M I S E A U P O I N T Infection à virus West Nile : le point sur une maladie virale émergente West Nile virus infection : an emerging viral disease ! R.N. Charrel*, X. de Lamballerie* RÉSUMÉ. Le virus West Nile (famille Flaviviridae, genre Flavivirus), isolé pour la première fois en Afrique en 1937, est un arbovirus transmis par la piqûre d'un moustique du genre Culex. Le virus West Nile a récemment attiré l'attention par plusieurs épidémies et épizooties en France, en Russie, en Roumanie, en Israël et surtout aux États-Unis, territoire qui en était exempt jusque-là ; il y a été introduit en 1999 et s'est ensuite établi de façon durable, avec une dissémination à 27 États de l'Est des États-Unis en 2001 et une dissémination massive de la côte Est à la côte Ouest en 2002 (44 États dont 40 dans lesquels des cas humains ont été recensés, plus de 2 000 cas humains avec un taux de mortalité de 5 %). L' homme est une impasse épidémiologique dans le cycle naturel du virus. Parmi les patients infectés par le virus, une minorité développera une forme symptomatique, et seule une faible partie de ces derniers présentera une forme neurologique. Nous présentons ici une revue de la littérature concernant l'épidémiologie et la maladie, ainsi que les connaissances acquises sur le virus, ses vecteurs et ses hôtes. Nous décrivons la situation en France à la suite de l'épizootie équine survenue en 2000 et les modalités de la surveillance mise en place à cette occasion. Mots-clés : Virus West Nile - Virus Kunjin - Arbovirus - France. Keywords : West Nile virus - Kunjin virus - Arbovirus - France. L e virus West Nile (WN) a récemment émergé en tant que problème de santé publique majeur avec la survenue d’épidémies à New York, en Roumanie, en Israël et en Russie depuis 1996. Ces épidémies ont été caractérisées par un nombre anormalement élevé de formes sévères et/ou létales par comparaison avec les épidémies précédentes. LE VIRUS Le virus WN a été isolé en 1937 à partir du sang d’une femme adulte en Ouganda (1). Depuis, des centaines de souches ont été isolées à partir d’humains, d’oiseaux, de moustiques en Afrique, Moyen-Orient, Europe et Asie (figure 1). En 1942, il a été établi que le virus WN présentait une parenté antigénique avec d’autres arbovirus pouvant causer des encéphalites (virus de l’encéphalite de Saint-Louis, virus de l’encéphalite japonaise) (2, 3). Le virus WN appartient au genre Flavivirus au sein de la famille Flaviviridae. Le dernier rapport du Comité international de taxonomie virale a estimé que, après avoir été considérés comme deux virus différents, les virus Kunjin et WN étaient deux sous-types d’une même espèce virale (4). Le genre Flavivirus inclut plus de 70 virus, parmi lesquels plus de la moitié peuvent infecter l’homme. Le virus WN est antigéniquement et génétiquement proche des virus de l’encéphalite de SaintLouis, de l’encéphalite japonaise, de l’encéphalite de Murray Valley, Usutu, Kokobera, Koutango, Statford et Alfuy (5). * Unité des virus émergents (EA 3292, IFR 48, IRD UR 0,34), faculté de médecine, 13005 Marseille. 18 Figure 1. Distribution géographique des souches de virus West Nile identifiées par isolement viral. Il existe des variations antigéniques parmi les différents isolats de virus WN. Les tests croisés d’inhibition de l’hémagglutination ont permis de les séparer en deux groupes majeurs (6). Plusieurs études ont permis de déterminer des différences dans la virulence des diverses souches, mais l’interprétation de ces résultats est compliquée par le fait que les isolats étudiés présentaient des histoires différentes (nombre de passages sur culture cellulaire, d’inoculation à l’animal…). L’existence de ces deux groupes (ou lignages) a été confirmée par des études génétiques récentes réalisées à partir d’une vingtaine de souches isolées entre 1950 et 1990 (7). Des souches des deux lignages circulent en Afrique et ont des distributions sympatriques dans certaines régions. Les souches de virus Kunjin et WN isolées lors des récentes épidémies de Roumanie, des États-Unis, La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 1 - janvier-février 2003 M d’Israël et de Russie appartiennent toutes au lignage I (8-10). Les isolats roumains étaient très proches de souches d’Afrique subsaharienne, suggérant leur introduction en Roumanie à partir d’oiseaux migrateurs (10). Les souches isolées à New York étaient toutes génétiquement très proches entre elles (identité > 99,8 %) et présentaient le même degré d’homologie avec une souche aviaire isolée en Israël en 1998, suggérant que les souches américaines avaient été introduites à partir de la région méditerranéenne (8). Bien que la comparaison ait été effectuée sur une région très courte du génome (165 nucléotides), les souches de l’épidémie de Volgograd (Russie) semblaient génétiquement identiques à celles de Roumanie (1996), et très proches de celles de New York (1999) (9). À ce jour, les infections humaines ont été causées uniquement par des isolats appartenant au lignage évolutif I (figure 2). I S E A U P O I N T tus a été identifié comme le vecteur principal en France dans la région de Camargue au cours de l’épidémie de 1962. Culex vishnui est le vecteur reconnu en Inde et au Pakistan (13, 14). Le virus WN a été isolé de moustiques différents de ceux du genre Culex et d’autres arthropodes (tiques), mais leur rôle en tant que vecteur semble peu important en zone d’épizootie établie. Dans les épidémies décrites depuis 1996, C. pipiens est le vecteur ayant joué le rôle principal. Il a été établi que C. pipiens avait toutes les caractéristiques nécessaires à sa compétence dans le cycle du virus WN (15). Ces données de terrain corroborent des résultats établis antérieurement qui démontraient que C. pipiens pouvait être infecté à la suite d’un repas sanguin et, par la suite, transmettre le virus WN par piqûre (16). Deux points très importants ont été notés à l’occasion de l’épidémie de New York en 1999 : 12 espèces différentes de moustiques ont été testées positives pour le virus WN (17) ; le virus WN a été isolé de C. pipiens femelles pendant la période hivernale (18) ; ces moustiques avaient donc la capacité d’initier un nouveau cycle dès le retour de la saison chaude. Cette information pourrait permettre d’expliquer l’installation du virus WN sur le continent américain. République centrafricaine République centrafricaine L’HÔTE République centrafricaine République centrafricaine République centrafricaine République centrafricaine Figure 2. Relations phylogénétiques entre différentes souches de virus West Nile par analyse d’une région du gène de l’enveloppe (227 nucléotides) par technique de neighbor-joining. Les séquences sont identifiées par leur numéro d’accession dans la banque de données GenBank suivi du pays d’origine de la souche. Les valeurs de bootstrap supérieures à 70 % sont indiquées. LE VECTEUR Le virus WN est un arbovirus [arthropod-borne virus, virus transmis par un/plusieurs vecteur(s) arthropode(s)]. De nombreuses études ont démontré que plusieurs espèces de moustiques étaient capables, en conditions expérimentales, d’être infectées par le virus WN et de le transmettre. Les premières études de terrain furent menées en Égypte au début des années 1950 ; elles ont montré que bien que plusieurs espèces de moustiques du genre Culex (Culex antennatus, Culex univittatus, Culex pipiens) soient impliquées dans la circulation du virus (11), C. univittatus était le vecteur principal (12). Culex modesLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 1 - janvier-février 2003 Les humains ont été les premiers hôtes vertébrés identifiés par isolement du virus et par mise en évidence d’anticorps neutralisants (1-3). Il a été rapidement démontré que les humains infectés par le virus WN ne présentaient pas de virémie suffisamment élevée pour qu’ils puissent infecter à leur tour des moustiques (19) ; ce résultat permettait d’exclure l’homme comme le réservoir naturel du virus WN, et de le considérer plus certainement comme une impasse épidémiologique. Des infections expérimentales par le virus WN conduites sur des patients atteints de cancer à un stade avancé ont démontré que la sévérité des manifestations cliniques était corrélée à la durée de la virémie (20). Les études de terrain menées en Égypte dans les années 50 ont déterminé que les oiseaux sauvages étaient des hôtes importants dans le cycle naturel du virus (21) ; dans cette région endémique, des anticorps neutralisants ont été retrouvés chez 48-100 % des individus de certaines espèces aviaires. Ces études ont établi que ces oiseaux développaient des virémies suffisamment élevées pour leur permettre d’infecter des moustiques naïfs. Par la suite, ces résultats ont été confirmés par d’autres études réalisées en Afrique du Sud, en Israël et en Inde (22-24). Des études sérologiques ont démontré que de nombreuses espèces de mammifères