Hamidullah, chercheur et apôtre de l’Islam…
Mardi, 1 Janvier 2008 13:03
Dans la France des années 1970, l’islam ne courait pas les rues. En dehors de la
présence plus que discrète, sinon honteuse, des travailleurs maghrébins, la
visibilité de l’islam était presque nulle. Pour le premier islamiste algérien que
j’étais, il me fallait trouver à mon arrivée en France, des correspondants,
c’est-à-dire des hommes capables de m’aider à tenir – notre attente alors était
minimale – face à l’assaut du marxisme triomphant qui sévissait alors dans les
amphis des universités.
Le décompte des troupes – ou des frères – était vite fait. Une dizaine à peine, de
pratiquants, plus ou moins réguliers, parmi les milliers d’étudiants arabes inscrits
sur Paris.
Dans le petit cercle de fidèles, les noms de deux petits bonhommes revenaient sur
les lèvres : le « Professeur » Hamidullah, comme l’appelleront plus tard ses
nombreux disciples turcs, « l’homme du savoir », et une boite aux lettres de
l’Islam, appelé Hajri, vieux petit bonhomme tunisien qui proposait ses services
aux musulmans des colonies, de passage à Paris. Il assurait la logistique des
causeries de Hamidullah quand elles se passaient en dehors de la grande et
unique mosquée de Paris.
Ce qui frappait d’emblée, quand on rencontrait Hamidullah, c’était sa capacité à
ne pas se laisser impressionner par le tohubohu du siècle, sa distance sereine,
sinon son indifférence, vis-à-vis de toutes les clameurs idéologiques ambiantes,
son indépendance d’esprit.
Bien ancré dans la foi, ne donnant jamais à voir un tantinet de doute quant aux
certitudes de l’Islam, il se dressait tout seul, comme une réfutation incarnée et
silencieuse de tous les annonciateurs – nombreux alors – de la « mort de Dieu ».
Son attitude semblait dire : Idéologies, je vous sais précaires et révocables et je
ne perdrai pas mon temps à vous réfuter. Vous êtes simple écume.
Alors que dans tout le monde, chrétiens et musulmans étaient engagés dans une
lutte éperdue – et perdue – pour réduire les effets imparables de la marxisation
impitoyable des esprits, Hamidullah poursuivait son chemin de force tranquille
consistant à prêcher sur le vieux mode, mais avec des ressources constamment
mises à jour et nourries aux sources les plus cosmopolites.
Rien à voir avec les intellectuels musulmans, de la place de Paris, colonisables
incurables, musulmans complaisants ou délavés, mariés dans les églises pour
mieux se faire accepter, déserteurs de la foi sur le mode arkounien, proposant aux
étudiants, nouvellement débarqués, lectures et relectures avec des yeux
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étrangers.
Armé d’une solide formation polyglotte en urdu, anglais, allemand, arabe, farsi,
turc et j’en passe, le Cheikh Hamidullah était vacciné contre la « francitude » –
qui se décline comme Servitude –, mal qui frappe tous les intellectomanes – pour
parler comme Bennabi – maghrébins ou africains francophones dont l’horizon
intellectuel se limitait aux contours de l’Hexagone.
Suffisance béate et infantile, la « francitude » est une formation/déformation
mentale, génératrice « d’imbéciles heureux » et qui rend inapte à apprendre
d’autres langues et d’autres cultures. Ce concept de francitude, a été forgé par
mon ami Ibrahima, du Sénégal, nouvellement débarqué en Amérique, dans les
années 90. Y ayant appris l’anglais, il se sentit affranchi de la langue du maitre et
se mit à danser et à chanter en anglais… Born again… ressuscité… il en a décrit
l’émerveillement dans un article « Servitude, Négritude et Francitude : les trois
mamelles de la France » dont je ne retrouve malheureusement pas la référence.
Partie intégrante du « mal français », la francitude–fermeture fait que des milliers
d’universitaires maghrébins aujourd’hui installés au Québec, se contentent du
pendant du RMI, plutôt que d’apprendre l’anglais qui leur permettrait de trouver
du travail au Canada anglophone. Mais passons…
Disposant d’aussi nombreux outils linguistiques lui permettant d’aller chercher
l’information ailleurs que chez les coloniaux d’hier et de toujours, Hamidullah
échappait à l’aura obligée des Berque et autres Rodinson qui travaillaient à
désislamiser les jeunes musulmans.
Alors que le « doute » était érigé en méthode d’analyse et s’infiltrait dans toutes
les sphères du savoir, Hamidullah resta imperturbable devant la fascination
universelle que représentait la religion marxiste et à laquelle quasiment personne
n’échappait, y compris moi-même qui savourais les écrits d’Henri Lefèvre et de
Garaudy, encore membre du PC pour quelque temps.
