Evolutions et biodiversités dans un écosystème global, une approche théorique Philippe BERTRAND, Université de Bordeaux, CNRS-INSU, UMR 5805, avenue des facultés, 33405 Talence Cedex, [email protected] 23 mars 2009 Introduction: L’un des piliers de la théorie de l’évolution1 est que la sélection naturelle s’exerce sur une diversité d’êtres vivants dont les aptitudes sont différentes. Une évolution sélective permanente implique le maintien de cette plasticité, c’est à dire l’émergence continue de nouvelles souches biologiques. Or, on ne dispose pas d’une définition précise et unique de la biodiversité au sens large ni, à quelques exceptions près comme la diversité spécifique2, de méthodes quantitatives pour la mesurer. Il est donc difficile d’identifier les processus par lesquels la sélection agit aux différents niveaux de la biodiversité (gènes, cellules, phénotypes, espèces, populations), et d’évaluer leurs effets relatifs. Par ailleurs, la compréhension des interactions entre l’évolution holistique du système Terre et l’évolution biologique des êtres vivants, est encore aujourd’hui très parcellaire3. Dans un écosystème où le renouvellement des ressources est limité par rapport au développement des populations (système malthusien3), la sélection naturelle favorise peu à peu la descendance des individus qui tirent le meilleur parti de l’utilisation de ces ressources pour se reproduire, tout en transmettant cette aptitude à leurs descendants. Au travers de ce mécanisme, c’est une population d’individus, divers mais possédant tous cette même aptitude trophique générale, qui est sélectionnée. Elle émerge des mécanismes sélectifs s’exerçant aux niveaux sous-jacents de la biodiversité. Ce cadre conceptuel, simplifié mais précis, permet d’étudier l’évolution théorique de la biodiversité des populations trophiques par simulation numérique. Je montre ici que, dans un écosystème malthusien, une part de la diversité des populations trophiques est fondamentalement stable tandis qu’une autre part est transitoire. La première est issue de la colonisation progressive des niches5 trophiques, tandis que la seconde résulte de la diversification à l’intérieur de chaque niche. Ce résultat ouvre des perspectives intéressantes, non seulement pour comprendre la longue histoire évolutive de la Terre3, mais aussi pour comprendre sa capacité de régulation3,6 vis-à-vis d’aléas internes ou externes affectant la biodiversité à plus court terme. Méthodologie sommaire Le schéma de principe du modèle numérique utilisé est présenté dans la figure 1. Une explication détaillée de ce modèle est fournie dans l’annexe méthodologique à la fin de cet article. Les populations biologiques et les réservoirs nutritifs minéraux se répartissent dans différents réservoirs et sont exprimés dans la même unité de masse arbitraire. Les réservoirs minéraux sont en permanence ajustés en fonction de l’évolution des populations biologiques ce qui conduit à des contraintes malthusiennes qui se modifient au fur et à mesure que des populations dont les aptitudes trophiques sont différentes émergent successivement. La dynamique de chaque population est contrôlée par l’évolution de son réservoir trophique, qui peut être l’un des réservoirs minéraux ou l’un des réservoirs biologiques. populations de producteurs secondaires de niveau 2 contrôles trophiques ajustements d des réservoirs de ressources nutritives minérales en réponse à la dynamique des populations biologiques (d>0 ou d<0) réservoir N2 de ressources nutritives minérales disponibles populations de producteurs secondaires de niveau 1 contrôles trophiques contrôles trophiques populations de producteurs primaires réservoir N1 de ressources nutritives minérales disponibles variations éventuelles des ressources globales au travers de modifications abiotiques (taux de recyclage volcanique ou de recyclage érosif, liés au climat et à l’activité interne de la Terre) Figure 1 - Schéma de principe du modèle utilisé. Les réservoirs minéraux sont en permanence ajustés en fonction de l’évolution