Sciences, Arts et Religion en pays d`Islam

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30/08/2012
Sciences, Arts et Religion en pays d’Islam (VIIIème - XVème
siècle).
Par Ahmed Djebbar
Mathématicien, professeur émérite (histoire des mathématiques) à l’Université
des sciences et technologie de Lille.
Il est aussi chercheur en histoire des sciences, spécialisé dans les mathématiques de l’Occident
musulman (Espagne musulmane et Maghreb).
Il a été commissaire scientifique de l’exposition « L’âge d’or des sciences arabes » à l’institut
du monde arabe à Paris en 2005, et auparavant, conseiller du président algérien Mohamed Boudiaf,
puis ministre de l’éducation et de la recherche en Algérie.
Ahmed Djebbar a souvent insisté sur le rôle et la place de l'histoire des sciences dans la
société, en général et dans son système éducatif, en particulier. Il a également fait remarquer que la
connaissance des aspects historiques et épistémologiques des sciences était un atout pour la
compréhension de ces sciences et un outil pour porter un jugement sur leurs orientations. Le
scientifique en tant qu'acteur actif dans sa société, joue mieux son rôle en appréhendant dans leur
globalité les présupposés idéologiques, philosophiques et géopolitiques qui ont constitué les
catalyseurs de l'éclosion des concepts et des théories1.
Sommaire
Sciences, Arts et Religion en pays d’Islam (VIIIème – Xvème siècle). ..................................................................................... 1
I.
Naissance d’une tradition scientifique arabe : .................................................................................................................. 1
A.
Des savoir-faire :..................................................................................................................................................... 2
B.
Le savoir savant : .................................................................................................................................................... 2
C.
Sciences, arts et religion ; quelle cohabitation ?: .................................................................................................... 2
1.
Le Prophète et les sciences : ................................................................................................................................... 2
2.
Que disent les hommes de religion et les sciences ?: .............................................................................................. 3
II.
La science face aux pratiques obligatoires, licites ou recommandées :........................................................................ 3
A.
L’art figuratif et la Bible : ....................................................................................................................................... 5
B.
La constitution d’une tradition :.............................................................................................................................. 6
III.
L’art dans les sciences : ............................................................................................................................................... 7
A.
Les mathématiques dans l’art :................................................................................................................................ 7
B.
L’écriture, outil de décoration :............................................................................................................................... 7
I.
Naissance d’une tradition scientifique arabe :
La civilisation de l’Islam a commencé à la mort du prophète Mahomet en 632 à Médine. De
632 à 751 l’Islam connut une période importante d’expansion en même temps que se posait un
questionnement sur les règles de succession à sa tête.
C’est ainsi que sont conquis par les cavaliers arabes, la Syrie, la Palestine, l’Egypte, la
Mésopotamie, l’Anatolie et la Perse. Puis ce fut le tour de l’Afghanistan, de l’Afrique du Nord, de
l’Asie du Sud et enfin de la Péninsule Ibérique.
A ce moment, le territoire islamique s’étend sur trois continents : l’Europe, l’Asie et l’Afrique,
une sorte de Pax islamica ; il va de Samarkand en Ouzbékistan à Saragosse en Espagne, de Palerme à
Tombouctou. C’est un « Empire Monde ».
1
Source Wikipédia.
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Dans ces territoires, comment va s’organiser la vie quotidienne ? Comment va t-on régler les
problèmes de tous les jours ?
On va d’abord essayer de trouver ensemble des solutions qui tiennent souvent du bon sens et
de l’expérience.
A. Des savoir
savoir--faire :
Ce sont des pratiques transactionnelles, au sens des relations habituelles entre les personnes.
Des problèmes cultuels se posent : les musulmans doivent se tourner vers La Mecque pour prier. Pour
les habitants de la péninsule arabe, ce n’est pas trop difficile de situer la ville, mais lorsque la question
se pose aux croyants de trois continents, c’est beaucoup plus compliqué. Au début, la science n’a pas
les outils nécessaires pour y répondre.
Les pratiques agricoles sont à améliorer.
Les pratiques artistiques empruntent au début au passé et profitent de l’héritage grec, indien, etc. Les
mathématiques pourraient améliorer les choses, mais ce sera pour plus tard.
B. Le savoir savant :
C’est un héritage des Chinois, des Grecs, des peuples de Mésopotamie. Il doit répondre à des
critères et aux besoins de la société. On va reposer au savant les questions qu’on se posait dans le
cadre du savoir-faire :
Problèmes cultuels : on demande au scientifique de déterminer le temps solaire pour pouvoir mettre en
place le calendrier lunaire et le mettre en pratique.
