Proposer les vocations dans l`Église locale : de la lexicographie à l

Dominique Barnérias
prêtre du diocèse de Versailles,
curé de Sartrouville
Le thème qui est donné à l’Église pour la journée mondiale de
prière pour les vocations 2011 mérite une réflexion en tant que tel. Ce
titre n’est pas indifférent, en particulier dans le contexte de l’Église de
France, où le mot « proposer » est lesté, pour l’Église de France, d’une
histoire tout à fait particulière depuis le rapport Dagens de 1994.
Mais il peut être aussi opportun de retourner l’expression pour
étudier ce que l’Église locale propose pour les vocations. L’Église
locale est le lieu, mais aussi, nous le verrons, le sujet de la proposi-
tion. On peut en particulier s’intéresser à ce que propose l’Église
locale lorsqu’elle est réunie dans un synode diocésain.
Les synodes représentent en effet le peuple de Dieu d’un
diocèse, en acte de discernement pour son avenir, pour comprendre
quelle est la volonté de Dieu pour sa vie et sa mission, dans un
contexte culturel et social particulier. Dans le code de droit canonique
de 1983, le synode est le premier organe de collaboration qui est
donné à l’évêque (dans le titre III sur l’organisation interne des Égli-
ses particulières), avant la curie diocésaine, le conseil presbytéral, le
chapitre, le conseil pastoral diocésain. C’est dire son importance
pour le gouvernement d’une Église locale et pour la prise de cons-
cience de la responsabilité d’une Église en tant que telle. Nous pour-
rons donc analyser quelques propositions que font les Églises locales
àtravers leur synode, pour les vocations.
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Proposer les vocations dans l’Église locale :
de la lexicographie à l’engagement ecclésial
RÉFLEXIONS
Que signifie « proposer » ?
Pourquoi le terme proposer est-il utilisé là ? Pourquoi est-ce
qu’on n’a pas dit « appeler aux vocations dans l’Église locale » ?
Après tout, on a à faire retentir un appel.
Alors que signifie le verbe « proposer » ? Voilà ce qu’apprend
le dictionnaire (Dictionnaire culturel en langue française),avec quatre
sens distinct – du moins impliquant au plus impliquant – qui peuvent
dessiner une trajectoire pour la pastorale des vocations.
Proposer, c’est, au sens étymologique, « poser devant » (latin
proponere).
1. Proposer quelque chose à quelqu’un, c’est mettre devant son
regard, montrer. Proposer quelque chose à l’admiration, au respect
de tous. Donner en exemple, donner comme modèle. Donc il faut
d’abordrendre visible les vocations, les montrer, les mettre en valeur.
Simplement faire savoir que ça existe.
2. Proposer, c’est aussi faire connaître une chose à quelqu’un,
soumettrson choix, faireconnaîtrela solution qu’on apporte à un
problème, ou bien proposer un prix dans une négociation. Par exem-
ple, proposer un nom pour chose nouvelle, ou proposer une loi, un
amendement. Il s’agit là d’ouvrir des chemins nouveaux, de mettre en
évidence des solutions qui n’étaient pas jusque-là envisagés. La voca-
tion, ce n’est pas simplement quelque chose qui existe, ou qui exis-
tait, c’est aussi un chemin d’avenir, une porte ouverte, une réponse
que chacun peut donner.
3. Proposer,c’est également soumettre(un projet, une entre-
prise) en demandant d’y prendre part. Proposer à quelqu’un de faire
quelque chose : lui conseiller de le faire. C’est ici une démarche plus
impliquante :je propose une vocation particulièrquelqu’un. Je lui
propose de réfléchir à un engagement, je l’invite à vivre une démar-
che. Cette proposition d’action peut être en réponse à une attitude ou
àune demande reçue. On est dans la proposition individuelle, voire
dans l’interpellation.
4. Demander à quelqu’un d’accepter (ce qu’on veut lui donner,
ce qu’on veut faire pour lui), par exemple, il m’a proposé de l’argent,
il m’a proposé son aide. C’est quasiment un synonyme d’offrir. Le
dictionnairedonne une citation d’Alfred de Musset qui n’a peut-être
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RÉFLEXIONS
pas sa place dans un article sur les vocations, mais qui est éclairante :
« Le fils d’un des plus riches banquiers de Paris avait proposé à une
célèbre lingère une loge à l’Opéra et une maison de campagne
qu’elle avait refusé. » Alors peut-on proposer les vocations dans ce
sens-là ? Il peut s’agir d’inviter à vivre une expérience, ce que font
par exemple aujourd’hui des instituts missionnaires, avec un certain
succès. Mais lorsque Dieu appelle, ne fait-il pas autre chose que d’in-
viter l’homme à accepter ce qu’il veut lui donner ?
Mais une autre question se pose à propos de ce verbe : il est ici
àl’infinitif. Alors qui propose ? Et à qui propose-t-on ? Il me semble
que la réponse à cette question se trouve dans la suite de la phrase :
c’est l’Église locale qui a à proposer les vocations et c’est à l’Église
que les vocations sont proposées, offertes. L’Église est à la fois le sujet
et l’objet de cette action de proposer. Elle les propose à certains de
ses membres, mais c’est aussi en tant qu’Église qu’elle a à répondre
àcette proposition.
Lexpérience française
de « la proposition de la foi »
Mais le terme de proposer a aussi son sens pour nous dans l’ar-
rière-plan de la « proposition de la foi ». La Lettreaux catholiques de
France ainvité les catholiques de France à retrouver « le geste initial
de l’évangélisation : celui de la proposition simple et résolue de
l’évangile du Christ »(p. 37).
