comme le « principe suprême»6 de sa philosophie transcendantale. Or le propre de
cette théologie de l’Opus postumum, c’est qu’elle bouleverse l’équilibre des rapports
entre la morale et la théologie atteint dans les Critiques, notamment dans la
« Dialectique » de la Critique de la raison pratique. Dans l’Opus postumum, Kant
instaure en effet un lien étroit entre l’idée de la liberté et l’idée de Dieu. L’idée de la
liberté fait fonds pour se penser et se dire sur la théologie et inversement l’idée de
Dieu est clairement rattachée à la figure que prend pour nous cette liberté. En bref,
l’idée de Dieu recouvre celle de la liberté, la théologie est identifiée à la morale.
Comment interpréter ce remaniement, si on refuse les deux interprétations opposées,
mais symétriques d’une négation de la théologie qui demeurait encore implicite,
inavouée, dans la théorie des postulats et la définition de la croyance rationnelle,
d’une part, d’une restauration d’une morale théologique à la faveur d’un
affaiblissement du criticisme, qui tiendrait aussi à des difficultés structurelles
affectant ce dernier, d’autre part ? Selon nous, cette remise en chantier des rapports
entre morale et théologie dans l’Opus postumum doit effectivement être comprise
dans la perspective d’une «morale de la finitude », même si l’expression ne fut
formulée que bien plus tardivement. Ce qui à nos yeux l’atteste, ce sont les accents
religieux dont est paré le respect (pour la loi morale), dont on sait, notamment
depuis le débat qui opposa sur ce point Cassirer à Heidegger à Davos, combien son
interprétation est décisive pour l’ensemble de la philosophie pratique kantienne.
Dans le respect ne se joue rien de moins que l’assignation définitive, indépassable de
l’homme à son statut d’être sensible et mondain, l’assomption résolue de sa finitude.
Les accents religieux qu’on lui remarque (quand il se fait, par exemple,
« vénération » pour une loi « sainte ») signifient cependant que cette assomption de
la finitude ne s’effectue pas au détriment de l’autonomie, car ils révèlent la
possibilité pour la sensibilité de se constituer en « esthétique de la raison pratique
pure », ils témoignent d’un imaginaire langagier propre à la rationalité pratique. On
veut montrer donc comment le langage religieux, dans lequel Kant formule beaucoup
de ses concepts moraux, est l’expression d’un sujet conscient de la primauté en lui de
la dimension pratique et désireux d’agir, mais pour lequel cette dernière constitue
cependant un problème, autrement dit comment la religion est le langage d’une
subjectivité pratique finie, telle qu’elle aboutit en Dieu l’effort d’autoréflexion qui
6 Kant, Opus postumum, traduction et présentation par François Marty, Paris, PUF, 1986, p.254.