Perversité et variation

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manuscripta math. 112, 271–295 (2003)
© Springer-Verlag 2003
Luc Illusie
Perversité et variation
Received: 1 February 2003
Published online: 23 September 2003
Abstract. Let S be the spectrum of a strictly henselian discrete valuation ring with residue
characteristic p and = Z/ν Z, where is a prime number = p and ν is an integer
≥ 1. For a scheme X of finite type over S and smooth over S along the special fiber
Xs outside a closed point x, we study the vanishing cycles complex R() and the
tame variation Var(σ ) : Rt ()x → R{x} (Xs , Rt ()), for σ in the tame inertia
group It . In particular, we show that if X is regular, flat over S of relative dimension
n ≥ 1, and σ is a topological generator of It , then R q ()x = 0 for q = n and
n
(Xs , Rt ()) is an isomorphism.
Var(σ ) : R n t ()x → H{x}
Soient S un trait, de point fermé s et point générique η, et X un schéma de type
fini sur S. Soient un nombre premier inversible sur S et = Z/ν Z (ν ≥ 1).
Nous établissons dans cet article deux types de résultats.
(a) Profondeur et annulation de cycles évanescents. Soit x un point de X,
d’image y dans S. Notons δ(x) la dimension de l’adhérence de x dans X si y = s
et cette dimension plus 1 si y = η. Supposons que X puisse, au voisinage de x, être
défini par r équations dans un schéma lisse de dimension N sur S. Nous montrons
qu’alors le faisceau constant sur X est de profondeur étale ≥ N + 1 − r − δ(x)
en x (2.6), i. e. [SGA 2, XIV 1.7] que
q
H{x} (X(x) , ) = 0
(1)
pour q < N + 1 − r − δ(x), où x désigne un point géométrique au-dessus de x
et X(x) le localisé strict correspondant. Pour S excellent de caractéristique nulle,
ce résultat est un cas particulier de [SGA 2, XIV 5.6]. Nous le déduisons d’un
théorème de Lefschetz affine (2.4), dû à Gabber [Ga] : si f : X → Y est un
morphisme affine de schémas de type fini sur S, le foncteur Rf∗ est t-exact à droite.
La t-structure considérée est la t-structure usuelle sur les schémas de type fini sur
un trait, recollée de la t-structure autoduale sur la fibre spéciale et de la t-structure
autoduale, décalée de 1, sur la fibre générale (2.1). Ce théorème est analogue au
théorème de Lefschetz affine d’Artin pour les schémas de type fini sur un corps
[SGA 4, XIV 3.1]. Il joue un rôle important dans la démonstration de Gabber de
la conjecture de pureté absolue de Grothendieck [Ga]. Une preuve est esquissée
L. Illusie: Université de Paris-Sud, Mathématique - Bât. 425, UMR 8628, 91405 Orsay
Cedex, France. e-mail: Luc [email protected]
Mathematics Subject Classification (2000): 14F20, 14D05, 14D06
DOI: 10.1007/s00229-003-0407-z
272
L. Illusie
dans [F]. Nous donnons ici des détails. De (1) nous tirons quelques corollaires,
notamment :
(i) Si X est plat et localement d’intersection complète sur S, de dimension relative
n en tout point, alors X [n + 1] est pervers (2.7).
(ii) Sous les hypothèses de (i), si de plus X est lisse le long de Xs hors d’un point
fermé x, et si x est un point géométrique au-dessus de x, alors
R q ()x = 0 pour q = n,
et R n ()x est un -module libre de type fini (2.10).
Le résultat (ii) était établi dans [SGA 7, I 4.6, 4.7] pour S de caractéristique
nulle (comme conséquence du résultat cité plus haut de [SGA 2, XIV]).
(b) Variation. Supposons S strictement local, et X lisse le long de Xs hors d’un
point fermé x. Le complexe des cycles évanescents R() est alors concentré en
x, et, si I désigne le groupe d’inertie, on dispose, pour σ ∈ I , d’un morphisme
variation [SGA 7, XIII]
Var(σ ) : R()x → ix! R() = R{x} (Xs , R()),
et d’un analogue “modéré”
Var(σ ) : Rt ()x → ix! Rt () = R{x} (Xs , Rt ()),
pour σ dans le groupe d’inertie modérée It , où Rt (resp. Rt ) est le complexe des
cycles proches (resp. évanescents) modéré, obtenu en prenant les invariants sous
le groupe d’inertie sauvage P . Nous montrons (3.3) que, si σ est un générateur
topologique de It , ce second morphisme s’insère dans un triangle distingué canonique
R{x} (X, )[1]
/ Rt ()x
V ar(σ )
/ R{x} (Xs , Rt ())
/..
(2)
Ce résultat était probablement connu vers 1970. Sa démonstration, formelle,
n’utilise que le théorème de changement de base lisse [SGA 4, XVI]. Il résulte
de (2) et du théorème de pureté absolue [Ga] que, si X est régulier et plat de dimension relative n ≥ 1 en x, alors le morphisme variation induit un isomorphisme
n
Var(σ ) : R n t ()x → H{x}
(Xs , Rt ()).
Cet isomorphisme s’interprète comme l’isomorphisme canonique de la coı̈mage
sur l’image de l’endomorphisme σ − 1 du faisceau pervers Rt ()[n] (3.8).
Les résultats de (a) occupent le numéro 2, après quelques rappels, au numéro 1,
sur la profondeur étale dans le cas où la base est un corps. Les résultats de (b)
sont donnés au numéro 3. Ils ont des analogues transcendants, connus sans doute
de Milnor dans le cas lisse, que nous énonçons à la fin du numéro. Le numéro 4,
d’après Gabber, contient quelques résultats techniques sur les croix et octaèdres
utilisés au numéro 3.
Je suis très reconnaissant à O. Gabber de m’avoir expliqué (et permis d’inclure)
sa démonstration de l’analogue 2.4 du théorème d’Artin, et je le remercie
Perversité et variation
273
chaleureusement pour ses commentaires détaillés sur des versions préliminaires de
ce texte, portant notamment sur le formalisme des croix et quelques questions de
signes. Je remercie également K. Fujiwara pour une remarque sur la démonstration
de 2.4. Je remercie enfin P. Deligne, G. Laumon et J. Steenbrink pour d’utiles
conversations.
1. Profondeur géométrique et perversité : cas d’un corps
Dans ce numéro, on désigne par S le spectre d’un corps k. On fixe un nombre
premier = car(k), et on pose = Z/ν Z, pour un entier ν ≥ 1.
1.1. Si X est un schéma de type fini sur S, et si x est un point de X, on pose
δ(x) = dim {x}(= deg tr(k(x)/k)),
et l’on note ix : Spec k(x) → X le morphisme canonique. On note Dcb (X, )
b (X, )) la sous-catégorie pleine de D(X, ) formée des complexes à
(resp. Dctf
cohomologie bornée, constructible (resp. de tor- dimension finie et à cohomologie
bornée, constructible). Si a = aX : X → S est la projection, le complexe
b
KX := a ! ∈ Dctf
(X, )
est un complexe dualisant sur X [SGA 4 1/2, Th. finitude, 1.7 et 4]. On note d’autre
part (p D ≤0 , p D ≥0 ) la t-structure sur Dcb (X, ) associée à la perversité auto-duale
p = p1/2 [BBD, 4.0]. Rappelons que, pour F ∈ Dcb (X, ), on a
(F ∈ p D ≤0 (X, )) ⇔ (pour tout x ∈ X, H q (ix∗ F )
= 0 pour q > −δ(x)),
(1.1.1)
(F ∈ p D ≥0 (X, )) ⇔ (pour tout x ∈ X, H q (ix! F )
= 0 pour q < −δ(x)).