Les deux rapports Dagens de 1994 et de 1995, puis la Lettre
aux catholiques de France de 1996 réalisent d’abord un travail de
discernement sur la situation de l’Église dans la société française, sur
les transformations et les besoins de cette société. Les évêques recon-
naissent que l’Église vit une situation de crise, répercussion en elle
d’une crise sociale profonde, en particulier une crise de la transmis-
sion. Ce discernement a aussi été à l’œuvre dans les synodes diocé-
sains, qui sont toujours partis d’une analyse de la situation sociale et
ecclésiale pour élaborer des propositions. La manière de vivre la
proposition de la foi s’appuie donc sur une connaissance la plus
précise possible des personnes auxquelles on s’adresse. Mais ce
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PROPOSER LES VOCATIONS :DE LA LEXICOGRAPHIE À LENGAGEMENT ECCLÉSIAL
discernement porte aussi sur l’action de Dieu au cœur des hommes,
en particulier de ceux qui s’adressent à l’Église : « Il s’agit de perce-
voir les signes de l’imprévu de Dieu à travers ces demandes multi-
ples. » Le désir de Dieu est suscité en l’homme par l’Esprit Saint. La
proposition de la foi s’adresse donc à une personne déjà porteuse
des germes de l’Évangile. La pastorale des vocations demande ce
même discernement, sur les conditions présentes de la vie chrétienne,
les aspirations des jeunes, la manière dont ils font l’expérience de
Dieu et dont Dieu peut les appeler. Nous avons à continuer à être une
Église en état de discernement.
La Lettreaux catholiques de France met en lumièreque cet acte
de proposition de la foi se situe dans le cadre de la pastorale ordi-
naire de l’Église. L’Église est déjà en état d’évangélisation, ou elle doit
le devenir dans ses actes les plus habituels. De même, on pourrait
affirmer que la proposition de la vocation doit s’inscrire dans la
pastorale habituelle de l’Église. Mais de la même manièreque c’est
toute l’Église qui est en même temps évangélisatrice et toujours à
évangéliser, on peut affirmer que c’est toute l’Église qui est appelée et
qui doit appeler.Les vocations ne sont pas réservées à un public cible.
Lediocèse comme Église locale
On parle ici d’Église locale, c’est-à-dire d’Église vivant en un
lieu, sur un territoire. Dans l’Église catholique, l’Église locale est le
diocèse, dont la définition donnée au concile Vatican II a été reprise
telle quelle par le code de droit canonique (can. 369) : «Un diocèse
est une portion du peuple de Dieu, confiée à un évêque, pour qu’a-
vec l’aide de son presbyterium, il en soit le pasteur ;ainsi le diocèse,
lié à son pasteur et par lui rassemblé dans l’Esprit Saint, grâce à
l’Évangile et à l’Eucharistie, constitue une Église particulière en
laquelle est vraiment présente et agissante l’Église du Christ, une,
sainte, catholique et apostolique » (Christus Dominus 11).
Ce qui est le plus structurant, ce qui constitue intérieurement
l’Église, c’est le Saint Esprit, l’Évangile et l’Eucharistie, à laquelle on
rattachera les autres sacrements. Le peuple de Dieu est l’Église en tant
qu’il se laisse édifier par l’Esprit Saint grâce à l’Évangile et à
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RÉFLEXIONS
l’Eucharistie. L’évêque et son presbyterium, auquel on pourrait ajou-
ter tous ceux que l’évêque appelle pour collaborer à la mission de
l’Église sont au service de la vie et de la structuration de l’Église
locale. Il y eu une discussion au Concile sur le terme de portio
(portion), qui fut choisi de préférence à pars (partie) puisque la
portion comporte toutes les qualités, toutes les caractéristiques essen-
tielles du tout, ce qui n’est pas le cas d’une partie.
Mais l’Église locale n’est pas seulement déterminée par ses
caractéristiques théologiques. Elle est aussi déterminée par le fait
qu’elle s’incarne en un lieu particulier, dans une culture donnée, dans
une histoirequi lui est propre.
Chaque Église est liée à la culture dans laquelle elle vit, c’est au
sein de cette culture qu’elle s’inculture. L’Église entière parle toutes les
langues et triomphe ainsi de la dispersion de Babel. Mais chaque
Église doit être pleinement enracinée dans un peuple, et parler la
langue du peuple dans lequel elle vit. Proposer les vocations doit
donc aussi être fait en fonction de l’histoire locale, des besoins d’une
Église, de la culture d’engagement propre à un lieu.
L’Église locale désigne aussi la territorialité de l’Église. L’Église
est liée à un lieu. Elle est envoyée auprès de tous les hommes qui
habitent ce lieu. La localisation de l’Église est une garantie pour sa
catholicité : elle ne peut se constituer seulement selon des critères d’af-
finité, d’appartenance sociale, linguistique ou nationale, mais a
vocation à recevoir en son sein tous les hommes. Tous sont appelés,
tous ont leur place.
Laparoisse et le lieu de l’Église
Théologiquement, l’Église locale est le diocèse, mais la localisa-
tion renvoie aussi au fait que l’Eucharistie est toujours célébrée en un
lieu, et que c’est dans l’Eucharistie que l’Église devient événement et
qu’elle accomplit ce qu’elle est comme corps du Christ. Le concile
Vatican II met en valeur cette ecclésiologie eucharistique :«Chaque
fois que la communauté de l’autel se réalise en dépendance du minis-
tèresacré de l’évêque, se manifeste le symbole de cette charité et “de
cette unité du Corps mystique sans laquelle le salut n’est pas possi-
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PROPOSER LES VOCATIONS :DE LA LEXICOGRAPHIE À LENGAGEMENT ECCLÉSIAL
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