cessé de combattre la France et ses principes. Il nous fallut abattre sous peine d’être abattus
[…]. Le gouvernement d’un pays à peine sorti d’une révolution, qui est menacé par les
ennemis du dehors et troublé par les traîtres à l’intérieur doit nécessairement être dur. Dans
des temps plus calmes, ma dictature aurait cessé et j’aurai commencé mon règne
constitutionnel. Même dans l’état où étaient les choses, avec une coalition toujours formée
contre moi, qu’elle fut secrète ou publique, il y avait plus d’égalité en France que dans aucun
autre pays d’Europe »17.
Sans doute le consul a-t-il bénéficié de l’image noire du Directoire, que véhiculaient
notamment au tournant du siècle nombre de satiristes pour certains liés depuis longtemps aux
anti-Lumières. Ils s’efforçaient désormais de clore en tous points la parenthèse d’une décennie
révolutionnaire qu’ils exécraient, construisant le mythe d’un général présenté comme le
« sauveur », porteur de paix et rétif aux « excès »18. Exaltant les victoires militaires de
Bonaparte, au nombre desquelles il comptait généreusement la « pacification » de l’Égypte,
son rôle politique depuis sa rentrée en France, ses succès en Vendée, Despaze en appelait
ainsi au ralliement au premier consul, homme du juste milieu, « qui a gagné, par sa
modération, tous les mécontens raisonnables »19. Fonvielle faisait de Bonaparte son héros,
voyant dans le 18 Brumaire la réplique attendue au 18 Fructidor et dans le nouveau chef de la
France l’homme « du repos, de l’industrie et de la paix ». Il l’espérait définitivement éloigné
des néo-jacobins : « Une tête comme la sienne n’est point faite pour se méprendre aux cris des
factions, et pour préférer les flétrissans éloges d’un parti détesté à l’estime des honnêtes gens,
seuls fidèles gardiens des réputations durables »20. Dusausoir se montrait plus prudent dans la
révérence au premier consul : « Ce ne sont pas quelques flagorneries de plus qui ajouteront à
la gloire du grand homme ; une union franche de tous les Français, l’anéantissement des
factions, une paix solide et glorieuse, fruit de ses nombreux exploits à la tête de nos armées,
effet de ses travaux infatigables dans la magistrature suprême ; voilà ce qui peut contribuer à
son bonheur, voilà sa plus douce récompense »21. Les réserves de Desprez-Valmont étaient
d’une tout autre nature. Bien sûr, le Directoire ne lui avait pas semblé donner l’image de la
république idéale : l’indécence des profiteurs de guerre, les « perfides mandataires » oublieux
des malheureux, les hommes de loi plus favorables aux demandeurs qu’aux défendeurs, les
Incroyables insultant à « la modeste beauté tranquille », etc., tout cela lui avait laissé un goût
amer. Il croyait pourtant encore aux apports du siècle écoulé et de la Révolution vécue en l’an
II. Justice, humanité, paix, bonheur lui semblaient des valeurs fixées pour les décennies à
venir, tout comme lui paraissent éternels les devoirs de la nature : aimer son prochain, « lui
donner des loix, sans jamais l’asservir ». Il continuait de plaider pour la libération des peuples
opprimés, pour « assurer aux humains leurs titres légitimes », se félicitait d’être débarrassé de
« cet effrayant mélange des prêtres et des rois, du trône et des autels ». Les coups de force
politiques le rendaient dans l’immédiat pour le moins suspicieux à l’égard de Bonaparte :
« Vous que le peuple appelle à maintenir ses droits,
Ambitieux, chargés du pouvoir de vos frères,