane s’est enrichie de la culture occidentale.
C’est cela que cet Institut enseignera, dès son ouverture au premier
trimestre 2018 : l’idée que l’Islam, loin de se réduire aux régressions
pourtant les plus caricaturales contre lesquelles nous luttons aujourd’hui,
est au contraire une immense culture.
Pour qui pourrait en douter, il suffit de sillonner l’Europe, et l’on verra
que quelques-uns des plus beaux éléments de notre patrimoine
s’inspirent de l’art islamique.
Je pense à certaines églises siciliennes, mais également à quelques-uns
de nos trésors architecturaux français, l’abbaye de Moissac, par exemple,
l'un des ensembles romans les plus remarquables de notre pays ou, plus
encore, près de nous, - et il y a là quelque ironie de l’histoire-, à la
façade polychrome de la cathédrale du Puy-en-Velay.
Au fond, il ne faut pas s’y tromper, appréhender le monde musulman, ce
n’est pas seulement apprendre à mieux connaître une civilisation qui
nous serait étrangère, c’est aussi redécouvrir une part de nous-mêmes ;
Une part de nous mêmes que des siècles d’affrontements, de rivalités,
de ressentiment parfois, ont pu contribuer à occulter, mais qui ne fait
pas moins partie de notre histoire commune.
Au travers de l’Institut Français de Civilisation Musulmane, nous
souhaitons que les jeunes issus de cette culture puissent aussi retrouver
la fierté de ce qu’ils sont.
8 Nous voulons qu’ils comprennent que les vrais héros ne sont pas les
petits chefs de bande ou celles et ceux qui se sont perdus dans la folie
de Daesh, mais bien ceux qui, dans l’histoire, ont permis à la civilisation
musulmane d’être l’une des plus grandes de l’humanité.
C’est cela, Monsieur le Ministre, Monsieur le Préfet, Monsieur le Président
du Conseil Régional du Culte musulman, Monsieur le Recteur de la
Grande Mosquée de Lyon, que nous veillerons à réaliser ensemble. Et
nous le ferons au travers d’une organisation de l’IFCM qui associera,
comme l’a dit Kamel Kabtane, pouvoirs publics, représentants de la
communauté musulmane, mais aussi personnalités qualifiées, où toutes
les grandes décisions seront prises à la majorité des deux tiers. Il n’y
aura donc pas de risques de dérives. Nous prendrons toutes les
garanties pour rassurer les uns et les autres.
Mais j’ai personnellement à cœur, et c’est pour cela que nous
contribuons à la réalisation de l’IFCM, que tous les habitants de la
Métropole de Lyon aient bien le sentiment qu’ils bénéficient de la même
attention de la part des pouvoirs publics.
Hier nous avons aidé la communauté juive à réaliser l’Espace Hillel.
Hier nous avons voulu que se construise l’Espace Culturel du
Christianisme à Lyon.
Aujourd’hui, nous voulons que se réalise cet Institut Français de
Civilisation Musulmane.
9 Car chacun ici doit se sentir partie prenante d’une même Nation, doit
avoir pleinement conscience que les valeurs de la République, celles de
liberté, d’égalité, et de fraternité, ne sont pas que pour les autres.
Le grand historien Renan disait : « La Nation c’est un plébiscite de tous
les jours » Eh bien ce plébiscite là, nous voulons le gagner et c’est en
faisant en sorte que chacun se sente appartenir, - quelles que soient ses
origines, ses convictions religieuses ou philosophiques-, à une même
patrie, que nous pourrons le gagner.
La République est une et indivisible. Par cette réalisation, une fois de
plus, nous allons le montrer.
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