Gestion De lA bioDiversité DAns lA réserve nAturelle De lA CArAvelle

Gestiondelabiodiversité
dans la réservenaturelle delaCaravelle
Michel Vennetier -ClaudeSastre-RonaldBrithmer
PRÉSENTATION DU SITE
Situationgéographiqueetbiogéographique
La Réservenaturelle delaCaravelle (RNC)sesituesurl’île delaMartinique,dans les petites
Antillesl’extrémitédelapresqu’île delaCaravelle (figure 1,p. 198). Dune surfacede 388 ha,
elle se présentecomme une cterocheuse en forme defer àcheval,dune altitudemoyenne de
100 m,entourant unlagon central.
Leclimat est sec, avec ungradient depluviométrie de1000 à1 300 mm/anrapide,puisqu’il est
perceptible entre l’Est et l’Ouest delaréserve. La saison sèche y est très longue(de4à 6 mois),
tempérée par unfort taux d’humiditéatmosphérique. Les alizés très soutenussoufflant du nord-
est une grandepartie delannée,chargés d’embruns salés,sont une contrainteparticulière sur
les versantsexposés.
Undes intérêtsdecetteréserveest d’être notamment représentativeducosystème en voie
dedisparition :laforêt côtière xéro-mésophile semi-sempervirentedes petites Antilles. Depuis la
colonisation européenne,cet espaceest le plusanthropisé :exploitation du bois,défrichements
pourlagriculture, urbanisation, voies decommunication. Beaucoupdes espèces quiluisont
inféodées sont devenues rares,certaines étant menacées dedisparition totale ou ayant déjà
disparu.
Présentant des paysages remarquables,des pointsde vueexceptionnels sur toutelacôteatlan-
tiquedelaMartiniqueet unpatrimoine historiqueintéressant,cetteréserveattire 200 000 visi-
teurs/an. Cettepression touristiqueserait excessivedans unespacenaturel aussi fragile si elle
n’était pasmaîtrisée et canalisée.
Historique
Peu modifiée parles populations amérindiennes,laréserves’est peuplée dès l’occupation de
l’Est del’île parles Français vers 1658. En1720,elle est déjàlargement défrichée pourlaculture
delacanne àsucre (Labat,1742)mais cetteculture y périclitedès 1770 pourdisparaître avant
1853 (Petitjean-Roget,1990). Lepâturage devient alors l’activitéprincipale,accompagné de
coupes debois et delachasse. Ilperdureraen diminuant progressivement d’intensitéjusquàla
cation delaréservenaturelle en 1976.En1988,le Conservatoire delEspacelittoralet des
Rivages lacustres acquit 257hadelaréserve,comprenant aussi une bandepériphériquedeforêt
domaniale littorale,et quelques propriétés privées. La réserveest gérée parleParcnaturel
régionaldelaMartinique.
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GÉRER DE MANIÈRE CONSERVATOIRE
CONNAISSANCEDUPATRIMOINE NATUREL
Travaux anciens
Les travaux dePortecop
et al
.(s.d.) réalisés jusqu’en 1973 aboutissent à une première carte
écologique,montrent l’intérêt scientifiquequeprésentelapresqu’île et lacessitédesaprotec-
tion. Des travaux ornithologiques (Pinchon,1976)soulignent également lacessitédepréserver
cet espace,dernier refuge et sitedenidification du Moqueuràgorge blanche (
Ramphocynclus
brachyurus
Veillot),oiseau endémiquemenacédedisparition totale,dont il ne restait alors que
quelques couples.
Travaux récents
En1990,le comitéscientifiquedu Parcnaturel régionaldelaMartiniqueaalisé uninventaire
détaillé des richesses delaréserve:faune,flore,minéraux, usages,patrimoine historique.