Refusant toute tentation concordiste qui attelait l’islam à tous les « isme » en
vogue alors, du genre « islam socialiste, progressiste, capitaliste, ou républicain
», Hamidullah continua à enseigner l’islam dans ses catégories traditionnelles
sans aucune concession à l’esprit du temps.
Cette indifférence à l’égard de l’aggiornamento du discours islamique pour
l’exprimer dans les concepts modernes et qui ressortait à l’archaïsme, énervait
quelquefois et n’apportait pas les armes nécessaires à la riposte intellectuelle que
le « musulman militant » – catégorie encore rare à l’époque – se proposait
d’apporter au monde.
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En revanche, le carré d’étudiants pratiquants savait gré au Cheikh de nourrir
notre foi avec des matériaux intellectuels sûrs et sécurisants.
Brosser le profil de Hamidullah demande plus de temps que ne le permet cette
conférence. Disons quand même quelques traits qui le distinguent des autres
intellectuels musulmans qu’on aurait pu connaitre en France dans les années
70-80.
Tout d’abord, son accès direct à l’épistème islamique, c’est-à-dire à l’ensemble de
la production intellectuelle islamique, grâce à sa maîtrise des langues majeures
de l’islam : l’arabe, le persan, et le turc.
La capacité à lire dans le texte, Ibn Arabî, Rumî, al-Biruni, Abu Hanifa, Sarakhsi,
Yunus Emre et autres, donne une conscience unitaire de la culture de l’islam et
une jouissance indicible que seuls peuvent connaitre ceux qui ont eu ce privilège.
Les Arabes porteurs d’une « conscience parcellaire » et qui, aujourd’hui,
représentent la « mauvaise conscience attardée de l’Islam », gagneraient à sortir
de leur splendide isolement et à renouer avec leurs coreligionnaires porteurs de
conscience globale, à l’exemple de Hafez de Chirâz qui composait des vers pour
moitié en arabe et pour moitié en persan :
ﺎﻬﻠﻜﺸﻣ ﺩﺎﺘﻓﺍ ﻲﻟ ﻭ ﻝﻭﺃ ﺩﻮﻤﻧ ﻥ ﺎﺳﺃ ﻖﺸﻋ ﻪﻛ ﺎﻬﻟﻭﺎﻧﻭ ﺎﺳﺄﻛ ﺭِﺩﺃ ﻲﻗﺎﺴﻟﺍ ﺎﻬﻳﺃ ﻻﺃ
Echanson sers-nous donc à boire,
Si l’amour parait si simple à ses commencements,
Il se révèle terrible par ses retournements…
La France a connu un homme qu’il faudra absolument célébrer un jour parce qu’il
le mérite à plus d’un titre. J’ai nommé Najmuddin Bammate, réincarnation
moderne de la culture de Rumi et qui pouvait déclamer dans plus de dix langues
l’hymne à Allah et à notre bien-aimé Prophète (sAaws).
Je me souviens du temps, quand, étudiant, je logeais chez la regrettée madame
Eva de Vitray-Meyerovitch et que de Rumi elle me parlait. Je l’écoutais avec
courtoisie mais avec l’assurance orgueilleuse qu’un Arabe n’a rien à apprendre
sur l’islam qui ne soit pas arabe.
Initié plus tard au Grand Œuvre de Rumi, le Mathnawi, « la Mishna de l’Islam »,
je fis amende honorable et compris la pauvreté de la culture musulmane amputée
de l’intériorité.
C’est lui, notre cher Bammate, qui le premier m’apprit ce vers de Rumi :
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ﺖﺳﺍ ﺕﺪﺣﻭ ﺭﺪﻧﺁ ﺕﺪﺣﻭ ﺭﺪﻧﺁ ﺕﺪﺣﻭ ....ﺖﺳﺍ ﺕﺪﺣﻭ ﻥﺎﻛﺩ ﺎﻣ ﻱﻮﻨﺜﻣ
Notre Mathnawi est un traité sur l’Unité
Unité du dedans de l’intériorité…
Ailleurs, Rumi nous dit que le Mathnawi est « l’essence de l’essence de la religion
» (lubabe lubabe Dîn est (ﺖﺳﺍ ﻦﻳﺩ ﺏﺎﺒﻟ ﺏﺎﺒﻟ ﻱﻮﻨﺜﻣ ﻦﻳﺍ –
Cette conscience globale de l’Islam œcuménique, il faut dire que l’Asie
musulmane en a produit plusieurs témoins, dont l’un d’entre eux, au moins,
influença directement Hamidullah. Tout le monde aura pensé au grand
Muhammad Iqbal, penseur et poète, auteur de Reconstruire la pensée religieuse
en islam, et qui chanta l’Islam en persan, en urdu et dans bien d’autres langues
comme l’anglais et l’allemand.
