Fiche n° 28
L’islam dans les prisons
Cette fiche s’inspire pour une grande part des livres de Fahrad Khoroskhavar l’islam dans les prisons”
et “l’islam des jeunes.
Les musulmans sont 7 à 8 % de la population française mais ils formeraient la majorité de la population
carcérale, de plus de 50 % à 80 % dans les prisons proches des “banlieues”. Les “jeunes des cités” dont le
re est d‟origine maghrébine sont presque 10 fois plus nombreux en prison que ceux dont le père est né
en France. Le racisme qu‟ils subissent dans la société leur rend difficile l‟accès au travail qui seul leur
permettrait une ritable insertion sociale. Même s‟ils ne pratiquent pas leur religion, ces jeunes en situa-
tion de précarité voire d‟exclusion sociale se désignent assez spontanément comme musulmans : l‟islam
est devenu une nouvelle manière d‟être, une sorte de langage d‟appartenance au monde des banlieues et la
religion des dominés, ce qui le rend particulièrement séduisant aux yeux des détenus en quête de dignité.
La famille, même séparée, est leur pôle d‟identification majeur. Il y a une réelle difficulté de relations et
d‟échanges entre générations : le respect qui marque les jeunes générations vis-vis des plus âgés interdit
le débat et le non-dit peut aggraver les choses. Cette brisure de la vie familiale affecte autant les parents
que les enfants. La déstructuration de la cellule familiale se vit comme un traumatisme d‟autant plus pro-
fond que ça atteint les racines même de leur culture du „vivre ensemble‟.
La pratique de l’islam
La détention peut être l‟occasion d‟une redécouverte de la dimension religieuse de leur identiperson-
nelle : "Depuis que je suis tombé, j’ai arrêté toutes mes conneries. J’ai pris la décision de me mettre à
fond dans l’islam. Maintenant ça y est, j’ai repris le droit chemin, la prison a été le déclic" M. En appeler
à Dieu permet de s‟aménager un espace soustrait à l‟autorité carrale et aux surveillants on peut se
sentir digne d‟appartenir à la “meilleure des communautés”, celle qui a reçu la “dernière révélation di-
vine”. Ils adaptent leur religion à leur situation carcérale, devenant plus ou moins sujets de leur foi, faute
d‟être maîtres de leurs mouvements et acteurs de leur vie. La religion permet souvent de canaliser la
haine, l‟incertitude, l‟angoisse et le sentiment d‟injustice.
Il y a différentes manières de pratiquer l‟islam en prison :
- Il peut demeurer une affaire strictement personnelle : c‟est le fait majoritaire de ceux qui se disent mu-
sulmans mais vivent une indifférence religieuse pratique ou refusent toute ostentation et cantonnent leur
foi au seul domaine pri. Ils respectent l‟islam de leurs parents, lequel ne leur pose pas question et ne fait
pas sens pour leur vie.
- Il peut remplir la fonction de code moral que la socién'a pas su leur inculquer. L'islam fournit à cha-
cun l'occasion de se racheter, en affirmant son identité à l'écart de la délinquance. Il rend l‟individu à
même de supporter l‟injustice des hommes, de ne pas trop s‟insurger contre l‟institution carcérale et
même de résister à l‟usure et au désespoir. Ainsi, se présente-t-il comme une solution de secours face à la
frustration qu‟on éprouve d‟autant plus intensément qu‟on est désœuvré et sans perspective d‟avenir.
- Il peut apporter un “supplément d‟âme”, l‟adhésion à l‟islam transfigurant l‟infériorité sociale en supé-
riorité morale et religieuse. L‟islam seul peut donner sens à leur vie dont rien ne vient combler le vide.
Cette religiosité est instable, comme toute forme d‟engagement de leur part. Le recours au 'mektoub' - le
destin - permet d‟acquiescer à l‟inéluctable, rendant l‟emprisonnement plus supportable, tout en incitant à
y mettre fin en s‟améliorant par le recours à la foi. L‟islamisation conçue comme un retour aux sources
permet au sujet qui s‟est vu refuser droit de cité dans la nation de s‟y trouver une place.
- Il peut être le ferment d‟une révolte qui radicalise la haine de la société en la sacralisant : cest
l’islamisme. Là, le sacré donne un contenu idéologique à la violence, la rend froide et calculée. Le recours
au radicalisme est d‟autant plus aisé que les jeunes ne savent quasiment rien de l‟islam. Leur religion leur
fournit un statut social unique puisque souvent ils ne sont rien socialement. Les islamistes radicaux sont
respectés en milieu carral, même si beaucoup les évitent. Du fait de leur prestige, les surveillants ont
recours à eux pour atténuer les tensions et mettre fin à certains conflits, à charge de leur rendre de menus
services.
