GEOGRAPHIE ET EVOLUTIONNISME - moodle@paris

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GEOGRAPHIE
ET
EVOLUTIONNISME
E. Viney
Epistémologie de la géographie
INTRODUCTION
Extrait du discours de Dakar rédigé par Claude Guéant et prononcé par
Nicolas Sarkozy le 26 juillet 2007 :
« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré
dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les
saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne
connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition
sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. Dans cet imaginaire où
tout recommence toujours, il n'y a de place ni pour l'aventure humaine, ni
pour l'idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout,
l'homme échappe à l'angoisse de l'histoire qui tenaille l'homme moderne
mais l'homme reste immobile au milieu d'un ordre immuable où tout
semble être écrit d'avance. Jamais l'homme ne s'élance vers l'avenir.
Jamais il ne lui vient à l'idée de sortir de la répétition pour s'inventer un
destin. Le problème de l'Afrique et permettez à un ami de l'Afrique de le
dire, il est là. Le défi de l'Afrique, c'est d'entrer davantage dans l'histoire.
C'est de puiser en elle l'énergie, la force, l'envie, la volonté d'écouter et
d'épouser sa propre histoire. »
Problématique
Pourquoi l’évolutionnisme a construit une vision
du monde qui s’est décliné en géographie du
19ème siècle jusqu’à nos jours ?
I. La pensée évolutionniste est issue
d’une vision moderne du monde
A.
Plus
qu’une
théorie
biologique,
l’évolutionnisme est un système de pensée
vaste.
Le « dictionnaire des sciences humaines » dirigé par Sylvie Mesure et
Patrick Savidan (PUF, 2006) donne la définition suivant.
Evolutionnisme :
Dans son acception générale, le mot évolutionnisme sert à désigner en
sciences de l’homme les théories qui s’appuient sur la biologie de
l’évolution pour rendre raison des croyances et des conduites humaines.
Cette dénomination unitaire recouvre toutefois des modèles explicatifs
qui présentent de très nettes différences. (…)
Les croyances et les conduites humaines sont considérées (…) comme
l’expression de dispositions d’origine biologique.
Ensuite la théorie de l’évolution peut être généralement conçu comme
un schéma formel général susceptible d’être appliqué par analogie, aux
sociétés ou aux cultures. Dans un tel cadre, on considère que les
sociétés ou les cultures sont des entités qui évoluent selon des
mécanismes généraux analogues à ceux qui président à l’évolution des
êtres vivants. »
Evolutionnisme « généralisé » :
- en biologie : Lamarck (1744-1829), Darwin
(1809- 1882)
- En anthropologie : G.Klemm, J.-J. Bachofen, L.
Morgan
- En philosophie : prétention à la validité
universelle expliquée par Herbert Spencer
(1820-1903)
- Nombre de philosophes sont évolutionnistes :
Hegel, Marx, Comte, Bergson
Darwinisme : courant qui adhère à la théorie
de l’évolution des espèces telle qu’elle fut
initialement conçue par Charles Darwin.
Conception du monde vivant qui pose comme
indépendante, dans le processus d’évolution
des êtres vivants, les dispositions biologiques
d’un individu ou d’une espèce d’une part et
les caractéristiques de l’environnement
d’autre part.
Ouvrage de référence:
- De l'origine des espèces par la voie de la
sélection naturelle ou La Persistance du plus apte
dans la Lutte pour la Vie. (1859)
C. Darwin (1809-1882)
 Une théorie sur l’évolution du vivant
 La sélection naturelle
 Contrecoups du darwinisme en sciences
sociales
B. L’évolution biologique sert à expliquer la
diversité des « races » humaines présentée dans
les ouvrages de géographie jusqu’au milieu du
20ème siècle.
Atlas général Bordas dont les auteurs étaient Pierre Serryn, René Blasselle, Marc Bonnet
et Henri Bordas, tous agrégés d’histoire et de géographie.
http://blog.mondediplo.net/
http://blog.mondediplo.net/
Dans la seconde moitié du 19ème siècle,
l’évolution biologique est généralement conçue
par analogie avec les processus observés en
embryologie, en particulier par Karl Ernst Von
Baer, comme un développement, c’est-à-dire
comme un devenir obéissant à une loi de
succession ascendante nécessaire, orientée vers
la production de formes organiques toujours
plus complexes.