(1.1.2)
et
Soient x un point géométrique au-dessus de x, et X(x) le localisé strict de X en
x̄. La condition H q (ix∗ F ) = 0 s’écrit aussi H q (Fx ) = 0 ou H q (X(x) , F |X(x̄) = 0.
Avec la notation d’Artin ([SGA 4, XIV], [SGA 2, XIV 3.1], [BBD, 4.1]), si
δ(F ) = sup{q + δ(x); x ∈ X, H q (Fx ) = 0},
et si n est un entier, on a
(δ(F ) ≤ n) ⇔ (F ∈ p D ≤n (X, )).
On a
q
q
(H q (ix! F ) = 0) ⇔ (Hx (X(x) , F |X(x) ) = 0) ⇔ (H{x} (F )x = 0),
le foncteur ix! jétant défini comme j ∗ i ! pour la factorisation canonique de ix
i
en Spec k(x) −−→ {x} −−→ X (cf. [BBD, 2.2.12]) ; dans la terminologie de [SGA 2,
274
L. Illusie
XIV 1.7], la condition (1.1.2) signifie que F est de profondeur étale ≥ −δ(x) en
x, condition notée prof x (F ) ≥ −δ(x). Si n est un entier, on a
(F ∈ p D ≥n (X, )) ⇔ (prof x (F ) ≥ n − δ(x) pour tout x ∈ X)
(cette condition apparaı̂t, sous la forme de droite, dans le résultat principal 4.2
de [SGA 2, XIV]). On note Per(X, ) (ou Per(X)) la catégorie (abélienne) des
-faisceaux pervers sur X, formée des F ∈ Dcb (X, ) appartenant à p D ≤0 (X, )
et p D ≥0 (X, ). Le foncteur dualisant DX = RHom(−, KX ) échange p D ≤0 et
p D ≥0 , et induit une auto-dualité de Per(X).
1.2. Soit X un schéma de type fini sur S, et soit x un point de X. Par analogie avec la
terminologie introduite dans [SGA 2 XIV 5.3], on appelle profondeur géométrique
relative de X en x, et l’on note prof géomx (X/S), l’entier N − r, où X est, au
voisinage de x, sous- schéma fermé d’un schéma Z lisse sur S, de dimension N en
x, défini par un idéal I admettant en x un système minimal de générateurs ayant r
éléments ; cet entier est en effet indépendant du choix du plongement : il s’interprète
comme rg(τ≥−1 (LX/S ⊗L k(x)), où LX/S est le complexe cotangent de X/S en
d
x [I1, III], le tronqué τ≥−1 (LX/S ) étant isomorphe à [I /I 2 −−→ 1Z/S ⊗ OX ]. On
vérifie comme en [SGA 2, XIV 5.4] que l’on a
prof géomx (X/S) ≤ dimx (X) = dim(OX,x ) + δ(x)
(1.2.1)
avec égalité si et seulement X/S est d’intersection complète en x : si A = OX,x ,
B = OZ,x , et I = (f1 , . . . , fr ), on a dim A = dimx (X)−δ(x), dim B = N −δ(x)
[EGA IV, 5.2.3], et dim A ≥ dim B − r, avec égalité si et seulement si f1 , . . . , fr
font partie d’un système de paramètres de B, ou ce qui revient au même forment une
suite régulière [EGA 0 16.3.7, 16.5.6]. Le résultat suivant est analogue à [SGA 2,
XIV 5.6], dont nous imitons la démonstration :
Théorème 1.3. Soit X un schéma de type fini sur S, et soit x ∈ X. Alors on a
prof x (X ) ≥ prof géomx (X/S) − δ(x).
Posons prof géomx (X/S) = n. On peut supposer que l’on a une immersion
fermée i : X → Z, où Z est affine, lisse sur S de dimension N , l’idéal I de
i étant défini par r éléments f1 , . . . , fr de (Z, OZ ), dont les images dans Ix
forment un système minimal de générateurs, de sorte que n = N − r. Notons
j : U = Z − X → Z l’inclusion de l’ouvert complémentaire. Considérons le
triangle distingué
ix! (j! U ) → ix! Z → ix! (i∗ X ) →,
(∗)
où ix est le morphisme Spec k(x) → Z ; noter que ix! (i∗ X ) = ixX ! X , ixX désignant
le morphisme Spec k(x) → X. Comme Z est lisse de dimension N , on a KZ =
Z [2N ](N ), et Z [N ] est pervers, en particulier Z appartientà p D ≥N (Z, ).
On a donc H q (ix! Z ) = 0 pour q < N − δ(x) et a fortiori pour q < n − δ(x). Il
suffit donc de prouver que l’on a
j! U ∈ p D ≥n+1 (Z, ),
(∗∗)
Perversité et variation
275
car on aura alors H i (ix! (j! U )) = 0 pour i < n + 1 − δ(x), et par le triangle (∗),
H q (ix! (i∗ X )) = 0 pour q < n − δ(x). L’ouvert U est réunion des r ouverts affines
σ = (σ0 < · · · < σm ) une partie à
Uα = Z − V (fα ). Pour 0 ≤ m ≤ r − 1 et m + 1 éléments de {1, . . . , r}, notons Uσ = 0≤i≤m Uσi , qui est un ouvert affine
de Z, jσ : Uσ → Z l’inclusion, et considérons la résolution de co-Čech de j! U
[SGA 4, V 1.11]:
d
0 → Lr−1 → . . . → Lm −−→ . . . → L0 → j! U → 0,
où
Lm =
jσ ! Uσ ,
σ
σ parcourant les parties à m + 1 éléments de {1, . . . , r} (la différentielle d étant
définie de la manière usuelle par d = (−1)i di , où di envoie jσ ! Uσ dans
jσ −{σi }! Uσ par l’application canonique). Comme jσ est affine, jσ ! est t-exact
à gauche (et même t-exact, j étant une immersion) [BBD, 4.1.3], et comme Uσ ∈
p D ≥N (U , ), on a L
p ≥N (Z, ), donc L [m] ∈ p D ≥N−m (Z, ) ⊂
σ
m ∈ D
m
p D N−(r−1) (Z, ) pour 0 ≤ m ≤ r − 1, et par suite on a bien (∗∗), ce qui achève
la démonstration.
La conséquence suivante est bien connue (voir [Ka, 2.1] pour le cas des
Q -faisceaux1 ):
Corollaire 1.4. Soit X un schéma de type fini sur S, d’intersection complète, équidimensionnel de dimension n. Alors X [n] est pervers.
On a trivialement X [n] ∈ p D ≤0 (X, ). D’autre part, soit x ∈ X. D’après
1.3, on a H q (ix! X [n]) = 0 pour q + n < prof géomx (X/S) − δ(x). Mais d’après
(1.2.1) (où l’on a égalité), prof géomx (X/S) = dimx (X) = n, et donc on a X [n] ∈
p D ≥0 (X, ), et [n] est pervers.
X
2. Profondeur géométrique et perversité: cas d’un trait
2.0. On désigne maintenant par S le spectre d’un anneau de valuation discrète
hensélien A. On note s = Spec(k) son point fermé et η = Spec(K) son point
générique. On fixe un nombre premier inversible sur S, et on pose à nouveau
= Z/ν Z, pour un entier ν ≥ 1. On note K une clôture algébrique de K, A
le normalisé de A dans K, k le corps résiduel de A, η = Spec K, s = Spec k,
S = Spec A.
2.1. Si X est un schéma de type fini sur S, et si x est un point de X, d’image y dans
S, on pose
δ(x) = deg tr k(x)/k(y) + dim({y})
(cf. [SGA 4, XIV 2.2]). Notant δ s (resp. δ η ) la fonction δ relative à Xs (resp. Xη )
considérée en 1.1, on a donc δ(x) = δ s (x) si x ∈ Xs et δ(x) = δ η (x) + 1 si
b (X, )) la sous-catégorie pleine
x ∈ Xη . On note encore Dcb (X, ) (resp. Dctf
1
Je remercie Gabber de m’avoir communiqué cette référence.