sauvages et domestiques pouvaient être infectées par le virus WN, mais le faible nombre de souches virales obtenues à partir de celles-ci suggère que les titres virémiques sont faibles et qu’ils participent donc vraisemblablement peu à la survivance à long terme du virus (25). Une épizootie massive a touché les corbeaux en 1999 aux États-Unis, tuant des milliers d’individus. Il est à noter que c’est cette soudaine mortalité inexpliquée chez les corbeaux de Central Park qui a donné l’alerte. Si les corbeaux ont été les plus touchés, des dizaines d’autres espèces aviaires ont été infectées. La découverte de virus WN dans le cerveau d’un faucon au milieu de l’hiver suggère soit l’existence d’une virémie 19 M I S E A U P O I N T En 1957, toujours en Israël, une épidémie importante permit d’évaluer les manifestations cliniques dans trois groupes : soldats, enfants et adultes, personnes âgées. Dans les deux premiers groupes, trois cas de méningo-encéphalites furent rapportés. Sur les 45 personnes âgées, 12 présentèrent une méningo-encéphalite sans mortalité associée (28), alors que les 33 autres présentèrent un syndrome fébrile. Quatre formes encéphalitiques diffuses mortelles furent notées, mais l’absence de confirmation sérologique empêche de les attribuer définitivement au virus WN. Cette épidémie a prouvé que les formes étaient d’autant plus sévères qu’elles survenaient chez des patients âgés. Figure 3. Dissémination du virus West Nile aux États-Unis de 1999 à 2002. Source http://www.cdc.gov/ncidod/dvbid/westnile/surv&control.htm prolongée, soit un second mode de transmission indépendant des moustiques (26). Les oiseaux ont joué un rôle clé dans la dissémination du virus au cours de l’épidémie/épizootie américaine : 5 États touchés en 1999, 12 en 2000, 27 en 2001, 44 en 2002 (figure 3, tableau I). Tableau I. Évolution de la situation épidémique du virus West Nile aux États-Unis (au 11 décembre 2002). " 1999 : 5 États touchés, 59 cas humains dont 7 décès " 2000 : 12 États touchés, 21 cas humains dont 2 décès " 2001 : 27 États touchés, 66 cas humains couvrant 10 États, pas de décès " au 11 décembre 2002: 44 États touchés, 40 États ayant rapporté des cas humains, 3 873 cas humains dont 246 décès ; le virus West Nile a atteint la côte Ouest (Californie : 1er cas humain décrit en septembre 2002) Une information exhaustive avec mise à jour quotidienne sur la situation aux États-Unis est disponible gratuitement sur le site ProMed mail : http://www.promedmail.org Il semble épidémiologiquement probable que les oiseaux migrateurs sont impliqués dans la dissémination des souches du virus WN, mais aucune preuve directe n’a été apportée à ce jour. LA MALADIE CHEZ L’HOMME Les premiers isolements du virus WN ont été réalisés chez des patients asymptomatiques ou présentant des syndromes fébriles isolés. Lorsque les infections touchaient des enfants, ceux-ci présentaient des épisodes fébriles aigus sans atteinte neurologique associée (11). Il fut rapidement établi que la plupart des infections par le virus WN étaient asymptomatiques ou trop peu symptomatiques pour motiver une consultation médicale. La première épidémie virologiquement prouvée eut lieu en Israël dans une communauté agricole en 1951 (27) : 123 (41 %) des 303 habitants de la communauté manifestèrent des signes cliniques. Adultes et enfants présentèrent un syndrome fébrile avec une résolution spontanée plus rapide chez les enfants ; aucune méningite ou encéphalite ne fut rapportée, bien que dix des enfants aient présenté un signe de Brudzinski. Sur 50 cas rapportés l’année suivante chez de jeunes soldats en Israël, un seul cas de méningite aseptique fut noté. 20 Cette épidémie de 1957 en Israël fut la seule pour laquelle un nombre important de formes neurologiques fut noté avant l’épidémie de 1996 en Roumanie. Cependant, de nombreux cas sporadiques furent associés à des manifestations sévères incluant des cas mortels d’encéphalite chez des enfants en Inde (29) et d’hépatites en République centrafricaine (30). Les données des épidémies de Roumanie (1996) et New York (1999) ont permis de confirmer que moins de 1 % des patients infectés présentaient une forme neurologique (31, 32). Les formes les plus sévères et les infections mortelles surviennent habituellement chez des sujets âgés, comme cela avait été décrit en 1957. La mortalité des cas médicalisés était de 4,3 % en Roumanie (1996) et de 11 % lors de l’épidémie de New York (1999). À cette occasion, plusieurs cas furent associés à des syndromes de Guillain-Barré (33). Il est important de souligner que parmi les patients infectés par le virus, une minorité développera une forme symptomatique, et seule une faible partie présentera une forme neurologique. L’étude réalisée pendant l’épidémie de New York (1999) a permis de déterminer que 20 % seulement des infections étaient symptomatiques, et que 0,7 % des patients avaient présenté une forme sévère de type méningo-encéphalite (32). Si cette proportion est extrapolable aux 66 formes neurologiques recensées aux États-Unis en 2001, alors la partie immergée de l’iceberg peut être estimée à 10 000 cas d’infection par le virus WN aux États-Unis en 2001. Il est important de souligner que ces données ne peuvent pas être extrapolées à toutes les épidémies de virus WN. Toutefois, elles confirment qu’une majorité de cas sont asymptomatiques et que la plupart des formes symptomatiques ne sont pas sévères. Plus généralement, l’infection par le virus WN se caractérise par une période d’incubation de 2 à 6 jours. Les formes typiques sont généralement peu sévères avec fièvre, céphalées, myalgies et anorexie. L’évolution de la fièvre peut être biphasique. Un exanthème est observé dans la moitié des cas. Une lymphadénopathie généralisée est fréquente. Des manifestations gastrointestinales (nausées, vomissements, diarrhée, douleurs abdominales) et à type de pharyngite sont décrites. L’évolution se fait sur 3-6 jours avec résolution spontanée sans séquelle. Les formes neurologiques (méningite aseptique, méningo-encéphalites) sont principalement décrites chez des sujets âgés. CerLa Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 1 - janvier-février 2003 M taines complications à type de myélite antérieure, de myocardite ou de pancréatite ont été rapportées. La principale manifestation biologique est une leucopénie. Aucun traitement antiviral n’est disponible actuellement. Cependant, quelques études ont montré que : # La ribavirine à dose élevée (200 µM) inhibait la réplication et la cytopathogénicité du virus sur les cellules nerveuses humaines (34) ; il semble que la ribavirine puisse prévenir l’infection virale, mais que son effet sur des cellules infectées soit beaucoup plus faible (35). # L’interféron alpha pourrait avoir un effet prophylactique et thérapeutique sur un modèle sur cellules Vero (35) ; ces résultats restent à confirmer sur modèle expérimental animal, comme celui décrit par l’équipe du Dr Tesh à l’université du Texas à Galveston (36, 37). # Les concentrés d’immunoglobulines polyvalentes d’Israël (pays où la circulation du virus WN est endémique) contiennent des titres d’anticorps spécifiques à des titres de l’ordre de 1/1 600 ; l’utilisation de ces immunoglobulines n’a pour l’instant été rapportée que pour un patient, et il est nécessaire d’évaluer plus largement cette approche thérapeutique (38). Les concentrés collectés aux États-Unis ne contiennent pas d’anticorps spécifiques du virus WN. # La protection conférée par la souche vaccinale (SA 14-2-8) du virus de l’encéphalite japonaise protège le hamster contre l’infection par le virus WN (37) ; ces résultats sont à confirmer avec le vaccin JE-VAX. Ils ouvrent des perspectives intéressantes pour la protection des sujets à risque (sujets âgés, personnel de laboratoire, vétérinaires…), mais également pour tenter d’enrayer et/ou de faire diminuer la circulation du virus WN aux États-Unis par vaccination massive des hôtes amplificateurs. LA MALADIE CHEZ LES ANIMAUX La caractéristique la plus surprenante de l’épidémie de New York (1999) fut la mortalité très élevée chez les oiseaux infectés. Le corbeau (Corvus brachyrhynchos) a été l’espèce la plus touchée, mais des infections ont été décrites chez environ 75 autres espèces aviaires. Les raisons expliquant cette mortalité très élevée ne sont pas élucidées. Parallèlement à l’épidémie de New York (1999-2000), une épizootie équine a été identifiée, avec plus de 80 cas confirmés. Il semble que tous les chevaux ayant présenté des manifestations neurologiques aient été adultes, avec un âge moyen largement plus élevé que les chevaux infectés n’ayant présenté que des formes non neurologiques. Pendant la même période, des cas isolés d’infections fatales ont été rapportés chez un chat, un putois, un écureuil, un lapin, ainsi que des cas chez des chauves-souris et un ours brun. Avant 1999, les seuls animaux chez