« Le legs de l`Egypte à l`humanité dans le domaine précis de la

publicité
« Le legs de l’Egypte à l’humanité dans le domaine précis de la philosophie et
de la religion », Conférence prononcée par le Professeur Cheikh Anta DIOP
à l’Université de Niamey en 1984
par Dr. Oumar KAMARA, Professeur d’Histoire de l’Art à l’Université de Bamako, Mali
Résumé
Pour faire une mise au point sur ce que ses détracteurs ont qualifié de « prétention de créer une
idéologie africaine pour l’indépendance nationale », Cheikh A. DIOP a pris soin de demander une
conférence internationale pour la reconnaissance de ses idées scientifiques sur la civilisation égyptienne.
Justement, sur la base des résultats de sa recherche l’auteur explique différents aspects de la culture
africaine en se basant sur l’histoire de l’Egypte ancienne. Le présent article est un examen de ses
hypothèses et de la pertinence de ses interprétations aussi surprenantes que vraisemblables.
Cheikh Anta DIOP s’interroge tout d’abord sur l’existence d’une philosophie égyptienne. Cette
Egypte, constate-t-il, qui a inventé l’algèbre et la mathématique et qui est à l’origine des sciences opérait
sûrement selon une logique. Du coup l’auteur aborde la question épineuse de la relation entre
cosmogonie et philosophie tout en s’appuyant sur les deux grandes cosmogonies égyptiennes, la
cosmogonie héliopolitaine et la cosmogonie hermopolitaine. La première s’occupe de la création du
monde et de l’émergence de la conscience du Dieu Ra, alors que la seconde est basée sur des
oppositions, des principes contraires qui permettent de construire l’Univers.
En conclusion, Cheikh A. DIOP invite les scientifiques à être cohérents avec les faits plutôt que de
donner le pas à l’idéologie par rapport à la science. Ainsi, dit-il, on évitera de « transgresser la vérité
pour être dans une sorte de compromis intellectuel ». On ne peut pas être égyptologue sans savoir que la
civilisation égyptienne est une civilisation africaine noire. Si l’Egyptologie renoue avec l’Afrique, elle
retrouvera sa fécondité », conclut-il.
Abstract
To supply a clarification on what his detractors have qualified to be “pretention to create an African
ideology for national independence”, Cheick Anta DIOP took care to call for an international conference
for the acknowledgement of his scientific views on the Egyptian civilization. Exactly, on the basis of the
result of his research, the author explains different aspects of the African culture based on the history of
the ancient Egypt. This article is an analysis of his hypotheses and the relevance of his interpretations
which are also surprising and likely.
First of all, Cheick Anta DIOP wonders about the existence of an Egyptian philosophy.
This Egypt, he noticed which invented the algebra and the mathematics and which is the cause of the
sciences surely operated according to some logic. As a result, the author broaches the thorny issue of the
relation between the cosmogony and the philosophy basing his judgment on the two great Egyptian
cosmogonies, the heliopolitan cosmogony and the hermopolitan cosmogony. The first one is in charge of
the creation of the world and the emergence of the conscience of the god Ra, whereas the second is based
on the opposition, some opposite principles that permit to build the universe.
In conclusion, Cheick Anta DIOP invites the scientists to be consistent with the facts instead of giving way
to the ideology about science. Then, he said, we will avoid to “infringing the truth and be in a kind of
intellectual compromise”. One cannot be an Egyptologist without knowing that the Egyptian
civilization is a black African civilization. If the Egyptology takes up with Africa again, it will
find its fruitfulness”, he concluded.
Avant-propos
Autant fut périlleux le voyage en Egypte des premiers scientifiques et des chercheurs
d’antiquités, autant paraissait insolite le combat de cheikh Anta Diop pour légitimer une science
encore hésitante sous l’angle moins orthodoxe et moins familier à l’héritage classique occidental.
L’aliénation culturelle qui avait marqué des esprits véritablement inconsistants du fait du
Revue RA N°12
Page 111
« poison culturel inoculé » avait atteint des proportions immenses au sein de l’intelligentsia
africaine, celle qualifiée par Cheikh Anta, dans sa préface de « Nations Nègres et Culture », de
« cosmopolites-scientistes-modernisants ». Ceux-ci estimaient que les africains doivent se
« couper de tout leur passé chaotique et barbare et rejoindre le monde moderne » à travers les
langues et les cultures occidentales qui ont déjà fait leurs preuves. D’autres font constater qu’à
cette ère « d’indépendance économique, il est vain de parler d’indépendance nationale » niant,
comme on peut le constater, leur propre identité culturelle et oubliant du coup la lutte que leurs
mentors occidentaux (auxquels ils s’assimilent) ont dû mener pour réaliser leurs aspirations. Pour
Cheikh Anta Diop le défit était immense. Il fallait alors remettre sur sa base la pyramide
égyptienne qui reposait sur son sommet. D’où l’intérêt de ce texte.
Le texte en question
Le document que nous vous proposons, plus que jamais d’actualité, est une contribution
de cheikh Anta Diop à l’émergence des consciences d’une jeunesse africaine encore tributaire des
valeurs culturelles occidentales et constamment accablée de décibel d’informations électroniques
au travers des nouvelles technologies de la communication. La conférence intitulée « le legs de
l’Egypte à l’humanité dans le domaine précis de la philosophie et de la religion » est un apport à
la pensée philosophique universelle où l’auteur explicite plus longuement sa pensée. C’est une
conférence que le Professeur a prononcée à Niamey, dans la capitale nigérienne en 1984, puis à
Paris en 1985, c'est-à-dire un an avant sa mort. Nous avons pris connaissance de cet
enregistrement sur bande magnétique au début des années 1990 en Russie lorsque nous
terminions à peine notre thèse sur « l’art préhistorique africain » à l’Université d’Etat de
Leningrad, actuelle Saint-Pétersbourg. La bande était de conservation précaire, ce qui avait
rendu plus difficile sa transcription. Cependant, cette difficulté n’a pas affecté notre fidélité au
discours.