des populations biologiques ce qui conduit à des contraintes malthusiennes qui se modifient au fur et à mesure que des populations trophiques sélectionnées émergent successivement. La dynamique de chaque population est contrôlée par l’évolution de son réservoir trophique, qui peut être l’un des réservoirs minéraux ou l’un des réservoirs biologiques. Une perturbation abiotique hypothétique peut être introduite en augmentant ou en réduisant la taille d’un réservoir minéral. Résultats et discussion La théorie de l’évolution, que ce soit dans sa version originale1 ou synthétique plus récente7,8, est principalement fondée sur le mécanisme de la sélection naturelle des descendants. Implicitement, il s’agit donc aussi d’une sélection naturelle des ancêtres. Après un nombre suffisamment grand de générations, peu d’ancêtres sont sélectionnés. A la limite, il n’en subsiste qu’un seul comme l’ont montré les études modernes de phylogénie moléculaire9. Celles-ci ont en effet vérifié que tous les êtres vivants actuels dérivent génétiquement d’un seul ancêtre (Last Common Ancestor). La théorie de l’évolution prédit que beaucoup des êtres vivants d’aujourd’hui n’auront aucune descendance lointaine et que les plus complexes n’ont pas vocation à être obligatoirement les ancêtres de demain. En effet, la complexité ne confère a priori aucun avantage sélectif à long terme. Pour s’en convaincre, il suffit de réaliser qu’un aléa majeur, modifiant brutalement les conditions écologiques, éradique plus facilement de la surface de la terre une population d’éléphants qu’une population de bactéries. La sélection naturelle ne produit un effet évolutif que si elle s’exerce sur une diversité d’êtres vivants dont les aptitudes sont différentes. L’évolution adaptative est donc nourrie de l’émergence permanente de nouvelles souches dont certaines, en raison de meilleures aptitudes, voient leur descendance favorisée. Sans cette émergence, la sélection réduit rapidement la biodiversité au plus petit ensemble possible des populations les plus aptes à utiliser les ressources environnementales au profit de leur survie et de leur reproduction. Toutes choses égales par ailleurs, l’effectif de la population cesse alors d’évoluer et se place dans une situation stationnaire, dite malthusienne en raison de la limitation des ressources4. Le cas le plus simple est celui d’une seule population de producteurs primaires, c'est-à-dire réalisant la synthèse de molécules organiques à partir des substrats minéraux (autotrophie), ayant atteint un équilibre stationnaire avec son réservoir nutritif minéral (figure 2, a et c). Lorsqu’une souche d’aptitude différente arrive dans l’écosystème (mutation, invasion…), différents destins sont possibles. Si cette souche se nourrit sur le même réservoir que d’autres populations déjà présentes (niche nutritive), elle ne se développe que si son aptitude à l’utilisation des ressources au profit de sa descendance est supérieure à celle de la population la plus apte déjà présente, ou si le système n’est pas encore en situation stationnaire malthusienne (fig.2, b). 1200 a b 0,5 c 0,4 800 0,3 600 0,2 400 Shannon index mass (arbitrary unit) 1000 0,1 200 0 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 0 1000 time (arbitray unit) Figure 2 - Evolution de populations occupant une même niche trophique. En traits fins de couleur, évolutions de 4 populations de producteurs primaires d’aptitude trophique croissante. En trait fin noir, évolution du réservoir nutritif minéral. En trait orange épais, évolution de la biodiversité mesurée par l’indice de Shannon8. Dans un tel système, la biodiversité est instable et temporaire (phase b). Sans l’émergence de nouvelles souches d’aptitude supérieure, le système évolue vers un équilibre stationnaire malthusien entre le réservoir nutritif et la population dont l’aptitude est la plus grande (fin de la phase a, et phase c). Mais la nouvelle souche peut aussi introduire une innovation en utilisant un réservoir nutritif encore inutilisé, et se développer ainsi en tant que