lesquels une pathologie associée au virus WN avait été démontrée sont les chevaux (Égypte, 1959 ; France, 1965). De nombreuses espèces de mammifères et d’oiseaux ont été infectées expérimentalement, mais ces données doivent être interprétées avec prudence en raison des modalités d’administration du virus ne pouvant être assimilées à une exposition naturelle. La Lettre de l’Infectiologue - Tome XVIII - n° 1 - janvier-février 2003 I S E A U P O I N T FACTEURS DE RISQUE L’étude des épidémies de 1952-1954 en Égypte a retrouvé une transmission du virus WN plus intense pendant les mois d’été de juin à septembre. La moitié des enfants de 4 ans et plus de 90 % des sujets de moins de 20 ans avaient des cicatrices sérologiques. Parmi les facteurs favorisant la circulation du virus, ont été identifiées une forte densité de population, une irrigation et une densité importantes de vecteur. Les épidémies d’Israël sont survenues en été, dans une région anciennement recouverte de marécages et avec une irrigation importante. Les caractéristiques associées aux épidémies de Roumanie et d’Afrique du Sud étaient des précipitations anormalement importantes, une forte densité en vecteur, des températures très élevées. Les épidémies décrites depuis 1996 ont comme caractéristiques communes : des zones urbaines à haute densité de population ; la proximité de larges rivières créant un habitat humide favorable à une densité aviaire importante ; la présence du vecteur C. pipiens ; un nombre anormalement élevé de formes neurologiques sévères. Parmi les facteurs de risque, on note la présence de moustiques dans et/ou autour de l’habitation, un environnement humide, un grand nombre de piqûres de moustique chaque jour et des activités extérieures. LA SITUATION EN FRANCE Tous les cas décrits étaient localisés dans la région de la Camargue. Il existe des données concernant des épizooties équines en 1942, 1962, 1964-65 et 2000. La description clinique des cas humains établie depuis 1935 rapporte des “syndromes grippaux estivaux d’évolution courte et bénigne” avec asthénie profonde durable (44), ainsi que des épisodes épidémiques caractérisés par une fièvre d’apparition brutale de 3-4 jours avec céphalées, courbatures, injection conjonctivale et syndrome méningé modéré. Les études des années 60 ont identifié C. modestus comme le principal vecteur du virus WN en Camargue. Treize cas humains ont été rapportés entre 1962 et 1964 (40). Au cours de l’été 2000, une épidémie d’encéphalite équine à virus WN a été identifiée. La mise en place immédiate d’une surveillance des cas équins et humains a permis d’identifier un total de 76 chevaux présentant des manifestations cliniques et une séroprévalence de 8,3 % sur un total de 5 133 chevaux testés ; dans la même période, aucun cas humain n’a été recensé (41). Une étude réalisée sur des patients hospitalisés à Marseille pour méningo-encéphalite ou encéphalite entre 1997 et 2000 n’a pas permis d’incriminer le virus WN comme agent étiologique (42). Néanmoins, une étude sérologique réalisée entre septembre et novembre 2000 dans deux groupes de donneurs de sang [un groupe de sujets vivant en Camargue (n = 1 104) et un groupe de sujets vivant à l’est de Marseille (n = 1 053)] a démontré que les sujets de Camargue étaient plus fréquemment (0,7 % versus 0 % ; p < 0,005) porteurs d’anti21 M I S E A U P O I N T corps neutralisant le virus WN. L’analyse de l’âge des sujets positifs permet d’affirmer que le virus WN circule en Camargue (43). En 2001, un dispositif de surveillance multidisciplinaire comprenant quatre volets a été mis en place afin d’évaluer la circulation du virus et d’éventuels cas équins et humains sous l’égide du ministère chargé de la Santé (Direction générale de la santé [DGS]) et du ministère de l’Agriculture (Direction générale de l’alimentation [DGAL]) (41). Le volet humain (établissements de soins publics et privés, DDASS, CIRE, Institut de médecine tropicale du service de santé des armées [IMTSSA], InVS, Centre national de référence [CNR]) avait pour objectif d’identifier les cas sévères chez toute personne ayant séjourné entre le 1er mai et le 31 octobre 2001 dans les Bouches-du-Rhône, le Gard ou l’Hérault : 33 cas suspects ont été identifiés, aucun n’a été classé comme confirmé ou probable. Le volet équin (Direction départementale des services vétérinaires [DDSV], AFSSA, CNR) avait pour but d’estimer l’incidence : 31 cas suspects ont été répertoriés ; tous se