Pour faciliter la lecture et la compréhension de l’œuvre, nous avons proposé des titres et
des sous-titres en certains endroits ; des parenthèses ont été utilisées, selon les cas, pour préciser
les années de naissance et de mort des philosophes grecs et romains cités dans le texte ou pour
éclairer le lecteur sur tel ou tel aspect des concepts philosophiques énoncés par l’auteur. D’autre
part, à l’intérieur des paragraphes, nous avons proposé aux lecteurs, les plus jeunes certainement,
des commentaires afin d’argumenter certaines prises de positions, les plus audacieuses, telles que
« les découvertes scientifiques attribuées, injustement, aux savants grecs », ou encore des aspects
sur « l’antériorité des religions égyptiennes ». Par ailleurs, dans le souci de parfaire la
transcription des prénoms d’auteurs ou des noms de régions employés par cheikh Anta Diop et
d’être plus conforme avec son esprit, nous avons régulièrement consulté « Nations Nègres et
Culture » et « Antériorité des civilisations Nègres, mythe ou vérité historique ». A la fin du texte,
« en guise de conclusion », nous avons regroupé certaines réponses données par l’auteur aux
questions posées par les participants à la conférence.
Nous pensons que cette conférence, autant elle est une étape fondamentale de la recherche et de
la vulgarisation de la culture historique africaine, autant elle est un hommage, à travers sa
transcription, que nous avons bien voulu rendre à cet illustre pionnier de la pensée philosophique
africaine. Nous espérons qu’elle profitera aussi bien aux spécialistes, aux étudiants qu’aux
simples lecteurs des civilisations anciennes.
La philosophie égyptienne
Peut-on parler de philosophie égyptienne ? La question prête à discussion ! Pour parler de
philosophie, il faut que celle-ci réponde à deux critères essentiels :
Premièrement, que la pensée soit consciente d’elle-même, qu’elle soit consciente de sa propre
existence.
Revue RA N°12
Page 112
Deuxièmement, que cette pensée ait opéré suffisamment la séparation du mythe et du concept.
La pensée égyptienne remplit-elle ces deux critères ? Sans quoi elle serait une pensée très
importante, mais une pensée pré-philosophique.
Deux remarques : L’Egypte a inventé la première les mathématiques, en l’occurrence la
géométrie, l’arithmétique. Ceci pour donner seulement quelques éléments de repères, peu de
temps pour insister.
Est-il possible de faire l’arithmétique ou de l’algèbre sans s’appuyer sur une logique tant
soit peu élémentaire ?
L’Egypte qui a inventé donc la première l’algèbre et la science, sûrement cette pensée
égyptienne à laquelle nous devons l’origine des sciences opérait sûrement selon une logique qu’il
serait possible d’expliciter.
D’autre part, une pensée également qui a opéré, qui a réalisé des opérations
d’arithmétique routinière etc. a sûrement séparé le mythe du nombre du concept du nombre.
Puisque le nombre était devenu un outil dans l’architecture, le nombre était devenu un outil dans
la vie quotidienne, le nombre était devenu un outil dans toute la vie profane. Il est donc certain
que la pensée Egyptienne a certainement conceptualisé le nombre aux sens plus rigoureux du
terme. Cela dit, en matière d’introduction, abordons cette pensée telle qu’elle est révélée par les
textes Egyptiens. Je fais allusions aux textes du « Livre des Morts », les textes des pyramides, les
textes des sarcophages et les différentes stèles comme la stèle de Saqqarah et d’autres qui nous
révèlent ces pensées philosophiques en question. Ces pensées étaient déjà élaborées sous
l’Ancien Empire à l’époque des pyramides, une époque qui se situe entre 3000 et 2600 av. J.C.
sur la base des textes par conséquent dont on dispose et qui appartiennent à cette période qui va
donc du début de l’histoire égyptienne jusqu’à la XVIIIème dynastie et après. Nous pouvons dire
que l’Egypte avait élaboré plusieurs cosmogonies. Exposons deux d’entre elles.
Vous allez penser que philosophie et cosmogonie sont antinomiques. Cosmogonie est le terme
consacré, même s’il est impropre. J’aurais pu employer un autre, mais je voudrais me sacrifier à
la tradition.
Donc je vous expose d’abord la cosmogonie héliopolitainne (Héliopolis), celle-là même à
laquelle Platon (428-348 av. J. C.) est allé s’initier, celle des Prêtres Héliopolitains, et ensuite la
cosmogonie hermopolitaine.
I. La Cosmogonie héliopolitaine
Elle s’occupe de la création du monde et aussi de la création de l’humanité, de tout
l’Univers. C’était la préoccupation générale d’ailleurs de tous les peuples archaïques. Mais ce que
la pensée humaine a produit avant l’écriture dans cette époque nous échappe, et nous parlons
que de ce qui a été conçu par l’écriture.
Donc la Cosmogonie héliopolitaine enseigne que, à l’origine, il a existé une matière
incréée. Vous voyez que ce n’est pas une cosmogonie créationniste qui considérait un temps zéro
avant lequel il n’y aurait rien existé et que brusquement la matière surgit du néant. Pour éviter la
difficulté, justement de l’idée, la difficulté qu’implique la notion de création, de cette apparition
ex-nihilo de quelque chose à partir du néant, pour éviter cette difficulté nous pouvons dire que la
cosmogonie héliopolitaine la rejette à l’infini, en quelque sorte en postulant une matière incréée
qui a existé de tout temps. Cette matière contenait en son sein tous les principes de tous les êtres
qui allaient exister, qui allaient être appelés à l’existence un moment ou un autre. C’est-à-dire que
cette matière contenait par conséquent le principe, les essences des étoiles, les essences de la
Planète-Terre, vos essences vous et moi, nous tous ici, nos essences individuelles, de tous les
êtres possibles et imaginables, les végétaux, les animaux. Tout ce qui allait exister étaient
Revue RA N°12
Page 113
contenus au sein de cette matière à l’état d’essence et vous pensez tout de suite aux archétypes de
Platon. Ces essences donc correspondent à ce qu’on peut appeler la création en puissance. Ces
essences sont au sein de cette matière, dorment au sein de cette matière à l’état de création en
puissance au sens aristotélicien du terme. Et puis cette matière contenait également le principe de
transformation sous le nom du Dieux-Repère. La matière en elle-même s’appelait le Dieu Noun.
