Canaux calciques et fonctions neuronales

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Canaux calciques et fonctions neuronales :
implications pour les épilepsies
Calcium channels and neuronal functions: implications for epilepsies
● J.C. Poncer*, A. Scheuber*
RÉSUMÉ. Les canaux ioniques, de par leur rôle essentiel dans l’activité neuronale, sont des candidats naturels pour des dysfonctionnements
de l’activité d’ensembles neuronaux tels que les épilepsies. Alors que l’activité de la plupart des canaux ioniques influence essentiellement la
polarité membranaire des neurones, les canaux calciques transportent également l’un des principaux éléments de signalisation intracellulaire
des cellules eucaryotes – le calcium – qui intervient dans nombre de processus neuronaux comme la libération de neuromédiateurs, la modulation de conductances ioniques, les réarrangements anatomiques, l’expression génique… De plus, la diversité moléculaire et la modulation
subtile de ces canaux par plusieurs sous-unités auxiliaires rendent extrêmement complexe l’identification du rôle d’un canal spécifique dans
une activité neuronale particulière.
De nombreuses mutations associées à divers syndromes épileptiques, chez l’animal comme chez l’homme, concernent des sous-unités de canaux
calciques sensibles au potentiel. Toutefois, même lorsque l’impact fonctionnel de ces mutations sur l’activité du canal est identifié, les mécanismes mis en œuvre dans la génération d’activités pathologiques sont loin d’être élucidés. Dans cet article, nous rappelons les principales
caractéristiques structurales et fonctionnelles des canaux calciques neuronaux. Nous présentons également un panorama des mutations affectant ces canaux en tentant de dégager quelques principes simples concernant l’implication de ces mutations dans le phénotype épileptique.
Mots-clés : Épilepsie - Calcium - Canaux ioniques - Génétique humaine.
ABSTRACT. Ion channels play a pivotal role in neuronal activity and are thus likely candidates for pathological activities in neuronal
ensembles, such as epilepsies. Whereas the activity of most ion channels typically influences neuronal membrane polarity, calcium channels
also carry one of the main elements of intracellular signaling in eukaryotic cells – namely calcium – involved in a variety of neuronal
processes such as transmitter release, modulation of ion channels, anatomical rearrangements, gene expression… In addition, assessing the
role of specific calcium channels in a neuronal function is further complicated by the molecular diversity of these channels and their subtle
modulation by various ancillary subunits.
Several mutations associated with both animal and human epileptic syndromes affect subunits of voltage-gated calcium channels. However,
even when the functional impact of these mutations on channel activity is established, the mechanisms involved in generating pathological
activities remain unclear. In this review, we briefly describe the main structural and functional characteristics of neuronal calcium channels.
We also review the mutations of these channels associated with epileptic syndromes in an attempt to delineate basic principles concerning the
involvement of these mutations in epileptic phenotypes.
Keywords: Epilepsy - Calcium - Ion channels - Human genetics.
STRUCTURE, PROPRIÉTÉS ET LOCALISATION DES CANAUX
CALCIQUES NEURONAUX
Les canaux calciques voltage-dépendants sont composés
d’au moins 3, voire 4 sous-unités (α1, ß, α2-δ et γ), dont il
existe plusieurs isoformes. La sous-unité α1 (10 isoformes)
comprend 6 segments transmembranaires formant le pore du
* INSERM U739 “Cortex et épilepsie”, faculté de médecine Pierre et Marie-Curie,
75013 Paris.
canal, et détermine largement ses propriétés biophysiques
élémentaires (tableau I). La sous-unité ß (4 isoformes),
intracellulaire, interagit avec α1 en modulant à la fois la
cinétique et la sensibilité du canal au potentiel, conduisant
généralement à un abaissement du seuil d’activation du
canal et à une accélération de son inactivation. Un rôle des
sous-unités ß dans l’adressage membranaire du canal a également été suggéré dans plusieurs études. En particulier, ß4
pourrait être responsable de l’adresse présynaptique de certains canaux. La sous-unité α2-δ existe sous 4 isoformes,
dont l’une, α2-δ3, est exprimée exclusivement dans le cer-
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veau. En interagissant avec α1, α2-δ conduit à une augmentation de la densité du courant qui semble traduire un effet
facilitateur sur l’adressage et/ou l’ancrage membranaire de
la sous-unité α1. Cette interaction semble également accélérer les cinétiques et abaisser le seuil d’activation et d’inactivation du canal. Toutefois, cet effet varie d’une sous-unité à
l’autre et peut être modeste. De plus, la gabapentine et la
prégabaline, utilisées notamment dans le traitement de certaines épilepsies, douleurs neuropathiques et troubles
anxieux, se lient avec une affinité très élevée à α2-δ (α2-δ1
et α2-δ2), et cette interaction fut la première identifiée entre
une sous-unité accessoire de canal calcique et un agent pharmacologique. Cependant, l’effet fonctionnel de la liaison de
ces agents à α2-δ reste à préciser (1). Enfin, au moins 8 isoformes de la sous-unité γ ont été identifiées. Bien qu’initialement clonée depuis le muscle squelettique, cette sousunité semble également faire partie intégrante de certains
canaux calciques neuronaux, en particulier Ca v2.1. Son rôle
pourrait être notamment de moduler les propriétés d’inactivation du canal.
