Solides et liquides quantiques, dans les systèmes

L’origine de l’effet Hall – classique ainsi que quan-
tique – est le phénomène suivant : lorsqu’une parti-
cule chargée entre dans un champ magnétique, elle
est déviée de sa trajectoire initiale. Cette déviation, due à la
force de Lorentz, est perpendiculaire au champ et à la direc-
tion de propagation de la particule. C’est pour cette raison
que si l’on injecte un courant Idans un métal bidimension-
nel, exposé à un champ magnétique perpendiculaire, une
différence de concentration de charge s’établit entre deux
bords opposés perpendiculairement au courant (figure 1,
graphique inséré). Cette différence de concentration de
charge donne lieu à une tension UHentre les bords, et la
résistance de Hall, définie par RH=UH/I, est proportion-
nelle au champ magnétique (figure 1). Cet effet, qui fut
découvert par E. Hall en 1879, est encore utilisé aujourd’hui
pour mesurer la densité de porteurs libres dans des métaux.
En effet la pente de RHen fonction du champ magnétique
ne dépend que du produit qnel, où nel est la densité de por-
teurs et qleur charge électrique.
En 1980, un siècle après la découverte de Hall, une expé-
rience de V. Klitzing, Dorda et Pepper a montré que la résis-
tance de Hall à très basse température ne varie pas linéaire-
ment avec le champ magnétique Bmais que cette résistance
est quantifiée : à certaines valeurs du champ, la résistance
reste constante quand on varie légèrement B. Ceci donne
lieu à des paliers dans la résistance de Hall autour de la
courbe classique (voir encadré 1). La quantification de cette
résistance RH=h/e2ν, où h=2πest la constante de
Planck et ela charge élémentaire, est indépendante des
105
Solides et liquides quantiques,
dans les systèmes
bidimensionnels d'électrons
Vingt ans après la découverte des effets Hall quantiques entier et fractionnaire, les systèmes bidimensionnels
d'électrons dans un champ magnétique perpendiculaire restent un domaine de recherche plein de surprises.
Dans ces systèmes, les états électroniques sont quantifiés en niveaux discrets équidistants, fortement
dégénérés, appelés niveaux de Landau. Tout récemment, un comportement non monotone de la résistance de
Hall (celle qui apparaît dans la direction perpendiculaire à un courant injecté dans l'échantillon) a été observée à
des champs magnétiques qui correspondent à un remplissage partiel du premier ou second niveau de Landau
excité. Ce comportement non monotone, appelé la réentrance de l'effet Hall quantique entier, est dû à une
alternance de phases de solides électroniques et de phases liquides quantiques.
Article proposé par :
Mark-Oliver Goerbig, [email protected], Laboratoire de physique théorique et hautes énergies, CNRS/Universités Paris 6 et
Paris 7.
Pascal Lederer, [email protected], Laboratoire de physique des solides, CNRS/Université Paris-Sud.
Cristiane Morais Smith, cristiane.demorais@unifr.ch, Département de Physique, Université de Fribourg.
Quanta et photons
R
B
R
I
I
LH
gaz d’électrons 2D
B
RH
champ magnétique
résistance de Hall
______
+++ + ++
Figure 1 - Système à effet Hall, un courant Iest injecté par un des bords.
Le système est soumis à un champ magnétique Bperpendiculaire. On
mesure la tension par les contacts, ce qui donne lieu à la résistance longi-
tudinale (rouge) et à la résistance de Hall (bleu). Résultat de l'effet Hall
classique : la résistance de Hall varie linéairement avec le champ magné-
tique (courbe verte).
détails géométriques et de la composition de l’échantillon.
Si νest un entier, on parle de leffet Hall quantique entier
(EHQE) et de leffet Hall quantique fractionnaire (EHQF)
au cas où νest fractionnnaire. Ce dernier fut découvert par
Tsui, Störmer et Gossard peu après la première observation
de lEHQE. Cette quantification, mesurée à 109près, a
permis la meilleure définition de la constante universelle
h/e2, qui est désormais utilisée comme unité de la résis-
tance. La découverte de ces effets, qui a ouvert un nouveau
domaine de recherche, autant théorique quexpérimental, a
été recompensée par deux Prix Nobel : en 1985, cette dis-
tinction fut attribuée à K.V. Klitzing pour la découverte de
lEHQE, et Tsui, Störmer et Laughlin partagèrent ce prix en
1998 pour leurs travaux respectivement expérimentaux et
théoriques sur lEHQF.