Les Egyptiens l’avaient déifiée et elle contenait un autre Dieu de la transformation de la matière
qui est une loi intrinsèque de l’évolution, qui est à la base de l’évolution. Et ce principe, qui est
le Dieu-Repère, qui agit sur la matière à travers le temps, finit par actualiser les essences. Voilà
donc comment la matière va évoluer.
Au début nous avons une matière chaotique, non organisée, contenant seulement toutes
les virtualités. Et du seul fait qu’elle était non organisée, elle était l’équivalent du néant. Aussi,
dans la conception Egyptienne le néant, ce n’est pas l’absence de matière, c’est la matière non
encore organisée.
C’est grâce aux principes constitutifs que la loi de transformation, cette loi donc agissant à
travers le temps va finir par engendrer la première conscience qui va observer le monde sous les
traits de Dieu. Et c’est le Dieu Ra.
Donc Ra émerge de cette matière grâce à l’action du Dieu-Repère à travers le temps et Ra
observe le monde. C’est la première conscience qui observe le monde en tant que conscience
divine. Et à partir de ce moment le rôle du Dieu primitif, celui qui est là de tout temps, qui est le
Dieu-Matière, en quelque sorte divinisé, le Dieu Noun, son rôle est terminé. Et c’est Ra en tant
que démiurge secondaire, pour ainsi dire, va achever la création. Ici aussi nous pensons à la
cosmogonie de Platon. Car quand le Grand Dieu a terminé justement de façonner le monde dans
ses grands traits, il laissa justement au Démiurge le soin de l’achever. Ra achève la création. Mais
avant d’aborder la façon dont Ra va achever la création, disons dès maintenant que la
cosmogonie égyptienne, la cosmogonie héliopolitaine est d’essence matérialiste, un matérialisme
archaïque si vous voulez, un matérialisme implicite, mais elle est d’essence matérialiste parce
que vous avez là une matière qui na pas été créée. C’est faire profession de foi matérialiste que de
postuler l’existence d’une matière incréée, qui a existé de tout temps et qui contient en son sein
son propre principe de transformation. En cela aussi la cosmogonie héliopolitaine est une
cosmogonie du devenir au sens du « werden » allemand. Parce que la matière se transforme à tout
moment, et ici aussi on pense à la cosmogonie de Platon dans le Timée…
Mais dès que Ra apparaît, une autre composante apparaît dans la cosmogonie égyptienne, c’est
une composante, pour ainsi dire, idéaliste ou spiritualiste si on se situe au niveau ontologique.
En effet, Ra achève la création par le verbe. Tous les êtres qui sont actualisés dans la conscience
de Ra existent automatiquement. Ainsi donc c’est par le verbe, par le KA, qui est la raison
universelle immanente à la matière et à chaque être, c’est le KA qui est le verbe de Ra, qui sera
aussi le verbe des religions révélées, qui est le « logos » des philosophes grecs. C’est par le KA,
par le verbe que Ra va achever la création.
· « Logos » : rationalité suprême qui gouverne le monde. Verbe éternel incarné, dans
l’Evangile de Saint-Jean.
Ra commence par créer le premier couple divin. Il crée Shou et Tefnout, il crée donc l’espace que
l’on assimile quelquefois à l’air et à l’humidité, c’est-à-dire l’eau. Il crée ensuite la terre et le ciel,
c’est-à dire Geb et Nout. Et vous avez là les quatre éléments qui seront à la base de toute la
philosophie présocratique, justement des philosophes grecs présocratiques. Les quatre éléments
sont créés donc par Ra en ces quatre divinités et c’est avec ces éléments que l’on pourra
composer tous les êtres qui existent dans l’univers en dehors des êtres humains. Ra crée ensuite
le couple Osiris et Isis, Seth et Nephtys. Donc il crée le genre humain qui s’engage dans la
Revue RA N°12
Page 114
perspective historique. Osiris (et Isis), c’est la préfiguration d’Adam et Eve ; Seth et Nephtys,
c’est le couple stérile qui va introduire le mal dans la société. Mais ici nous voyons une
particularité de la cosmogonie égyptienne : tandis que dans la pensée sémitique et dans la pensée
indoeuropéenne, des sociétés de type nomade, qui relèvent du nomadisme, dans ces pensées c’est
la femme qui introduit le mal dans la société. Mais dans la cosmogonie égyptienne, c’est
l’homme, c’est Seth, le frère d’Osiris qui introduit le mal.
Bref, dans l’ensemble, c’est Seth qui va tuer Osiris, par conséquent on s’engage dans le processus
historique. Je vais revenir là-dessus. Parce que ce meurtre est à la base justement de la troisième
composante de la pensée égyptienne, qui est la composante religieuse. Mais avant d’aborder
cette composante religieuse, je vais rapidement vous définir également les traits principaux de la
cosmogonie hermopolitaine.
II La Cosmogonie hermopolitaine
Elle est composée de ce qu’on appelle… (Cette partie n’est pas audible)
Il faut lire : Elle est composée d’oppositions. Il y en cinq. Ce sont des oppositions de contraires
telles que vous le trouvez dans Héraclite (vers 576-vers 480). Donc ce sont des principes
contraires qui permettent de construire l’ensemble de l’Univers.
Vous avez ainsi la matière primitive et le néant, son opposé ; vous avez la lumière
primitive et le néant, c'est-à-dire la lumière et les ténèbres ; vous avez l’infini spatio-temporel et
son opposé, c'est-à-dire l’infini et le fini ; vous avez également ce qui est visible et ce qui est
invisible, le monde nouménal au sens presque kantien du terme, et le monde phénoménal. Les
termes, les concepts qu’on emploie en Egypte pharaonique, c’est effectivement ce qui tombe sous
les sens, ce qui est visible et ce qui ne l’est pas. Je vous fais grâce de ces termes. Et un cinquième
principe qui existe dans certaines cosmogonies et absent dans d’autres, c’est le mouvement et
l’inertie. Et avec ces éléments la cosmogonie hermopolitaine est en mesure de reconstruire tout
l’Univers. Et vous voyez que ce sont à la fois les quatre éléments de la cosmologie
hermopolitaine et ses oppositions de contraires que nous trouvons dans la pensée philosophique
grecque présocratique, en particulier dans la pensée ionienne. C’est les philosophes naturalistes,
c'est-à-dire les philosophes de la nature à partir de Thalès (fin VIIème s.-début VIème s.),
Anaximandre (v. 610-v.546), Anaximène (v. 550-v.480), Héraclite, tous. Les uns partent de l’eau
comme principe de départ, les autres partent de l’humidité, les autres partiront de l’air, les autres
partiront du feu, mais chacun est parti, chaque philosophe peut partir tantôt d’un des principes
dégagés par la cosmogonie égyptienne qui, seule, le dégage en totalité, tantôt d’un autre principe.