276
L. Illusie
de D(X, ) formée des complexes à cohomologie bornée, constructible (resp. de
tor-dimension finie et à cohomologie bornée, constructible). Si a = aX : X → S
est la projection, le complexe KS = S [2](1) est un complexe dualisant sur S (tel
que i ! KS soit canoniquement isomorphe à s où i : s → S est l’inclusion), et
b
(X, )
KX := a ! KS ∈ Dctf
est un complexe dualisant sur X [SGA 4 1/2, Th. finitude, 4] (Gabber signale que
dans (loc. cit., 4.7), “dimension injective finie” doit être remplacé par “dimension
quasi-injective finie” [SGA 5, I 1.4]). On note (p D ≤0 , p D ≥0 ) la t-structure sur
Dcb (X, ) obtenue par recollement (au sens de [BBD 1.4.10]) de la t-structure
sur Xs associée à la perversité auto-duale (1.1) et de la t-structure t[1] sur Xη
définie par (p D ≤−1 (Xη , ), p D ≥−1 (Xη , )) où p est la perversité auto-duale, cf.
[I2, 4.6]. En d’autres termes (loc. cit.), si l’on note i : Xs → X et j : Xη → X les
inclusions, et, pour x ∈ X, ix : Spec k(x) → X le morphisme canonique, alors,
pour F ∈ Dcb (X, ), on a
(F ∈ p D ≤0 (X, )) ⇔ (pour tout x ∈ X, H q (ix∗ F ) = 0 pour q > −δ(x))
⇔ (i ∗ F ∈ p D ≤0 (Xs , ) et j ∗ F ∈ p D ≤−1 (Xη , ), (2.1.1)
et
(F ∈ p D ≥0 (X, )) ⇔ (pour tout x ∈ X, H q (ix! F ) = 0 pour q < −δ(x))
⇔ (i ! F ∈ p D ≥0 (Xs , ) et j ∗ F ∈ p D ≥−1 (Xη , ), (2.1.2)
(le foncteur ix! étant défini comme en 1.1). On note encore Per(X, ) (ou Per(X))
la catégorie (abélienne) des -faisceaux pervers sur X, formée des F ∈ D(X, )
appartenant à p D ≤0 (X, ) et p D ≥0 (X, ). Le foncteur dualisant DX =
R Hom(−, KX ) échange p D ≤0 et p D ≥0 , et induit une auto-dualité de Per(X).
Rappelons l’énoncé de la conjecture de pureté cohomologique absolue de
Grothendieck, démontrée par Gabber [Ga] (voir [F] pour la démonstration, et
[I3, 6] pour des variantes et compléments) :
Théorème 2.2. Soient X un schéma localement noethérien régulier et i : Y → X
un sous-schéma fermé régulier, purement de codimension d. On suppose inversible
sur X. Alors
R q i ! = 0 pour q = 2d
et la classe de cohomologie de Y [SGA 4 1/2, Cycle 2.2] définit un isomorphisme
∼
Y −→ R 2d i ! X (d).
Corollaire 2.3. Soit X un schéma noethérien régulier de type fini sur S. Alors le
faisceau constant X est dualisant.
Noter que, comme KX est dualisant (2.1), l’unicité des complexes dualisants
[SGA 5, I 2.1] entraı̂ne que, si X est irréductible de point générique τ , il existe un
X - module inversible L tel que KX = X [2r] ⊗ L, où r = δ(τ ), compte tenu de
la normalisation faite en 2.1.
Perversité et variation
277
Prouvons 2.3. Notons f : X → S la projection. La question étant locale sur
X, on peut supposer que f = gh, où g : Z → S est lisse purement de dimension
relative n + d et h : X → Z est une immersion fermée purement de codimension
d. Alors g ! S = Z [2n + 2d](n + d), et par 2.2, KX = f ! KS = h! g ! KS =
h! (S [2n + 2d](n + d))[2](1) = X [2n + 2](n + 1). Donc X est dualisant.
Un ingrédient essentiel de la démonstration de 2.2 est l’analogue suivant 2.4 du
théorème d’Artin sur les morphismes affines de schémas de type fini sur un corps
([SGA 4, XIV 3.1], cf. [BBD, 4.1.1]). Dans la suite de cet article, nous n’aurons
besoin que de 2.4, sauf en 3.5 (resp. 3.7), où nous utiliserons 2.2 (resp. 2.3).
Théorème 2.4. Soit f : X → Y un morphisme affine de schémas de type fini sur
S. Le foncteur Rf∗ (resp. Rf! ) est t-exact à droite (resp. à gauche).
Si S est de caractéristique nulle, c’est un corollaire du théorème d’Artin [SGA 4,
XIX 6.1]. Dans le cas général, le résultat est dû à Gabber (non publié). Pour la commodité du lecteur, nous reproduisons sa démonstration (inspirée de celle d’Artin
dans [SGA 4 XIV 3.1]).
Il suffit de traiter le cas de Rf∗ , l’autre s’en déduisant par dualité. L’énoncé
dans ce cas équivaut à la validité, pour tout entier d ≥ 0, de l’assertion suivante,
où δ(−) est défini comme en 1.1 (mais avec la fonction x → δ(x) de 2.1):
(2.4 (d)) Pour tout f : X → Y comme en 2.4, et tout -module constructible
F sur X tel que δ(F ) ≤ d, on a
δ(R q f∗ F ) ≤ δ(F ) − q.
Le foncteur Ri∗ étant t-exact si i est une immersion fermée, l’assertion (2.4 (d)),
pour d fixé, équivaut à l’assertion analogue où on se borne à prendre pour f la
projection d’un espace affine standard AYn → Y . Par la suite spectrale de Leray,
on peut même se borner à n = 1. L’argument de [SGA 4, XIV 3.4], combiné à
[SGA 4, X 3.3 (ii)], montre ensuite que, pour d fixé, (2.4 (d)) équivant à
(2.4’ (d)) Pour tout Y essentiellement de type fini sur S, et strictement local
de point fermé y algébrique sur s, et X = AY1 , et F constructible sur X tel que
δ(F ) ≤ d, on a
H q (X, F ) = 0 pour q > δ(F ).
On établit (2.4’ (d)) par récurrence sur d. Pour d = 0, F est à support fini
sur y, et l’assertion est triviale. Pour d = 1, le support σ de F est contenu dans
la réunion de Ay1 et d’une partie fermée X de X quasi-finie sur un sous-schéma
fermé T de dimension ≤ 1 de Y . Par dévissage, on peut supposer que σ est contenu
dans Ay1 ou dans X . Dans le premier cas, on conclut par [SGA 4, X 5.7]. Dans
le second, écrivant X comme ouvert d’un schéma fini T sur T , on est ramené à
prouver que, pour Z strictement local intègre de dimension 1, de point fermé z,
H q (Z − {z}, G) = 0 pour tout -module G sur Z − {z} et tout q > 1. Comme Z
est géométriquement unibranche, le normalisé de Z est radiciel sur Z, donc on est
ramené au cas où Z est régulier, et on conclut par [SGA 4, X 2.2]. On peut donc
supposer d ≥ 2, l’assertion prouvée pour d < d et δ(F ) = d. Raisonnant comme
dans [SGA 4, XIV 4.4], on considère l’immersion ouverte j : X = AY1 → P =
PY1 , de complément la section à l’infini Y∞ , identifiée à Y . Soit x = y ×Y Y∞
278
L. Illusie
le point à l’infini de Py . On a H n (X, F ) = H n (P , Rj∗ F ), et par le théorème de
changement de base propre, H n (P , Rj∗ F ) = H n (Py , (Rj∗ F )|Py ). On considère
la suite spectrale d’hypercohomologie
pq
E2 = H p (Py , (R q j∗ F )|Py ) ⇒ H p+q (Py , (Rj∗ F )|Py ).
pq
Pour q > 0, R q j∗ F est concentré sur Y∞ , donc E2 = 0 pour p et q > 0. D’autre
pq
part, on a, classiquement [SGA 4, IX 5.7], E2 = 0 pour p > 2. Le terme E2 est
donc concentré dans la zone pq = 0, 0 ≤ p ≤ 2, q ≥ 0. Comme on a supposé
d ≥ 2, pour prouver que H n (X, F ) = 0 pour n > d, il suffit de montrer que
H 0 (Py , (R q j∗ F )|Py ) = 0 pour q > d. Comme R q j∗ F est concentré sur Y∞ , on
a H 0 (Py , (R q j∗ F )|Py ) = (R q j∗ F )x . Pour étudier (R q j∗ F )x , on peut remplacer
P par le voisinage ouvert de Y∞ formé de la droite affine AY1 , et X par AY1 − Y∞ .