L’effet Hall quantique entier
LEHQE est une manifestation de la quantification, dite
de Landau, de l’énergie dune particule chargée dans un
champ magnétique. Cette quantification est semblable à
celle de l’énergie dun électron dans un atome, et le modèle
de Bohr malgré ses failles peut servir à comprendre la
quantification de Landau. Tandis que la mécanique classique
prédit quun électron dans un champ magnétique décrit une
trajectoire circulaire avec un rayon arbitraire, le rayon cyclo-
tron RCne peut avoir que des valeurs particulières en méca-
nique quantique, RC=lB2n+1, où lB=/eB est la
longueur magnétique et nun entier. On trouve donc que la
surface délimitée par la trajectoire dun électron doit être un
multiple de la surface minimale σ=2πl2
Bpour le cas dun
champ magnétique homogène. Le produit du champ Bet de
la surface minimale est φ0=Bσ=Bh/eB =h/e. Ce flux
sappelle quantum de flux ; chaque état électronique est donc
associé à un quantum de flux.
Comme le rayon de la trajectoire circulaire de l’électron
détermine son énergie cinétique, la quantification du rayon
cyclotron a pour conséquence la quantification de cette éner-
gie. On trouve que l’énergie cinétique ne peut prendre que
des valeurs En=ωC(n+1/2), où ωC=eB/mavec la
masse de l’électron m. Ces niveaux, décrits par le nombre
quantique n, sont appelés niveaux de Landau. Comme l’éner-
106
Effet Hall quantique et quantification de Landau
Au lieu dune dépendance linéaire en fonction du champ
magnétique (effet Hall classique, courbe verte dans la figure 1),
la résistance de Hall montre à basse température des paliers
quantifiés à des valeurs RH=he2où h/e2est le quantum de
résistance et νun nombre. A faible champ magnétique, on
observe lEHQE (courbe bleue dans la figure 1) avec νentier.
Pour des champs plus forts, on trouve lEHQF (courbe rouge
dans la figure 1), avec νfractionnaire, symétrique autour de
ν=1/2. La variation observée de RHavec Best monotone.
Mais lagrandissement de la figure 1 montre la réentrance de
lEHQE observée par Eisenstein et coll. en 2002. Cette réen-
trance est la première observation dun comportement non
monotone de la résistance de Hall.
L’énergie cinétique dun électron, en dimension 2, dans un
champ magnétique, est quantifiée en niveaux équidistants
(niveaux de Landau). Son spectre est celui dun oscillateur
harmonique, En=ωC(n+1/2), un exemple standard des
cours de mécanique quantique. Or, en raison de la symétrie de
translation, les niveaux de Landau sont hautement dégénérés:
l’énergie de l’électron ne dépend que du rayon de sa trajectoi-
re, mais non de lendroit où est centrée cette trajectoire.
Comme chaque état dun niveau occupe une surface σ, propor-
tionnelle à 1/B, la dégénérescence dun niveau, égale à S
(où Sest la surface de l’échantillon), est énorme, (de lordre de
1011 par cm2sous 15 Teslas).
En fait la quantité νde lexpérience est égale au nombre de
niveaux exactement remplis ! Si tous les états dun niveau sont
complètement remplis (figure 2, gauche), il faut fournir une
énergie minimale de ωCpour ajouter un électron supplémen-
taire (figure 2, droite). Un électron est, par exemple, promu
dans un niveau supérieur quand on abaisse le champ magné-
tique, car on diminue ainsi le nombre d’états par niveau. Si les
énergies thermique et électrique sont faibles devant ωC, cette
particule est piégée par les états localisés dimpuretés et ne
contribue donc pas au transport électronique. La résistance de
Hall reste accrochée à sa valeur initiale : grâce aux impuretés,
on a un palier quantifié!