Quand Joseph Gobineau décrit une inéluctable
décadence provoquée par le mélange des races
(Essai sur l’inégalité des races humaines, 1853),
l’anthropologue Gustave Le Bon (1841-1931) se livre
à une reformulation de la doctrine de l'inégalité des
races dans le cadre de l'idéologie évolutionniste.
L’Histoire est le récit de la lutte pour l’existence de
groupes humains porteurs de caractéristiques
propres et stables, lutte qui seule permet le progrès.
Histoire générale des races humaines
(1886-1889), 2 volumes
Typologie des races humaines selon :
- Une généalogie (inspiration darwinienne)
- Une hiérarchie
Instructions générales aux voyageurs
publiées par la Société de géographie en
1875 :
« Des photographies bien faites ont une
grande valeur. Il faut pour cela qu'elles
soient prises très exactement de face et de
profil. Autant que possible, le même
individu doit être reproduit sous ses deux
aspects, en conservant avec soin la même
distance de l'individu à l'instrument. »
« Peau Rouge » [Standing Bear - Montchou-Naji] 1883
Roland Bonaparte
Épreuve sur papier albuminé, 22,5 x 16,8 cm
© BnF, département des Cartes et Plans, Société de
géographie
http://expositions.bnf.fr/socgeo/arret/25.htm
Pour
ses
albums
photographiques, le prince
Bonaparte
suit
attentivement
ces
instructions, même si ses
clichés vont au-delà des
strictes
préoccupations
anthropologiques.
Une
légende indique d'ailleurs
après le nom du modèle :
« guerrier renommé ;
sous-chef de la tribu ; 42
ans ; il est marié et a trois
enfants. »
La Géographie vivante de
Joseph Onésime Reclus, cours
préparatoire et CM1 en 1926.
Le «racisme évolutionniste» dominant dans la seconde
moitié du XIXe siècle entrait en résonance avec nombre
d’idées de la modernité occidentale.
Il exerce encore ses effets idéologiques, malgré les coups
qui lui ont été portés dans les années vingt et trente aux
Etats-Unis par les élèves de l’anthropologue Franz Boas
(en particulier Ruth Benedict et Ralph Linton) et dans les
années cinquante en France par Claude Lévi-Strauss et
Michel Leiris notamment, à travers la critique de
l’ethnocentrisme, fondatrice du relativisme culturel.
Ethnocentrisme : concept ethnologique ou
anthropologique qui a été introduit par W.G.
Sumner. Il signifie « voir le monde et sa diversité
à travers le prisme privilégié et plus ou moins
exclusif des idées, des intérêts et des archétypes
de notre communauté d'origine, sans regards
critiques sur celle-ci » (Pierre-André Taguieff
(dir.) : Dictionnaire historique et critique du
racisme, PUF, 2013)
C. L’idée d’évolution est appliquée aux sociétés,
aux Etats considérés comme des organismes
vivants
Friedrich Hegel (1770-1831) dit :
« L’Afrique est d’une façon générale le pays replié sur lui-même et
qui persiste dans ce caractère principal de concentration sur soi (…)
L’Afrique, aussi loin que remonte l’histoire, est restée fermée, sans
lien avec le reste du monde ; c’est le pays de l’or, replié sur luimême, le pays de l’enfance qui, au-delà du jour de l’histoire
consciente, est enveloppé dans la couleur noire de la nuit (…) Dans
cette partie principale de l’Afrique septentrionale, il ne peut y
avoir d’histoire proprement dite. (…) Dans l’ensemble, nous
trouvons ainsi, en Afrique, ce qu’on a appelé l’état d’innocence,
l’unité de l’homme avec Dieu et avec la nature. »
HEGEL Friedrich, « L’Afrique » in La Raison dans l’Histoire, in Le
Monde diplomatique, 2007
URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/HEGEL/15275
Ces propos sont empreints d’historicisme et
inspirés de la pensée darwiniste de l’évolution.