Vous voyez donc combien il est aussi impropre d’attribuer la théorie des quatre éléments à
Empédocle (v. 490-v. 435) comme on l’a fait souvent et comme on le fait aussi dans la littérature
classique. Platon lui-même utilise la théorie des quatre éléments. Héraclite, n’en parlons pas, il
utilise la théorie des contraires. Mais l’exposé cohérent et complet des principes de la
philosophie grecque à ses origines ioniennes, c’est dans la philosophie hermopolitaine que vous
le trouverez, comme je viens de vous le dire. Il y a bien d’autre points que l’on pourrait citer pour
illustre ces rapports entre la cosmogonie égyptienne et la philosophie grecque.
Vous savez que Platon est allé en Egypte avec Eudoxe (de Cnide, v. 406-v. 355). Il y est
resté pendant 13 ans. Et quand Strabon (v. 58 ?-entre 21 et 25) est allé en Egypte, il répète
(révèle) qu’on lui a montré les chambres d’étudiants où logeaient Platon et Eudoxe qui sont restés
en Egypte 13 ans, justement à Héliopolis, c'est-à-dire dans la ville où est née la cosmogonie
héliopolitaine dont je viens de vous parler. Et Platon y est resté 13 ans pour y être initié, lui et
Eudoxe.
Revue RA N°12
Page 115
Et vous savez qu’Eudoxe était un grand mathématicien. Platon n’était pas un
mathématicien au sens d’un découvreur de théorème. Il avait une culture mathématique très
solide qui lui permettait de s’appuyer sur des rapports mathématiques pour faire de la
philosophie, mais il n’était pas un savant découvreur de théorème au sens, par exemple, d’Eudoxe
et d’autres savants grecs.
Eudoxe est le premier grec qui ait traduit des mémoires égyptiens en grec, surtout dans
l’ordre astronomique pour permettre précisément à la Grèce d’acquérir des connaissances plus
précises dans ce domaine. Et cette information aussi, c’est Strabon qui le donne. Donc on peut le
croire quand il nous dit qu’on lui a montré les chambres dans lesquelles Eudoxe et Platon ont
vécu pour s’initier à cette cosmogonie. Donc il n’y a rien de paradoxale ou rien d’étonnant à ce
que le « Timée » de Platon soit comparable presque point par point avec la cosmogonie
héliopolitaine. Il y a certaines obscurités qui se trouvent dans Platon et qui ne peuvent s’éclairer
(s’éclaircir) que par une lecture parallèle de la cosmogonie égyptienne.
Lorsque Platon dit, par exemple, que « l’être, le lieu et la génération sont des principes
distincts qui ont existé avant la création du monde », il cite pratiquement le chapitre ‘’17’’ du
« livre des Morts » et de la cosmogonie égyptienne ; de même sa construction du monde aussi sur
la base de la loi du nombre, c’est aussi la cosmogonie égyptienne et c’est la théorie du calendrier
égyptien. Je n’ai pas le temps d’insister sur ce point.
Si nous prenons aussi la théorie que Platon donne dans le « Timée », il donne la série des
nombres qui est 1, 2, 3, 4, il intervertit le 8 et le 9, le 9 donc avant le 8, et cette série des nombres
se termine par le chiffre 27.
Et à ce jour, les plus grands exégètes de Platon, et personne ne sait réellement à quoi
correspond cette série et pourquoi Platon s’arrête au chiffre 27, ni non plus pourquoi (il)
intervertit le 8 et le 9.
C’est en recourant à la tradition africaine que contre toute attente, vous pourrez jeter une
lumière singulière sur certains aspects, justement, de la cosmogonie de Platon. Parce que certains
africains étaient initiés aussi très probablement à la même source ou à des sources voisines.
La cosmogonie des Oyo, qui se trouvent sur la frontière entres le Zaïre (actuelle République
Démocratique du Congo) et L’Angola donne justement une série comparable à la série de Platon.
· Les Oyo sont une ethnie que l’on trouve aussi bien en Angola qu’au Nigéria. Au
Nigéria elle est considérée comme une sous-ethnie des Yoruba. D’autre part, Oyo est
la capitale de l’ancien royaume Yoruba (cf. Antériorité des civilisations Nègres, 1972,
p.183) qui supplanta Ife à partir du XVIème siècle et connut une brillante civilisation
à l’image de Nok et Benin.
Ils (les Oyo) donnent 1, 2, 3, 4, 7, 9, - Ils n’intervertissent pas les ordres -, 10, 11 et… 27. Mais
les Oyo expliquent le chiffre 27. Ils disent que cela correspond, si vous voulez, à la totalité de la
force qu’il faudrait mettre en jeu pour renverser l’ordre du monde. C’est une triple trinité :
[(3+3+3) + (3+3+3) + (3+3+3)]. Nous retrouvons ce chiffre également à la base de la cosmogonie
égyptienne, nous le trouvons également au Congo. Et nous comprenons, ou nous commençons à
comprendre ce que pourrait signifier ce chiffre arbitraire auquel s’arrête la série de Platon. Ceux
qui sont familiarisés avec la cosmogonie égyptienne savent pourquoi on doit intervertir le 8 et le
9 ; 9 – c’est l’ennéade, c’est les huit (8) Dieux de la cosmogonie égyptienne dont je vous ai
parlé, plus Ra lui-même, cela fait 9.
Les huit (8) Dieux, c’est l’Ogdoade qui a pour base le nombre huit, et les huit (8) Dieux plus Ra,
c’est l’ennéade. Donc l’ennéade est toujours dans la tradition égyptienne, l’ennéade a la priorité
sur l’ogdoade et partout donc ces inversions, on les trouve couramment dans l’écriture égyptienne
et c’est ce qui se produit aussi dans la cosmogonie de Platon.