Encadré 1
0.35
0.30
0.25
R
xy
(
h/e
2
)
h/4e
2
h/3e
2
7/2
3+1/5
3+4/5
a)
B
H
54
3
3/72/5
1/3
2/3 3/5 4/7
1/2
2
2
R = (h/e ) / ν
ν=1
Champ magnétique
Résistance de Hall
EHQE EHQF
EHQF
réentrance de lEHQE
Figure 1 - Effet Hall quantique.
1
2
n = 0
3h ωC
Figure 2 - Niveaux de Landau.
gie de la particule ne dépend pas du centre de sa trajectoire
circulaire, qui lui-même est réparti sur la surface σ=2πl2
B,
ces niveaux de Landau sont hautement dégénérés: le
nombre de «cases » possibles pour la position dun électron
est N=S=/φ0où Sest la surface de l’échantillon
et =BS le flux total qui la traverse. Le remplissage des
niveaux de Landau est donc déterminé par le facteur
ν=nel/Noù nel est la densité électronique surfacique.
Evidemment, les propriétés dun niveau de Landau, du point
de vue électronique, doivent être assez différentes selon que
toutes les «cases » sont occupées (niveau plein, ν=n) ou
non (ν= n). A ν=n, quand nniveaux sont complètement
remplis, on observe lEHQE : une particule, quon ajoute
dans le système, est forcée doccuper un niveau supérieur à
cause du principe de Pauli, qui interdit à deux électrons
doccuper le même état quantique. En présence dimpure-
tés, cette particule dans un niveau supérieur se place de pré-
férence dans un puits du potentiel dimpuretés et reste donc
piégée. Pour cette raison, elle ne peut contribuer au trans-
port électronique mesuré par la résistance, qui reste par
conséquent accrochée à sa valeur initiale. Le remplissage
des niveaux étant fixé par le champ magnétique, ce piégeage
d’électrons donne lieu aux paliers dans la résistance de Hall
tracée en fonction du champ. Quand l’énergie thermique
kBTest plus grande que la séparation entre niveaux de Lan-
dau, des électrons peuvent être thermiquement excités dans
des niveaux supérieurs, et leffet quantique disparaît. Cest
pour cette raison que lEHQE nest observé qu’à basse tem-
pérature (typiquement de lordre de quelques Kelvin).
L’effet Hall quantique fractionnaire
Jusqu’à présent nous avons négligé les interactions entre
électrons, qui se repoussent à cause de linteraction de Cou-
lomb. Cest une approximation valable autour de ν=n,
parce que les seules excitations permises par le principe de
Pauli sont celles entre niveaux de Landau avec une énergie
caractéristique de la séparation entre niveaux ωC. Cette
énergie est plus grande que l’énergie typique des interac-
tions de Coulomb. Or, même si ces dernières restent très
petites, elles deviennent essentielles à ν= n, c.a.d. quand
un niveau de Landau nest que partiellement rempli. La rai-
son en est que dans ce cas, il peut y avoir des excitations
dans le même niveau (excitations intra-niveau). Comme les
états couplés par de telles excitations ont la même énergie
cinétique ωC(n+1/2), l’énergie de Coulomb reste la
seule échelle d’énergie significative. Un tel système est
aussi appelé un système électronique à corrélations fortes.
Cest dans ce régime de corrélations fortes quon observe
lEHQF, qui est la manifestation dun liquide quantique
dont la formation est due précisément à la répulsion cou-
lombienne entre électrons. Dans le plus bas niveau de Lan-
dau (n=0), on mesure des paliers dans la résistance de
Hall autour des facteurs de remplissage ν=p/(2ps +1),
où set psont des nombres entiers. Cet effet peut être com-
pris comme un EHQE dune nouvelle particule, nommée
fermion composite (FC), qui consiste en un électron et une
sorte de tourbillon du liquide quantique, ou «vortex », qui
porte spaires de quanta de flux (figure 2). Le nombre p, on
le verra, est alors le nombre de niveaux de Landau de FC
exactement remplis. Lexistence du vortex, qui est une exci-
tation du liquide électronique, est naturelle : chaque élec-
tron repousse les autres, et sentoure dun «trou de corréla-
tion ». Dans le champ magnétique, le bord de ce trou est
animé dun mouvement circulaire. Le défaut de charge, par
rapport à la densité moyenne, est égal ce nest pas évident
à 2ps
2ps +1eet il est favorable pour un électron de se lier à
ce défaut. Cet état lié est un FC, qui porte une charge
e=e
2ps +1inférieure à celle de l’électron ; son énergie
est quantifiée en niveaux de Landau à cause de la présence
du champ magnétique, comme il a été décrit plus haut.