La projection de Y (= Y∞ ) sur S définit un carré cartésien
j
AY1 ∞ − Y∞
/ A1 ,
Y∞
AS1 − S
/ A1
S
où AS1 = Spec A[t]. Prenant les localisés stricts Z de P en x (ou, ce qui revient
au même, de AY1 ∞ en x) et T de AS1 au point fermé {0} de As1 , on obtient un carré
cartésien de schémas affines
u /
U
Z
g
h
V
v
/T
où T = Spec A{t} et V = Spec A{t}[t −1 ] est l’ouvert (affine) complémentaire
de (t = 0). On a (R q j∗ F )x = H q (U, F ) = H q (V , Rh∗ F ). Le schéma V est
noethérien régulier intègre de dimension 1. L’hypothèse de récurrence appliquée
aux morphismes h : U → V déduits de h par changement de base par un localisé
strict V de V , et à l’image inverse F de F sur U implique, par un argument de
passage à la limite, que R j h∗ F = 0 pour j > d − 1 et que la fibre générique
de R j h∗ F est nulle pour j > d − 2. On veut montrer que H q (U, F ) = 0 pour
q > d. Comme R d−1 h∗ F est un faisceau gratte-ciel, concentré en des points
fermés de V , de dimension cohomologique 1, on a H q (V , R d−1 h∗ F ) = 0 pour
q ≥ 2. Par la suite spectrale de Leray de h, il suffit donc de prouver que, pour tout
-module G sur V on a H q (V , G) = 0 pour q ≥ 3. Par dévissage, on se ramène
à supposer = F , G constructible, puis G = i! L, où i : W → V est un
 j
/ T ◦ 
/ T,
ouvert, et L localement constant sur W . Factorisons v en V où la seconde inclusion est celle du complément du point fermé de T . On a
H q (V , G) = H q (T ◦ , Rj∗ G). D’après [SGA 4 1/2, 4.3], le faisceau constant sur
AS1 (= Ra ! S (−1)[−2]), où a : AS1 → S est la projection) est dualisant, et il en est
donc de même du faisceau constant sur T . La dualité locale sur T se traduit par une
dualité
sur
T◦
entre
H q (T ◦ , M)
et
H 3−q (T ◦ , M̌(2))
Perversité et variation
279
(cf. I [SGA 5, I4.7.17]), pour M dans Dcb (T ◦ , F ) et M̌(2) = RHom(M, F (2)).
En particulier, H q (T ◦ , Rj∗ i! L) est dual de H 3−q (T ◦ , j! Ri∗ Ľ(2)). Pour q ≥ 4, ce
dernier groupe est nul, le complexe j! Ri∗ Ľ(2) étant dans D ≥0 . Pour q = 3, on
trouve que H 3 (V , G) = H 3 (T ◦ , Rj∗ i! L) est dual de H 0 (T ◦ , j! i∗ Ľ(2)). Comme V
est affine, et que T ◦ ne l’est pas, il existe au moins un point z ∈ T ◦ −V . Une section
σ sur T ◦ de j! i∗ Ľ(2) est une section de j∗ i∗ Ľ(2), donc du plus grand sous-faisceau
constant de j∗ i∗ Ľ(2). Comme σ doit s’annuler en z, σ est identiquement nulle, ce
qui achève la démonstration
2.5. Soient X un schéma de type fini sur S, et x un point de X. On définit la
profondeur géométrique relative de X en x, notée prof géomx (X/S), de la même
manière qu’en 1.2, la dimension N de Z étant remplacée par la dimension relative.
Si y est l’image de x dans S, on a
prof géomx (X/S) ≤ dimx (Xy ),
(2.5.1)
et, si X est plat en x, on a égalité si et seulement si X est d’intersection complète
relative sur S en x. On a l’analogue suivant de 1.3 :
Théorème 2.6. Soit X un schéma de type fini sur S, et soit x ∈ X. Alors on a :
prof x (X ) ≥ prof géomx (X/S) − δ(x) + 1.
On procède comme dans la démonstration de 1.3. Soit n = prof géomx (X/S).
On se ramène à supposer que l’on a une immersion fermée u : X → Z, où Z est
affine, lisse sur S de dimension relative N, l’idéal I de u étant défini par r éléments
f1 , . . . , fr de (Z, OZ ), dont les images dans Ix forment un système minimal de
générateurs, de sorte que n = N − r. On considère à nouveau le triangle distingué
ix! (v! U ) → ix! Z → ix! (u∗ X ) → ·,
(∗)
où v : U = Z − X → Z est l’inclusion et ix est le morphisme Spec k(x) → Z;
on a encore ix! (u∗ X ) = ixX! (X ), ixX désignant le morphisme Spec k(x) → X.
Cette fois, KZ = Z [2N + 2](N + 1), donc Z [N + 1] est pervers, en particulier
Z ∈ p D ≥N+1 (Z, ). Utilisant la résolution de co-Čech L. de v! U comme
plus haut, on déduit de 2.4 que Lm [m] ∈ p D ≥N+1−m (Z, ), et donc que v! U ∈
p D ≥N−r+2 (Z, ), d’où, grâce à (*), la conclusion du théorème.
Remarque 2.6.1. On peut trouver plus naturel de travailler avec la profondeur
géométrique absolue de X en x, prof géomx (X), définie comme en [SGA 2, XIV
5.2], par dim B − q, où OX,x est quotient d’un anneau local régulier B par un idéal
ayant un système minimal de générateurs de q éléments. On a
prof géomx (X) = prof géomx (X/S) + 1 − δ(x),
de sorte que 2.6 se récrit alors
prof x (X ) ≥ prof géomx (X).
280
L. Illusie
Corollaire 2.7. Soit n ∈ N et soit X un schéma de type fini sur S, plat, localement
d’intersection complète, de dimension relative n en tout point. Alors X [n + 1] est
pervers.
On a en effet prof géomx (X/S) = n pour tout point x de X. D’après 2.6, on a
donc H q (ix! X [n + 1]) = 0 pour q + n + 1 < n + 1 − δ(x), donc X [n + 1] ∈
p D ≥0 (X, ). Il est trivial par ailleurs que [n + 1] ∈ p D ≤0 (X, ).
X
En particulier :
Corollaire 2.8. Soit X un schéma régulier, de type fini et plat sur S, et de dimension
relative n en tout point. Alors X [n + 1] est pervers.
En effet, étant régulier, X est localement d’intersection complète sur S.
On peut aussi déduire 2.8 de 2.3, sans utiliser 2.4. Posons M = X [n + 1],
et soient i : Xs → X, j : Xη → X les inclusions. Comme Xη est régulier, de
dimension n (par platitude de X sur S), j ∗ M[−1] est pervers (et dualisant) sur
Xη . D’autre part, on a (trivialement) i ∗ M ∈ p D ≤−1 (Xs , ) et a fortiori i ∗ M ∈
p D ≤0 (X , ). Donc M ∈ p D ≤0 (X, ). Comme, d’après 2.3, K = M[n+1]⊗L
s
X
avec L inversible, l’inclusion M ∈ p D ≥0 (X, ) en résulte par dualité.
