N°18
JUIN 2013
ECONOTE
Société Générale
Département des études économiques
FRANCE : POURQUOI LE SOLDE DES PAIEMENTS
COURANTS SE DÉGRADE-T-IL DEPUIS PLUS DE 10 ANS ?
Le solde extérieur courant de la France s’est nettement dégradé
entre 1999 et 2012, passant d’un excédent de 35 Mds EUR à un déficit de
40 Mds EUR environ.
Cette évolution peut être expliquée par la dégradation du solde
commercial de la France. Elle peut également se lire à travers le prisme de
l’évolution de l’équilibre interne du financement de l’économie : la
dégradation du solde courant s’explique alors par l’accroissement important
du déficit public et des besoins de financement des sociétés non
financières.
En particulier, depuis la crise, le besoin de financement des sociétés
non-financières a fortement augmenté : leur investissement et leurs effectifs
ne se sont en effet, jusqu’ici, ajustés que partiellement à la baisse de
l’activité.
Ce désajustement de la situation financière des entreprises a eu
jusqu’ici pour contrepartie un soutien au revenu des ménages et, partant, à
leur consommation. Toutefois, il constitue désormais un facteur de risque
pour la croissance : sa correction rapide pourrait provoquer une baisse
marquée de l’investissement privé et de l’emploi.
SOLDE EXTÉRIEUR COURANT ET SES COMPOSANTES
-200
-150
-100
-50
0
50
100
150
1999 2012 1999 2012
Équilibre externe Équilibre interne
En Mds EUR
Autres
Solde public
Capacité de financement
des soc. non financres
Solde commercial
Solde courant
Source : INSEE
Benoît HEITZ
+33 1 58 98 74 26
ECONOTE | N°18 – JUIN 2013
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LE SOLDE COURANT DE LA FRANCE NE
CESSE DE SE DÉGRADER DEPUIS 10 ANS
Depuis un point haut atteint en 1999, le solde extérieur
courant de la France ne cesse de se dégrader. Selon la
définition de la comptabilité nationale
1
, il est ainsi
passé d’un excédent de 35 Mds EUR en 1999 (soit
2,6 % du PIB) à un déficit de 42 Mds EUR en 2012 (-
2,1 % du PIB).
U
NE DÉGRADATION QUASI
-
CONTINUE DU SOLDE
COMMERCIAL
Lorsque l’on considère les équilibres extérieurs de la
France, l’explication de la dégradation du solde
extérieur courant apparait clairement : elle provient de
la dégradation du solde commercial (des échanges de
biens et de services). En effet, ce dernier est passé
d’un excédent de 29 Mds EUR en 1999 à un déficit de
45 Mds EUR en 2012, expliquant ainsi quasi
intégralement la dégradation de 77 Mds EUR du solde
extérieur courant (cf. graph. 1).
GRAPH. 1 : COMPTES EXTÉRIEURS DE
LA FRANCE
-80
-60
-40
-20
0
20
40
1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
Solde extérieur courant
Solde commercial biens et services
Source : INSEE
Lorsque l’on regarde ce solde commercial de la France
plus en détail, il ressort que sa dégradation provient de
deux phénomènes bien connus :
L’alourdissement de la facture énergétique de la
France, du fait notamment de la hausse du prix du
1
Selon la définition de la balance des paiements, qui diffère
légèrement, le solde extérieur courant est passé d’un surplus de
43Mds€ en 1999 à un déficit de -47Mds€ en 2012. Nous avons
privilégié dans cette étude la définition de la comptabilité
nationale car c’est la seule qui permet de retracer de manière
cohérente les évolutions de la balance courante selon deux
manières différentes mais équivalentes, tournées l’une vers les
équilibres extérieurs de l’économie et l’autre vers ses équilibres
intérieurs (cf. encadré 1).
baril de pétrole qui est passé de 17 EUR en 1999 à
87 EUR en 2012.
La dégradation du solde des échanges de produits
manufacturés, ce qui renvoie au débat sur la perte
de compétitivité de l’industrie française
OU UNE AGGRAVATION DES BESOINS DE
FINANCEMENT DES ADMINISTRATIONS ET DES
ENTREPRISES
Selon la deuxième lecture possible, une dégradation du
solde extérieur courant traduit une baisse de la
capacité de financement de l’économie nationale. On
observe alors que cette évolution provient d’une forte
augmentation des besoins de financement des
sociétés non financières et des administrations
publiques, qui n’a été que très partiellement
compensée par la hausse des capacités de
financement des ménages et des sociétés financières
(cf. graph. 2).