Revue RA N°12
Page 116
·
L’ogdoade est composé de : Osiris-Isis, Seth-Nephtys, Shou-Tefnout, Geb et Nout. (cf.
Antériorité des Civilisations Nègres, 1972, p. 217).
La composante idéaliste de la cosmogonie hermopolitaine
J’en arrive maintenant à la composante idéaliste. Or ici, qu’est ce que nous devons dire ? Nous
reviendrons à la cosmogonie un peu plus tard.
Nous constatons donc qu’elle est matérialiste jusqu’à l’apparition de Ra, et à partir de l’apparition
de la Ra elle devient idéaliste. Parce que Ra crée par le verbe. Or, que signifie la possibilité de
créer par le verbe ?
La création par le verbe
Tout ce qui ce qui est actualisé dans l’esprit de Ra, dans la conscience de Ra devient une
existence visible. Par conséquent, qu’on le veuille ou non, il y a là un postulat qui identifie
l’esprit de la matière, un postulat qui identifie par conséquent, la matière et l’esprit, donc le réel
au sens philosophique du terme. Le réel est par conséquent rationnel puisqu’il est de la même
essence que l’esprit. Il fonde par conséquent la présence absolue, l’intelligibilité au sens platonien
(platonicien) également. Donc la connaissance est possible sur le plan purement gnoséologique
et sur le plan ontologique aussi. L’esprit donc a le prima sur la matière. Par conséquent, à partir
de la naissance de Ra, la cosmogonie égyptienne prend une autre déviation et introduit une
composante idéaliste. Et les philosophes grecs seront scindés en deux écoles : les matérialistes
qui, de Leucippe (460-370) à Epicure (341-270), jusqu'à Démocrite (460-370) et même plus tard
jusqu'à Lucrèce (poète latin. 98-55) à Rome suivront le courant matérialiste et le développeront
pour lui donner une autonomie suffisante pour que ce matérialisme soit une création purement
grecque.
Donc, je n’essaye pas d’enlever à la Grèce ce qu’elle a réellement apporté à l’humanité,
mais les racines profondes de sa philosophie, aussi nous le retrouvons dans le limon de la Vallée
du Nil, en ce qui concerne le matérialisme comme en ce qui concerne l’idéalisme.
En effet, nous voyons bien qu’à partir de l’émergence de la conscience de Ra, la composante
idéaliste de la philosophie égyptienne a manifestement influencé la cosmogonie de Platon. Et il y
a bien des coïncidences sur lesquelles je n’ai malheureusement pas le temps d’insister, mais je
l’ai fait par ailleurs dans des publications que vous pouvez lire. (Voir la fin du texte « pour en
savoir plus »).
La religion
Arrivons-en à la religion proprement dite pour que je puisse vous laisser le temps de
parler et de me poser des questions.
En ce qui concerne la religion, la figure d’Osiris 3000 ans avant la naissance du Christ
sera identifiable point par point avec la figure du Christ. On ne peut mieux souligner ce que le
christianisme doit à la religion d’Osiris. Osiris est le Dieu qui meurt et qui ressuscite pour sauver
l’humanité.
Vous savez que si nous remontons jusqu’à la racine et si nous voulons faire de la
sociologie religieuse, nous pourrons considérer que ces mythes étaient d’abord des mythes
cosmiques, ces mythes religieux étaient des mythes cosmiques avant de s’incarner, de se
personnaliser en quelque sorte à l’échelle humaine. Et il a existé d’abord une trinité cosmique de
la Terre, du Ciel et de la Végétation-Fille qui naît de l’union de la terre et du ciel. En général le
ciel est considéré comme un dieu mâle, la terre comme une divinité femelle, et la pluie symbolise
leur union dans toute la pensée archaïque qui s’est élaborée à l’époque néolithique un peu avant
l’écriture. Et donc la Végétation-Fille qui naît - parce que c’est le néolithique qui a découvert
l’agriculture et cette pensée est contemporaine à l’organisation urbaine et humaine au stade du
néolithique -, donc la Végétation-Fille, qui naît de l’union du ciel et de la terre, forme avec ces
Revue RA N°12
Page 117
deux principes par conséquent une trinité, une trinité cosmique Ciel-Terre-Végétation, qui
deviendra par la suite Isis-Osiris-Horus. Mais Osiris qui symbolise la végétation dans la tradition
égyptienne, Osiris est la personnification de la tradition de la végétation et correspond justement
à ce rite agraire du néolithique à telle enseigne que l’on représente souvent Osiris sous la forme
d’un Osiris végétant, c'est-à-dire sous la forme de l’herbe qui pousse sur le corps d’Osiris, qui
montre l’identification.
Rappelons que le nombre trois dans la théologie égyptienne était le nombre sacré par
excellence. Il a servi de point de départ au théorème du carré de l’hypoténuse (attribué à
Pythagore) appliqué par les architectes égyptiens dans la construction de la Pyramide de
Chéops. Il était également employé pour distinguer les trois « âmes » dans l’être chez les
égyptiens, c'est-à-dire le Ka, le Ba et le Zet, qui seront assimilées au Khet des grecs pour
définir différentes âmes chez l’être.
Cheikh Anta Diop définit le Khet comme étant « le corps au sens large du terme d’où par
extension la parenté clanique, biologique en valaf. (Op. cit. p.p. 222-224).
Or, qu’est-ce qui s’est passe ? Ce mythe naît à une époque où - donc préscientifique -, où
par conséquent le mystère de la germination était total .On prend un grain, on le sème ; le grain
apparemment pourrit dans la terre, mais au bout de quelques temps il sort un autre être, un être
végétal. Ceci aujourd’hui ne nous arrête plus une seconde. Mais la germination a intrigué
longtemps la mentalité archaïque. Nous sommes loin de pouvoir imaginer aujourd’hui les
difficultés que la mentalité archaïque a rencontrées et donc, et les explications aussi qu’elle a
essayé d’en donner.