Pourtant la longueur magnétique du FC l
B=/eBest
plus grande que celle de l’électron ainsi que la surface
minimale σ=2πl2
B=(2ps +1occupée par chaque
état quantique. LEHQF est donc observé à des champs
magnétiques qui correspondent à pniveaux de Landau de
FCs complètement remplis (p=nel σ) et par conséquent à
des facteurs de remplissage électroniques
ν=p/(2ps +1). La formation de FCs est esquissée dans
la figure 2 pour ν=1/3(s=p=1).
107
Quanta et photons
:vortex portant deux
quanta de flux (liés)
: fermion composite
: quantum de flux (libre)
: électron
Figure 2 - LEHQF à ν=1/3en terme de Fermions Composites (FC). Par
électron, il y a 3 quanta de flux dans le système, dont 2 sont portés par un
tourbillon du liquide électronique («vortex ») (s=1). Ce dernier est lié à
un électron pour former le FC. Il reste autant de quanta de flux libres que
de FCs, ce qui donne lieu à un facteur de remplissage de FCs p=1.
Aussi, dans le niveau de Landau électronique n=1, on
observe lEHQF à des valeurs ν=1/(2s+1), où νdésigne
maintenant le facteur de remplissage partiel de n=1. Les
électrons dans le plus bas niveau n=0, qui est complète-
ment rempli, restent inertes. Contrairement au cas n=0,
lEHQF na jusqu’à maintenant jamais été observé pour des
remplissages avec p>1dans un niveau supérieur.
Malgré son succès, la théorie des FCs, proposée en 1989
par Jain, a suscité autant de nouvelles interrogations quelle a
apporté de réponses. La structure interne du FC demeure aussi
mystérieuse que la nature du lien entre l’électron et le vortex.
Ces questions constituent un des sujets les plus brûlants de la
recherche actuelle en physique de la matière condensée.
Solides électroniques
Une autre conséquence de la répulsion coulombienne, en
plus de la formation de liquides quantiques, peut être envi-
sagée et semble même physiquement plus intuitive : des par-
ticules de charge égale, dont le mouvement thermique est
supprimé à basse température, forment une structure cristal-
line pour s’éviter au maximum. La formation dun tel cristal
d’électrons fut effectivement proposée par Wigner en 1934,
et lon parle désormais dun cristal de Wigner quand on se
réfère à un cristal d’électrons (voir figure 3). Néanmoins, de
Les systèmes à effet Hall constituent une autre classe de
systèmes pour lesquels on sattend à la formation dun cris-
tal de Wigner. Même si la densité électronique reste élevée,
le champ magnétique «resserre » les fonctions dondes de
forme gaussienne : leur extension spatiale peut être réduite à
la surface minimale 2πl2
B1/B. Pour cette raison, les élec-
trons peuvent être traités comme des objets classiques qui
sarrangent donc dans un ordre cristallin à basse température
si la séparation moyenne entre deux particules est considéra-
blement plus grande que la longueur magnétique lB. Cest
précisément la condition pour pouvoir négliger le recouvre-
ment des fonctions donde de deux particules voisines, et
cette condition est normalement satisfaite à fort champ
magnétique. A des champs plus bas, on peut curieusement
aussi satisfaire à cette condition parce que cest la densité
électronique du dernier niveau de Landau seulement qui
compte et non pas la densité totale : les électrons dans les
plus bas niveaux complètement remplis peuvent être consi-
dérés comme inertes. Cest pourquoi le cristal de Wigner est
formé autour des facteurs de remplissage ν=n. La vérifica-
tion expérimentale de la présence dun tel cristal électro-
nique est pourtant une tâche difficile, et lon a jusqu’à pré-
sent seulement des preuves indirectes de la formation dun
cristal de Wigner dans les systèmes à effet Hall quantique.