•Historiquedela végétation parles photographies aériennes
Une première approche parphotographies aériennes apermis lacomparaison des principaux
types de végétation entre 1952 et 1988,montrant trois tendances principales :
—ladisparition ou laforteréduction delaplupart des “savanes”,
unaccroissement important des formations arbustives (fourrés),au détriment des
“savanes” et zones boisées,
une progression localisée delaforêt surcertaines “savanes” et fourrés.
Cetteconjonction d’évolutions contradictoires,progressives ou régressives,pouvait être expliquée
parlepassage en 1979dun très violent cyclone. Mais il fallait le démontrer par une description
plusfine dela végétation.
•Inventaires flore et faune
Ces inventaires ont mis en évidencela très granderichesse delastratearborée et arborescente,
et laprésencedenombreuses espèces inscrites surlalisterouge des espèces animales ou végé-
tales menacées des Antilles (Fiard, 1992). Surses 388 ha, laréserveabrite179espèces de
phanérogames et plusdune centaine d’espèces delamacrofaune dont 78espèces d’oiseaux.
Les analyses statistiques ont aussi permis demieux connaître l’écologie des espèces :notam-
ment leurplacedans ladynamique végétale conduisant des îlotssavanicoles aux forêts,ou dans
lareconstitution des peuplementsforestiers détruitsparles cyclones (Vennetier et Sastre,1991).
Des relations ont pu être établies demême pourles espèces animales,certaines semblant inféo-
dées aux milieux ouverts(particulièrement les papillons),dautres étant plusattachées aux
milieux forestiers évolués.
Lanalyse des classes dâge des différentes espèces végétales,éclairée parleurstatut dans ladyna-
miquedes peuplements,et l’étudedes photographies aériennes et des documentsanciens ont
permis dereconstituer l’histoire des peuplementsdelaréserveau cours des derniers siècles,quia
une forteinfluencesursacomposition actuelle. Surlabase del’ensemble deces travaux, une carte
des unités écologiques aétéétablie (Sastre
et al
.,1994a),quiaservidebase au plandegestion.
•Placettes permanentes
La dynamiquede végétation étant établie,on achercàlaquantifier. Pourcela, 18 placettes
permanentes ont étéinstallées en 1994 (Sastre
et al.
,1994b),dans des sites représentatifs des
différentes unités écologiques définies précédemment (figure 1,p. 198). L’inventaire deces
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Gérer de manièreconservatoire
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M ICHEL V ENNETIER - C LAUDE S ASTRE - RONALD B RITHMER
placettes aétéréalisé tousles trois ans,en 1994,1997 et 2000.Surcettecourtepériode,les
évolutions au sein des placettes ont étéspectaculaires,montrant queladynamique végétale est
en permanencelarésultantededeux forces contradictoires (Vennetier et Sastre,1997, 2001) :
—leretourenforcedes espèces ligneuses au détriment des “savanes”,et ladensification
des peuplementsforestiers,
—ladestruction del’étage dominant des forêtsparles cyclones.
F IGURE 1CARTE DE LA RÉSERVE ET ÉLÉMENTS DU PLAN DE GESTION
F IGURE 2
ÉVOLUTION
EN 9ANS (1986-1995)
DES CLASSES DE DENSITÉ
DE LA VÉGÉTATION
Onnoteladisparition
des “savanes”
(arbustif clairsemé)
et laprogression
delaforêt (arboré)
Rocheux
Herbacéclair/sol nu
Arbustif clairsemé
Arbustif dense
Arboré
Arboré dense
Onest ainsi passé en 6 ans,dans certains transectsde“savane”,de10 à90%derecouvre-
ment ligneux,avec une quasi-disparition des espèces herbacées. Dans les placettes defourrés
clairs,le recouvrement delastrateherbacée est passé de 35à5%, tandis quelecouvert arboré
passait de45à90%. Dans les fourrés au départ plusdenses, toute végétation herbacée a
disparu, tandis queladensification du couvert était fatale au cortège d’espèces ligneuses ou
semi-ligneuses pionnières depetite taille. Toutes les placettes en forêt ont subides dégâtsau
cours des tempêtes de1995,allant del’éclaircissement des houppiers àlachutedegrands
arbres. Mais,globalement,lafermeture des milieux et ladensification des peuplementsl’empor-
tent largement dans laréserveentre 1991 et 2000.