sont révélés négatifs. Le volet avifaune (ONCFS, CNR, CiradEMVT, DDSV, Station biologique de la Tour du Valat) avait pour objectif de surveiller la mortalité, d’effectuer une surveillance sérologique d’oiseaux sauvages et sentinelles : sur un total de 1 152 analyses réalisées, une séroconversion chez un canard sentinelle a été identifiée en octobre. Le volet vecteur a été réalisé par l’Entente interdépartementale de démoustication du littoral [EID] et l’Unité des virus émergents [UVE] : 14 355 moustiques ont été capturés et répartis en 997 pools qui ont été testés par RT-PCR : aucun pool n’a été testé positif. Directions futures Parmi les points actuellement inconnus ou mal connus qui méritent d’être élucidés dans les années à venir, on citera : $ Le rôle respectif des différentes espèces de moustiques dans la transmission du virus WN aux oiseaux, aux humains, aux chevaux et aux autres mammifères. $ La contribution des humains et des chevaux à l’infection des moustiques par le virus WN. $ L’importance de la transmission non vectorisée (entre oiseaux, prédateur-proie). $ Le rôle respectif des lignages I et II et l’importance des souslignages dans chaque groupe en termes de niveau d’expression de la virulence et d’écologie de ces virus. $ Le rôle des moustiques et des oiseaux dans les processus d’hivernage viral en régions tempérées. $ L’importance des oiseaux migrateurs dans l’introduction ou la réintroduction du virus WN dans certaines régions d’Europe. $ L’influence des environnements naturels ou modifiés par l’homme dans l’intensité de la circulation virale. Méthode de surveillance Cas humains Cas vétérinaires Moustiques Animaux sentinelles Circulation virale Oiseaux morts Temps Figure 4. Estimation de la sensibilité des méthodes de surveillance du virus West Nile. (D’après J.T. Roehrig, www.cdc.gov). $ Il n’est pas établi si le virus est maintenu de façon stable en Camargue, ou s’il est périodiquement introduit par les oiseaux migrateurs, ou si les deux phénomènes coexistent. $ La plupart des cas humains sont, comme décrit dans la littérature, asymptomatiques ou pauci-symptomatiques. $ La surveillance de la circulation du virus WN requiert une stratégie (figure 4) impliquant plusieurs écosystèmes (avifaune sauvage et oiseaux sentinelles, populations de moustiques, population équine et populations humaines) au moins pendant la période d’activité virale correspondant à la période d’activité des arthropodes (avril à novembre). Parmi les populations humaines, il est important de mettre en place une surveillance/déclaration des tableaux cliniques compatibles (fièvres estivales, méningites, méningo-encéphalites, syndrome de Guillain-Barré) en s’appuyant sur le système sanitaire privé et public. L’apport des études séro-épidémiologiques dans des populations de donneurs de sang a montré sa capacité à évaluer la circulation du virus dans une région donnée (41). $ Il est indispensable de poursuivre une surveillance de la circulation du virus WN en France pour une meilleure connaissance de son éco-épidémiologie dans les départements des Bouches-du-Rhône, du Gard et de l’Hérault, afin de permettre une réponse rapide et adaptée pour les années à circulation virale élevée. La région de Camargue, de par sa taille relativement limitée, son statut de parc régional et la présence de nombreuses institutions, est un modèle particulièrement propice à l’étude éco-épidémiologique du virus WN. " R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Smithburn KC, Hughes TP, Burke AW, Paul JH. A neurotropic virus isolated from the blood of a native of Uganda. Am J Trop Med Hyg 1940 ; 20 : 471-92. 2. Smithburn KC, Jacobs HR. Neutralization-tests against neurotropic viruses with sera collected in central Africa. J Immunol 1942 ; 44 : 9-23. CONCLUSIONS 3. Smithburn KC. Differentiation of the West Nile virus from the viruses of Saint- Les informations actuellement disponibles sont convergentes pour affirmer qu’ en France : $ Le virus WN a circulé en Camargue durant les dernières années (41). Louis and Japanese B encephalitis. J Immunol 1942 ; 44 : 25-31. 22 4. Heinz FX, Collet MS, Purcell RH et al. Family Flaviviridae. In : van Regenmortel MHV, Fauquet CM, Bishop DHL et al. (eds). Virus taxonomy : classification and nomenclature of viruses. 7th Report of the International Committee for the taxonomy of Viruses. San Diego : Academic Press 2000 ; 859-78. 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