JustineBalibar–Séminairedesdoctorantsfranco‐belges,Bruxelles,20février2014 Page2sur8
dans le paysage des propriétés objectives qui fondent son statut d’objet esthétique se
heurtenotammentàdeuxpréjugésmajeurs,deuxécueilsentrelesquelsjesouhaiteloger
maconceptiondupaysage.Lepremierpréjugéestceluiquiconsisteàdirequ’iln’ya
riend’objectifdanslepaysage,qu’unpaysagen’existequedansleregardoul’étatd’âme
deceluiquileperçoit,quecen’estqu’affaired’impressionssubjectivesetqu’iln’yadonc
rienàendiredephilosophique.Cepréjugéreposesuruneconfusionentrelachoseetsa
représentation, entre le paysage même et la représentation subjective du paysage. Le
secondpréjugéestl’inversedupremier:ilconsisteànereconnaîtreaupaysagequ’une
objectivité matérielle ou physique,celleduterritoireoudel’environnement dont un
paysageestfait,maisnonuneobjectivitéesthétique.
Monhypothèseestaucontrairequelepaysagepossèdeuneobjectivitépropre,quiest
esthétique et qualitative, et qui est intermédiaire entre l’objectivité purement
quantitativedelamatièrephysiqueduterritoire,etlapuresubjectivitéduspectateur.
Laplupartdesphilosophesdupaysageonttendanceàreplierlanotiondepaysagesoit,
comme c’est le cas de l’esthétique environnementale anglo‐saxonne, sur celle
d’environnement(territoire,nature,pays);soit,commec’estlecasdenombreuses
théoriesfrançaisesdupaysage,surcelledereprésentation,quecettereprésentationsoit
objectivée dans une œuvre plastique (dessin, tableau, photographie, film, image, voire
jardin) ou littéraire (description littéraire), ou qu’elle reste à l’état de perception
radicalementsubjectiveetincommunicable(regard,sentiment,étatd’âmeimpossiblesà
exprimerdemanièreplusarticuléequ’enproférantun«ahh!»d’admiration).Danstous
lescas,lepaysagesevoitprivéd’existenceautonome,puisqu’ilestsoitéliminéauprofit
d’autrechose(iln’yapasdepaysageiln’yaquedesenvironnements),soitassimiléà
unechosesiténueetd’unesifaibledensitéd’êtrequ’onnevoitguèreenquoiilpourrait
consister(qu’est‐cequec’estquecette«naturevuecommeuntableau»,cebrouillard
d’esthèteinterposéentrelanatureetlesouvenird’untableau?qu’est‐cequec’estque
ceskilomètrescarrésdemontagnessoudaindématérialisésparlavertud’unregard?).
Unpaysageestaussiunenvironnementmaisiln’estpasquecela–ettout
environnementn’estpasunpaysage(uneforêt,desfondsmarins,uneruenesontpas
despaysages).Ilsepeutqu’unpaysagenousémeuve,susciteennousunétatdel’âme,
maisiln’estpascetétatd’âme.Quandonperçoitunpaysage,ilsepeutquecepaysage
nousfassepenseràuntableau,maislepaysageenlui‐mêmen’estpascelaouquecela,à
savoirunereprésentationmentale,l’idéeoulesouvenird’untableau.Onpeutsoutenir,
commelefontnotammentA.Berque,A.CauquelinetA.Roger,quelaperceptiond’un
paysageapourconditionsdepossibilitél’existencedereprésentations paysagères
(linguistiques, littéraires, artistiques) mais cela n’implique pas que le paysage soit
nécessairementunereprésentation–defait,unethéoriesurlesconditionsdepossibilité
d’une culture paysagère ne dit rien sur ce qu’est en lui‐même un paysage. Aussi
intéressantes et légitimes soient‐elles, ces philosophies «du paysage» ne portent pas
surlepaysagelui‐même,etsousprétextedeparlerdepaysage, elles parlent d’autre
ce ahose,deréalitéscertesvoisinesmaisautres,aurisquedelaisserpens rquelep ysage
n’existepas.
Raressontau contraire les philosophes à avoir mis en évidence un niveau deréalité
propreaupaysage,quinesoitniceluidel’environnementniceluidelareprésentation.
C’estlecas,notamment,deG.Simmel(qui,danssaPhilosophiederLandschaft,aposéles
bases,grâceàsonconceptde«Stimmung»,àlafoisdelagéographieculturelleetdela
philosophieappliquéesaupaysage),PaoloD’Angelo(maisseulementdanslecadred’un
travail d’histoire des de la pensée du paysage), Luisa Bonesio (mais plus dans une