Corollaire 2.9. Soient X un schéma de type fini sur S, x un point géométrique
au-dessus d’un point fermé x de Xs , n un entier ≥ 0. On suppose que X est lisse
le long de Xs hors de x (i. e. lisse en tout point de Xs distinct de x), et que X est
de profondeur géométrique relative n en x (2.5). Alors on a
R q ()x = 0 pour q < n.
Pour S de caractéristique nulle, ce résultat est prouvé dans [SGA 7, I 4.5]. On
peut procéder de même dans le cas général, en utilisant 2.6. Indiquons rapidement
l’argument. On peut supposer S strictement local. Notons B = X (x) le localisé
strict en x de X = X ×S S (2.0). La fibre en x du triangle distingué Xs →
R() → R() → · s’écrit
(= R(B, )) → R(B − B s , ) → R()x → ·;
elle montre que
R()x = RB s (B, )[1] = R(B s , i ! )[1]) = (i ! )x [1],
où i : B s → B est l’inclusion. En un point géométrique y de Xs au-dessus d’un
point de B s distinct de x, on voit de même, remplaçant B s par le localisé strict de
B s en y, que R()y = (i ! )y [1]. Comme X est lisse sur S en y, R()y = 0,
et par suite i ! est concentré en x. Notons εx : {x} → B s et ix = i ◦ εx : {x} → B
les inclusions. On a ix! = εx! i ! , et comme i ! est concentré sur le point fermé
x, εx! i ! = (i ! )x , et donc on a
R()x = (ix! )[1] = R{x} (B, )[1].
On a donc
R q ()x = lim ind H{x} (B , ),
q+1
Perversité et variation
281
où K parcourt les extensions finies de K contenues dans K, S désigne le normalisé
de S dans K , et B le localisé strict en x de X = X ×S S . Comme X est de proq+1
fondeur géométrique relative n en x sur S et que δ(x) = 0, on a H{x} (B , ) = 0
pour q + 1 < n + 1 d’après 2.6, d’où la conclusion.
Corollaire 2.10. Soient X un schéma de type fini sur S, x un point fermé de Xs , x
un point géométrique au-dessus de x, n un entier ≥ 0. On suppose que X est lisse
le long de Xs hors de x, et plat et d’intersection complète relative de dimension
relative n en x. Alors
R q ()x = 0 pour q = n,
et R n ()x est un -module libre de type fini. De plus, si KXη = a ! η est le
q
complexe dualisant sur X , on a H{x} (Xs , R(KXη [−2n]))x = 0 pour q = n, 2n,
et on a un accouplement naturel
n
2n
(Xs , R(KXη [−2n]))x → H{x}
(Xs , KXs [−2n])x = ,
R n ()x ⊗ H{x}
qui est une dualité parfaite entre deux -modules libres de type fini.
Comme f est d’intersection complète relative en x, on a prof géomx (X/S) = n,
et d’autre part, d’après le théorème de Lefschetz affine d’Artin [SGA 4, XIV 3.2],
on a R q ()x = R q ()x = 0 pour q > n (cf. [SGA 7, I 4.2]). D’où la première
assertion. La seconde s’en déduit par la commutation de R() aux extensions
→ [SGA 7, I 4.7]. Par la commutation de R à la dualité [I2, 4.2], on a un
accouplement parfait
R() ⊗L R(KXη ) → KXs ,
d’où un accouplement parfait
R()x ⊗L Rεx! (R(KXη ))x → ,
où εx : {x} → Xs est le morphisme canonique. Le reste du corollaire en découle.
Remarque 2.11. On peut aussi déduire 2.10 de 2.7 de la façon suivante, qui m’a
été indiquée par Laumon. On peut supposer S strictement local, et X plat et
d’intersection complète relative de dimension n en tout point. Comme X [n + 1]
est pervers sur X, R(X )[n] est pervers sur Xs d’après un résultat de Gabber
[I2, 4.6]. Comme d’autre part X est lisse le long de Xs hors de x, R(X )[n] est
concentré en x. Il en résulte que R(X )[n] est cohomologiquement concentré en
degré zéro.
3. Variation
3.0. On conserve les notations de 2.0. En outre, on note I ⊂ Gal(K/K) le groupe
d’inertie, P ⊂ I le groupe d’inertie sauvage, pro-p-Sylow de I , It = I /P le groupe
d’inertie modéré (= Ẑ (1) := Ẑ(1)(k)), σ un générateur topologique de It .
282
L. Illusie
3.1. Pour f : X → S de type fini et L dans D + (Xη , ), on note, comme dans
[SGA 7, I 2.2 et XIII 2.1],
∗
R(L) = i Rj ∗ (L|Xη )
le complexe des cycles proches, où X = X ×S S et i : Xs → X, Xη → X sont
les inclusions. Pour L dans D + (X, ), on note R(L) le complexe des cycles
évanescents, relié au complexe des cycles proches par le triangle distingué
L|Xs → R(Lη ) → R(L) → .
Nous considérerons également leurs variantes modérées
Rt (L) = R(P , R(L)),
Rt (L) = R(P , R(L))
dans
D + (X
s , It , ),
et le triangle distingué correspondant
L|Xs → Rt (Lη ) → Rt (L) → .
Par définition, on a
(i ∗ Rj∗ L)|Xs = R(I, R(L)) = R(It , Rt (L)),
et donc un triangle distingué
(i ∗ Rj∗ L)|Xs
/ Rt (L)
σ −1
/ Rt (L)
/ .
(3.1.1)
Pour L dans D + (X, ), si σ relève σ dans I , l’homomorphisme variation [SGA 7,
XIII 2.1.2.5]
Var(σ ) : R(L) → R(Lη )
(3.1.2)
induit un homomorphisme variation modérée
Var(σ ) : Rt (L) → Rt (Lη ),
(3.1.3)
dont le composé avec le morphisme canonique can: Rt (Lη ) → Rt (L) est
σ − 1.
3.2. Supposons S strictement local, et supposons que f : X → S soit lisse le long
de Xs hors d’un point fermé x (cf. 2.9). Notons
ix : {x} = Spec k(x) → Xs
le morphisme canonique (la notation diffère de celle utilisée en 2.1). Le complexe
R()(= R(X )) est alors concentré en x, i. e. R() = ix∗ R()x , et avec
les notations ci- dessus, le morphisme Var(σ ) : R() → R() (3.1.2) définit
par adjonction un morphisme
R()x → ix! R() = R{x} (Xs , R())
(3.2.1)
Perversité et variation
283
donc le composé avec les flèches d’adjonction
R() → ix∗ R()x → ix∗ ix! R() → R()
est Var(σ ). Prenant les invariants sous P , on déduit de (3.2.1) un morphisme
Rt ()x → ix! Rt () = R{x} (Xs , Rt ()),
(3.2.2)
déduit également par adjonction du morphisme variation modérée Var(σ ) : Rt ()
→ Rt (), et donnant lieu à une factorisation analogue. Nous noterons encore,
par abus, Var(σ ) le morphisme (3.2.2). On a un diagramme
/ Rt ()x ,
Rt ()N
NNN
NNN
V ar(σ )
σ −1
N
V (σ ) NN&
Rt () o
ix∗ ix! Rt ()
(3.2.3)
où la flèche V (σ ) rendant commutatif le triangle supérieur est l’unique flèche
rendant commutatif le triangle inférieur. L’unicité résulte en effet du fait que le
cône de la flèche horizontale inférieure est Ru∗ (Xs −{x} ), où u : Xs − {x} → Xs
est l’inclusion, et que
Ext−1 (Rt (), Ru∗ u∗ Rt ()) = Ext−1 (U , U ) = 0.