population pionnière d’une nouvelle niche nutritive (fig. 3, b et c). Ce développement se poursuit jusqu’à la situation stationnaire malthusienne la plus simple (équilibre stationnaire entre la population innovante et le nouveau réservoir nutritif), ou jusqu’à l’entrée en compétition d’une nouvelle souche, plus apte à utiliser le nouveau réservoir nutritif. Le développement des populations hétérotrophes, c'est-à-dire dont le réservoir nutritif est constitué par la biomasse d’autres populations, peut naturellement être accéléré ou entravé selon que les populations consommées sont en croissance ou en régression (fig. 3, c). 1200 a b 0,5 c 0,4 800 0,3 600 0,2 400 Shannon index mass (arbitrary unit) 1000 0,1 200 0 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 0 1000 time (arbitrary unit) Figure 3 – Evolution de trois populations occupant successivement trois niches trophiques différentes. a) développement d’une population de producteurs primaires (trait fin bleu) utilisateurs d’un réservoir nutritif minéral (trait fin noir). b) développement d’une population de producteurs secondaires (trait fin rouge) dont la niche nutritive est constitué par les producteurs primaires ; c) développement d’une population de producteurs primaires (trait fin turquoise) utilisateurs d’un second réservoir nutritif minéral (trait fin gris). Au cours de la phase c, le développement de la nouvelle population de producteurs primaires induit un réajustement des autres populations. La population des producteurs secondaires s’accroît, ce qui a pour conséquence de faire légèrement décroître celle des premiers producteurs primaires. L’évolution générale de la biodiversité (trait épais orange) augmente par paliers stables au fur et à mesure que se structure l’écosystème. Ainsi, au fur et à mesure que se structure le réseau des interactions trophiques, le système devient plus complexe, mêlant des espèces autotrophes et des espèces hétérotrophes. Nous montrons ici que la construction de cette complexité mêle une part de biodiversité instable, de nature transitoire, et une part de biodiversité virtuellement stable qui structure l’écosystème et le stabilise. En effet, une biodiversité constituée de plusieurs populations en compétition sur le même réservoir nutritif est fondamentalement instable et transitoire (fig. 2). Elle tient au fait que de nouvelles souches apparaissent en permanence dans la niche nutritive en question. Si ces émergences cessent, la niche évolue inéluctablement vers un équilibre stationnaire malthusien entre la population la plus apte et le réservoir nutritif (fig. 2, c), c'està-dire vers une niche nutritive à une seule population. A l’inverse, un système contenant N populations distribuées sur n réservoirs nutritifs (n entier >1), avec N>n, évolue vers une situation stationnaire malthusienne à n populations (fig. 3c). Il contient donc virtuellement une structure stable à n populations et son indice de Shannon10 mesuré à l’équilibre stationnaire malthusien est supérieur à 0. En raison des changements permanents de l’environnement et de l’émergence de nouvelles souches, les biomasses des populations varient constamment. La biodiversité structurante, est donc une propriété réelle, évolutive, mais non apparente du système. C’est le minimum stable de biodiversité qu’atteindrait le système si aucun évènement nouveau ne se produisait. Cette biodiversité virtuellement stable est un concept proche de celui de « stratégie d’évolution stable » proposé par John Maynard Smith11 en utilisant la théorie des jeux (ESS : Evolutionarily Stable Strategy). La différence tient au fait que la stabilité virtuelle est envisagée ici à l’échelle de la globalité d’un système. A cette échelle, et lorsque le système est entièrement colonisé, c’est la contrainte malthusienne pour l’accès aux ressources nutritives qui exerce le contrôle sélectif dominant. Par ailleurs, le choix a été fait de ne pas utiliser le terme de « stratégie » dans cet article car celui-ci laisse croire à une téléologie qui, bien sûr, n’existe pas