En raison de laccrochage de la structure cristalline par des
impuretés résiduelles, les électrons du dernier niveau de Lan-
dau auraient un comportement isolant qui ne se distinguerait
pas de celui dune phase électronique désordonnée dans
laquelle les particules sont piégées individuellement. On a vu
plus haut que ce comportement isolant donne lieu à lEHQE.
Comment est-il donc possible de distinguer la phase qui est
à lorigine du comportement isolant ?
Réentrance de l’EHQE
Dans une expérience récente de Eisenstein et coll., un
phénomène étonnant a été observé: au lieu dun comporte-
ment monotone de la résistance de Hall en fonction du
champ magnétique, comme esquissé dans lencadré 1, on
trouve que lEHQE correspondant à un niveau complète-
ment rempli disparaît quand on abaisse le champ magné-
tique, puis réapparaît : on appelle cela une «réentrance de
lEHQE ». Cette dernière se trouve à des champs intermé-
diaires qui correspondent à un remplissage partiel du pre-
mier niveau de Landau excité (agrandissement dans la
figure de lencadré 1). Les phases isolantes, qui sont à lori-
gine de la réentrance de lEHQE, étant séparées par des
phases liquides quantiques, qui exhibent lEHQF observé à
ν=3+1/5,3+1/3,3+2/3et 3+4/5(figure 1 de
lencadré 1), les interactions entre électrons sont pertinentes
pour ce phénomène. Il est donc peu probable que ces phases
isolantes soient dues à un piégeage individuel des électrons,
et la réentrance de lEHQE doit être interprétée comme une
indication de la présence dun cristal électronique.
Un cristal de Wigner (avec une seule particule par site)
nest pourtant pas le seul cristal électronique possible :
Fogler et coll., et indépendamment Moessner et Chalker,
108
d’îlots
phasecristal
de Wigner phase
de rubans
Figure 3 - Cristaux électroniques. Gauche : cristal de Wigner à basse den-
sité; milieu : phase d’îlots pour ν<1/2; droite : phase de rubans réali-
sée à ν=1/2.
tels cristaux n’étaient pendant longtemps quune construc-
tion théorique car même à très basse température, les élec-
trons libres, quon trouve par exemple dans les métaux, ne
cristallisent pas mais restent dans un état liquide. Ceci est dû
à la mécanique quantique qui empêche une telle cristallisa-
tion : les fonctions donde des électrons se recouvrent de
façon significative aux densités électroniques caractéris-
tiques des métaux. La description des électrons comme étant
des objets classiques, qui pourraient sarranger dans une
structure cristalline, nest donc plus valable. Il a fallu
attendre 35 ans avant que la prédiction de Wigner fût véri-
fiée expérimentalement par Grimes et Adams. Ils ont pu réa-
liser un système électronique bidimensionnel de densité suf-
fisamment basse pour pouvoir négliger le recouvrement des
fonctions dondes des électrons sur une surface dhélium.
prédirent en 1996 la formation de phases d’îlots dans les
systèmes à effet Hall quantique quand plusieurs niveaux de
Landau sont entièrement remplis, et le dernier ne lest que
partiellement. Ces phases sont des structures cristallines
comme le cristal de Wigner mais avec plusieurs (M) élec-
trons par site, c.a.d. par îlot (figure 3). Cest pourquoi lon
parle aussi dun «super » cristal de Wigner, qui est égale-
ment un isolant à cause de son accrochage par les impuretés
dans l’échantillon. La formation d’îlots, malgré la répulsion
entre électrons, est due à la forme particulière du potentiel
dinteraction entre électrons dans un niveau de Landau
élevé: ce potentiel a un palier de portée 22n+1lBsuper-
posé au potentiel de Coulomb habituel, qui a une dépen-
dance en 1/r, où rest la distance entre charges. A densité
électronique élevée, il est donc énergétiquement favorable
pour les électrons de se rassembler en amas pour réduire le
nombre effectif de voisins avec lesquels ils interagissent for-
tement. Ces amas, ou îlots, peuvent être considérés comme
des objets classiques qui eux-mêmes cristallisent pour mini-
miser l’énergie dinteraction résiduelle à longue portée. A
demi-remplissage dun niveau élevé, ces amas percolent et
forment une phase de rubans (figure 3).