Les canaux formés par différentes sous-unités α1 constituent
trois groupes dont les propriétés, la localisation cellulaire et le
rôle fonctionnel diffèrent considérablement (tableau I). Les
canaux Cav1 (Cav1.1 à Cav1.4) correspondent à la famille des
canaux calciques de type L, selon une première nomenclature
basée sur les propriétés biophysiques des courants. Ces
canaux, sensibles aux dihydropyridines, sont activés par des
dépolarisations importantes et sont modulés essentiellement
par le potentiel et par la phosphorylation par des protéines
kinases. Dans les neurones, ces canaux sont exprimés principalement au niveau du soma et des dendrites, c’est-à-dire des
compartiments postsynaptiques. Cette localisation en fait une
voie d’entrée du calcium importante, impliquée notamment
dans des processus de plasticité synaptique et d’intégration
dendritique des réponses synaptiques.
Les canaux Cav2 (Cav2.1 à Cav2.3), quant à eux, sont insensibles aux dihydropyridines, mais sont également activés par
des dépolarisations importantes. Exprimés de façon prédominante dans le système nerveux central, ces canaux sont modulés par les protéines G ainsi que par plusieurs protéines présynaptiques. En effet, bien qu’ils se retrouvent au niveau dendritique – donc postsynaptique –, ces canaux jouent un rôle
prédominant dans la libération des neuromédiateurs aussi
bien excitateurs qu’inhibiteurs. En particulier, Cav2.1
(canaux P/Q) et Cav2.2 (canaux N) sont présents dans la plupart des synapses centrales et contribuent ensemble à l’influx
calcique présynaptique responsable de la libération de neuromédiateurs. Toutefois, certaines synapses, notamment inhibitrices, n’expriment que l’un ou l’autre de ces canaux, ce qui
leur confère des propriétés dynamiques distinctes, notamment
lors d’activités rythmiques. Les canaux Cav2.3 (canaux R)
pourraient quant à eux n’intervenir dans la libération de neuromédiateurs que lors de stimulations à haute fréquence.
Enfin, les canaux Cav3 (Cav3.1 à Cav3.3) forment la famille
des canaux de type T, à bas seuil d’activation. Exprimés
presque exclusivement au niveau postsynaptique, ces canaux
s’activent à des potentiels peu dépolarisés, s’inactivent très
rapidement et restent inactivés jusqu’à des potentiels proches
du potentiel de repos des neurones. Ces propriétés très particulières confèrent aux canaux Cav3 une aptitude à participer
à la génération d’activités rythmiques observées dans plusieurs structures cérébrales. En particulier, certains neurones
des réseaux thalamocorticaux génèrent des patrons de décharge
rythmiques, normaux ou pathologiques, mettant notamment
en œuvre des canaux Cav3 ainsi que des canaux cationiques
activés par l’hyperpolarisation. Ainsi, l’ablation génétique du
gène CACNA1g codant pour la sous-unité α1 du canal Cav3.1
empêche la décharge en bouffées des neurones relais thalamocorticaux, prévenant ainsi le déclenchement de décharges
en pointe-onde associées aux crises d’absence (2).
Tableau I. Les canaux calciques neuronaux sensibles au potentiel.
