« L`islam et l`opinion. L`organisation de l`islam et les pouvoirs publics »

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Département SLP
Séminaire 2013-2014
« Islam en France, Islam de France ?»
Séance du 3 décembre 2013
Intervenants : Pascal Courtade
Louis-Xavier Thirode
Compte-rendu : Véronique de Waru
« L’islam et l’opinion. L’organisation de l’islam et les pouvoirs publics »
Mots clefs : Islam, perception de l’Islam, laïcité, insertion, interlocuteurs de la religion,
organisation et pouvoirs publics.
Ce séminaire de recherche, intitulé « Islam en France, islam de France ? » dont la dénomination même
suggère, qu’à la différence des autres grandes religions du Livre, l’islam pose, de fait, dans la société française
contemporaine des questions particulières.
A titre personnel, le chef du bureau des cultes du ministère de l’intérieur, Pascal Courtade et son
prédécesseur, Louis-Xavier Thirode, ont bien voulu accepter de faire part au comité de leur expérience sur la
perception de l’islam dans la société française et présenter l’organisation de l’islam dans sa relation avec les
pouvoirs publics.
I.
Une situation complexe et fragile.
A. L’Islam en France, une réalité hétérogène
L’Islam en France est une réalité complexe. Ses sensibilités sont multiples et les interlocuteurs nombreux et
divers. On peut mettre en exergue deux grandes lignes de fracture.
a. Des lignes de fractures culturelles
Les groupes se structurent généralement autour du socle commun de l’origine nationale, qui ne correspond
pas nécessairement à des courants religieux.
b. Des lignes de fracture générationnelles
Une partie des musulmans issus de la deuxième ou troisième génération ne se reconnait pas dans l’Islam
pratiqué par ses pères.
Pour certains, le clivage s’explique principalement par la barrière de la langue : les jeunes musulmans français
ne parlent plus tous la langue de prière utilisée par la génération précédente.
D’autres jeunes sont animés d’une volonté de « retour aux sources » et peuvent aller jusqu’à prôner une
rupture avec la « France laïque » en opposition avec leurs aînés qui avaient accepté cette acculturation de la
religion dans les idéaux républicains.
Pôle de Recherche
Assistante : Chrystel CONOGAN [email protected] – 01.53.10.41.95
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B. Une majorité des musulmans vivent leur religion en France de manière apaisée.
a. une insertion sans difficulté majeure en règle générale.
Même si le nombre de lieux de culte musulman est dans certaines villes insuffisant au regard de la
pratique religieuse pour ce qui est aujourd'hui la deuxième religion en France, il existe désormais plus de 2300
lieux de culte et de nombreuses mosquées sont au stade de la construction ou du projet, sans que cela pose
problème à leur environnement.
Des difficultés existent cependant pour trouver les aumôniers musulmans que la loi de 1905 permet aux
religions d’avoir dans les « lieux fermés » (écoles, hôpitaux, prisons).
La question du voile à l’école a été réglée, dans son principe, par la loi de 2004. Au-delà de l’interdiction de la
dissimulation du visage par la loi de 2010 et des signes religieux pour les agents des administrations et des
services publics, l’acceptation sociale des différentes formes de voiles portés par des femmes musulmanes est
inégale et fait débat.
b. Mais un vrai danger d’extrémisme de la part de certains groupes.
Certains groupes ont clairement une stratégie de radicalisation qui les met en opposition ou en
rupture avec la société française. Les critiques dont ils sont l’objet peuvent susciter de leur part une stratégie
de victimisation. On constate, en conséquence :
- une fragmentation de cette tendance en plusieurs groupes, dont les plus importants sont les salafistes
Ces groupes prônent un rejet des principes fondamentaux de la République et notamment de celui de laïcité.
Ils vivent également en dehors des instances officielles de représentation des musulmans, tel le CFCM, qu’ils
ignorent.
- une réaction de rejet de la part des autres Français qui se sentent agressés par ces comportements
minoritaires mais vite, par amalgame, imputés à l’ensemble des musulmans.
Cet extrémisme sert de prétexte à un extrémisme antimusulman, dont une partie peut aussi viser d’autres
religions.
Face à laquelle des tentatives de réponses sont apportées
A. Les réponses apportées par l’Etat
a. La création du Conseil Français du Culte Musulman
Malgré ces difficultés, il existe sur le plan institutionnel, des relais qui sont la preuve de cette volonté
d’intégrer le culte musulman. La décision la plus importante fut la création du Conseil Français du Culte
Musulman en 2003, après plusieurs tentatives. Fruit d’une réflexion consensuelle des responsables du culte
musulman mais aussi de l’Etat, dans un relatif consensus politique national, le CFCM n’est plus contesté d’être
l’interlocuteur de l’Etat comme il en existe pour les autres grandes religions en France. Il est aujourd’hui
toutefois fragilisé par sa difficulté à rassembler tous les courants religieux mais également par les
interférences très fortes des autorités politiques et religieuses des pays dont sont issus les musulmans de
France.