C’est à partir de ce moment là que la Trinité a été inventée et s’est donc ramenée à
l’échelle de l’homme. Cette première trinité cosmique Ciel-Terre-Végétation est devenue IsisOsiris-Horus. C’est cette même trinité que nous retrouvons dans la religion chrétienne, et nous
savons qu’elle est de la même essence que la Trinité chrétienne. Parce que le Christ est bel et bien
aussi le Dieu qui meurt et qui ressuscite pour sauver l’humanité. Mais dans le cas du Christ, il y a
une évolution de 3000 ans qui fait que la théologie a fait son effet, et par conséquent les docteurs
de l’Eglise ont par la suite (…) surtout, parce que le premier christianisme était un christianisme
beaucoup plus élémentaire, mais le système s’est épaissi et nous voyons bien que la cohérence
que nous trouvons à la source de la religion, nous la perdons au cours du temps. Et par
conséquent nous avons seulement là en tout cas un point identique, un trait commun au Christ et
à Osiris. Osiris est bien le Dieu qui meurt et qui ressuscite pour sauver l’humanité parce que
c’était la végétation qui sauvait l’humanité de la faim. Mais le Christ sera seulement lui le Dieu
qui meurt et qui ressuscite pour sauver l’humanité sur le plan moral et spirituel.
Nous verrons tout à l’heure que la morale de la religion égyptienne était la plus profonde
autour de la Méditerranée, y compris la Méditerranée septentrionale, et que le triomphe du
Christianisme sera dû à d’autres facteurs qu’à des facteurs d’une différence de profondeur
morale. Donc voilà déjà un trait commun.
D’autre part, dans le chapitre 17 du « Livre des Morts », 1500 ans avant Jésus Christ, il est
dit : « mange, ceci est la propre chair d’Osiris ». Et nous avons là les éléments de l’eucharistie.
Vous savez qu’au Vème siècle av. J.C. Dionysos (Dieu grec de la végétation, fils de Zeus), qui
est une réplique aussi du Dieu Osiris, dira en Méditerranée Septentrionale : « mange, ceci est ma
chair, bois, ceci est mon sang ». C’est l’eucharistie dans la religion chrétienne. On s’assimile la
substance du Christ en mangeant la chair du Christ et en buvant le sang du Christ. Mais au sens
propre du terme, ne pas prendre l’eucharistie à la lettre, c’est commettre un pêché chrétien. C’est
cela !
Revue RA N°12
Page 118
Il y a dans la tradition égyptienne, au niveau de la Vème dynastie, un texte qui est très
explicite sur ce point. C’est le texte que l’on appelle la « Sentence des Cannibales », dans la
Pyramide d’Ounas de la Vème dynastie. Si vous lisez ce texte, vous verrez que c’est une belle
illustration de l’eucharistie. Je n’ai pas le temps d’insister là-dessus. Mais là encore nous
retrouvons les bases de l’eucharistie dans la tradition égyptienne également.
Et puis Isis est identifiable également à la Sainte-Vierge. Comme vous le savez, autour de toute la
Méditerranée, vous savez que le culte d’Isis s’était répandu. Isis a un autel à Albe, à Montreuil à
Paris, … à New Castle en Angleterre. Sur toute la Méditerranée Orientale Isis avait des autels et
il a fallu, à partir d’un certain moment, justement avec la naissance du Christianisme, sanctifier
les anciens autels d’Isis comme nous le savons. Et nous savons, la figure d’Isis s’identifie
également à la figure de la Sainte-Vierge sur bien des points.
D’autre part, la Déesse Hathor a reçu un éclair, et à partir de cet éclair elle a conçu le Dieu
Apis qui est une divinité égyptienne. Et nous avons là aussi la préfiguration de « l’Immaculée
Conception ».
Nous savons que le Christ dans son enfance est allé en Egypte s’initier aux mystères et
aux sciences égyptiennes. Je n’insisterai pas sur ce point. Mais c’est tout simplement pour
montrer que sur bien des points, c’est plus qu’un rapprochement, il y a des éléments qui sont
pratiquement identiques en passant de l’une à l’autre religion.
En ce qui concerne la religion islamique qui est tardivement venue, il y a aussi des points qui
sont relativement communs.
Dans le tombeau de Seti 1 er, nous sommes en 1300 av. J.C, le père de Ramsès II…, j’ai
reproduit une figure que l’on va vous projeter tout à l’heure, qui correspond à la première
figuration du paradis. Cette notion qui est commune maintenant aux trois religions, au Judaïsme,
au Christianisme et à l’Islam. Cependant, il faut dire que le Judaïsme a attendu le IIème siècle
après J.C pour opter définitivement pour la vie dans l’au-delà. Jusque là, la pensée judaïque était
extrêmement flottante sur la conception de l’au-delà. Par conséquent, au moment où les
africains de la Vallée du Nil inventaient la notion du paradis et de l’enfer, cette notion était
absente dans toutes les autres pensées religieuses du monde. La conception du paradis telle que
c’est relatée dans la pensée égyptienne remonte à l’Ancien-Empire.
· Ancien-Empire (2800-2300) /Première période intermédiaire (2300-2050)
· Moyen-Empire (2050-1750) Seconde période intermédiaire (1750-1580)
· Nouvel-Empire (1580-1080)
Vous voyez le mort qui arrive, justement devant le pont qui sépare la terre de l’au-delà. C’est un
pont qui est dans l’au-delà d’ailleurs, mais on marche sur une partie solide, et puis à partir d’un
moment il y a un pont qui surplombe l’enfer et le mort doit traverser ce pont qui est constitué par
les boucles d’un serpent hideux suspendu au-dessus de l’enfer. Et il (le mort) n’est soutenu que
par la valeur morale de ses actes sur terre. Si le bien qu’il a accompli l’emporte sur le mal, il
passera le pont et il sera sauvé. Dans le cas contraire, il sera précipité dans les flammes de l’enfer.
Vous savez bien que cette notion correspond assez parfaitement à la notion de « Sirat », c’est le
« Sirat-el-mustakim ». Et si le mort est précipité dans l’enfer, il va trouver là-bas des ombres de
toutes les damnées qui sont dans des gouffres surveillés justement par des génies féminins
(venimeux ?) qui se nourrissent de leurs cris. Donc une conception extraordinaire de l’enfer et
des malheurs qu’on y subit. Et toutes ces notions étaient en vigueur, n’est-ce pas, existaient dans
la religion égyptienne.
· « Sirat », mot arabe signifiant le chemin.
· « sirat-el-moustakim » signifie le droit chemin, celui qui mène au paradis.