dans la dynamique évolutive. La diversification des niches trophiques et des populations qui les occupent revient à minimiser le risque qu’un aléa dévaste une grande part du système. Un effet holistique de l’augmentation de la biodiversité d’un écosystème est donc de le rendre moins sensible aux perturbations. Cette recherche non téléologique de stabilité se produit davantage dans un système encore peu structuré (juvénile), où de nombreuses niches trophiques sont vierges. Chaque nouvelle conquête de niche trophique démultiplie donc la plasticité offerte par la biodiversité transitoire. Dans un écosystème juvénile, les effets de la sélection naturelle optimisent l’utilisation globale des ressources nutritives (fig. 3). Par l’émergence continue de souches nouvelles dans les niches trophiques déjà occupées (fig. 3, d et e), des aptitudes plus grandes à l’utilisation des nutriments peuvent être sélectionnées. Le concept d’aptitude doit ici être pris dans un sens composite et très large. Il peut s’agir par exemple d’une aptitude physiologique à tirer parti de faibles concentrations de nutriments dissous, ou d’une meilleure aptitude à la détection et à la capture des proies. Mais, au sens global, il peut aussi s’agir d’une aptitude à tirer parti d’une majorité d’environnements géographiques locaux où les ressources nutritives sont disponibles. Une résistance au froid, aux environnements très agités, aux fortes salinités, ou à la vie hors de l’eau contribue par exemple à cette aptitude générale. Bien entendu, le modèle présenté ici est global et ne tient compte d’aucune spécificité locale des environnements ou des populations. La sélection naturelle aboutit aussi à l’occupation de nouvelles niches trophiques (fig. 4, b, c, et f) par le développement de populations innovantes (nouveaux métabolismes biosynthétiques et respiratoires, prédation, super prédation, nécrophagie, parasitisme). Le système se rapproche ainsi d’une autorégulation globale. Sans cette structuration, la biosphère terrestre aurait sans doute disparu prématurément puisque des modifications biogéochimiques, parfois défavorables aux populations en place, sont induites par le développement de ces mêmes populations. Par exemple, l’un des métabolismes les plus anciens était à la fois anaérobie et producteur d’oxygène (photosynthèse anaérobie productrice d’oxygène sous forme O2). Or la présence d’oxygène O2 est létale pour les êtres vivants anaérobies. La vie se serait donc empoisonnée elle-même, et aurait disparu, si elle n’avait pas sélectionné de nouveaux métabolismes, permettant à la fois de vivre dans une ambiance oxygénée de réguler l’oxygénation de l’environnement12,3. La respiration aérobie, qui utilise l’oxygène O2 et limite ainsi son excès dans l’environnement, et l’un d’entre eux. Par ailleurs, des mécanismes intra et intercellulaires ont été sélectionnés pour lutter contre les effets dévastateurs de O2 sur les processus biochimiques et l’ADN. De nouveaux mécanismes respiratoires anaérobies ont été sélectionnés pour utiliser des composés issus de l’oxydation par O2 dans les niches anaérobies subsistantes (nitrates, sulfates). Enfin, de nouveaux mécanismes photosynthétiques aérobies ont été sélectionnés pour utiliser ces mêmes sous-produits (nitrates, phosphates) dans les nouvelles niches aérobies. a 1400 b c d e f 0,7 0,6 0,5 1000 0,4 800 600 0,3 400 0,2 200 0,1 0 Shannon index mass (arbitrary unit) 1200 0 0 100 200 300 400 500 600 700 800 900 1000 time (arbitrary unit) Figure 4 – évolution et régulation de la biodiversité des populations trophiques dans un écosystème global. Sept populations émergent successivement en occupant au final 4 niches trophiques différentes: producteurs primaires (traits fins bleu, turquoise et vert); producteurs secondaires de 1er niveau (traits fins rouge et mauve) ; producteurs secondaires de second niveau (trait fin violet) ; réservoirs nutritifs minéraux (traits fins noir et gris) ; biodiversité mesurée par l’indice de Shannon8 (trait épais orange). La biodiversité passe par des maximums