prenne pas de haut la littérature de jeunesse en la considérant comme une "paralittérature"
9
,
mais qu'on la considère comme une littérature à part entière.
5-La littérature comme lieu d'expérimentation du monde, et lieu d'exploration originale et
plurielle du rapport de l'homme au temps et au monde :
Les travaux de P. Ricoeur sur le récit de fiction nous ouvrent des perspectives théoriques pour
comprendre comment la littérature permet de problématiser notre rapport au monde. Ce qui
constitue un questionnement d'ordre philosophique pour de nombreuses philosophies qui
s'efforcent de produire une "vision du monde", c'est-à-dire le dire et en rendre raison.
Pour le comprendre, il faut rapprocher la fiction narrative de la métaphore. Pour aller vite,
10
on pourrait dire que le récit, à la manière de la métaphore, parvient à figurer la réalité.
Parvenant à dire le monde elle participe à la description et à la compréhension du monde. La
fiction est une puissance signifiante du monde : elle donne du sens au monde. Or le grand
pouvoir de la fiction narrative est d'offrir des possibilités d'expérimentation. En effet, détaché
de la réalité, le récit permet d'explorer des possibles dans l'ordre des valeurs pour rendre le
monde habitable. C'est ce que P. Ricoeur désigne sous le terme de "laboratoire de
l'imaginaire"
11
dans lequel l'homme expérimente en imagination les rapports possibles au
temps et au monde.
Si donc, par la littérature, l'enfant peut faire l'expérience des grandes questions humaines, cela
prouve que la littérature explore des modalités de l'expérience humaine qui échappe aux
modes d'approche strictement philosophiques. En un sens, ici, se produit un renversement de
hiérarchie puisque c'est la littérature qui philosophe. Il reste à montrer comment les rapports
de la philosophie et de la littérature se nouent dans une implication mutuelle. Autrement dit,
comment la littérature met en œuvre à son niveau propre une pensée véritable. Il nous faut
pour cela en venir à la notion d'idée qui, malgré sa grande fortune philosophique n'appartient
pas qu'aux philosophes.
6-Des "idées de roman"
12
à la littérature conçue comme un "laboratoire d'idées"
13
:
A quelles conditions la littérature pense-t-elle ?
14
Il n'est plus question désormais d'envisager
que l'auteur d'un roman ou d'un album puisse écrire de la littérature philosophique à partir des
idées contenues dans un essai philosophique.
15
Il nous faut donc concevoir comment la
littérature peut mettre en œuvre une véritable pensée en élaborant de manière originale des
idées dans les mots, l'intrigue, les personnages, les images…Nous pensons qu'il existe bel et
9
E. Chirouter, op. cit. p.20
10
Nous renvoyons aux travaux que P. Ricoeur a consacré au récit de fiction dans son ouvrage Temps et récit (3
T. Paris, Seuil, Coll. "l'ordre philosophique", 1984; rééd. Coll. "Points/essais", 1991) commentés avec une
grande clarté par P. Sabot dans son livre Philosophie et littérature Approches et enjeux d'une question, pp.65 -
75.
11
"Ce sont les possibilités fondamentales de l'existence qui sont explorées dans le roman- aussi j'insiste
beaucoup sur cette idée de "laboratoire imaginaire"; ce que l'on trouve dans le roman, ce sont les variations
imaginaires sur les relations possibles de l'homme avec le temps et le monde." P. Ricoeur, "De la volonté à
l'acte", entretien avec C. Oliveira, in "Temps et Récit" en débat, Paris, Cerf, coll. "Procope", 1989, p. 28. Cité par
P. Sabot, op. cit. p. 70.
12
Selon la formule de V. Descombes, Proust, Philosophie du roman, Minuit, coll. "Critique", 1987, p.24
13
P. Sabot, op.cit.p.88.
14
Pour reprendre l'expression de P. Macherey, A quoi pense la littérature? Exercices de philosophie littéraire,
PUF, coll. "Pratiques théoriques", 1990.
15
C'est à mon sens ce que fait A. Comte-Sponville dans l'album, Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que
rien ? Ill. Natali, Coll. "Pourquoi ? Parce que!", Ed. T. Magnier, 1998.