Historicisme = Terme inventé en anglais par Karl
Popper (Misère de l’historicisme, 1944) pour
désigner toute philosophie qui attribue à
l’histoire un sens déterminé, providentiel ou
catastrophique, circulaire ou linéaire, optimiste
ou pessimiste. (source : Le dictionnaire des
sciences humaines, PUF, 2006)
Chez Ratzel : La puissance de l’Etat est liée au sol
(étendue, ressources)
Entre sol et Etat : société
Sol /espace
Société proche du sol : Natürvolker
Peuple de nature
Etat = organisme vivant
Société proche de l’Etat : Kulturvölker
Peuple de culture
VISION EVOLUTIONNISTE EMPRUNTEE A DARWIN
Evolution+ Darwin+ espace = Darwinisme spatial
(darwinisme appliqué à l’espace)
Evolution + Darwin+ société = Darwinisme social
(darwinisme appliqué à la société)
II. Au 20e siècle, les lois de l’évolution
innombrables continuent à être
appliquées en sciences sociales et se
retrouvent mobilisées en géographie
A. La transition démographique : un modèle évolutionniste
Source : Grataloup Christian, Géohistoire de la
mondialisation, le temps long du monde, A.
Colin, Paris, 2007, p. 177.
B. De la civilisation au développement : le vocabulaire
change mais les théories évolutionnistes restent.
- La « mission civilisatrice de l’Europe » a une caution scientifique avec
l’ouvrage de Darwin.
Lors d’un discours de 1947 Charles de Gaulle disait :
« Grâce à nous, des peuples de toutes races humaines, naguère plongés
pour la plupart dans cette torpeur millénaire où l’histoire ne s’écrit même
pas, découvraient à leur tout la liberté, le progrès, la justice. Chez eux,
grâce à nous, reculaient la famine, la terreur, la maladie, l’ignorance (…)
Mais enfin ces territoires, qu’eussent-ils été sans la France… »
- Les écrivains malgaches et antillais (René Maran, Aimé Césaire)
poussent les occidentaux à repenser l’opposition civilisation/barbarie.
Abdou Touré professeur ivoirien explique :
« Du processus de civilisation, nous voici aux projets
de développement. De même que les « civilisés »
avaient entrepris de civiliser les autres peuples, de
même les « développés » dont les sociétés se
veulent des modèles de sociétés vont s’attacher à
développer les « sous-développés » afin que, grâce
à « l’aide » et à la « coopération » bienfaitrices,
ceux-ci leur ressemblent »
(TOURE Abdou, Histoire de mots; culture et
civilisation, Presses de la fondation nationales des
sciences politiques, 1975, p. 127.)
Gilbert Rist parle de « mythe du développement ».
RIST Gilbert, Le développement, histoire d’une
croyance occidentale, Paris : Presses de la
Fondation nationale des sciences politiques, 1996.
William Sachs et Gustavo Esteva expliquent :
« (…) l’impératif du développement de Truman
permet au schéma universel développé/sousdéveloppé de devenir le credo téléologique de
l’Histoire ».
SACHS William, ESTEVA Gustavo, Des ruines du
développement, Serpent à plumes, 2003.
Téléologie = doctrine philosophique qui repose sur l’idée
de finalité. (Source : larousse.fr)
La thèse « développementaliste » était en effet décriée pour substituer à
l’idéologie coloniale et sa mission « civilisatrice » une nouvelle idéologie
universaliste et moderniste qui présentait le danger d’un autre « lissage » du
monde et d’une nouvelle simplification de l’histoire.
Celui-ci était toujours pensé en référence à un même dualisme bâti sur le
couple anciennes métropoles/anciennes colonies, parfois dissimulé derrière les
apparats d’un nouveau vocabulaire qui se voulait plus neutre (Nord/Sud). Mais
l’Occident demeurait implicitement au centre d’une nouvelle grille de lecture
établie en fonction d’une même échelle de valeurs terriblement réductrice : les
sociétés et les continents n’étaient plus rangés à l’aune du modèle culturel
occidental (primitifs/civilisés) mais à celui de son modèle économique (sousindustrialisés/industrialisés).
En somme, la thèse développementaliste semblait à nouveau relever d’une
fiction en projetant à l’ensemble de l’humanité l’histoire de l’Occident et de sa
singulière épopée industrielle commencée au XVème siècle entre Venise et
Anvers.
http://www.hypergeo.eu/spip.php?article513
Définition du développement.
