Le Point face à l'islam
en France le principal enjeu lié aux religions semble être « la nouvelle compétition religieuse », il est question, à
l'échelle internationale, de « sauver » Coptes et Assyriens des islamistes. Notons que Le Point semble ainsi
suggérer que les Chrétiens sont les victimes principales de l'islam(isme), ce qui est évidemment faux : quand bien
même certaines communautés chrétiennes sont visées, comme nous l'ont rappelé les ignobles décapitations de
Coptes égyptiens par l'État islamique, les principales victimes des courants intégristes musulmans violents sont...
des musulmans.
L'ouverture de dossier se fait quant à elle sur cette présentation : « Choc. Confrontée aux persécutions des
chrétiens d'Orient et à la vitalité du monde musulman, l'Église lance l'offensive spirituelle. » Outre la métaphore
guerrière et le « choc », un glissement est opéré : le dossier se préoccupera moins de « l'islam » que du « monde
musulman », qui ne sera pas plus défini que cette « vitalité » censée le caractériser.
Le coeur du dossier développe cette rhétorique du choc. Ainsi des questions posées à Souleyman Bachir Diagne,
universitaire spécialiste de l'Islam : « l'islam est-il traditionnellement agressif envers les chrétiens ? », « Mais l'islam
ne discrimine-t-il pas traditionnellement les autres religions ? », « Comment analysez vous le comportement des
djihadistes ? Les décapitations, l'esclavage, les destructions de patrimoine culturel... Plus que la défense de l'islam,
leur objectif n'est il pas la lutte contre l'Occident ? » Ironie du dossier, cette phrase, page 43 : « Comment ne pas
tomber dans le piège tendu par Daech, qui fait tout pour allumer un choc planétaire entre musulmans et chrétiens ? »
Peut-être en évitant les caricatures, les raccourcis et la rhétorique du choc...
Parler des musulmans en leur absence
Le dossier s'ouvre sur une citation du pape François, puis des interviews de responsables du culte catholique
parsèment le texte. Tous parlent des musulmanes et des musulmans, puisque les journalistes les questionnent à ce
propos, mais les musulmanes et les musulmans sont les grand-e-s absent-e-s du dossier. Ainsi, alors que le père
Robert indique que « dans la basilique Saint-Denis, il arrive que des femmes musulmanes voilées entrent
discrètement et viennent se recueillir dans l'une des chapelles », le lecteur cherchera en vain des transcriptions ou
des traces d'entretiens avec ces femmes. Toutes les personnes citées ou interrogées dans le dossier (en plus d'être
quasi-exclusivement des hommes [3]), sont chrétiennes (ou bien, parfois, leur religion n'est pas mentionnée) [4].
Les deux seuls musulmans cités sont Mohamed Galmin (étudiant à l'université catholique de Paris), et le cheikh
al-Tayeb, imam de l'université al-Azhar, au Caire. En revanche, la part belle est faite aux citations du pape François,
du cardinal archevêque Barbarin et de nombreux autres prélats. Emblématiques, les deux passages du dossier
consacrés aux banlieues françaises, associées à l'islam (notamment Saint-Denis où, apprend-on, « la majorité des
habitants sont de culture ou de confession musulmane »). On aurait donc pu s'attendre à ce que les premiers
intéressés soient interrogés, que leur point de vue soit mentionné, voire critiqué. Il n'en est rien. Seuls sont interrogés
« Christine, paroissienne catholique de la banlieue parisienne » (page 45), « le père Robert » et « Vivien », un
catholique interviewé à la sortie de la messe (page 56).
***
En résumé, Le Point nous propose donc un énième dossier focalisé sur les musulmans sans les interroger et,
involontairement sans doute, une nouvelle démonstration de la façon dont le débat public est confisqué au détriment
de certains. La rédaction du Point, qui a le pouvoir de décider de la construction des sujets qu'elle médiatise et
pense ainsi constitutifs du débat public, a aussi le pouvoir de distribuer la parole dans l'espace qu'elle maîtrise. De
toute évidence, quand il est question d'islam dans ses colonnes, les musulmanes et les musulmans ne sont pas
amenés à s'y exprimer, alors même qu'ils sont présentés comme partie prenante d'un dangereux conflit de
civilisation.
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