Type de canal
Cav1 (L)
– Cav1.2
– Cav1.3
Cav2
– Cav2.1 (P/Q)
– Cav2.2 (N)
– Cav2.3 (R)
Cav3 (T)
– Cav3.1
– Cav3.2
– Cav3.3
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Sous-unité α
Seuil d’activation
Élevé
Localisation subcellulaire
Soma et dendrites
Fonctions neuronales principales
Intégration synaptique, plasticité
synaptique et excitabilité membranaire
Élevé
Dendrites et terminaisons
axonales
Courants dendritiques transitoires
et libération de neuromédiateur
Idem + soma
Soma et dendrites
Idem + décharge répétitive
CACNA1c
CACNA1d
CACNA1a
CACNA1b
CACNA1e
Bas
CACNA1g
CACNA1h
CACNA1i
Pacemaker
(décharge répétitive)
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CANAUX CALCIQUES ET MODÈLES ANIMAUX D’ÉPILEPSIE
De nombreux modèles animaux d’épilepsie se sont révélés
associés à des perturbations de la fonction de canaux calciques voltage-dépendants. L’observation de ces modèles, si
elle ne permet pas toujours de préciser les mécanismes impliqués dans l’apparition des crises, renseigne néanmoins à la
fois sur la fonction des différentes sous-unités et sur la nature
des perturbations associées à leur dysfonctionnement.
Plusieurs revues récentes dressent un panorama plus ou moins
exhaustif de ces mutations (3, 4).
Les lignées murines tottering et leaner ont initialement été
détectées pour des symptômes d’ataxie cérébelleuse, puis
identifiées comme épileptiques sur la base de l’observation
de crises d’absence, de tracés d’électroencéphalogramme
(EEG) et de réponses pharmacologiques très similaires à
ceux observés dans les crises humaines de type “petit mal”.
Dans chacune de ces deux lignées, des décharges thalamocorticales de type pointe-onde sont associées aux crises
d’absence. L’étude de la lignée tottering a révélé l’existence d’une mutation ponctuelle affectant le gène CACNA1a
codant pour la sous-unité α1 du canal Cav2.1 (5). Bien que
cette mutation concerne un résidu proche de la région
conservée formant le pore du canal, elle n’affecte pas la
conductance unitaire du canal, mais plutôt la densité de
canaux fonctionnels. La lignée leaner, quant à elle, porte
une mutation affectant un site d’épissage de CACNA1a,
donnant ainsi lieu à l’expression de produits d’épissage
tronqués dans leur extrémité carboxy-terminale. Cette
mutation conduit également à une réduction drastique de la
densité du courant Cav2.1 qui reflète non pas une réduction
de l’expression du canal, mais une réduction importante de
sa probabilité d’ouverture. De plus, ces deux mutations
affectent également la dépendance au potentiel de l’activation et de l’inactivation du canal. Ces observations permettent-elles de rendre compte des phénotypes tottering et leaner ? D’une part, les canaux Cav2.1 sont très fortement
exprimés dans les cellules de Purkinje du cervelet, où ils
contribuent à la génération de potentiels d’action calciques
dendritiques. Le déficit fonctionnel en canaux Cav2.1 induit
dans ces cellules plusieurs mécanismes de compensation
impliquant notamment la surexpression de canaux de
type L qui pourraient être impliqués dans la génération
d’épisodes dystoniques chez les animaux tottering. D’autre
part, ces mêmes canaux Cav2.1 jouent un rôle prédominant
dans la libération de glutamate, notamment depuis les afférences excitatrices des cellules de Purkinje. Là encore, la
mutation de CACNA1a s’accompagne d’une compensation,
cette fois par des canaux de type N, dont les propriétés de
modulation par des protéines G pourraient conduire à la
fois à une réduction fonctionnelle et à une perturbation de
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la dynamique de la libération lors de stimulations répétitives (6). Une telle compensation, voire, au contraire,
l’absence de compensation, au niveau présynaptique
pourrait également être responsable de la réduction de la
transmission glutamatergique sans modification de la
transmission GABAergique observée dans le thalamus des
animaux tottering, probablement à l’origine des oscillations thalamocorticales aberrantes qui sous-tendent la
décharge en pointe-onde.
D’autres mutations spontanées affectent également les sousunités auxiliaires ß, γ et α2-δ. Là encore, ces mutations sont
associées à des formes plus ou moins sévères d’ataxie cérébelleuse, mais également à des activités épileptiques accompagnées de décharge en pointe-onde. Le phénotype du
mutant lethargic, bien que très similaire à celui du mutant
tottering, est lié à une mutation du gène Cacnb4 codant pour
la sous-unité ß4 (7), préférentiellement associée aux canaux
Cav2.1. Cette mutation affecte un site d’épissage entraînant
une déstabilisation de l’ARN et l’absence d’expression de la
sous-unité ß4. Cette perte d’expression induit une compensation par les autres sous-unités ß, notamment ß1.
Contrairement au mutant tottering, lethargic ne s’accompagne pas d’une modification sensible des courants portés
par les canaux Cav2.1 dans les cellules de Purkinje, mais
conduit au contraire à une réduction de l’expression des
canaux Cav2.2. La similarité des phénotypes de ces deux
lignées ne trouve donc pas dans les études moléculaires et
physiologiques menées jusqu’à présent une explication très
convaincante.
