À la frontière de l'éthique
(1993) 24 R.D.U.S. 5
et du droit
5. G. DURAND, La bioéthique, Paris, Éditions du Cerf, Montréal, Fides, 1989, p. 9.
6. É. DELEURY, «Éthique, médecine et droit: des rapports qui reposent sur une confusion
entre les rôles», dans Vers de nouveaux rapports entre l'éthique et le droit, Cahiers de
Recherche Éthique 16, Rimouski, Corporation des éditions Fides, 1991, p. 103.
Pourtant, l'avènement de réalisations technologiques, jusqu'à ce jour
insoupçonnées, n'est pas sans en inquiéter plus d'un. Il suffit de consulter
l'imposante littérature philosophique à laquelle ce phénomène a donné naissance
pour s'en convaincre. Mais, d'où provient cette crainte? D'abord, les médias ont
mis à jour certaines pratiques scandaleuses des chercheurs, en révélant
l'utilisation de moyens moralement répréhensibles tels que:
«... injections de cellules cancéreuses à des patients âgés, inoculation
de l'hépatite virale à des enfants retardés mentalement, absence de
traitement à des Noirs atteints de syphilis, recherche sur des sujets
sains sans leur consentement»
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.
Ces exemples montrent les abus potentiels d'une science puissante à
l'affût de la découverte. Au nom des bienfaits de la recherche, glisserons-nous
lentement sur la pente de la permissivité? Certains craignent que l'on passe de
l'avortement légal dans les premiers mois de la grossesse, à l'avortement libre
et gratuit, puis à l'avortement obligatoire si l'on découvre une tare génétique sur
l'embryon. De la cessation de traitement, finirons-nous par tolérer l'euthanasie
active sur demande, puis l'euthanasie forcée des handicapés mentaux profonds
et des vieillards séniles?
Devant cette crainte, justifiée ou non, mais bien réelle, les philosophes
et les scientifiques s'adressent aux juristes, demandant au droit de combler le
vide laissé par le désengagement moral de la collectivité. Mais le droit ne serait-
il pas lui-même en crise? Déconcerté par le pluralisme idéologique et les
problèmes engendrés par la science, le droit s'avère impuissant à répondre aux
interrogations qu'on lui soumet
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. Est-ce là le rôle exclusif du droit? Quels
devraient être les rapports du droit avec la morale? Celle-ci peut-elle encore
jouer un rôle positif aujourd'hui ou n'est-elle devenue qu'un préjugé déraison-
nable? La consultation des différents auteurs traitant de ce sujet, nous apprend
qu'ils ne s'entendent pas toujours sur le sens à donner aux principales notions
qu'ils abordent. Souvent, on parle indistinctement de la loi ou du droit, de
l'éthique ou de la morale, de l'éthique professionnelle ou de la déontologie.
Un tel imbroglio sémantique peut s'expliquer d'un point de vue
historique. Nous allons donc, dans cette perspective, consacrer notre première
partie à l'étude des différents concepts qui ont servi, au fil du temps, de
fondement au droit positif. Nous verrons que la morale philosophique a favorisé
l'émergence du droit naturel qui sera remplacé, plus tard, par le positivisme
juridique. La connaissance préalable de l'évolution des règles morales et