Ce constat ne doit pas pour autant conduire à minimiser son rôle actuel de porteur de projets ni son intérêt
pour l’avenir. Il ne faut pas oublier que le Consistoire pour les Juifs, la Fédération Protestante de France et
dernièrement le Conseil des Evangéliques de France ont aussi été des institutions difficilement acceptées, au
départ, par leurs propres fidèles.
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b. qui reste conforme au principe républicain de laïcité
La création du CFCM n’est pas une immixtion de l’Etat dans le religieux. Elle a seulement pour objectif d’être
une structure de dialogue.
En complément des différentes structures de dialogue entre l’Etat et les religions, l’Observatoire de la laïcité
veille au respect de la séparation des Eglises et de l’Etat et du principe de laïcité. Cet observatoire joue un rôle
de « garde fou » et alerte les pouvoirs publics sur un certains nombre de comportements incompatibles avec
la laïcité. Il a aussi un rôle pédagogique pour rappeler ce que la laïcité permet et ce qu’elle interdit.
B. L’approche des autres religions
.La Conférence des Responsables des cultes
Cette volonté d’intégration de la religion musulmane est encouragée par les autres religions. Ainsi, à
l’initiative du Cardinal Vingt-Trois, la Conférence des responsables des cultes (CRCF) a été créée après la
deuxième Intifada (2000 – 2005). Cette structure active joue un rôle de liens entre les religions en France pour
examiner les problèmes qu’elles rencontrent ensemble dans la société française et présenter aux pouvoirs
publics des analyses et des propositions communes.
Aujourd’hui, les équilibres juridiques qui existent entre, d’une part, la nécessaire neutralité des
services publics et d’autre part, la liberté de conscience sont délicats. Le réflexe naturel face aux problèmes
posés est de réglementer mais cette voie a ses limites. La liberté de conscience est aussi un principe
constitutionnel garanti, tout comme celui de laïcité.
La laïcité n’est pas la négation du fait religieux et n’interdit en rien aux pouvoirs publics d’avoir des échanges
avec les représentants des cultes. La liberté du culte est un droit qui ne peut être restreint que lorsqu’elle
met en cause l’ordre public. C’est selon cette règle de la loi de 1905 que doivent être traitées les nouvelles
manifestations religieuses. Un travail reste encore à faire notamment dans l’accompagnement de la formation
des cadres religieux de l’islam afin de s’assurer de leur acceptation de l’ordre républicain. C’est un axe de
travail commun aux ministères de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur. C’est un enjeu important car la
France a la plus grande diversité religieuse au monde.
II.
-
Echanges sur le thème de « l’islam et les pouvoirs publics »
Appréhension de la laïcité.
La question est de savoir si, sur les questions d’intérêt social (tels que les pratiques hallal ou la formation des
aumôniers pénitenciers) la laïcité au-delà de son pouvoir de contrainte est un principe permettant de gérer
ces réalités au quotidien.
La laïcité telle qu’elle est appréhendée par le ministère de l’Intérieur est un principe d’organisation des
pouvoirs publics pour que chacun puisse exercer sa liberté de conscience dans les limites du respect de l’ordre
public. C’est également un principe instrumental pour «le mieux vivre ensemble». Il ne faut pas entrer dans
des débats d’ordre normatif ou prescriptif, la liberté est la règle et les limites l’exception.
-
Dialogue islamo chrétien.
Depuis Vatican II, l’église de France s’est efforcée de nouer des contacts avec les musulmans de France, tout
comme avec les israélites et les orthodoxes. Le bureau des cultes apprécie l’existence du dialogue
interreligieux et en connaît les acteurs. Il ne peut cependant être question pour les pouvoirs publics
d’interférer dans ces échanges ; les religions doivent se parler entre elles, sans les pouvoirs publics.
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-
Contacts entre le bureau des cultes et les différentes communautés musulmanes
Dans la mesure où les institutions musulmanes sont sur la place publique, ces contacts se créent très
naturellement tant sur un plan national que par l’intermédiaire des structures régionales. A contrario il existe
des structures musulmanes, souvent des associations de fait (exemple des salafistes) qui ne recherchent
aucun contact avec les pouvoirs publics hormis lorsqu’elles en ont besoin.
-
Comment apprécier la représentativité des interlocuteurs musulmans ?
Il n’appartient pas au bureau des cultes de déterminer qui est représentatif ou non. Il incombe aux instances
qui se disent représentatives de faire la preuve de leur représentativité et de leur influence sur le tissu local.
Actuellement le CFCM reste l’instance représentative privilégiée.
-
Risques de victimisation et d’islamophobie.
Sentiment confus selon lequel certains considèrent que les médias servent la cause des musulmans et
inversement les musulmans se disent victimes des médias et d’un certain nombre de comportements sociaux,
parfois de la part même de l’administration ou de services publics.
Le Bureau des cultes reconnait l’existence de comportements racistes ou discriminatoires mais considère qu’il
faut éviter de tout résumer à un débat religieux alors ces questions masquent souvent des problèmes sociaux
d’intégration et de chômage.
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