Le mutant stargazer fut initialement reconnu comme responsable des symptômes d’ataxie cérébelleuse et d’un basculement vertical de la tête très particulier. Cependant, tout
comme les autres mutants mentionnés jusqu’ici, stargazer
présente également un EEG caractérisé par des décharges en
pointe-onde à 5-7 Hz qui peuvent être enregistrées depuis le
thalamus, l’hippocampe, le néocortex ainsi que les ganglions
de la base. En outre, des crises généralisées s’accompagnent
de comportements de type absence sensibles notamment à
l’éthosuximide, utilisé chez l’homme dans le traitement du
“petit mal”. Cette lignée porte une mutation affectant le gène
Cacng2, qui code pour la sous-unité γ2 et qui fut, à travers la
découverte de cette mutation, la première sous-unité γ neuronale identifiée (8). Dans un système d’expression hétérologue, γ2 réduit la disponibilité des canaux, notamment
Cav2.1 et Cav2.2, en abaissant leur seuil d’inactivation au
repos. Bien que la mutation stargazer conduise à une réduction importante du messager et à une perte d’expression de
γ2, apparemment sans compensation par d’autres isoformes
(9), aucune modification notable des propriétés des courants
calciques des cellules de Purkinje n’a pu être mise en évi-
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dence chez les souris stargazer. En revanche, des enregistrements réalisés depuis des cellules pyramidales du néocortex
(10) révèlent une augmentation importante du courant Ih, un
courant cationique activé par l’hyperpolarisation qui contribue notamment à la périodicité des activités rythmiques thalamocorticales. Toutefois, le lien entre la mutation de
Cacng2 et l’augmentation du courant Ih n’a pu être identifié
à ce jour.
La découverte de la sous-unité neuronale γ2 – ou stargazin
– a en outre donné lieu à la mise en évidence d’un lien tout
à fait inattendu entre canaux calciques et récepteurs du glutamate. En effet, le mutant stargazer présente une perte
presque complète des réponses synaptiques excitatrices
portées par les récepteurs de type AMPA dans les cellules
en grain du cervelet (11), alors que les récepteurs euxmêmes sont normalement exprimés. Des études très
récentes démontrent en effet que l’adressage membranaire
et synaptique de ces récepteurs dépend de l’interaction
entre ces récepteurs et la stargazin, par l’intermédiaire
d’une protéine de la densité postsynaptique (PSD95). La
restriction de l’effet délétère de la mutation stargazer aux
cellules en grain du cervelet suggère en outre que cette
fonction inattendue de γ2 pourrait généralement être compensée par d’autres isoformes absentes de ces cellules.
Toutefois, une réduction de la réponse AMPA n’a pas été
recherchée systématiquement, et son implication éventuelle
dans le phénotype épileptique du mutant stargazer n’est pas
établie.
Enfin, une étude récente révèle que la mutation ducky,
associant comme toutes les précédentes ataxie cérébelleuse
et crises d’absence, est liée à une mutation ponctuelle du
gène CACNA2d2 codant pour la sous-unité α2-δ2 (12, 13).
Cette mutation entraîne une troncation importante de
l’ARNm codant pour des protéines vraisemblablement non
fonctionnelles. La mutation ducky s’accompagne d’une
réduction importante des courants calciques macroscopiques dans les cellules qui normalement expriment α2-δ2,
comme les cellules de Purkinje. Cette réduction reflète un
nombre moindre de canaux exprimés à la membrane, ce
qui suggère que α2-δ2 agit en favorisant l’adressage membranaire ou en réduisant l’internalisation des canaux calciques. Plus récemment encore, un autre mutant spontané
présentant un double phénotype épileptique et ataxique,
entla, s’est révélé porteur d’une autre mutation affectant le
même gène CACNA2d2 (14). L’interaction entre cette
sous-unité α2-δ et les antiépileptiques gabapentine et prégabaline (15) renforce évidemment l’intérêt d’établir un
lien entre ces mutations et le phénotype épileptique.
Toutefois, comme pour les mutations précédentes, celui-ci
n’a pas reçu à ce jour de démonstration expérimentale.
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CANAUX CALCIQUES ET FORMES HÉRÉDITAIRES
D’ÉPILEPSIE CHEZ L’HOMME
Depuis la découverte, en 1995, de la première mutation associée à une forme familiale d’épilepsie idiopathique, la liste
des mutations associées à divers syndromes épileptiques n’a
cessé de croître, révélant une large prédominance des canaux
ioniques, sensibles au potentiel ou ouverts par un ligand (16).
