elle ne saurait se donner raisonnablement pour l’écho fidèle de la plus harmonieuse des langues.
L’ancienne Université y tenait pourtant par principes ; lorsque des amateurs instruits, comme Guys dans ses
Lettres sur la Grèce, protestaient contre cette routine pleine de cacophonie, les savants de profession, comme Larcher,
s’efforçaient de montrer que ce n’était pas routine, mais raison, et ils répondaient, sans se déconcerter,
aux exemples tirés de la tradition, qu’après la prise de Constantinople par les Turcs, les savants grecs qui
s’étaient réfugiés en Italie y avaient porté leur prononciation vicieuse. Voilà ce que nous nous permettons
d’appeler des préjugés ; mais ce n’est là qu’un détail, et le désaccord qui se rapportait à la
prononciation en couvrait d’autres qui tenaient au fond des choses.
Il est temps que cette mésintelligence cesse, ou plutôt elle a déjà cessé auprès des esprits éclairés, et il n’y a
plus qu’un pas à faire pour régler l’union. Et à qui donc devrait-on l’introduction, la naturalisation de
la langue grecque en Occident, sinon à ces savants des XIV° et XV° siècles, aux Chrysoloras, aux Théodore Gaza, aux
Chalcondyle, aux Lascaris, à ceux enfin qui arrivaient tout pleins, comme d’hier, des antiques trésors, qui les
possédaient par héritage et par usage, en vertu d’une tradition bien prolongée sans doute, mais ininterrompue ?
L’interruption littéraire dans la Grèce moderne ne date que du XVsiècle ; depuis lors la langue, en tombant à la
merci du simple peuple, s’est amoindrie, s’est appauvrie, et a subi la loi des idiomes qui se décomposent ;
elle a conservé pourtant beaucoup de son vocabulaire, de ses tours et de son harmonie. Pour les gens du pays qui y
reviennent par l’étude, il n’est rien de plus naturel et de plus aisé que de ressaisir le sens et le génie de
l’ancienne langue. Dans une foule de cas, ils n’ont qu’à se ressouvenir, à faire acte d’une
analogie rapide ; ils n’ont pas cessé en effet, même dans ce fleuve diminué, de tenir, si l’on peut dire, le
fil du courant. Pour bien savoir et bien sentir dans ses moindres nuances, pour bien articuler dans ses accents le grec
ancien, il n’est rien de tel encore que d’être grec moderne. Sans se croire tout à fait au temps où le savant
Philelphe épousait une femme grecque pour mettre la dernière main à son érudition et se polir à la langue jusque dans
son ménage, on peut se dire que, du moment que la Grèce renaît aux doctes et sérieuses études de son passé, elle
est plus voisine que nous du but et infiniment plus près de redevenir vivante. S’il s’agissait de bien
entendre et de goûter l’ancien français de Villehardouin, dont je suppose qu’on eût été séparé par
quelque grande catastrophe sociale et quelque conquête, le plus sûr serait encore d’être français, et, un peu
d’étude aidant, on se trouverait aisément en avance à cet effet sur le plus docte des Germains.
Il semble que le résultat indiqué par ces considérations diverses, c’est qu’une Ecole française, instituée à
Athènes pour un certain nombre de jeunes architectes et de jeunes philologues, concilierait à la fois les intérêts de
l’art et ceux de l’érudition. Pourquoi, aux élèves qui se seraient signalés dans les concours
d’architecture, ne joindrait-on pas quelques-uns des élèves sortant de l’Ecole normale, qui auraient
également mérité cette distinction, et qui se destineraient d’une manière plus spéciale à l’enseignement
des lettres grecques en France ? Nous n’avons pas à rédiger ici de projet, mais simplement à appeler
l’attention sur une idée que l’esprit élevé de M. de Salvandy a été le premier à accueillir, à mettre en
avant, et qui semblerait presque en voie d’exécution, si l’on en jugeait d’après les démarches
préliminaires. Nous dirions même que nous aurions peur des projets trop rédigés à l’avance, et qui anticiperaient
sur l’expérience par la théorie : car notez que la théorie ici, ce serait probablement la routine. Il y a là quelque
chose de bon, de grand peut-être, d’essentiellement fécond à tenter. Dans notre siècle positif, et avec nos
habitudes, si excellentes d’ailleurs, de bon ordre administratif et de contrôle constitutionnel, on n’est guère
disposé à rien essayer, à rien proposer qu’après des espèces de plans et de devis parfaitement rigoureux en
apparence, et que la pratique ne laisse pas de déjouer souvent. Les commissions de la Chambre aiment
d’avance, en chaque projet qui leur est déféré et pour lequel on leur demande assistance, à voir des résultats
nets, et, s’il est possible, des produits ; on aime enfin à rentrer tôt ou tard dans ses fonds. Rien de plus juste, et
c’est là un des bienfaits, une des garanties habituelles du régime sous lequel nous vivons. Dans le cas présent
toutefois, il y a une pensée supérieure qui doit dominer. Une telle école d’art et de langue instituée à Athènes
serait avant tout un germe ; utile dans le présent, elle le deviendrait surtout dans l’avenir. L’important
serait bien moins d’abord dans tel out tel règlement de détail que dans l’esprit qui animerait la fondation,
et dans le choix de l’homme appelé à la diriger sur les lieux, et qui devrait savoir l’approprier,
l’étendre, la modifier selon l’expérience même. On pourrait, ce semble, commencer simplement ne
fonder qu’un assez petit nombre de places d’élèves ; l’essentiel serait à commencer, et de se
confier pour le développement à une terre qui a toujours rendu au centuple ce qu’on y a semé de généreux.
Qu’on se figure cinq ou six jeunes gens d’élite sous la conduite d’un maître à la fois artiste et érudit,
sous une direction telle que M. Letronne ou M. Raoul-Rochette dans leur jeunesse l’auraient pu si parfaitement
donner : de pareilles conditions réunies sont difficiles à rencontrer sans doute, elles ne sont pas introuvables pourtant
dans les rangs rajeunis de l’Université ou de l’Institut. Chaque année, après les études qui auraient pu
se suivre sur place, il y aurait un voyage destiné à quelques explorations d’art ou au commentaire vivant
d’un auteur ancien ; la moindre promenade aurait son objet. Les choeurs d’Oedipe lus à Colone, et ceux
d’Ion à Delphes ; les odes de Pindare étudiées en présence des lieux célébrés ; un grand historien suivi pied à
pied sur le théâtre des guerres qu’il raconte ; l’Arcadie parcourue, Xénophon en main, à la suite
d’Epaminondas victorieux, ce seraient là des études parlantes qui résoudraient, j’en réponds, plus
d’une difficulté géographique ou autre, née dans le cabinet. Mais surtout on en rapporterait, avec la
connaissance précise, une intelligence animée, la vie et le charme qui se communiquent ensuite et qui sont le vrai
flambeau des Lettres. Les inscriptions, chemin faisant, y trouveraient leur compte ; et bien d’autres choses avec
elles.
Si nous n’avons pas à tracer ici de programme à une noble pensée, nous ne prétendons pas non plus en
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