Le Programme des Nations Unies pour le Développement
(PNUD)
« http://www.beta.undp.org/undp/fr/home/librarypage.html
» remplace au milieu des années 1980 l’ancienne unité de
mesure du développement (le seul PIB) par l’Indice de
Développement Humain voulu plus juste (combinant
l’estimation du pouvoir d’achat, du niveau d’instruction et de
l’espérance de vie) .
Le développement est alors conçu comme :
« un processus qui permet à des populations entières de passer d’un état de
précarité extrême, une insécurité qui touche tous les aspects de leur vie
quotidienne (alimentaire, politique, sanitaire…) à des sociétés de sécurité, où
les hommes ne se demandent pas chaque jour ce qu’ils vont manger le
lendemain, peuvent surmonter les caprices de la nature et maîtriser cette
dernière, vaincre la maladie, vivre dans des conditions décentes, avoir la
possibilité d’exprimer leurs opinions et d’entreprendre librement pour
améliorer leur propre sort et celui de leur famille » (Sylvie Brunel).
Carte parue dans un manuel scolaire du secondaire. Les inégalités sont lues à
travers l’indicateur de l’IDH.
NAY Olivier, « La théorie des « Etats fragiles » :
un nouveau développementalisme politique ? »,
in Gouvernement et action politique, Presses de
Sciences Po, n°1, 2013
BAYART Jean-François, L’Etat en Afrique : la
politique du ventre, Fayard, Paris, 1989
CONCLUSION
Depuis la deuxième moitié du 20ème siècle, l’évolutionnisme
contemporain en biologie s’est modifié par l’apport des
recherches en génétique. Certains travaux portent sur les
rapports en évolution culturelle et évolution génétique et sont
l’objet de débats virulents.
Plus largement depuis les années 70, la prétention
universaliste et globalisante de la pensée évolutionniste est
très fortement remise en cause en science sociale. D’autant
plus que cette pensée a servi les idéologies racistes, sexistes
ou encore eugénistes.
L’historicisme, l’ordre hiérarchique des êtres et la téléologie
ont été abandonnées en sciences sociales mais se retrouvent
encore dans de nombreux discours (politiques, scolaires, dans
une partie de l’opinion publique…)
VOCABULAIRE VU DANS LE COURS
Evolutionnisme : Dans son acception générale, le mot
évolutionnisme sert à désigner en sciences de l’homme les
théories qui s’appuient sur la biologie de l’évolution pour
rendre raison des croyances et des conduites humaines. Cette
dénomination unitaire recouvre toutefois des modèles
explicatifs qui présentent de très nettes différences. (…)
Les croyances et les conduites humaines sont considérées (…)
comme l’expression de dispositions d’origine biologique.
Ensuite la théorie de l’évolution peut être généralement conçu
comme un schéma formel général susceptible d’être appliqué
par analogie, aux sociétés ou aux cultures. Dans un tel cadre,
on considère que les sociétés ou les cultures sont des entités
qui évoluent selon des mécanismes généraux analogues à ceux
qui président à l’évolution des êtres vivants.
(source : Le dictionnaire des sciences humaines, PUF, 2006)
Darwinisme : courant qui adhère à la théorie de
l’évolution des espèces telle qu’elle fut initialement
conçue par Charles Darwin.
Conception du monde vivant qui pose comme
indépendante, dans le processus d’évolution des
êtres vivants, les dispositions biologiques d’un
individu ou d’une espèce d’une part et les
caractéristiques de l’environnement d’autre part.
Ethnocentrisme : concept ethnologique ou
anthropologique qui a été introduit par W.G.
Sumner. Il signifie « voir le monde et sa diversité
à travers le prisme privilégié et plus ou moins
exclusif des idées, des intérêts et des archétypes
de notre communauté d'origine, sans regards
critiques sur celle-ci » ((Pierre-André Taguieff
(dir.) : Dictionnaire historique et critique du
racisme, PUF, 2013)
Historicisme = Terme inventé en anglais par Karl
Popper (Misère de l’historicisme, 1944) pour
désigner toute philosophie qui attribue à l’histoire
un sens déterminé, providentiel ou catastrophique,
circulaire ou linéaire, optimiste ou pessimiste.
(source : Le dictionnaire des sciences humaines,
PUF, 2006)
Téléologie = doctrine philosophique qui repose sur
l’idée de finalité. (Source : larousse.fr)
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