transitoires (phases d et e) correspondant à la compétition au sein des niches trophiques, mais tend globalement à s’accroître au fur et à mesure que l’écosystème se structure et que les niches sont colonisées. Dans un écosystème global déjà très structuré (mature), où la majorité des niches trophiques possibles sont déjà occupées, la plasticité adaptative reste néanmoins très importante car chaque niche trophique reçoit continuellement un flux de souches nouvelles dont certaines se développent aux dépens des populations existantes (biodiversité transitoire). Des souches non développées globalement, mais présentes localement, peuvent être ultérieurement favorisées si les conditions globales changent. Grâce à cette plasticité accrue, la sélection naturelle permet à un écosystème de rétablir rapidement un état d’autorégulation après une perturbation d’origine interne ou externe. L’état de l’écosystème à un moment t dépend bien évidemment de la nature et de la chronologie des évènements antérieurs. Si le développement d’une souche de producteurs primaires bien adaptés se produit très tôt, il inhibe celui d’autres souches sur la même niche nutritive et ceci a pour conséquence de modifier la chronologie de l’évolution ultérieure. Toutefois, l’équilibre malthusien stationnaire du système, celui qu’il atteint si aucun événement nouveau ne se produit, est indépendant de la chronologie d’introduction des différentes souches. L’état de cet équilibre virtuel ne dépend en fait que de la nature des souches sélectionnées. Conclusion Dans un système malthusien global, l’indéterminisme du choix des populations sélectionnées (rôle du hasard des mutations et des contingences) est donc assorti d’un fort déterminisme régulateur lié à la limitation des ressources. Toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire sans évènement nouveau, le modèle utilisé décrit une évolution une situation unique et stable composée d’un ensemble de populations de proies et de prédateurs (fig.4, f). Cet attracteur malthusien ne joue son rôle qu’à l’échelle planétaire et à une échelle de temps au moins égale à celle du recyclage global des ressources nutritives. Dans l’océan mondial, ce recyclage est actuellement de l’ordre de 1000 à 2000 ans. Bien entendu, si l’attracteur malthusien est un moteur évolutif pour l’ensemble du système, et exerce en conséquence des contraintes sur la sélection adaptative des populations biologiques internes, une telle régulation n’est jamais atteinte puisqu’un écosystème global est toujours soumis à des perturbations (mutations, réarrangements chromosomiques, perturbations abiotiques internes ou externes,…). En revanche, cette tendance régulatrice permet à l’écosystème global d’être particulièrement robuste et de résister à des perturbations importantes, qu’elles soient biologiques ou abiotiques, via des états transitoires qui peuvent être, localement et temporairement, très perturbants pour les populations en place. Annexe méthodologique: un modèle écologique global Les entités évolutives sont des populations d’individus disposant des mêmes aptitudes trophiques. Ces populations peuvent être composées de producteurs primaires (photosynthétiques ou chimio-synthétiques) ou de producteurs secondaires (herbivores, prédateurs, super-prédateurs, nécrophages, champignons, parasites…). La dynamique de chaque population est représentée par l’évolution de sa biomasse Pi. Les autres variables d’état sont les stocks renouvelables de nutriments minéraux utilisables par les producteurs primaires (Ni). Le modèle n’inclue qu’un élément (N) limitant la croissance des producteurs primaires, mais qui peut se trouver sous diverses formes chimiques minérales (par exemple l’azote nitrate NO3- et l’azote moléculaire N2). On suppose que les autres éléments sont toujours suffisamment disponibles pour ne pas limiter le développement des populations de producteurs primaires. Ils n’introduisent donc pas de contrainte malthusienne pour la dynamique du système. Toutes les variables d’état (Pi et Ni) sont exprimées