L’identification des mutations responsables, notamment des
phénotypes murins décrits précédemment, fait en outre des
canaux calciques voltage-dépendants des candidats potentiels pour la recherche de mutations associées à des formes
familiales d’épilepsie chez l’homme. Pourtant, bien que plusieurs mutations de ces canaux aient été associées à d’autres
syndromes neurologiques tels que la migraine hémiplégique
familiale et diverses formes d’ataxie, peu d’études convaincantes concernent des syndromes épileptiques. En particulier, quelques mutations ont été identifiées chez un ou seulement quelques patients, et la valeur de la liaison génétique a
souvent été remise en question lors d’études à plus grande
échelle.
Sur la base de l’implication du gène Cacnb4 dans le phénotype
murin lethargic, une recherche systématique de polymorphismes de ce gène a été conduite auprès de familles épileptiques (17). Cette étude a notamment permis de mettre en évidence une mutation tronquante chez un patient atteint d’épilepsie myoclonique juvénile. Cette troncation affecte le site
d’interaction de la sous-unité ß4 avec α1, et des études physiologiques dans un système hétérologue ont révélé une légère
réduction de la constante de temps d’inactivation des courants
portés par des canaux Cav2.1 dans des cellules exprimant la
forme tronquée de ß4. Ces propriétés, différentes de celles du
mutant lethargic, pourraient conduire à une prolongation de
certains courants calciques, mais il est actuellement impossible de préciser quel pourrait en être l’impact fonctionnel
prédominant.
Une approche similaire a conduit plusieurs groupes à examiner les polymorphismes du gène CACNA1a codant pour la
sous-unité a1 du canal Cav2.1. Là encore, deux mutations
ponctuelles ont pu être identifiées chez des patients présentant des crises d’absence associées à une ataxie épisodique
(18, 19). Ces mutations entraînent respectivement l’introduction d’un codon stop prématuré et une mutation ponctuelle
conduisant dans les deux cas à une protéine non fonctionnelle. Bien que la première mutation n’ait pas été retrouvée
lors d’études à plus grande échelle, la similarité entre l’effet
fonctionnel de ces mutations et celui associé aux phénotypes
tottering et leaner suggère l’existence d’un lien causal entre
la perte de fonction du canal Cav2.1 et l’association ataxie/
absence.
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Enfin, une étude réalisée sur une large population de
patients souffrant d’épilepsie-absence de l’enfance a
conduit à l’identification de 12 mutations ponctuelles, hétérozygotes, affectant le gène CACNA1h codant pour la sousunité α1 du canal Cav3.2 (20). Les résultats de cette étude
furent à nouveau contestés sur la base d’une mauvaise
ségrégation avec un phénotype épileptique particulier.
Toutefois, une étude fonctionnelle très récente reprenant
quelques-unes de ces mutations révèle une altération sensible des propriétés biophysiques du canal Cav3.2 conduisant soit à un abaissement du seuil d’activation du canal,
soit à un ralentissement de son inactivation (21).
Fonctionnellement, ces deux effets pourraient donc conduire
à un renforcement de l’activité du canal. Compte tenu de
l’importance de ces canaux dans la génération d’activités
d’ensembles au niveau thalamocortical, il est envisageable
qu’un tel renforcement conduise à l’émergence d’activités
pathologiques dans cette structure.
CONCLUSION
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thérapeutique d’agents pharmacologiques agissant sur ces
canaux contribuent évidemment à leur intérêt en tant que
cibles antiépileptiques potentielles. Toutefois, si les
modèles animaux se sont révélés d’extraordinaires outils
pour l’étude du rôle des différentes sous-unités dans la
fonction de ces canaux, la diversité et la complexité des
processus biologiques dans lesquels ces canaux interviennent ont jusqu’à présent rendu impossible une identification précise du rôle de ces canaux mutés dans un phénotype épileptique. Alors qu’il est relativement aisé d’identifier
l’impact d’une mutation d’un canal ionique, par exemple
dans la fonction musculaire, il demeure beaucoup plus difficile d’établir comment, et même dans quelle structure
cérébrale, une telle mutation conduit à l’émergence d’une
crise épileptique. De plus, l’association fréquente des syndromes ataxiques et épileptiques liés aux mutations de ces
canaux illustre leur implication simultanée dans plusieurs
processus neuronaux complexes. Ces difficultés soulignent
la nécessité de poursuivre les études fondamentales visant à
élucider les mécanismes mis en jeu dans la génération des
activités épileptiformes.
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