GRAPH. 2 : CAPACITÉ / BESOIN DE
FINANCEMENT
-150
-100
-50
0
50
100
1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
En Mds
EUR
Sociétés non financières Sociétés financres
Adm. publiques Ménages
Solde courant
Source : INSEE
En d’autres termes, la hausse de l’épargne des
ménages et des sociétés financières n’a pas permis de
financer le gonflement du déficit des administrations et
la baisse de l’autofinancement de l’investissement des
sociétés non financières.
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ENCADRÉ 1 – LES DEUX APPROCHES DU SOLDE EXTÉRIEUR COURANT
Le solde courant d’un pays peut être interprété de deux manières différentes qui sont chacune
comptablement l’exact miroir l’une de l’autre. La première d’entre elles, qui repose sur les comptes
extérieurs, décrit l’équilibre externe du pays. La deuxième, plus tournée vers la situation interne du pays,
décrit l’équilibre épargne-investissement de la nation.
Dans la première approche, le solde courant du pays est la différence entre les paiements courants
(échanges de biens et services, revenus et transferts) reçus par le pays du reste du monde et ceux qu’il paie
à ce dernier. Il est usuellement décomposé en trois postes :
Le solde commercial : il s’agit de l’écart entre les exportations et les importations de biens et services.
Le solde des revenus et transferts courants : les principales opérations entre la France et l’étranger
prises en compte ici sont les versements de revenus de la propriété (intérêts et dividendes), les
rémunérations des salariés (par exemple pour les travailleurs transfrontaliers) ainsi que les transferts entre
les administrations françaises et les institutions européennes.
Le solde des transferts en capital : le solde retrace notamment les envois d’argent de travailleurs
migrants vers leur pays d’origine, les abandons de dettes, les ventes de brevets, terrains ou mines.
Dans la seconde approche, qui n’est qu’une description comptable différente des mêmes chiffres, on se
concentre plus sur les équilibres internes de l’économie. Le solde courant est alors défini comme étant la
différence entre l’épargne et l’investissement du pays, que l’on décompose habituellement selon les
secteurs suivants :
Les entreprises non financières
Les entreprises financières
Les administrations publiques, c’est-à-dire principalement l’État, les collectivités locales et les
administrations de sécurité sociale
Les ménages
Les institutions sans but lucratif au service des ménages
Par exemple, on pourra donner deux lectures différentes d’un déficit courant : dans la première, le pays
paye plus à l’étranger qu’il ne reçoit, par exemple parce qu’il présente un déficit commercial ; dans la
seconde, le pays investit plus qu’il n’épargne, ce qui génère un besoin de financement depuis l’étranger.
LA SITUATION FINANCIÈRE DES ENTRE-
PRISES S’EST TENDUE DEPUIS LA CRISE
Néanmoins, cette évolution globale sur toute la période
1999-2011 recouvre trois réalités distinctes : l’avant-
crise, la crise de 2008-2009 et enfin la phase 2010-
2011.
A
VANT LA CRISE
,
UN EFFORT CROISSANT
D
INVESTISSEMENT DES ENTREPRISES ET UN
DÉFICIT PUBLIC QUI SE CREUSE
Entre 1999 et 2008, la dégradation du solde extérieur
courant de la France, qui passe d’un excédent de
35 Mds EUR à un ficit de 37 Mds EUR, provient de
deux facteurs distincts.
Premièrement, le solde public se dégrade
significativement. Ainsi, alors qu’il était d’environ 1,5 %
du PIB entre 1999 et 2001, il oscille ensuite autour de
3 % entre 2002 et 2008, avec un pic à 4,1 % du PIB en
2003. Au total, cette dégradation des finances
publiques explique à hauteur de 40 Mds EUR la baisse
du solde courant entre 1999 et 2008.