(3.2.4)
Le résultat ci-après est indépendant des numéros 1 et 2.
Théorème 3.3. Avec les hypothèses et notations de 3.2, la flèche Var(σ ) s’insère
dans un triangle distingué
R{x} (X, )[1]
/ Rt ()x
V ar(σ )
/ R{x} (Xs , Rt ())
/ . , (3.3.1)
où la première flèche rend commutatif le carré
(i)
R(X(x) − {x}, )
R{x} (X, )[1]
/ Rt ()x ,
/ Rt ()x
dans lequel la flèche verticale de droite est la flèche canonique, celle de gauche
la deuxième flèche du triangle distingué standard
(ii)
→ R(X(x) − {x}, ) → R{x} (X, )[1] →,
et la flèche horizontale supérieure, la composée de la flèche de restriction
R(X(x) − {x}, ) → Rj∗ ()x et de la fibre en x de la première flèche de
(3.1.1).
284
L. Illusie
Le triangle (3.1.1) et le diagramme (3.2.3) fournissent, d’après (3.2.4) et 4.4,
une croix distinguée (4.2)
ix∗ ix! Rt ()
p7
V (σ ) ppp
p
p
p
p
ppp σ −1
/ Rt ()
Rt ()
,
/ i ∗ Rj∗ [1]
n
n
bnnnn
a
n
n
n
wnnn
∗
Ru∗ u Rt ()
c
/
(3.3.2)
où la colonne est le triangle distingué canonique défini par la flèche d’adjonction
a, la ligne est le triangle distingué déduit par rotation de (3.1.1), et les flèches
obliques V (σ ) et b sont les uniques flèches rendant commutatifs les deux triangles.
Considérons le diagramme commutatif d’immersions, à carré cartésien :
U = Xs − {x}
i
/ X − {x} o
j
X − Xs .
s
s
s
s
w
sss
s
s
ys
/Xs
j
u
Xs
i
(3.3.3)
Par adjonction, b définit une flèche
b : u∗ i ∗ Rj∗ ()[1] = i ∗ Rj∗ ()[1] → u∗ Rt () = U .
Lemme 3.3.4. (a) On a
b = t (σ )ResU ,
où t : It →
est le caractère modéré, et l’homomorphisme résidu Res :
i ∗ Rj∗ ()[1] → U (−1) est donné par l’isomorphisme inverse de Gysin
U (−1) i ∗ R 1 j∗ (produit par la classe fondamentale cl(s) ∈ H 1 (η, (1)),
normalisée comme en [SGA 4 1/2, Cycle, 2.1.2], i.e. opposée du torseur de
Kummer).
(b) La croix (3.3.2) se complète en un octaèdre
Ẑ (1)
ix∗ ix! Rt ()
p7
V (σ ) ppp
p
p
pp
ppp σ −1
/ Rt ()
Rt ()
/ i ∗ Rj∗ [1]
ll
b llll
l
a
l
ll
vlll
∗
Ru∗ u Rt ()
/
/ i ∗ Rw∗ X−{x} [1]
c
/
(3.3.4.1)
Perversité et variation
285
(cf. 4.2), où dans le triangle déduit par rotation du triangle distingué supérieur
/ Rt ()
i ∗ Rw∗ X−{x}
V (σ )
/.,
/ ix∗ i ! Rt ()
x
(3.3.4.2)
la première flèche est composée de la flèche de restriction i ∗ Rw∗ X−{x} →
i ∗ Rj∗ et de la première flèche du triangle (3.1.1).
Le triangle induit sur U par la ligne de (3.3.2) s’écrit
U
0
/ U
c
/ i ∗ Rj [1]
∗
/ .
(∗)
Par définition, b rétracte c, et il s’agit de vérifier que H 0 (c) = t(σ )cl(s). Or,
comme f est lisse le long de Xs hors de x, (*) est l’image inverse sur U du triangle
analogue relatif à S. On peut donc supposer X = S. L’identification de i ∗ Rj∗ ()
0 /
à R(It , ), puis, par le choix de σ, au complexe , correspond, sur
H 1 , à l’isomorphisme inverse de t(σ )(−cl(s)), où
∼
−cl(s) : (−1) −→ i ∗ R 1 j∗ () = H 1 (Ẑ (1), )
est la classe du torseur de Kummer. La compatibilité énoncée en (a) en résulte,
compte tenu des conventions de signe habituelles : si u : L → M est un morphisme
de complexes et [L → M] est le complexe simple associé où L est considéré comme
colonne de degré zéro, la flèche d de degré un du triangle distingué [L → M] →
L → M → est y → (0, −y)) (le signe provient de l’identification de C(u)[−1]
(où C(u) est le cône de u) à [L → M]) ; par ailleurs, la rotation de (3.1.1) ne
change pas le signe de c.
Il résulte de (a) que −b est le composé
i ∗ Rj∗ [1]
α
/ Ru∗ i ∗ Rj [1]
∗
/ Ru∗ U ,
/ Ru i ! [2]
∗
où la première flèche est la flèche d’adjonction, la seconde est Ru∗ i ∗ appliqué à la
flèche −d du triangle de cohomologie à supports de la ligne supérieure de (3.3.3)
(translaté de 1) :
/ [1]
i∗ i ! [1]
/ Rj [1]
∗
−d
/.
(∗∗)
(d étant la flèche de degré 1 du triangle non translaté, cf. [BBM, 0.3.1]), et la
dernière est Ru∗ (t(σ )ResU ). La flèche de changement de base i ∗ Rw∗ → Ru∗ i ∗ ,
appliquée à (**), fournit un morphisme de triangles
i ∗ Rw∗ i∗ i ! [1]
/ i ∗ Rw∗ [1]
Ru∗ i ∗ i∗ i ! [1]
r
/ i ∗ Rw∗ Rj [1]
∗
−d
/ i ∗ Rw∗ (.) ,
α
/ Ru∗ i ∗ [1]
/ Ru∗ i ∗ Rj [1]
∗
−d
/ Ru∗ i ∗ (.)
(∗ ∗ ∗)
286
L. Illusie
où les flèhes verticales extrêmes sont des isomorphismes, et la flèche r est la flèche
de restriction. D’après la description de b donnée plus haut, b s’identifie (canoniquement) à dα. Comme les flèches verticales extrèmes de (***) sont des isomorphismes, on déduit de (***) un triangle distingué
Ru∗ U [−1]
/ i ∗ Rw∗ [1]
r
/ i ∗ Rj∗ [1]
b
/ Ru∗ U , (∗ ∗ ∗ ∗)
où la première flèche est l’opposée de celle définie par (***). Comme
Ext−1 (ix∗ ix! Rt (), Ru∗ u∗ Rt ()) = 0,
on peut appliquer 4.5 à la flèche b de la croix (3.3.2) : le triangle (****) se prolonge
uniquement en un octaèdre (3.3.4.1). Si g est la première flèche de (3.3.4.2) et
f la première flèche de (3.1.1), le morphisme de triangles de la partie supérieure
de (3.3.4.1) donne −f [1]r[1] = −g[1], où r : i ∗ Rw∗ X−{x} → i ∗ Rj∗ est la
restriction, donc g = f r, ce qui achève la démonstration de (b), et donc de 3.3.4.