Revue RA N°12
Page 119
Si vous prenez la liturgie chrétienne et la liturgie égyptienne, la ressemblance est
frappante. Les fumigations, l’usage de l’encens, tout ! Donc, jusqu’à (l’époque) musulmane et
chrétienne on aurait pu poursuivre peut-être cette comparaison.
Le trône d’Osiris est le premier trône que nous voyons, si vous voulez, qui est le premier
trône divin également dans l’histoire des religions. Et tout cela constitue des éléments qui
permettent d’identifier point par point, soit les éléments de la religion musulmane, ou des
éléments de la pensée égyptienne.
Est-ce à dire que ceci enlève aux religions révélées leur véracité, leurs caractères
spécifiques ? Nullement, je ne le crois pas. Et ce n’est pas une manière de dévaloriser ces
religions que de signaler les éléments de comparaison qui existent historiquement entre ces
religions et la pensée antérieure qui leur a préparé la voie. Je voulais seulement mettre le point
sur cette antériorité de la pensée africaine par rapport à la pensée grecque d’une façon générale
sur ce point très précis, ce que la pensée universelle doit à la pensée égyptienne de la Vallée du
Nil.
Projection des deux dernières figures avant le débat. Le pont, le « sirat », qui surplombe
l’enfer est de la minceur d’une lame de rasoir. Et le mort doit parcourir justement ce pont. C’est
aussi un pont dans l’Islam, le pont qui permet d’aller au paradis.
Vous voyez donc la boucle du serpent, qui s’arrête là. Cette ligne est une ligne de niveau,
ça n’existe pas. C’est un trait seulement pour montrer le niveau. Mais le serpent est suspendu
dans le vide, au-dessus de l’enfer et voici les flemmes de l’enfer ; voilà les portes de l’enfer et les
flemmes de l’enfer ; vous voyez les geôliers qui reçoivent les morts et qui les entourent dans
l’enfer, et à l’intérieur, dans les gouffres de l’enfer, vous avez les génies qui attendent les morts
et qui se nourrissent de leurs cris. Si le bien l’emporte sur le mal, le mort pourra affronter la
gueule du monstre, traverser, être sauvé et arrivé dans cette partie-ci.
Et le paradis est décrit aussi dans les textes égyptiens. C’est un véritable jardin avec des fleurs,
du miel de toute sorte qui est protégé du mal où l’on vit éternellement. Et alors dans le paradis le
mort rejoint son âme parce que l’âme est indestructible. Et C’est depuis 2100 que l’Egypte a
inventé cette notion de l’immortalité de l’âme. Le KA, c’est la partie indestructible de l’être ;
c’est la partie universelle qui se confond aussi avec l’âme universelle du cosmos. Et le Ba, c’est
l’âme individuelle.
· Vous pourriez trouver « l’image de l’enfer de la religion égyptienne » suivie de sa
description par Cheikh A. D. dans « l’Antiquité Africaine par l’Image », in Notes
Africaines, janvier-avril, 1975, p. 34
Alors la conception de l’être chez l’Egyptien :
L’être est composé de quatre éléments, pour ainsi dire le KA qui est la partie
indestructible, la partie divine que chaque individu porte en lui-même, le Ba qui est l’âme
individuelle et le Zet, qui est la partie qui reste dans la terre après la mort, qui ne gagne pas le
ciel. A cela les égyptiens ajoutent encore, pour compléter la personnalité, la silhouette et le nom.
Et vous voyez que ces éléments sont communs également à l’Afrique Noire. Pas de temps pour
insister.
Ce qu’il faut retenir, c’est que le mort qui ressuscite et qui monte au ciel pour retrouver
son KA et son Ba comme Osiris est monté au ciel pour s’asseoir à la droite de son père, comme le
Christ est monté au ciel pour s’asseoir à la droite de son père 3000 ans après Osiris. Dons vous
trouvez toujours les mêmes éléments. De même Osiris est monté au ciel par une échelle, de
même Jacob montera au ciel par la même échelle, etc.
Voilà donc la représentation de l’au-delà en intensité, avec ses moindres détails. Ceci, les
peuples de la Vallée du Nil l’on conçu avant toutes les autres religions. Et c’est cela. C’est cette
Revue RA N°12
Page 120
conception de l’au-delà que nous retrouvons dans les trois religions. Par conséquent, ce n’est pas
un mal. C’est montrer le lien historique qui existe entre cette pensée africaine et la pensée que
nous trouvons aujourd’hui dans les religions révélées.
Une dernière figure : Ici aussi c’est l’arbre du paradis. Au jardin égyptien, toujours dans
l’au-delà, il existe un arbre de vie qui est au ciel et sur les feuilles duquel on écrit précisément
pour l’éternité les noms des vivants. Et cette conception, nous la retrouvons aussi dans l’Islam,
mais elle est antérieure de 1700 ans. Donc c’était les trois figures que je voulais projeter.
En guise de conclusion
Idéologie et recherche scientifique
La recherche scientifique bien comprise doit se garder de l’idéologie, de glisser sur le
terrain de l’idéologie. C’est après avoir lu un auteur qu’on peut savoir s’il a pris des libertés avec
les faits ou bien s’il a donné le pas à l’idéologie par rapport à la science ou non.
« On pensait que cheikh Anta Diop créait une idéologie pour les africains pour l’indépendance
nationale. Il a pris soin de demander une conférence internationale au Caire (qui a duré dix
jours) pour la reconnaissance de ces idées scientifiques sur la civilisation égyptienne ».
Il ne faut pas transgresser la vérité pour être dans une sorte de compromis intellectuel.
L’Egyptologie apparait comme une pyramide qui repose sur son sommet et il faut faire sortir
cette Egyptologie de sa sclérose.
On ne peut pas être égyptologue sans savoir que la civilisation égyptienne est une
civilisation africaine noire. Si l’Egyptologie renoue avec l’Afrique, elle retrouvera sa fécondité.
Sinon l’Egypte restera une sorte de Franc-maçonnerie, elle ne se développera pas, elle se
discutera toujours dans des salons et aura peur de son ombre et elle se sclérosera.
Un collègue français dit :
« L’Egypte a toujours sonné, raisonné comme une puissance noire dans l’Antiquité, et que s’il
suffit d’avoir la peau noire et les cheveux crépus, et bien les égyptiens étaient des Noirs ».