Deuxièmement, le besoin de financement des sociétés
non financières s’accroit sensiblement à partir de 2004,
sous le coup d’une hausse rapide de leur
investissement. En effet, sur ces années, la progression
de l’investissement des entreprises a été sensiblement
plus prononcée que celle de leur activité. Cela s’est par
conséquent traduit par une hausse de leur taux
d’investissement qui a atteint, en 2008, un plus haut
depuis 1974 (cf. graph. 3). Au total, le besoin de
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financement des sociétés non-financières est passé de
11 Mds EUR en 2003 à 58 Mds EUR en 2008.
GRAPH. 3 : TAUX D'INVESTISSEMENT
DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
16
17
18
19
20
21
22
23
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
En %
Source : INSEE
En revanche, sur l’ensemble de cette période, au-delà
de variations parfois importantes, la capacité de
financement des ménages reste globalement assez
stable et la capacité de financement des sociétés
financières ne progresse que faiblement.
A
U PLUS FORT DE LA CRISE
,
CHUTE DE
L
INVESTISSEMENT DES ENTREPRISES ET BOND DU
DÉFICIT PUBLIC
En 2009, sous l’effet de la crise, les évolutions ont été
très brutales sur chacun des agents économiques.
Mais, au total, cela s’est traduit par une interruption de
la dégradation du solde extérieur courant de la France.
Ainsi, le déficit public de la France s’est envolé, sous le
coup de la chute des recettes dans le sillage de la forte
dégradation de l’activité, d’une part, et de la mise en
œuvre du plan de relance, d’autre part. Le déficit public
est alors passé de 3,5 % du PIB à 6,4 % du PIB, soit
un creusement de près de 80 Mds EUR.
Cet alourdissement du besoin de financement public a
néanmoins été compensé par l’amélioration de la
capacité de financement des autres secteurs.
Ainsi, confrontés à la crise, les ménages ont fortement
accru leur épargne, leur taux d’épargne progressant de
près d’un point sur l’année, et ils ont sensiblement
réduit leur investissement
2
. Ils ont ainsi dégagé une
capacité de financement supplémentaire de plus de
30 Mds EUR.
Les sociétés non financières ont été confrontées à la
baisse de leur épargne, du fait de la chute de l’activité,
2
Il s’agit essentiellement de l’achat de logements neufs par les
ménages
mais, surtout, elles ont fortement coupé dans leurs
investissements et elles ont réduit leurs stocks. Par
conséquent, elles ont fortement réduit leur besoin de
financement sur l’année, de plus de 40 Mds EUR (cf.
graph. 4).
GRAPH. 4 : BESOIN DE FINANCEMENT
DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
-250
-200
-150
-100
-50
0
50
100
150
200
1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
Investissement Stocks
Épargne
Capacité de financement
Source : INSEE
Enfin, les sociétés financières ont accru leur épargne
de près de 10 Mds EUR, la baisse des taux d’intérêt à
court terme ayant amélioré leurs marges
3
.
D
EPUIS LA CRISE
,
UNE NETTE DÉGRADATION DE LA
SITUATION FINANCIÈRE DES ENTREPRISES
Depuis la crise, le déficit courant de la France s’est de
nouveau creusé, pour s’établir à 42 Mds EUR en 2012,
après un pic à 49 Mds EUR en 2011.
Cette gradation provient essentiellement de
l’augmentation des besoins de financement des
sociétés non-financières, de plus de 40 Mds EUR. Elle
tient également à un repli de la capacité de
financement des ménages, à hauteur de plus de
10 Mds EUR : leur épargne est restée stable alors que
leur investissement s’est redressé. En revanche, elle a
été limitée par le début d’assainissement des finances
publiques, qui a réduit le besoin de financement de
l’État de plus de 40 Mds EUR.
