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LES GRANDS DOSSIERS D’ÉTHIQUE FINANCIÈRE
FINANCE ET RELIGIONS
biens des gens ne se multipliera guère
auprès de Dieu »15.
Cette interdiction n’est pas propre à
l’islam. Ainsi, dans le Pentateuque de
l’Ancien Testament, qui est la Torah
des Juifs16, la pratique de l’usure est
condamnée. « Les Juifs dans leur inter-
diction du tarbit (usure) furent plus
sélectifs que les Musulmans : le tarbit
était interdit entre Juifs, mais permis
entre Juifs et non Juifs »17.
Les Chrétiens ont aussi condamné
l’usure et le prêt à intérêt se basant sur
la tradition aristotélicienne et l’Évan-
gile selon Saint Luc18. En 1312, les
évêques de France, réunis en concile,
menacèrent même d’excommunication
ceux qui prêtaient à intérêt.
L’injustice sociale est le fondement
commun de cette interdiction pour les
trois religions monothéistes. D’autres
raisons d’ordre économique, en accord
avec les principes de l’islam, sont à
l’origine de celle-ci.
En effet, l’économie musulmane du
VIIème siècle reposait sur des Cités-États
marchandes vivant dans un environne-
ment hostile. Elles souffraient le plus
souvent, du fait de leur isolement, d’un
manque de liquidités ; ce qui favorisait
l’usure et la thésaurisation. Les princi-
pes et préceptes islamiques visèrent à
refréner ces deux phénomènes indési-
rables considérés comme un obstacle
au libre-échange et au commerce.
Cette position se trouve également
confortée par des analyses plus récen-
tes19 dénonçant le riba en tant que
facteur favorisant la hausse des prix
(l’inflation), la mauvaise allocation
des ressources économiques et l’aggra-
vation du chômage. Cependant, ces
effets négatifs sont imputables à une
conception de la valeur du capital
différente de celle défendue par l’islam.
En effet, pour l’islam, le capital
(l’argent) n’est qu’une mesure de la
richesse, mais non la richesse elle-même.
Il ne le devient que grâce à son associa-
tion avec le travail de l’homme. Par
conséquent, l’intérêt comme prix de
l’argent épargné n’est pas justifié. Une
telle justification n’existerait que si cette
épargne était investie en vue de créer
plus de richesses.
Selon les économistes musulmans,
les fonds disponibles dans les systèmes
non islamiques sont souvent suscepti-
bles d’être alloués à des emplois pure-
ment spéculatifs et ne profitent pas
nécessairement aux projets les plus pro-
ductifs ; ce qui conduit à une mauvaise
allocation des ressources et représente
une entrave à l’emploi. De même, l’in-
tégration du prix de l’argent dans la
valeur des biens induit l’inflation
dans la société. L’ensemble affecte la
croissance économique et le bien-être
de la société civile.
Cependant, il convient de noter
qu’il existe différentes interprétations
concernant l’application du riba et de
son assimilation à l’intérêt. Les « mo-
dernistes »20 optent pour une interpré-
tation nouvelle de l’islam liée à l’esprit
et non à la lettre. Ils évoquent que
seul est interdit l’intérêt abusif imposé
aux nécessiteux et non pas celui qui
est perçu sur l’activité économique
productive.
Mais la majorité des économistes
islamiques maintiennent que tout in-
térêt reste interdit même pour les
crédits productifs, puisque le mot riba
en arabe signifie augmentation et que,
par conséquent, tout remboursement
au-delà du montant original d’un prêt
est illicite. De plus, cette interdiction a