DOSSIER THÉMATIQUE Penser sa féminité après un cancer du sein Penser sa féminité après un cancer du sein B. de Lafontan* A * Institut Claudius-Regaud, Toulouse. vez-vous remarqué ? On ne dit plus “cancéreuse du sein” mais “femme ayant présenté un cancer du sein”. La nuance est de taille et riche d’enseignements. Le corps médical n’est plus seulement soignant mais aussi accompagnant de cette femme qui a une vie après son traitement et il essaie de la lui rendre le plus normale possible. Ce sont bien des médecins qui ont écrit les articles de ce dossier, en accord avec leur pratique courante. Le sujet que nous avons choisi traduit cette évolution. Il est très vaste et seuls certains aspects seront évoqués ici. Isabelle Mollet-Massol, médecin psycho-oncologue, nous fait part de son expérience quotidienne en traitant du chemin vers une vie familiale harmonieuse et une sexualité retrouvée, Sandrine Brugère (gynécologue) détaille l’accompagnement gynécologique en prenant en compte les séquelles hormonales des traitements, Jean-Marie Dilhuydy (radiothérapeute ) traite de la prise en compte des données socio-professionnelles et de l’organisation de la réinsertion, C. Segura (oncologue médicale) nous parle de fertilité après le traitement d’un cancer du sein et du désir de grossesse et enfin, Marion Zamith nous propose (psychologue ) quelques supports facilitateurs du dialogue avec les patients. ■ Introduction I. Moley-Massol* C * Médecin psychanalyste et psychooncologue. Attachée à l’hôpital Cochin à Paris, elle exerce aussi en activité libérale. Auteur de : “Le malade, la maladie et les proches”, L’Archipel, Paris 2009, “La relation médecin malade. Enjeux, pièges et opportunités”, Datebe, Paris 2007, “L’annonce de la maladie, une parole qui engage”, Datebe, Paris 2004. omment les femmes se pensent-elles dans leur féminité après un cancer du sein ? Qu’en est-il de leur identité sexuée, après l’ablation partielle ou totale d’un sein, les traitements qui viennent brouiller l’image de leur corps, de leur être, altérer leur fonction sexuelle et parfois de reproduction ? Comment parvenir à se reconnaître encore et toujours dans toutes les dimensions de son sexe, faire avec les pertes, la fracture, avec toutes les conséquences physiques, mécaniques, psychologiques et relationnelles de la maladie et des traitements, en jeu dans la sexualité ? La dégradation du corps et la mutilation fragilisent l’estime de soi et font écho dans la sexualité. Comment s’engager dans la relation amoureuse, se laisser aimer quand l’amour de soi vacille ? Parvenir à se retrouver dans son identité féminine après un cancer du sein, c’est peut-être atteindre l’ultime étape de la guérison. Cette question oblige à nous interroger sur le sens de la guérison après un cancer. De quelle(s) guérison(s) parle-t-on ? La guérison physique, psychique, relationnelle et sociale ? La guérison définie par les médecins ou celle éprouvée par la patiente ? Le sens de la guérison ne va pas de soi. Il ne suffit pas que le médecin déclare “Vous êtes guérie” pour que la femme se sente guérie. Il lui faut du temps pour parvenir à la guérison psychique de son cancer, dépasser les traumas de l’annonce de la maladie, des différents traitements et de leurs consé- 6 | La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 quences, la chirurgie, la perte des cheveux, la fatigue, la douleur, les modifications des relations amoureuses, sexuelles, familiales, sociales, ces pertes successives qui sont autant de blessures pour son narcissisme. Il faut du temps pour se remettre de chacune de ces épreuves, métaboliser les images souvent monstrueuses et ravageantes de la maladie cancer en son sein. Comment se sentir guérie avec un sein en moins, une cicatrice, des séquelles physiques, une libido en berne ? Comment se sentir guérie avec une image de soi profondément altérée, jusqu’au vertige d’être devenue étrangère à soi-même, à son corps mutilé, quand l’épreuve du miroir devient si angoissante ? Comment se sentir guérie alors que l’on reste sous contrôle, sous surveillance médicale et bien souvent sous traitement adjuvant, alors que persiste ce sentiment si fort de vulnérabilité face à la vie et à son identité de femme ? Il faut du temps pour se penser guérie, traverser le chemin qui va du chaos à la reconstruction psychique, du temps pour voir s’éloigner la menace, la peur du risque, retrouver une sécurité intérieure, une identité de femme, dans la continuité de son être, comme une harmonie de soi retrouvée, “la même, mais autrement” (Bensaïd). Il faut du temps pour retrouver le cours banal de l’existence, parvenir à se (re)penser dans un avenir de femme. ■