Pratiques transactionnelles.
Pratiques divinatoires : pour aider les politiques qui cherchent à appréhender l’avenir, on se tourne
vers les astrologues.
Pratiques artistiques (on verra plus loin l’influence des mathématiques dans l’agencement des motifs).
Pratiques culturelles (voir à ce sujet les relations entre la langue arabe et les mathématiques).
Tout cela se situe dans un contexte social, politique … et religieux.
C. Sciences, arts et religion ; quelle cohabitation ?
Une question est fondamentale : est-ce que le dieu des musulmans s’est exprimé sur les
sciences ?
Le mot « science » se retrouve dans plus de 160 versets du Coran. Tous les versets du Coran
sont en faveur des sciences.
Chapitre 58, verset 11 : « Dieu placera sur des degrés élevés ceux d’entre vous qui croient et
ceux qui auront reçu la science ».
Chapitre 12, verset 76 : « Nous élèverons qui nous voulons selon des degrés ; et au-dessus de
chaque homme de science, il y a un plus savant. »
Chapitre 20, verset 114 : « Dis : Dieu, ajoute-moi de la science »
1. Le prophète et les sciences :
Comment faire l’exégèse de la question ? Comment comprendre la parole de Dieu ?
En pays d’Islam, il n’y a pas de clergé : chaque fidèle a le droit d’interpréter la parole de Dieu.
- Il y a aussi des imams2 qui conseillent, dirigent la prière, décrètent la fatwa.
On va donc chercher des éclaircissements dans les paroles du Prophète.
« La quête de la science est un devoir pour chaque musulman »
« On ne doit pas bénir le jour où on n’acquiert pas plus de science ».
« Une heure accomplie par un savant allongé sur son lit et révisant son savoir est meilleure
que les prières d’un dévot durant soixante ans ».
« Lorsqu’un être humain meurt, son action s’interrompt sauf dans trois <domaines> : une
charité pérenne, un enfant bienfaisant et une science utile aux <autres> ».
2
Ou le mollah ou l’ayatollah, selon les communautés.
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« Celui qui a acquis une science et qui ne l’a pas diffusée, Dieu le bâillonnera, le jour du
jugement dernier, à l’aide d’un bâillon de feu ».
« Cherchez la science même en Chine ».
Nous sommes au VIIème siècle, et la dernière phrase qu’on prête au Prophète n’a pas été
validée. Car il y a un problème d’authenticité : les compagnons du Prophète ont-ils bien rapporté
fidèlement ses paroles ? Pour avancer, on va créer une nouvelle science : la science des paroles du
Prophète. Il faudra être sûr à au moins soixante pour cent de leur véracité.
Cependant, cette dernière phrase va devenir une des phrases les plus célèbres, car elle
encourage la science.
2. Que disent les hommes de religion et les sciences ?
En 1915 à Berlin, Ignaz Goldziher publie un ouvrage sur l’attitude de l’ancienne orthodoxie
islamique face à la science de l’époque. Dans cet article, on trouve des phrases de musulmans
théologiens qui s’opposent aux sciences.
En fait, comme il n’y a pas de clergé dans le monde islamique, chaque théologien n’exprime
qu’une opinion personnelle ; il ne représente pas l’ensemble du monde musulman.
Quelques prises de position :
Al-Ghazali (m.1111) : Même la science du calcul et la logique, qui ne s’opposent nullement
aux écoles théologiques, lorsque l’on dit qu’elles font partie des sciences des philosophes athées, elles
sont repoussées par les hommes de religion.
Ibn Taymiya (m.1328) : La science héritée du Prophète est celle qui mérite d’être appelée
science. Les autres, si elles sont des sciences, elles ne sont pas utiles, ou ce ne sont pas des sciences
même si elles en portent le nom. Et si une science s’avère utile, elle ne peut être qu’une science héritée
du Prophète.
Cependant ces positions ne représentent qu’un courant de pensée. Si on examine tous les écrits
de l’époque qui nous sont parvenus, on voit bien que ces positions individuelles n’ont pas entravé
l’avancée de la science.
II. La science face aux pratiques obligatoires,
licites ou recommandées :
On fait intervenir la science pour :
les cinq prières quotidiennes
La direction de La Mecque
Le calendrier lunaire
L’aumône légale
La répartition des héritages
On développe l’arithmétique, l’algèbre, etc.
La science va aussi servir à contourner les interdits.
Production de boissons fermentées (limite d’alcool au-delà de laquelle la boisson est
interdite).
Étude de l’astrologie : très importante, alors qu’officiellement c’est interdit.
