Ischémie distale des doigts ou de la main : étiologies et stratégie diagnostique en imagerie M .EDJLALI, O.FAVELLE, P.OMOUMI, A.DELHOMMAIS, D.ALISON TOURS - FRANCE Introduction • L’ischémie digitale est une pathologie rare hors contexte traumatique aigu, estimée à une incidence de 2 pour 100 000 personnes par an. • Il s’agit cependant d’une urgence diagnostique et thérapeutique. • C’est lors de la phase diagnostique que le bilan d’imagerie a son importance. • Nous rappellerons les étiologies d’ischémie de la main, les signes angiographiques à rechercher, l’anatomie de vascularisation de la main et ses variantes. • Nous exposerons pour chaque étiologie les artériographies et les angioscanners réalisés en cas de suspicion de syndrome du marteau hypothénar à la recherche d’un anévrisme de l’artère ulnaire. • Longtemps artériographique, le diagnostic radiologique d’ischémie digitale bénéficie des avancées technologiques des techniques moins invasives tel l’angioscanner. Eyers and Al. British journal of surgery 1998, 85, 1340-1346 Matériel et méthodes • Cette étude reprend de façon rétrospective les artériographies réalisées chez 32 patients ayant consulté de Août 2006 à Août 2009 au CHU de Tours pour ischémie de doigts de la main. • Chez huit d’entre eux, une suspicion de syndrome du marteau hypothénar a conduit à réaliser un angioscanner de la main, à la recherche de la visualisation d’un anévrysme ulnaire. • Le protocole d’angioscanner réalisé a été le suivant: – Patient en procubitus, bras au dessus de la tête, poignets rapprochés, mains en pronation. – Acquisition en contraste vasculaire spontané couvrant les avant-bras, les poignets et les mains – Puis acquisition à 50 s de l’injection d’un produit de contraste iodé non ionique de basse osmolalité, de concentration 400 mg/mLà 2cc/s utilisé de façon standard pour les protocoles d’angioscanner. Rappels anatomiques • L’anatomie de vascularisation de la main ainsi que ses variations sont importantes à connaître pour l’interprétation de l’imagerie ainsi que pour la compréhension des mécanismes ischémiques. • Au bras, l’artère brachiale • A l’avant-bras: – – – – L’artère radiale L’artère ulnaire L’artère interosseuse antérieure L’artère interosseuse postérieure • Au poignet: – Arcade palmaire superficielle – Arcade palmaire profonde – Arcade dorsale du carpe Anatomie • Arcade palmaire superficielle : ulno-palmaire – formée par l'anastomose de l'artère ulnaire et de la radiopalmaire branche superficielle de la radiale. – Elle repose sur les tendons fléchisseurs des doigts. – Dans 10 % des cas, l'artère du nerf médian y participe. – L'arcade décrit une boucle anguleuse et donne naissance aux artères digitales destinées aux 4 derniers doigts • Arcade palmaire profonde : radio-palmaire – Elle provient de la réunion de l’artère radiale et du rameau palmaire profond de l’artère ulnaire. Artère axillaire Artère circonflexe Artère brachiale Artère récurrente ulnaire Artère radiale Artère inter osseuse Artère ulnaire Artère radiale Artère ulnaire Arcade palmaire superficielle Arcade palmaire profonde Artères collatérales du Vè doigt. Variations anatomiques • De nombreuses variations anatomiques des arcades existent, l’une pouvant être manquante, l’artère du nerf médian pouvant y participer. • Ces variations importent notamment dans le cadre d’une ischémie sur syndrome du marteau hypothénar: en effet, s’il existe un anévrysme thrombosé de l’artère ulnaire et si l’arcade ulno-palmaire est prédominante, les conséquences d’aval seront graves. • Voici de façon schématique les différentes variations anatomiques de l’artère ulno-palmaire et leur fréquence de représentation. Variations anatomiques de l’arcade palmaire superficielle A B A B 37% 34% A: artère radiale B: artère ulnaire A B 13% Zone de discontinuité 2% Artère du nerf médian Artère du nerf médian 1,2% 4% Artère du nerf médian Artère du nerf médian 4% 1% 3% Etiologies – – – – Embolies d’origine cardio-vasculaire Athérome Artérites inflammatoires Thrombose et Syndrome du marteau hypothénar – Toxique Causes emboligènes Etiologie la plus fréquente des ischémies digitales. Elle représente 75% des étiologies • Cardiopathie emboligène (Fibrillation Auriculaire) • Aortite ulcérée, anévrysme de l’aorte ascendante, dissection aortique ascendante • Maladie des emboles de cristaux de cholestérol. Artère axillaire Artère circonflexe Artère humérale profonde Artère brachiale Absence de lésion des axes vasculaires proximaux Artère ulnaire Artère radiale Artère inter