Les sujets de dissension (s’indigner, c'est aussi se donner une raison d’être !) :
- Le sentiment qu‟on veut empêcher les musulmans de prier et que la disparité est grande entre le traite-
ment infligé à l‟islam et celui ser aux autres confessions. Les principales institutions représentatives
de l‟islam en France sont absentes des prisons et les aumôniers musulmans sont en nombre insuffisant.
Les liens que les tenus, quasiment livrés à eux-mêmes, développent entre eux prévalent, ce qui facilite
d‟autant plus la tâche des plus “intégristes”.
- Le ramadan et les prescriptions alimentaires dont le respect marque souvent l‟appartenance à la commu-
nauté musulmane et la différence avec les autres”. Plus la ferveur est faible et plus on ignore les pré-
ceptes fondamentaux de l‟islam, plus on recherche des signes identitaires visibles. Et la contrainte du
jeûne relègue momentanément au second plan la cessité de trouver une issue à la prison et à la délin-
quance.
Convertis et prosélytisme
L‟islam répond au besoin de certitudes simples et bien tranchées : il indique clairement ce qui relève du
bien et du mal, le permis et l‟interdit, contrastant en cela avec un christianisme trop compromis avec une
modernité sans absolu qui estompe les frontières entre le vrai et le faux, le bien et le mal. où, au sein
des sociétés dépraes, l‟homme se sent détrôné dans sa masculinité et sa virilité, l‟islam restaure la dis-
tinction hommes et femmes et rassure les hommes sur leur supériorité.
Le prosélytisme rend possible une sociabiliau sein de laquelle on se sent utile et grâce à laquelle celui
qui prêche la bonne parole acquiert une importance et une dignité qui manquent tellement en détention.
Ce prosélytisme peut être discret, individualisé et bricolé : on s‟adresse à son compagnon de cellule ou, en
promenade ou au sport, à un autre avec lequel on sent des affinités et on lui propose de le guider dans la
foi. On peut aussi faire circuler le Coran, se prêter des livres ou des cassettes sur l‟islam venus du dehors
dont on discute ensuite : "J'ai rencontré un frère ici qui m'a remis sur le droit chemin".
Le prosélytisme attire à l‟islam les démunis et exclus dont la perspective d‟intégration est inexistante, en
se fondant sur le rappel des origines islamiques et en les invitant à rejoindre une communauté qui pren-
drait en charge leurs besoins spirituels en donnant un sens à leur existence et une conscience de leur digni-
en marge de la société. L‟affinité pour l‟islam peut être proportionnelle à leur pit envers les Fran-
çais” qualifiés de racistes. Devenir musulman n'est pas difficile : il suffit de prononcer devant témoins une
phrase qui pose l'unicité de Dieu et l'authenticité de Mahomet comme son prophète. De fait, les conver-
sions à l'islam ne sont pas rares en prison.
L’institution pénitentiaire et l’islam
En prison, les problèmes majeurs tiennent à l‟arrivée massive des jeunes des banlieues, au sentiment
d‟impuissance des surveillants face à leur conduite (l‟irruption d‟une subjectivité musulmane représente
quelque chose d‟inadmissible pour les surveillants) et à l‟islam prosélyte qu‟accompagnent parfois des
formes nouvelles de violence et d‟incivilité.
La protestation contre la stigmatisation et le racisme engendre un islam protestataire, ostentatoire et sou-
vent irrespectueux des normes séculières de la société française. Par impuissance, l‟institution péniten-
tiaire y répond de manière défensive et réactive, cherchant souvent à les occulter pour ne pas faire de
vagues, ni provoquer de remous susceptibles de fragiliser davantage l‟équilibre déjà précaire qui règne
derrre les barreaux.
L'institution ne traite pas l'islam sur le même pied que les autres religions. Ex. la viande halal n'est pas
fournie. L‟absence de formation adéquate et un esprit réfractaire à la compréhension des phénomènes
religieux rend l‟institution pénitentiaire incapable de comprendre la nature des enjeux inédits liés à
l‟islam, et d‟en saisir l‟importance, ne serait-ce que pour pouvoir y faire face.
L'administration pénitentiaire a le souci de combler progressivement le déficit qui concerne le culte mu-
sulman pour réaliser l'équilibre entre le nombre de tenus relevant de cette confession et leurs aumôniers
: l'absence d'aumônerie musulmane dans des établissements engendre une revendication forte, des détenus
prennent la place des imams et s'autoproclament représentants de l'islam. Ils font la prière collective du-
rant la promenade, leur tapis à la main, alors que c'est souvent interdit par le règlement. Certains lancent le
cri du muezzin de leur cellule pour annoncer l'heure de la prre
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