Pratique de l’usure (comment acheter de l’or avec de l’or… et payer des intérêts ?)
Pratique de la musique (on a essayé de l’interdire mais elle a toujours prospéré.)
Dissection
Art figuratif (anthropomorphisme3)
Les pratiques astrologiques :
3
Attribution de caractéristiques comportementales ou morphologiques humaines à d'autres entités comme des
animaux, des objets, des phénomènes, voire des idées.
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Elles sont condamnées par les philosophes et les théologiens, mais financées par les pouvoirs
publics, pratiquées par les astronomes, et consommées par les
citoyens de toute confession.
Sur le tableau à gauche on voit l’enfant et la mère qui vient
d’accoucher. A droite, des astronomes et des mathématiciens essaient
de prévoir l’avenir du nouveau-né, sans doute appartenant à une riche
famille.
La musique :
Il y toujours eu de la musique. On distingue même
la musique populaire
et
la musique de l’élite
Cette dernière possède un aspect assez théorique, héritée des Grecs qui considéraient qu’elle
était un chapitre des mathématiques.
La dissection :
Cela se passe dans l’élite de l’élite. On se doute que les interdits vont être transgressés.
Il n’y a pas de mention de l’anatomie / dissection dans :
Le Coran et les Hadiths4
Les ouvrages sur la médecine du Prophète
Les ouvrages de Droit (Fiqh)
Les ouvrages de Hisba (Inspection des services publics).
Imzân Ibn al-Husayn a dit : « Le messager de Dieu nous a interdit de mutiler les ennemis
morts au combat ».
Dans la religion islamique, la relation entre le corps humain et son âme pourrait être un des
éléments ayant favorisé la non-dissection post mortem.
Dans le domaine médical :
Galien5 dans son « Livre sur les procédures anatomiques » évoque longuement des pratiques
de dissection post mortem sur les animaux, les humains adultes et les nourrissons avortés. Il n’y a eu
aucune censure dans la traduction arabe.
4
Un hadith désigne une communication orale du prophète de l'islam de Mahomet et par extension un recueil qui
comprend l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons,
considérés comme des principes de gouvernance personnelle et collective pour les musulmans.
5
Médecin grec de l’antiquité.
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On distingue deux périodes dans la phase arabe de l’anatomie / dissection : le IXème et le
XIIème - XIIIème siècle.
Ibn Mâsawayh (IXème) avait des singes sur lesquels il pratiquait la dissection. Il aurait même
publié un ouvrage sur les résultats de ces dissections. Peu à peu ces pratiques vont être dédramatisées.
Ibn an-Nafis (XIIIème) : « Le législateur nous a découragé de pratiquer la dissection », écritil. Cependant, c’est lui qui a découvert la « petite circulation du sang », et il n’a pu le faire sans
disséquer. Il a expliqué que le sang ne pouvait pas passer d’un ventricule à l’autre, car il n’y a pas de
passage, et il a démontré l’utilité des poumons.
A. L’art figuratif et la Bible :
Pour comprendre les textes musulmans, il faut commencer par lire la Bible. Les théologiens,
et les personnes en général, ne veulent pas reproduire les anciennes pratiques païennes.
Toute attitude négative vis-à-vis des représentations artistiques ne se comprend que comme
une volonté de se distinguer du paganisme. On ne veut plus d’images ou de sculptures en trois
dimensions.
Dans l’Exode 20 ; 4-6 :
« Tu ne feras point d’image taillée,
Ni de représentation quelconque
Des choses qui sont en haut dans les cieux,
Qui sont en bas sur la terre,
Et qui sont dans les eaux plus bas que la terre,
Tu ne te prosterneras point devant elles et tu ne les serviras point ».
Christianisme d’Orient :
« Querelles des images »
En 730 : l’empereur Léon III interdit l’usage d’icônes de Christ, de Marie et des saints, et
ordonne leur destruction.
En 754, au Concile de Hiéréia, confirmation de l’interdiction des images.
En 787, au Concile de Nicée, autorisation des images, mais leur commerce est interdit.
En 831, l’empereur Léon V interdit de nouveau les images.
Toutes ces interdictions dans le monde chrétien entraîneront des massacres de personnes
souhaitant garder des images.
Pendant ce temps, dans le monde musulman, alors qu’on se situe un siècle après la mort du
Prophète, personne ne se soucie des images.
Au contraire on développe la science et l’art. Chaque groupe social se construit.
Un changement interviendra au milieu du IXème et du Xème siècle.
Verset VI.74 :
« Abraham dit à son père Azar : ‘Prendras-tu des idoles pour divinités ? Je te vois, toi et ton
peuple, dans un égarement manifeste’ ».