L’énergie des différentes phases
Nous avons étudié, de façon théorique, la compétition
entre ces phases liquides quantiques responsables de
lEHQF et solides électroniques, qui sont à lorigine de la
réentrance de lEHQE. Nous en donnons ici les résultats
pour le niveau de Landau n=1.
Pour décider quelle phase est réalisée à quel remplissage
νde n=1, il faut comparer les énergies des phases en com-
pétition. Cest la phase d’énergie plus basse qui est réalisée.
Tandis que les courbes des phases d’îlots avec Mélectrons
par îlot varient continuement avec ν, l’énergie du liquide
quantique a des minimas, qui sont des points anguleux aux
valeurs ν=1/(2s+1). Celles-ci correspondent au plus bas
niveau de Landau de FCs complètement rempli, chaque FC
portant 2squanta de flux, comme il a été décrit précédem-
ment. Quand le facteur de remplissage ne coïncide pas exac-
tement avec ces valeurs «magiques », il faut tenir compte de
l’énergie des FCs (ou trous) peuplant le niveau supérieur, qui
est séparé par un gap d’énergie du niveau complètement
rempli. Cela gouverne la pente des courbes d’énergie de la
phase liquide quantique, en fonction du remplissage.
Les résultats pour 0ν1/2sont tracés dans la figure
4(a) et comparés aux mesures par Eisenstein et coll. (figure
4(b)). On trouve que la phase liquide quantique est énergé-
tiquement favorable autour de ν=1/5et 1/3, et lon
observe donc lEHQF en accord avec les expériences.
Quand le facteur de remplissage s’éloigne de ces valeurs
«magiques », des FCs sont promus dans un niveau supé-
rieur, ce qui fait augmenter l’énergie de la phase liquide jus-
quau point où la phase d’îlots commence à avoir une éner-
gie plus basse. Cest pour cette raison quon trouve la
réentrance de lEHQE entre ν=1/5et 1/3, ainsi quau-
dessus de ν=1/3. Un effet curieux se produit à ν=1/2:
on y observe un EHQF, mais avec un dénominateur pair, qui
ne peut être classé par la séquence ν=p/(2ps +1)décri-
vant les états dEHQF habituels. A basse densité, nos cal-
culs indiquent une préférence des phases liquides. Or nous
avons négligé des effets dimpuretés dans les calculs, et ces
effets deviennent plus importants à basse densité: une phase
solide peut abaisser son énergie en se déformant pour profi-
ter du potentiel dimpuretés, contrairement à une phase
liquide incompressible. Cest pourquoi on observe lEHQE
à bas νet non pas lEHQF. Dans des niveaux supérieurs
(n=2et n=3), nous avons trouvé des résultats sem-
blables, mais les phases liquides quantiques ne sont réali-
sées qu’à de plus basses densités partielles quand on aug-
mente n. A ν=1/3dans le niveau n=2, e.g., une phase
d’îlots avec deux électrons a une énergie plus basse quun
liquide quantique, et dans n=3un éventuel EHQF dispa-
raîtrait aussi à ν=1/5.
Transitions de phases
Nos calculs d’énergie suggèrent que les transitions de
phase entre liquide quantique et les différentes phases
solides sont de premier ordre : comme les courbes d’énergie
109
Quanta et photons
2
3+1/5
??
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5
remplissage du dernier niveau
1/2
1/3
1/5
1/3
1/3.5 liquideliquide cristalcristal cristal
résistance de Hall [h/e ]
2
-0.15
-0.1
-0.05
0.1 0.2 0.3 0.4 0.5
0.20
M=1
M=2
M=3
1/91/7 1/5 1/3
liquide quantique
n=1
(a)
Energie par particule
Facteur de remplissage partiel
Figure 4 - (a) Energie par particule (en unités de e2/lB) des phases
d’îlots à Mélectrons et des phases liquides quantiques en fonction du
remplissage partiel du niveau de Landau n=1. (b) Mesure de la réen-
trance de lEHQE
1 / 6 100%

Solides et liquides quantiques, dans les systèmes

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