La forte augmentation du besoin de financement des
sociétés non financières résulte d’un effet de ciseau
entre, d’une part, une érosion de leurs marges et,
d’autre part, un investissement qui est reparti
nettement à la hausse puis s’est stabilisé en 2012
3
Ce résultat n’est pas contradictoire avec la forte dégradation des
résultats des entreprises financières sur la même période. En
effet, les pertes réalisées, du fait de la crise, sur leurs
investissements n’ont pas d’impact en comptabilité nationale sur
leurs revenus ou leur épargne mais directement sur leur
patrimoine.
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malgré un environnement économique peu favorable et
incertain.
GRAPH. 5 : SITUATION FINANCIÈRE
DES SOCIÉTÉS NON FINANCIÈRES
20
22
24
26
28
30
32
34
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010
En %
0
20
40
60
80
100
120
140
En %
Taux de marge (G) Taux d'autofinancement (D)
Source : INSEE
Ainsi, le taux d’investissement des sociétés non
financières a quasiment renoué en 2011 et 2012 avec
le niveau record de 2008 alors que leur taux de marge
est en 2012 retombé au plus bas depuis 1985, tout
comme leur taux d’autofinancement (cf. graph. 5).
LA SITUATION DES ENTREPRISES FAIT
PESER UN RISQUE SUR L’ACTIVITÉ
U
N AJUSTEMENT JUSQU
ICI PARTIEL DE L
EMPLOI
ET DE L
INVESTISSEMENT À L
ACTIVITÉ
Cette dégradation de la situation financière des
entreprises peut s’expliquer par l’ajustement,
seulement partiel, à l’activité de deux facteurs : d’une
part, les sociétés non financières ont fortement investi
au regard de la faiblesse de leur activité, ce qui s’est
traduit par un taux d’investissement record ; d’autre
part, l’ajustement de l’emploi a été limité au regard de
la chute de l’activité, puis de la faiblesse de son rebond
(cf. graph. 6).
Ainsi, sur les années 2008 à 2012, la productivité du
travail dans le secteur marchand non agricole a
globalement stagné alors qu’elle avait progressé en
moyenne de 1,3 % par an sur la décennie précédente.
Par conséquent, l’emploi dans les entreprises ne
s’étant ajusté que partiellement à la baisse de leur
activité, leur rentabilité s’est gradée. Et, en
contrepartie, le partage de la valeur ajoutée s’est
déformé au profit de la rémunération des salariés : la
part de celle-ci est ainsi passée d’environ 65 % avant
crise à près de 68 % en 2012.
GRAPH. 6 : EMPLOI ET VALEUR
AJOUTÉ DU SECTEUR MARCHAND
NON AGRICOLE
-5
-4
-3
-2
-1
0
1
2
3
4
5
1997 1999 2001 2003 2005 2007 2009 2011
En %
Productivité Valeur ajoutée Emploi salar
Sources : INSEE, calculs SG
U
N AJUSTEMENT PLUS MARQUÉ PÈSERAIT
FORTEMENT SUR L
ÉCONOMIE
Ces désajustements de l’investissement et de l’emploi
sont de nature à faire peser un risque important à
l’économie française.
Certes, une première façon de les résorber serait le
retour d’une croissance forte. Des créations d’emplois
mesurées et une hausse contenue de l’investissement
permettraient alors de revenir progressivement à une
situation plus équilibrée, avec des entreprises qui
restaureraient progressivement leur profitabilité.
Malheureusement, au vu de la conjoncture actuelle, un
tel scenario apparait peu probable.
Une autre trajectoire possible serait nettement plus
pénalisante. En effet, à activité donnée, il faudrait que
les entreprises réduisent leur investissement et
l’emploi. Du fait de l’importance des désajustements
initiaux, ces réductions seraient potentiellement de
grande ampleur. Ainsi, pour ramener leur taux
d’investissement à son niveau moyen prévalant dans la
décennie avant crise, il faudrait que les sociétés non
financières baissent leur investissement de près de
7 %, soit l’équivalent de 0,7 point de PIB. Et pour
rattraper le retard de productivité accumulé sur les
quatre dernières années par rapport à la tendance
prévalant sur la décennie précédente, il faudrait réduire
l’emploi salarié marchand non agricole de plus d’un
million de postes.
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