Parce que le témoignage unanime de tous les anciens, que ce soit Hérodote (v. 484-v. 425
av. J. C.), que ce soit Eschyle (v. 525-v. 456 av. J. C.) , que ce soit Amien Marcellin, je les cite
dans n’importe quel ordre, que ce soit Lucien de Samosate (v. 125-v. 192), donc tous ceux qui
ont déposé dans ce sens, Diodore de Sicile (vers 90-vers 20 av. J. C.), Strabon (58 ?-entre 21 et
25) dont je vous ai parlé. Pourtant Dieu seul sait si Strabon était un chauvin. Tous donc ont
déposé dans ce sens. C'est-à-dire pour eux, c’était une évidence … pour eux c’est une banalité,
c’était une évidence que c’étaient des gens noirs. Et c’est de cette manière que nous trouvons ces
témoignages unanimes chez tous les grecs et même certains romains qui ont écrit sur l’Egypte.
Alors tout de suite des murmures dans la vieille garde : « il y va loin, il y va trop loin !». Et on lui
a tapé sur les doigts et il a reculé. Parce que, à l’heure actuelle, un égyptologue n’est pas libre. Il
n’est pas libre comme un physicien, comme un mathématicien, comme un géographe. Il sait que
s’il prend certaines positions, il ne peut pas faire carrière dans l’université occidentale. Que ça
soit l’Université française, que ça soit l’Université d’Allemagne ou n’importe, s’il prend une
position radicale sur ces vérités, n’est-ce pas, qui l’aveuglent, automatiquement il en fait les frais,
il paye.
Donc quand on veut faire carrière, ce n’est pas possible. C’est la carrière même
universitaire qui est en jeu pour ceux qui s’engagent dans cette voie et jusqu’à présent.
Donc voilà ce que je peux dire… à propos de ceux qui prennent des positions comme celle-là.
Nous les comprenons, je ne peux pas dire qu’ils manquent de courage. Ils mettent en
considération d’abord leur propre carrière universitaire et puis le reste…
Revue RA N°12
Page 121
Voyez bien, ceux dont je vous parle, ils sont académiciens aujourd’hui. Ils seraient
enfermés, s’ils avaient pris la voie différente, ils seraient entre les quatre murs d’une petite pièce
très humide des « Hautes Etudes Pratiques ». Il y a eu des égyptologues qui ont pris des risques
de ce genre là, mais ils ont payé de leur carrière…
Vous savez que ceux qui ont falsifié l’histoire sciemment… ils ont commis un crime
contre la science. Ce qui est intéressant, ce n’est pas le fait que les égyptiens étaient des Noirs et
il ne faut pas qu’il y ait une gloire de tout cela. Mais ce qui est certain, c’est que si on
n’expliquait pas l’Histoire suivant son courant, son cours réel, on remonterait le courant même,
on serait obligé de remonter le cours des évènements et on enlèverait l’appétit intellectuel, n’estce pas, aux étudiants et même à tous ceux qui lisent. Parce qu’on ne pouvait pas faire un exposé
cohérent, et l’idéologie précisément consiste à remonter le courant de l’histoire. Et c’est ce que
font tous ces idéologues, ils le savent.
Donc, ceux-là, je peux vous dire qu’ils ont pris des libertés avec la science, ils le savent. Et il
y en a qui sont allés jusqu’à commettre des crimes. C’est le cas de Champollion-Figeac, c’est le
cas de Breasted (James Henry, 1865-1935), c’est le cas de Maspero Gaston (1846-1916), etc.
· Champollion-Figeac est le frère de Champollion-le-Jeune.
· Champollion (Jean-François, dit le Jeune) est Egyptologue français (Figeac, 1790-Paris,
1832). Il déchiffra les hiéroglyphes en 1822. Après sa mort, son frère ChampollionFigeac publia, entre 1836 et 1841, sa « grammaire égyptienne » et son
« Dictionnaire égyptien ».
Mais quand vous prenez un ouvrage sur l’Egypte écrit par un Occidental, c’est des
protestations du commencement à la fin. Il y a une double tendance : tout ce qui est égyptien, on
tend à le ravaler. Si l’Egypte était une civilisation blanche, pourquoi ravaler des faits évidents qui
crèvent les yeux. Mais on essayera toujours de privilégier la Mésopotamie par rapport à l’Egypte.
Ce qui est une absurdité.
L’Histoire a commencé 600 ans en Egypte avant la Mésopotamie. Et qu’est ce qu’on a dit ?
Ou bien il faut rajeunir l’Egypte, ou bien il faut vieillir la Mésopotamie parce que c’est
invraisemblable que l’Histoire commence en Egypte avec 600 ans d’avance. Prenez les
dépositions, les textes les plus sérieux, voilà ce que vous trouverez. Alors que nous savons que
l’Histoire a commencé en Mésopotamie en 2600. Tout ce qui est antérieur, c’est dans la
protohistoire.
Nous ne connaissons pas les règnes. On vous parle d’Our comme contemporain de Ménès. Je
vous demande de me dire le nom du Roi qui régnait à Our. Vous ne le savez pas, comme moi je
ne le sais pas. Par contre en 3300 nous avons déjà les textes en Egypte et ce n’est pas vrai quand
on le dit de la Mésopotamie. Il y a des dynasties archaïques présargoniques. Tout est logé
précisément dans cette période qui va de 2600 à nous, et l’histoire de l’Egypte commence à 3300
avant Jésus Christ...
Références bibliographiques
DIOP, Cheikh Anta, Nations Nègres et Culture, Editions Présence Africaine, Paris 1954, 390 p.
DIOP, Cheikh Anta, Antériorité des Civilisations Nègres : mythes ou vérité historique ? Editions Présence
Africaine, Paris, 1967, 299 p.
DIOP, Cheikh Anta, « L’Antiquité Africaine par l’Image », in Notes Africaines, Institut Fondamental
d’Afrique Noire et les Nouvelles Editions Africaines, Dakar, janvier-avril, 1975, 66 p.
OBENGA, Théophile, L’Afrique dans l’Antiquité, Editions Présence Africaine, Paris, 1973, 464 p.
Revue RA N°12
Page 122
Téléchargement