Nous pouvons maintenant terminer la démonstration de 3.3. Prenant la fibre en
x du triangle (3.3.4.2), on obtient un triangle distingué
V (σ )x
/ R{x} (Xs , Rt ())
/.,
(∗ ∗ ∗ ∗ ∗)
d’où le triangle (3.3.1) se déduit par passage de Rt à Rt et R(X(x) − {x}, )
à R{x} (X, )[1]. Plus précisément, les triangles (*****), 3.3 (ii), et le triangle
canonique → Rt ()x → Rt ()x → s’insèrent dans un octaèdre
/ Rt ()x
R(X(x) − {x}, )
R(X(x) − {x}, )
7
ppp
p
p
p
ppp
ppp
/ Rt ()x
/ R{x} (X, )[1]
/ Rt ()x
kkk
kkk
k
k
V (σ )x
kkk
ukkk Var(σ )
R{x} (Xs , Rt ())
/ ,
/
(3.3.4.3)
où la flèche oblique Rt ()x → R{x} (Xs , Rt ()) est égale à Var(σ ) : elle rend
en effet commutatif le triangle supérieur de (3.2.3), et une telle flèche est unique,
car Ext−1 (, R{x} (Xs , Rt ())) = 0. L’assertion de 3.3 relative au carré 3.3 (i)
en résulte.
Remarque 3.3.5 (Gabber).
(i) Si x n’est pas un point isolé de X, R i t ()x = 0 pour i ≤ −1, donc
Ext−1 (, Rt ()x ) = 0, et la première flèche de (3.3.1) est l’unique flèche
rendant commutatif le carré (i) de 3.3.
(ii) Le triangle (3.3.1) est “canonique” dans le sens suivant.
Perversité et variation
287
(a) Le triangle (****) est sous-jacent à un unique objet T de DF [0,2] (Xs , )
(cf. 4.2) : la définition de (****), à partir du triangle supérieur de (***), qui
provient d’un triangle de cohomologie à supports, fournit en effet un tel objet T ,
l’unicité de T prolongeant b vient de ce que Ext−1 (i ∗ Rj∗ [1], Ru∗ U ) = 0
(en général si A est une catégorie abélienne, f : K → L une flèche de D(A),
et un objet de DF [0,1] (A) prolongeant f (tel que gr 0 = L), le groupe des
automorphismes α de induisant l’identité sur K et sur L est isomorphe (par
α → α − 1) à Ext −1 (K, L)/(f Ext−1 (K, K) + Ext −1 (L, L)f )).
(b) Comme expliqué plus haut, l’octaèdre (3.3.4.1) est l’unique octaèdre prolongeant
(****). Enfin, l’octaèdre (3.3.4.3) détermine uniquement le triangle (3.3.1)
(quand x est un point isolé de X, la première flèche de (3.3.1) est déterminée,
non par le carré 3.3 (i), mais par le carré de (3.3.4.3) qui lui est adjacent à droite).
Corollaire 3.4. Sous les hypothèses de 3.3, supposons de plus X plat et localement d’intersection complète relative de dimension n en x. On a une suite exacte
canonique
0
/ H n+1 (X, )
/ R n t ()x
/ H n+2 (X, )
/0
{x}
{x}
Var(σ )
n (X , R ())
/ H{x}
s
t
L’exactitude à droite résulte de ce que R n+1 ()x = 0 (2.10). Pour l’exactitude
à gauche, on note que, d’après 1.4, Xη [n] est pervers. Il en est donc de même de
n−1
(Xs , Rt ()) =
R()[n] ([I2, 4.5]), donc aussi de Rt ()[n], et par suite H{x}
*
0 .
Corollaire 3.5. Sous les hypothèses de 3.3, supposons de plus X régulier et f plat,
de dimension relative n ≥ 1 en x. Alors la variation modérée
n
(Xs , Rt ())
Var(σ ) : R n t ()x → H{x}
(3.5.1)
est un isomorphisme entre -modules libres de type fini.
Comme X est régulier, f est localement d’intersection complète relative. D’autre
part, d’après le théorème de pureté absolue (2.2), on a
R{x} (X, ) = [−2n − 2](−n − 1),
q+1
et donc H{x} (X, ) = 0 pour q = n et q = n + 1 puisque n ≥ 1. La première
assertion découle donc de 3.4. Le fait que la source et le but de Var(σ ) soient libres
de type fini résulte de 2.10 en prenant les invariants sous P , Xη étant régulier, et
donc KXη [−2n] isomorphe à Xη (n) au voisinage de x.
*
Je remercie Gabber pour cet argument.
288
L. Illusie
Exemple 3.6. Supposons X régulier, plat sur S de dimension relative n, lisse hors
de x et présentant en x une singularité quadratique ordinaire [SGA 7, XV 1.2,
1.3, XVI 1.13]. La variation Var(τ ), pour τ ∈ I , est donnée par la formule de
Picard-Lefschetz [SGA 7, XVI 3.2.1, 3.3.5]:
(i) Pour n = 2m, et a ∈ R n ()x (m)
Var(τ )a = (−1)m
ε(τ ) − 1
(aδ)δ,
2
où ε est un caractère d’ordre 2 de I , et δ est le générateur canonique, défini
n (X , R())(m).
au signe près, de H{x}
s
(ii) Pour n = 2m + 1, et a ∈ R n ()x (m + 1)
Var(τ )a = (−1)m+1 t(τ )(aδ)δ,
où t : I → Ẑ (1) est le caractère modéré et δ est le générateur canonique,
n (X , R())(m).
défini au signe près, de H{x}
s
Sauf dans le cas n = 2m, car(k) = 2, l’inertie agit de façon modérée sur ces
deux modules (libres de rang 1), et la variation coı̈ncide avec la variation modérée:
pour τ relevant σ , Var(τ ) est donc un isomorphisme, conformément à 3.5. Dans le
cas n = 2m, car(k) = 2, l’inertie agit par un caractère (sauvage) d’ordre 2, et alors
n (X , R ()) = 0.
R n t ()x = H{x}
s
t
On trouvera dans [I4] une démonstration algébrique de la formule de PicardLefschetz dans le cas (ii), et des exemples de calculs de la variation modérée pour
certaines singularités homogènes.
3.7. Conservons les hypothèses de 3.5, avec f de dimension relative n partout.
Comme Xη est régulier, Xη [n] est pervers, et il en est donc de même de Rt ()[n]
comme on l’a observé plus haut. D’après (3.1.2), on a un carré commutatif
Rt ()[n]
σ −1
Rt ()[n] o
/ ix∗ R n t ()x
Var(σ )
,
(3.7.1)
n (X , R ())
ix∗ H{x}
s
t
où les flèches horizontales sont les flèches d’adjonction. Celles- ci sont d’ailleurs
∼
essentiellement duales l’une de l’autre : l’isomorphisme D(Rt ()[n]) −→
Rt ()[n](n) déduit de l’isomorphisme de dualité de [I2, 4.2] en prenant les
invariants sous P , identifie la flèche horizontale inférieure à la duale de la flèche
supérieure, tensorisée avec (−n) (cf. 2.10).
Proposition 3.8. Dans le carré (3.7.1), Var(σ ) est la factorisation canonique, dans
la catégorie des faisceaux pervers sur Xs , en l’isomorphisme de la coı̈mage de
σ − 1 sur son image.
Perversité et variation
289
Par dualité, il suffit de prouver que la flèche horizontale supérieure est la projection de Rt ()[n] sur la coı̈mage de σ − 1. Comme Xs est d’intersection complète
de dimension n, Xs [n] est pervers (1.4). D’autre part, comme X est régulier de
dimension n + 1, X [n + 1] est pervers (2.8), donc, d’après un résultat de Gabber [I2, 4.6], R()[n] est pervers, donc aussi Rt ()[n]. Comme Rt () est
concentré en x, Rt ()(n] = ix∗ Rt ()x . Le triangle distingué canonique
Xs [n] → Rt ()[n] → Rt ()[n] →
(∗)
est donc une suite exacte de faisceaux pervers sur Xs . On est ainsi ramené à montrer
que la première flèche de (*) induit un isomorphisme
∼
Xs [n] −→ Ker(σ − 1 : Rt ()[n] → Rt ()[n]).