Dans une de ses œuvres, Iqbal convoqua à un banquet posthume Nietzche et
Rumi, que l’on peut encore savourer de nos jours, et qui n’a pas perdu de son
actualité.
Comme tous les Indiens de sa génération, Hamidullah subit l’influence d’Iqbal
comme modèle de l’intellectuel musulman exigeant. Nul doute que l’un des
premiers traits de la personnalité de notre Cheikh, fut sa quête inlassable de
science, sa soif insatiable de savoir.
L’on n’est jamais sorti de chez Hamidullah comme on est rentré. Il vous a toujours
appris quelque chose, une fois sur la Sira, une autre fois sur le Coran, le Hadith,
le droit musulman, la Bible et j’en passe. Hamidullah cherchait à rattraper Iqbal,
fierté de l’islam indien, sinon de l’Islam tout court, et qui venait de disparaître.
J’ai parcouru lors de mon séjour parmi les siens, à Heyderabad, – et je veux leur
rendre hommage ici pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée à chaque instant – les
premiers articles de Hamidullah dans les revues en urdu de l’époque : curiosité
tous azimuts avec des articles aussi inattendus qu’une linguistique comparative
sur les structures grammaticales française et allemande, des articles sur l’histoire
de l’Islam, des monographies assez hétéroclites et beaucoup d’articles de Droit,
sa formation première, etc.
Autre trait distinctif de Hamidullah, c’est qu’il n’était pas d’ici, c’est-à-dire, pas de
France ni de Navarre. Il ne partageait pas les tares coloniales des Arabes ou des
Nègres de service, commis pas leurs maitres à critiquer la culture indigène et à
célébrer la langue du Maitre. Grâce à sa maitrise de l’anglais et de l’allemand, il
n’avait aucun complexe vis-à-vis des régisseurs gestionnaires de l’islam de
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France. Il avait même un ascendant que j’ai eu à constater à maintes reprises
quand il citait des sources non françaises devant ses pairs. Ce seul fait suffisait à
désemparer les Français, fussent-ils les plus lettrés, ne supportant pas qu’un
Arabe – c'est-à-dire tout musulman – ose aller voir ailleurs… au-delà des Pyrénées.
Cette ouverture, partout ailleurs louangée, était perçue ici comme une atteinte à
la majestueuse culture franco-fermée. Hamidullah commettait au quotidien, et à
notre grande satisfaction nous les quatre chats maghrébins, ce péché vengeur de
toutes les hogra (mépris, en arabe algérien), du fait qu’il n’a jamais été un sujet
de l’empire français.
Le troisième trait, c’est son attachement simple, fervent et éclairé à sa religion.
Pratiquant régulier et exigeant, il garda toujours la simplicité du musulman
ordinaire qui ne veut rien en remontrer. En somme le contraire de la variété
salafite fossile qui sévit en France et en Europe aujourd’hui et dont l’arrogance
n’a d’égal que l’obscurantisme.
Piété et humilité, voilà deux qualités qui caractérisent plus que toute autre
l’homme Hamidullah et qu’il a héritées du milieu où il a grandi, c’est-à-dire
Hayderabad.
Pour comprendre le fait qu’il signait ses lettres par « el faqîr ilà Allah » (celui qui
ne peut se passer de Dieu), et en plus de sa signification piétiste, il faut savoir que
la plupart des articles qui paraissaient dans les revues où il écrivait dans les
années 50, portaient d’abord la mention « Nâ tchîzî », c’est-à-dire le
moins-que-rien, celui qui n’est rien, en guise de signature, et ensuite seulement le
nom de l’auteur.
En somme, ce trait personnel se trouvait porté et conforté par une tradition
scripturaire.
Autre trait de notre Cheikh : Hamidullah est un homme très traditionnel,
quasiment allergique à toute velléité de « moderniser » l’islam.
Ce trait aussi, il le doit à Hayderabad, ville dans laquelle il a grandi et dont je
rapporte un petit détail suffisamment signifiant. Me rendant à la grande mosquée
(Makka Mesjid) pour la prière du vendredi, je découvre à mon grand étonnement
que la khotba est dite en arabe devant quinze à vingt mille fidèles qui ne
comprennent pas cette langue. Quand, à la fin du sermon, j’interpelle – furieux de
voir cette atteinte à la raison – l’imam sur le pourquoi de la langue arabe, que je
ne chéris pas moins que lui, sa réponse est on ne peut plus claire ni plus «
orthodoxe » :
« Les hanafites considèrent comme détestable (makrûh)
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