osseuse Embole localisé à la partie distale de l’artère radiale gauche Obstruction suspendue de plusieurs artères collatérales des doigts d’aspect embolique sans argument en faveur de lésion d’artérite juvénile. •Pour ce patient un angioscanner artériel de l’axe sous clavier a été réalisé en complément. •Il confirme l’absence de lésion significative athéromateuse sténosante et met en évidence une compression modérée de l’artère sous clavière dans le cadre d’un défilé thoraco brachial lors de l’acquisition bras en abduction. Athérome • Les artériopathies digitales sont souvent précoces, débutant avant l’âge de 40 ans, et ont comme principal facteur de risque le tabagisme actif. • L’atteinte après l’âge de 40 ans est multifactorielle, présentant les mêmes facteurs de risque que l’athérosclérose en général. • Une artériopathie des membres inférieurs est habituellement associée à l’artériopathie digitale. • Il n’existe pas de données épidémiologiques précises de prévalence des localisations d’athérosclérose aux membres supérieurs. • Schématiquement on distingue les localisations proximales, la principale étant l’atteinte de l'artère sous-clavière, et les localisations distales. • Les localisations distales sont situées en aval du poignet, considéré comme limite entre les artères de moyen et de petit calibre. Lésion proximale Sténose athéromateuse de la sous clavière gauche Une seule arcade radiopalmaire • Emboles de la partie distale des collatérales des doigts en particulier au niveau du 3è et 4è doigt. • Obstruction des interosseuses des doigts Artériopathie distale • Caillot non oblitérant de l’artère radiale droite, portion distale. • Obstruction de l’artère interosseuse du 1er espace. • Obstruction des collatérales interne et externe du 2è doigt, de la collatérale externe du 3è doigt et de la collatérale interne du 4è doigt. Artérites inflammatoires • • • • • Maladie de Buerger Maladie de Takayasu Sclérodermie Lupus Cryoglobulinémie Thrombo-angéite de Buerger • La maladie de Buerger ou thromboangéite oblitérante est une artériopathie non athéroscléreuse conçernant de façon prédominante le sujet jeune de sexe masculin, tabagique, et est responsable de lésions artérielles distales et veineuses superficielles pouvant toucher les quatre membres. • L’association d’une atteinte ischémique artérielle distale et de thrombophlébites superficielles migratrices chez un sujet jeune fumeur ayant un phénomène de Raynaud doit faire évoquer le diagnostic de maladie de Buerger. • L’artériographie peut montrer une atteinte occlusive segmentaire des artères de petit et moyen calibres. Au début de la maladie les artères digitales sont préférentiellement touchées. • Les artères proximales doivent être normales et il ne devrait pas être retrouvé d’images évocatrices d’emboles ou d’athérosclérose. • Critères diagnostiques de la maladie de Buerger : • Diagnostic retenu si 1 critère majeur ou 2 critères mineurs • Critère majeur: – Ischémie sous poplitée survenant chez un sujet jeune, fumeur, sans hyperlipémie ni diabète, en l’absence de collagènose, d’hémopathie ou de pathologie emboligène. • Critères mineurs: – Ischémie d’un membre supérieur – Phénomène de Raynaud – Phlébites récidivantes Mozes M et al. The association of atherosclerosis and Buer- gerís disease: a clinical and radiological study. J Cardiovasc Surg 1970; 11: 52-9. Lésions exclusivement distales avec obstruction des artères collatérales du 2è doigt. Aspect strictement normal des axes proximaux Arrêt de vascularisation à des étages différents, atteinte distale uniquement Présence d’une circulation collatérale au niveau des segments occlus qui présente un aspect tortueux : artères hélicines et correspondant aux vasa vasorum. Maladie de Takayasu • Maladie rare, touchant plus fréquemment la femme entre 20 et 30 ans. • Artérite inflammatoire des vaisseaux atteignant les artères de gros calibre telles l’aorte et ses branches principales. • Dans le contexte nosologique de suspicion de maladie de Takayasu, l’imagerie vasculaire réalisée est préférentiellement un angioscanner aortique et de ses branches permettant de visualiser le rétrécissement luminal et l’épaississement circonférentiel de la paroi des vaisseaux. • La maladie de Takayasu donne exceptionnellement des ischémies de la main. Le tableau clinique est plus fréquemment une claudication du ou des membres supérieurs. Maladie de Takayasu Critères de classification American College of Rheumatology: 3 sur 5 critères sont nécessaires au diagnostic ( Se 