Verset V.90 :
« O croyants, le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées6 et les flèches divinatoires sont une
abomination et une œuvre du démon. Evitez les, peut-être serez-vous heureux ».
Il va se produire un phénomène dans la société qui va créer de nouvelles règles, de nouveaux
interdits (qui ne seront pas stipulés dans le Coran).
Ce sera l’art musulman.
6
Allusion aux statues.
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Des paroles qui seraient attribuées au Prophète, recommandent :
« Les anges n’entreront pas dans une maison où il y a un chien ou une image (sculpture) »
« Dieu maudit les dessinateurs (sculpteurs) »
Le sculpteur prétend représenter une forme inventée par le Créateur (et ce sera interdit).
L’art à deux dimensions n’est pas concerné par l’interdit.
B. La constitution d’une tradition :
Bukhâri (810-870) est un célèbre érudit auteur de nombreux ouvrages. Il a publié 7300
Hadiths, 97 chapitres thématiques, mais aucun chapitre n’est consacré à la question des images.
Peu à peu on assiste à l’émergence d’un consensus parmi les théologiens :
Interdiction des images représentant des êtres vivants, suspendues ou sur un mur.
Tolérance pour les images sur des tapis et des coussins.
Condamnation de toute représentation à trois dimensions.
Autorisation des poupées et des marionnettes, à condition qu’elles ne soient pas
ressemblantes.
Une exception :
721 : promulgation d’un décret contre les images par Vazid II (687 – 724), dernier empereur
Omeyyade. C’est le seul exemple où un politique est intervenu, sinon seuls les théologiens
s’expriment.
On va se demander si ces objets avaient offusqué de son vivant le Prophète. Sinon, elles sont
acceptées (ses filles jouaient avec des poupées, elles seront acceptées si elles ne sont pas
ressemblantes).
Cependant, ces interdictions ne concernaient pas les hauts dignitaires. Ceux-ci se faisaient
construire des palais dans le désert où ils aimaient se reposer.
A l’intérieur d’un de ces palais, on peut admirer 28 fresques (début VIII° siècle) qui
contiennent toutes des scènes interdites par les théologiens.
Ce sont des héritages de l’art anthropomorphique païen. Et cela va continuer pendant les
siècles suivants et dans toutes les régions du monde musulman.
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III. L’art dans les sciences :
On a l’impression que les artistes vont se réfugier dans les domaines où ils ne risqueront plus
de subir les interdits. On illustre la voûte céleste, une pharmacopée, un astrolabe.
Image du premier musulman qui a appelé à la parole (voir ci-dessous).
A. Les mathématiques dans l’art :
Les minarets vont apparaître pour être mieux vus dans les villes qui deviennent de plus en plus
grandes.
Les mathématiques vont apporter leur aide pour la composition des dessins, pour la
construction. On joue sur la symétrie, les proportions (théories d’Euclide).
B. L’écriture, outil de décoration :
Au début, on a commencé à dessiner avec des lettres, par exemple, un animal.
Puis ce fut l’arrivée de la calligraphie à la fin du IXème siècle.
On va rechercher l’harmonie dans les proportions,
et les mathématiques vont intervenir. On invente une norme
que l’on va enseigner.
Les artistes vont s’en servir.
Puis arriveront la symétrie, la rotation et la calligraphie.
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L’art géométrique apparaît comme un art nouveau. Un bel exemple d’un concentré de cet art
se rencontre dans le palais de l’Alhambra en Espagne.
Un groupe de pavage est comme un élément de puzzle. On lui applique de la translation, de la
rotation, des retournements, de la symétrie, etc.
A partir d’un élément, on peut ainsi tapisser tout un mur.
Des mathématiciens ont démontré qu’il n’y a que 17 modèles initiaux qui, une fois combinés,
peuvent tapisser tous les murs.
Les Musqarnas7 :
On va inventer des motifs à trois dimensions pour masquer les coins. Les théories mises en
œuvre ont été inventées par un mathématicien. A partir de 7 modules, on a démontré que l’on pouvait
garnir toute une salle.
Cet art a particulièrement évolué pendant les périodes de crise, pendant lesquelles les discours
des théologiens ont eu moins d’influence.
Mais à la fin du XIème et au début du XIIème siècle, des problèmes de gouvernance, des
problèmes politiques, les croisades, les invasions, la grande peste ont donné un coup d’arrêt à cet art.
Le monde musulman va se protéger, la société va se refermer.
7
Nids d’abeilles en stuc peint, qui habillent des angles.
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