Àces deux tendances majoritaires,s’ajoute,depuis les années 1980,l’invasion des “savanes” et
fourrés clairs pardes lianes parasites (
Cuscutaamericana
L.et
Cassytefiliformis
L.). Laction
destructivedeces parasites, tuant leurs plantes hôtes,conduit à une rapiderégression dela
couverture végétale,se traduisant par une fortrosion des sols. Plusde5%delasurfacede
laréservtaient déjà touchés en 1991. Malgré des travaux dedéfense et restauration des sols,
les dégâtsont continuéàs’étendre sur toutelaréserve. Des travaux plusambitieux sont
programmés en 2000-2001pourenrayer cetteprogression quicompromet totalement l’avenir des
zones touchées.
•Images satellitales
Les placettes permanentes ont permis demontrer et quantifier localement ladynamiquedela
végétation,mais ne permettent pas une évaluation du phénomène àl’ensemble delaréserve.
Les photographies aériennes n’ont pas unpouvoir dediscrimination suffisant àcourt terme. Elles
ne permettent pasnon plusdedistinguer correctement les principaux types forestiers.
Des travaux deBrithmer (1994) montraient lapertinencedes images satellitales pouvaluer ladyna-
mique végétale àl’échelle delaréserve. Surdeux images dedécembre 1986 et mai1995, unindice
debiomasse aétécalcu,rapport entre le proche infrarouge et le rouge. Fonction del’intensitéchlo-
rophyllienne et del’indicederecouvrement foliaire,il est unbon indicateurdu couvert végétal.
Les cartes d’indicede végétation (Berthol,1997)confirment lapoursuitedel’évolution rapidede
la végétation entre 1986 et 1995 :disparition des “savanes” et densification forestière. Elles
permettent une vision globale delamosaïque végétale quiconstitue une des bases dela
richesse biologiquedecetteréserve. Lemaintien des surfaces delaclasse “herbacéclair et sol
nu,si on tient comptedeladisparition des “savanes”,mesure l’inqutanteprogression des
zones érodées.
CARACTÉRISATION DE LA BIODIVERSITÉ
Les unités écologiques delaréserveseregroupent en quatre ensembles :sols nus,formations
littorales,“savanes”, végétation ligneuse des versants. La biodiversitédun type de végétation
n’est pasliée àson staded’évolution ni àlafertilitédes sites. Les stades transitoires quesont
les fourrés et les forêtssecondaires secouées parles cyclones sont les plusriches. Deplus,les
milieux les pluspauvres en espèces végétales peuvent être les plusriches dediversitéanimale.
Àcette“quantité” debiodiversitéordinaire,il faut ajouter laqualité;chaquemilieu,même le
pluspauvre,renferme des espèces rares ou absentes dautres sites martiniquais ou antillais,ou
protégées àl’échelle nationale.
La richesse delaréserveest doncsurtout liée àlamosaïqueirrégulière demilieux et destades
d’évolution dela végétation,permettant à unmaximumd’espèces animales et végétales de
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Gérer de manièreconservatoire
trouver des conditions favorables àleurdéveloppement.L’évolution delaréserve vers une
fermeture quasiment complètedes peuplementsparlaforêt conduit à terme à unappauvrisse-
ment en espèces végétales et animales. Parmi les animaux connuset inventoriés,les papillons
et certains oiseaux préférant les milieux ouvertssont fortement concernés,mais uncortège
dautres espèces moins connues le sont sans douteaussi.
Ainsi les falaises en borddemer,pratiquement dépourvues de végétation,sont le refuge d’oi-
seaux marins nicheurs comme les Sternes (
Sternafuscata
L.) et les rares Paille-en-queue(
Phaeton
aethereus
Peters).