en équivalent masse de l’élément N. La diversité est mesurée par l’indice de Shannon10 H’, mais appliquée en biomasses équivalentes plutôt qu’en nombres d’individus, c’est à dire n H ' = −∑ α i log α i i =1 avec α i = Pi n ∑P i =1 i αi est la proportion de la biomasse Pi de la population i par rapport à la biomasse globale des n populations existantes. Pour une population i, le taux de variation instantanée de sa biomasse est fonction de Pi, de son coefficient de croissance spécifique ki, du stock N de sa niche nutritive, et de son coefficient spécifique νi caractérisant l’aptitude à accéder à ces ressources et à les utiliser. Ce taux de variation est formalisé par n ⎧ ⎫ − ν . N k i .Pi ⎪ ∑ i ⎪ dPi ⎪ ⎪ i =1 = Pi .k i .⎨ ⎬ dt ν i .N ⎪ ⎪ ⎪⎩ ⎪⎭ Par simplification d’écriture on utilisera le terme Σ = i ∑ k .P i =1 i i Σ représente la somme des variations des biomasses des n populations utilisant le même réservoir de ressources (ou niche nutritive). Les niches du modèle sont définies par les formes sous lesquelles se trouvent les ressources nutritives (composés minéraux, végétaux, proies, cadavres,…). N est le stock maximum des ressources nutritives disponibles au sein d’une même niche. Pour une niche donnée, N peut donc tout aussi bien représenter la masse d’un composé minéral utilisé par une ou plusieurs populations de producteurs primaires, que la masse d’un ensemble de populations de proies utilisées par une ou plusieurs populations de producteurs secondaires. νi.N est la quantité de ressources potentiellement utilisables par la population i au sein du stock N, νi appartenant à ]0,1[. Lorsque Σ atteint la limite νi.N, ou la dépasse, la biomasse Pi se stabilise ou décroît. L’itération permettant de simuler l’évolution de la biomasse Pi d’une population i est donc ⎧ν i .( N )t − Σ t ⎫ ⎬ ⎩ ν i .( N )t ⎭ (Pi )t +1 = (Pi )t + (Pi )t .k i .⎨ Dans un système à une population, l’évolution de la population est une croissance logistique limitée (fig. 2, a)). La biomasse P de la population augmente et le stock de ressources N diminue jusqu’à stabilisation de P et de N. Cette stabilisation signifie que les pertes (mortalité) équilibrent les gains (reproduction) au sein de la population. Une nouvelle population peut être introduite à tout moment par l’introduction d’une souche ayant des aptitudes différentes (ki et νi), de biomasse initiale négligeable par rapport à celles des populations existantes. La nouvelle population se développe ou non en fonction de son aptitude à l’utilisation des ressources (fig. 2, b). A chaque itération, le stock nutritif minéral est réajusté de la manière suivante : n (N )t = (N )0 − ∑ (Pi )t i =1 où (N )0 représente le stock nutritif minéral initial et Pi les biomasses des producteurs primaires et secondaires (biomasse totale). S’il y a plus d’un stock minéral utilisé, c'est-à-dire plus d’une niche nutritive pour les producteurs primaires, l’ajustement est fait sur chacun des stocks Nx : (N x )t = (N x )0 − ∑ (Pi N n i =1 x ) t Les biomasses P N x sont celles des producteurs primaires et secondaires synthétisées à partir du stock nutritif Nx. Chez les producteurs secondaires du premier niveau (consommateurs de producteurs primaires), l’origine des nutriments dépend de la proportion des producteurs primaires répartis dans les différentes niches nutritives. Par simplification, le modèle suppose qu’un producteur secondaire de 1er niveau consomme les producteurs primaires dans la proportion de leurs biomasses. Sa propre biomasse totale β est donc la somme des biomasses partielles fabriquées à partir de la consommation de producteurs primaires utilisant les stocks nutritifs Nx. (β )t = ∑ (β N m x =1 x ) t où β N x représente la biomasse partielle d’un producteur secondaire fabriquée à partir de la consommation de producteurs primaires utilisant le stock nutritif Nx, et m le nombre de niches nutritives occupées par des producteurs primaires. Les biomasses partielles sont aisément calculables au travers de l’itération suivante : P Nx ⎛ d β Nx ⎞ ⎟⎟ β N x t +1 = β N x t + n i t .