95%, Spe 98%) • • • • 1. Age de début < 40 ans 2. Claudication d’une extrémité, surtout du membre suprérieur 3. Diminution d’un ou des deux pouls huméraux 4. Différence > 10 mm Hg entre les pressions systoliques aux deux bras • 5. Sténose ou occlusion habituellement segmentaire ou focale de l’aorte, de ses branches primitives ou des grosses artères des membres sans autre étiologie. •Sténose effilée régulière de l’artère axillaire. •Paroi vasculaire épaissie, réhaussée après injection de produit de contraste iodé, non calcifiée sans signe d’athérome. Reconstruction coronale dans l’axe du vaisseau Coupes perpendiculaires aux axes vasculaires axillaires Droit Gauche Epaississement circonférentiel de la paroi vasculaire en regard de la sténose axillaire. Crest syndrome •Ischémie du pouce •Le contexte clinique et les calcifications sous cutanées permettent le diagnostic étiologique. •Atteinte distale, absence de visualisation de l’arcade palmaire superficielle ou profonde. •Artérite + obstruction par compression par les calcifications sous cutanées. Sclérodermie • • Le diagnostic est clinicobiologique, le contexte de sclérodermie étant le plus souvent connu avant les manifestations ischémiques de la main. L’artériographie permet de faire le bilan des conséquences vasculaires de cette connectivite. Lésions exclusivement distales en rapport avec la sclérodermie avec une obstruction de la partie distale de l’artère ulnaire et des oblitérations importantes des artères collatérales des doigts principalement au niveau du 3è. Causes médicamenteuses ou toxiques • Dérivés de l’ergot de seigle • Chimiothérapie (cisplatine, bléomycine) • Artérite radique • Artériopathies secondaires au cannabis Thromboses • • • • Syndrome du marteau hypothénar Thrombophilie acquise et constitutionnelle Syndrome des antiphospholipides CIVD et contexte infectieux Syndrome du marteau hypothénar • Les anévrysmes des artères de la main sont le plus souvent d’origine traumatique. • Il s’agit d’une pathologie assez rare aux conséquences parfois graves, car se compliquant de thrombose ou d’embolie distale des artères interdigitales. • Le contexte professionnel de traumatismes répétés doit être recherché. • Le diagnostic est habituellement confirmé à l’artériographie avec occlusion de l’artère ulnaire en regard des os du poignet. • L’angioscanner a toute son importance pour mettre en évidence outre les anomalies luminales artérielles, les anomalies pariétales dont l’anévrysme de l’artère ulnaire en regard du crochet de l’hamatum. • Thrombose de la partie distale de l’artère ulnaire • Pour chacun des huit cas de thrombose de l’artère ulnaire au poignet, dans un contexte de microtraumatismes répétés, un angioscanner a été réalisé. • Il permet de poser le diagnostic définitif d’anévrysme thrombosé de l’artère ulnaire. • Signes directs: – Arrêt du flux en regard du crochet de l’hamatum – Existence d’un anévrysme thrombosé individualisé sous la forme d’une augmentation localisée du calibre de l’artère ulnaire, hypodense ( artère non circulante car thrombosée). – En périphérie de l’anévrysme existe une fine prise de contraste en anneau : le ring sign (coupe perpendiculaire à l’axe du vaisseau). • Etude de la vascularisation digitale: – Recherche de l’arcade radiopalmaire et de la suppléance potentielle à destinée des artères digitales thrombose artère ulnaire Arrêt net de l’opacification Vasculaire en regard du Crochet de l’hamatum Augmentation de calibre et thrombose de l’anévrysme de l’artère ulnaire Ring sign Réhaussement de la paroi de l’anévrysme thrombosé Bilan de l’axe vasculaire de l’arcade radiopalmaire qui reprend en charge la vascularisation des doigts de la main. Conclusion • L’ embolie d’origine cardio-vasculaire est la première cause d’ischémie des doigts de la main. • Cependant il est important d’en connaître les autres étiologies afin d’orienter correctement la prise en charge des patients. • L’imagerie a un rôle clef dans le diagnostic de l’atteinte ischémique. • Nous avons montré pour les suspicions de syndrome du marteau hypothénar, l’intérêt de réaliser un angioscanner de l’avant-bras et des mains. • Il permet outre l’analyse luminale vasculaire (comme en artériographie), l’analyse pariétale, mettant en évidence l’anévrysme de l’artère ulnaire thrombosé. • La qualité des reconstructions des angioscanners notamment sur les scanners 64 barrettes, permet une analyse fine des axes vasculaires distaux, pouvant généraliser son utilisation dans les indications d’ischémie digitale.