La particularité des leucocytes et des plaquettes,
en termes d’adhérence cellulaire, réside dans la
rapidité avec laquelle ces cellules passent de
l’état circulant à l’état de cellules adhérentes.
Entraînées passivement par le flux sanguin, les
plaquettes s’immobilisent instantanément à la surface de
l’endothélium lésé et s’agrègent pour former le thrombus. De
même, les leucocytes ralentissent au contact de l’endothélium
activé par des stimuli inflammatoires et, en quelques minutes,
adhèrent fermement à cet endothélium pour entreprendre une
migration à travers les tissus. Les molécules qui permettent
aux cellules d’effectuer ce changement sont principalement
les intégrines, c’est-à-dire des protéines transmembranaires
exposées sur leur membrane plasmique et capables de lier
des ligands cellulaires ou matriciels. En effet, les intégrines
leucocytaires et plaquettaires (intégrines b
2
et a
IIb
b
3
, comme
nous le verrons en détail, mais aussi intégrines b1) sont
susceptibles de passer très rapidement d’une conformation
inerte à une conformation active ayant une forte affinité pour
les ligands.
L’importance des processus d’adhérence des leucocytes et
des plaquettes a été en grande partie révélée par l’observa-
tion de déficits génétiques touchant les intégrines : chez
l’homme, le déficit génétique en chaîne b2 de l’intégrine est
à l’origine d’un syndrome sévère, le déficit d’adhérence
leucocytaire de type 1 ou leukocyte adhesion deficiency
type 1 (LAD-1), responsable chez l’enfant d’infections bacté-
riennes récurrentes létales. Ce déficit se traduit par une
incapacité des cellules de l’immunité innée (neutrophiles et
macrophages) à adhérer à l’endothélium vasculaire, à trans-
migrer vers les sites inflammatoires et à effectuer d’autres
fonctions dépendantes de l’adhérence et cruciales dans la
réponse immunitaire, comme la phagocytose, l’explosion
respiratoire, la dégranulation. De la même façon, le déficit
génétique en intégrine plaquettaire aIIbb3 (GPIIbIIIa) se tra-
duit par une pathologie, connue sous le nom de thrombasthé-
nie de Glanzman, caractérisée par de graves troubles hémor-
ragiques dus à un défaut d’agrégation des plaquettes.
Plus récemment, un nouveau déficit génétique, touchant la
fonction des intégrines à la fois des leucocytes et des plaquet-
tes, a été décrit sous le nom de LAD-III ou LAD I-like. À ce jour,
quatre patients ont été décrits [1-4] avec un syndrome carac-
térisé par des infections à répétitions dues à un défaut
d’adhérence des cellules de l’immunité, et par des saigne-
ments dus à un défaut d’adhérence des plaquettes. Les
cellules de tous ces patients exprimaient des taux normaux
d’intégrines. Cependant, les leucocytes et les plaquettes de
ces patients présentaient un défaut fonctionnel de leurs inté-
grines, ce qui n’était pas le cas des autres cellules de
l’organisme. Si la nature exacte de ce déficit est encore
inconnue, il touche un élément de signalisation commun aux
cellules du système hématopoïétique et impliqué dans le
passage des intégrines de leur conformation inerte vers leur
conformation active. Cette observation révèle l’existence de
voies communes de transduction, mises en jeu par toute une
variété de stimuli inflammatoires et thrombotiques pour abou-
tir à l’activation des intégrines leucocytaires ou plaquettaires.
Nous nous proposons de passer ici en revue ces voies de
signalisation.
Présentation des intégrines
et de leurs ligands
Les intégrines forment donc une famille de récepteurs trans-
membranaires [5] permettant aux cellules d’adhérer à diffé-
rents substrats et ligands solubles, exposés par la matrice
extracellulaire ou exprimés par les cellules de l’organisme.
Ces récepteurs sont des hétérodimères composés de deux
sous-unités ab liées de façon non covalente. Chez les mammi-
fères, 18 chaînes aet 8 chaînes bont été décrites, mais on ne
compte que 24 combinaisons (ou récepteurs) ab. Les intégri-
nes sont classées selon le type de la chaîne bpartagée par
différentes chaînes a, qui détermine un répertoire spécifique
de ligands. Elles sont synthétisées et glycosylées au niveau du
Golgi, où elles s’associent en dimères. Cette association est
une condition obligatoire à la stabilité et à l’expression du
dimère au niveau de la membrane.
Les intégrines partagent entre elles la même structure, qui
comprend un large domaine extracellulaire et un domaine
cytoplasmique court, séparés par une portion transmembra-
naire (figure 1).
Les segments extracellulaires des intégrines sont asymétri-
ques et forment une « tête » globulaire portée par deux
« pieds » ancrés dans la membrane. Ces derniers possèdent,
au niveau de leur structure, un domaine flexible, ou
« genou », qui permet au récepteur exprimé à la membrane
d’adopter une forme fléchie ou une forme tendue (encart
figure 1).
La partie globulaire de l’hétérodimères ab assure la fonction
d’adhérence du récepteur grâce à la présence d’un ou deux
domaines I : l’inserted domain (I), encore appelé domaine A
en raison de son homologie avec le domaine A du facteur
von Willebrand [6] (FVW), représente le site d’interaction
avec le ligand. Il est présent dans la moitié des sous-unités aet
dans toutes les sous-unités b, avec une structure très similaire
appelée I-like. Le domaine I-like joue un double rôle, selon
que la chaîne aassociée porte ou non un domaine I. Quand
le domaine I de la sous-unité aest absent (par exemple la
chaîne a
IIb
de l’intégrine plaquettaire a
IIb
b
3
), la liaison avec
le ligand est totalement assurée par le domaine I-like de la
chaîne b. Dans le cas des intégrines leucocytaires b
2
,la
chaîne a(a
M
,a
L
,a
X
et a
D
) possède un domaine I qui assure la
liaison avec le ligand. Le domaine I-like de la sous-unité b
devient alors un domaine régulateur de son homologue I
[7, 8].
La spécificité de l’interaction est régie par une séquence
déterminant la spécificité du ligand SDL (specificity-determing
loop), située au niveau des domaines I et I-like.
Hématologie, vol. 12, n° 1, janvier-février 2006
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