⎜⎜ dt Nx ⎠ ∑ Pi t ⎝ ( ) ( ) ( ) ( ) ( ) i =1 Nx où Pi représente la biomasse totale d’une population de producteurs primaires utilisant le stock nutritif Nx. Le même type d’itération est utilisé pour calculer les biomasses partielles des producteurs secondaires de niveau 2 (super-prédateurs, parasites, bactéries nécrophages…) à partir des biomasses partielles des producteurs secondaires de niveau 1. Dans un écosystème de faible extension, les échanges de matière entre populations peuvent être très rapides, créant un décalage temporel entre prélèvement et recyclage. A de rares exceptions près, les écosystèmes locaux sont toujours loin de l’équilibre. C’est ce qui oblige les modèles écologiques locaux, à expliciter les échanges directs de matière entre les différentes populations, notamment entre les populations de proies et de prédateurs (modèles du type Lotka-Volterra13 ou LV). Pour ce qui concerne ces relations, le modèle utilisé ici est fondamentalement différent des modèles de type LV. Le système d’équations différentielles de Lotka-Volterra11 décrit une dynamique non stable des relations entre une population de proies et une population de prédateurs. Il existe un point d’équilibre, mais il n’y a pas de cycle limite stable caractérisant un comportement périodique stationnaire. En conséquence, toute perturbation, même infime, plaçant le système en dehors du point d’équilibre, l’engage dans une dynamique non stable où les effectifs des populations sont trop faibles pour garder un sens biologique. Dans la réalité, cette situation signifie l’extinction d’une des deux populations (voire les deux si elles sont très dépendantes l’une de l’autre). Cette instabilité n’est, bien sûr, pas absente des écosystèmes naturels, où tout est instable, mais elle est plus marquée pour des écosystèmes locaux, ou à l’intérieur d’une niche écologique restreinte. Ceci traduit simplement le fait que la pression de sélection, au sens darwinien, est imposée par les conditions locales (physiques et biologiques) où vivent les populations. La spécificité du modèle utilisé ici est d’ajuster en permanence le réservoir global des ressources disponibles pour les producteurs primaires. La variation de la biomasse d’une population de producteurs secondaires est dépendante de ses populations de « proies », mais il n’y a pas de prélèvement explicite sur les proies. Un tel prélèvement suppose que l’on connaisse le rapport quantitatif entre le prélèvement des proies et le développement de la population prédatrice, ce que l’observation in situ ne permet que très difficilement. Dans le modèle LV, ce rapport est celui de deux paramètres constants, fixés arbitrairement ou mesurés par expérience in vitro. Dans le modèle utilisé ici, la biomasse acquise ou perdue par les producteurs secondaires est déduite du réservoir des ressources minérales, ce qui a pour effet de réduire ou d’augmenter, de manière non arbitraire (implicite), la croissance de la population de ceux-ci (voire de la réduire). L’économie du système est donc centralisée au niveau des réservoirs de ressources minérales. Bien sûr, ceci n’a de sens que dans un système global intégrant une échelle temporelle égale ou supérieure au temps de recyclage global de la matière. Par ailleurs, le nombre des paramètres du modèle est réduit au strict minimum (ki et νi). En raison de cette architecture, le modèle est très robuste malgré un nombre important de populations (ici limité à 7, mais il serait aisé d’aller au delà). References 1 - Darwin, C., 1859, On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, London, John Murray, 503 p. 2- Rosenzweig, M. L., 2004, Species Diversity in Space and Time, Cambridge University Press, 460 p. 3- Bertrand, P., 2008, Les Attracteurs de Gaïa, Editions Publibook Université, Paris, 304 p. 4- Malthus, T., 1798, An Essay on the Principle of Population, as it affects the Future Improvement of Society with remarks on the Speculations of Mr. Godwin, M. Condorcet, and Other Writers, J. 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