Les zones d’érosion présentent labiodiversitélapluspauvre. Mais elles comprennent une Cypé-
racée rare (
Rhynchospora tenuis
Link),et l’Engoulevent coré (
Caprimulguscayennensis
),espèce
protégée au niveau national, y niche. Dans les arrière-mangroves,lasursalinitédes sols empêche
touterecolonisation végétale,mais laisse placeàd’innombrables colonies decrabes,participant
àlachaîne alimentaire delamangrove.
Siles mangroves delaréservenecomptent comme végétation que5espèces dePatuviers
(dont une rare),l’avifaune y est remarquablement diversifiée avec53espèces. Ces mangroves
sontaussi le lieu dereproduction denombreuses espèces depoissons. Les bois deplage sur
sable se présentent comme debelles futaies,lieu depdilection des crabes terrestres,et
abritent deux arbres devenus très rares :l’Ennivrage (
Piscidiacarthagenensis
Jacq.) décimé pour
lache parempoisonnement,et le Mahot borddemer (
Hibiscus tiliaceus
L.) dont l’écorce
fibreuse était prélevée pourlafabrication decordes.
Les “bois couchés” àraisiniers borddemer (
Coccoloba uvifera
Jack) et àpoiriers [
Tabebuia
pallida
(Lindl.) Miers]constituent unhabitat àpart,lié àl’exposition permanenteaux ventsdomi-
nantschargés d’embruns. Ils se présentent comme des alignementsparallèles serrés darbres en
drapeau,riches de 34espèces dephanérogames malgré les contraintes très fortes du milieu.
Les “savanes” d’origine anthropiquecorrespondent au stade ultime dedégradation des forêts,
mais on y trouvedes espèces rares en Martinique(Fournet,1978) comme
Rhynchospora tenuis
Link,
Spiranthes torta
(Thumb.) Garay et Sweet, unlis blanc[
Hymenocallis cf. fragrans
(Salisb.)
Salisb.], et
Curculigo scorzonerifolia
(Lam.) Baker,espèceréputée guyanaise et dont c’est l’unique
station naturelle martiniquaise. Ces “savanes” constituent le milieu privilégié denombreuses
espèces depapillons,quisont beaucoupmoins abondantsenmilieux fermés.
Surles versants,lasurprenanterichesse des fourrés àMyrtacées et àCrotons (73 espèces végé-
tales dont 65espèces ligneuses) tient au mélange des espèces pionnières et des espèces préfigu-
rant laforêt à venir. Ces fourrés abritent divers animaux quiaiment les lieux “secrets”,secset peu
fréquentés,comme le Colibri falle vert (
Eulampis holosericeus
). Les formations àbois rouge (
Cocco-
loba swartzii
Meissn.) ou àraisiniers grandes-feuilles (
Coccoloba pubescens
L.),quileursuccèdent,
constituent le stadepost-pionnier delaforêt xérophile,et présentent une richesse tout aussi
importante,mais partiellement différente. Plusieurs espèces très rares y sont recensées dont une
espèceendémiquedelapresqu’île delaCaravelle,
Coccoloba caravellae
Sastre et Fiard.
Dans les fondsde vallons plats,le sol alluvialprofondpermet lacroissancedegrandsarbres
parmi lesquels le Courbaril (
Hymenaeacourbaril
L.). Cemilieu convient particulièrement bien à
des oiseaux rares :laGorge-blanche et le Carouge (
Icterusbonana
L.) endémiquedelaMarti-
nique. Ilest pluspauvre en végétaux àcause deladensitédu couvert (44 espèces dephané-
rogames),mais abrite uncortège mésophile uniquedans laréserve.
Dans quelques îlotsdifficiles daccès,se maintient laforêt àAcomats(
Sideroxylon foetidissimum
Jacq) et àCourbarils,considérée comme laplusproche du climax probable des versants:laforêt
xérophile semi-sempervirente(Duss,1897). Lesous-bois est principalement constituéd’espèces à
200 Rev.For. Fr. LIII -numéro spécial 2001
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