∼
Le triangle (3.1.1), pour L = [n], donne un isomorphisme p H 0 (i ∗ Rj∗ [n]) −→
Ker(σ − 1). Il s’agit donc de montrer que la flèche d’adjonction α : Xs [n] →
∼
i ∗ Rj∗ [n] induit un isomorphisme Xs [n] −→ p H 0 (i ∗ Rj∗ [n]). Considérons
le triangle distingué défini par α :
i ! X [n] → Xs [n] → i ∗ Rj∗ [n] → .
(∗∗)
Comme X est dualisant (2.3), on a, à torsion près par un X -module inversible,
X [n] = KX [−n − 2], et donc i ! X [n] = KXs [−n − 2]. Comme Xs [n] est
pervers, il en est de même du dual KXs [−n], et donc i ! X [n] ∈ Per(Xs )[−2]. En
particulier, p H 0 (i ! X [n]) = p H 1 (i ! X [n]) = 0, et la suite exacte de cohomologie
perverse de (**) fournit l’isomorphisme voulu, ce qui achève la démonstration de
3.8.
On notera que cette preuve est indépendante de celle de 3.5 donnée plus
haut (mais utilise aussi de manière essentielle le théorème de pureté absolue, par
l’intermédiaire de 2.3).
Remarque 3.9. On a la généralisation suivante de 3.8. Soit f : X → S un morphisme de type fini et soit L un faisceau pervers sur X possédant les deux propriétés
suivantes :
(i) L est auto-dual, i. e. on a un isomorphisme DX (L) L ⊗ ε, où ε est un
X -module inversible;
(ii) i ∗ L[−1] ∈ Per(Xs ).
Le triangle distingué canonique
i ∗ L[−1]
/ Rt (j ∗ L)[−1]
u
/ Rt (L)[−1]
/
définit par dualité un triangle distingué
D(i ∗ L[−1]) ⊗ ε −1 (1) o
Rt (j ∗ L)[−1] o
v
ˇ t (L)[−1] o
R
(l’hypothèse (i) entraı̂ne D(j ∗ L[−1]) j ∗ L[−1] ⊗ ε(−1), car j ∗ KX =
KXη [2](1)), et, grâce à l’hypothèse (ii), ces deux triangles sont des suites
290
L. Illusie
exactes de faisceaux pervers sur Xs . L’homomorphisme σ − 1 : Rt (j ∗ L)[−1] →
Rt (j ∗ L)[−1], nul sur i ∗ L[−1], s’insère dans un carré commutatif
Rt (j ∗ L)[−1]
u
σ −1
Rt (j ∗ L)[−1] o
/ Rt (L)[−1]
Var(σ )
v
ˇ t (L)[−1]
R
A torsion près par un -module inversible, on a i ! L[−1] = D(i ∗ L[−1])[−2], donc
i ! L[−1] ∈ Per(X)[−2], et le même argument que dans la preuve de 3.8 montre
que Var(σ ) est l’isomorphisme canonique de Coı̈m(σ − 1) sur Im(σ − 1).
3.10. Soient S une courbe lisse sur C et X un schéma de type fini sur S, x un point
fermé de X, d’image s dans S. On suppose X lisse sur S le long de Xs hors de
x. Soient I ( Z) le groupe fondamental local de S an en s et σ un générateur de
I . On dispose du complexe des cycles proches R(Z) et du complexe des cycles
évanescents R(Z), objets de D + (Xsan , Z[I ]), définis dans [SGA 7, XIV 1.3.1],
reliés par le triangle distingué canonique
ZXsan → R(Z) → R(Z) → .
Le complexe R(Z) est concentré en x. Il résulte du théorème de comparaison
[SGA 7, XIV 2.8] que les résultats 2.9 et 2.10 valent pour R() et R()
remplacés par R(Z) et R(Z). On dispose par ailleurs du morphisme variation
Var(σ ) : R(Z)x → R{x} (Xsan , R(Z)),
défini comme (3.2.2). Le résultat suivant, analogue à 3.3, se démontre de la même
manière :
Théorème 3.11. Avec les hypothèses et notations de 3.10, on a un triangle distingué
canonique
R{x} (X an , Z)[1]
/ R(Z)x
V ar(σ )
/ R{x} (Xsan , R(Z))
/.,
(3.11.1)
où la première flèche a une description similaire à celle donnée en 3.3.
On en déduit des corollaires analogues à 3.4 et 3.5, avec Z au lieu de , le
théorème de pureté absolue étant remplacé par les formules donnant la cohomologie
de Betti des sphères. Le corollaire analogue à 3.5 (pour X lisse sur C) était sans doute
connu de Milnor, mais ne figure pas dans [M]. Une démonstration par réduction au
cas quadratique ordinaire est indiquée dans [Dem] (voir aussi [L, 6.1.4]). Dans le
cas des singularités “en forme de livre ouvert”, une preuve proche de celle suggérée
ici, utilisant la “fibration de Milnor”, est donnée dans [S, Prop. 1].
Perversité et variation
291
4. Appendice : triangles, croix et filtrations (d’après O. Gabber)
4.1. Soit A une catégorie abélienne. Une croix de D(A) est un diagramme
A
~>
a ~~
~~
~~
/B
A
/C
~
~
~
~~c
~
~
~
C
/
(4.1.1)
de D(A), où les triangles commutent et la ligne et la colonne sont des triangles
distingués. On peut considérer un tel diagramme comme un octaèdre ou manque le
troisième sommet M d’un triangle de base a, ainsi que la flèche M → C réalisant,
avec idA et A → B, un morphisme de triangles :
A
~>
a ~~
~~
~~
/B
A
/M
/C
}}
}}
}
}c
}
~}
C
/
/
(4.1.2)
(cf. [BBD, 1.1.7.1]). Il n’est pas vrai en général qu’une croix (4.1.1) puisse se
prolonger en un octaèdre (4.1.2). L’existence d’un tel prolongement fournit en effet
un isomorphisme
Cône(a) = Cône(c)[−1],
(4.1.3)
où Cône(f ) désigne le troisième sommet d’un triangle distingué de base f . Mais
il n’existe pas en général de tel isomorphisme, comme le montre déjà l’exemple où
B = 0, C = A[1], C = A [1], a et c arbitraires.
4.2. Soient CF [0,2] (A) la catégorie des complexes L de A munis d’une filtration
à trois crans, L = F 0 L ⊃ F 1 L ⊃ F 2 L ⊃ F 3 L = 0, et DF [0,2] (A) la catégorie
dérivée correspondante. Les croix de A forment de manière naturelle une catégorie,
notée Croix(A), et l’on a un foncteur
Cr : DF [0,2] (A) → Croix(A)
(4.2.1)
292
L. Illusie
associant à un complexe filtré L la croix Cr(L)
1
;F L
v
a vvv
vv
v
vv
/L
F 2L
/
/ L/F 2 L
u
uu
uu
u
u c
zuu
1
L/F L
où les triangles distingués sont déduits des suites exactes correspondantes. En fait,
un objet L de CF [0,2] (A) définit canoniquement une “vraie” croix, i.e. une suite
exacte courte de suites exactes courtes de la forme
,
0
0
0
0
/A
/ A
/K
/0
0
/A
/B
/C
/0
0
/0
/ C
/ C
/0
0
0
Id
Id
0
où B = L, A = F 1 L, A = F 2 L, K = gr 1 L, et donc un octaèdre [BBD 1.1.8].
Par suite, toute croix qui est dans l’image essentielle du foncteur Cr se prolonge en
un octaèdre de la forme (4.1.2). Nous dirons qu’une croix est distinguée si elle est
dans l’image essentielle du foncteur Cr.
Le foncteur Cr se factorise à travers la catégorie Oct (A) des octaèdres de A.
Toutefois, Gabber a montré [Ga 1] que le foncteur C : DF [0,2] (A) → Oct (A)
ainsi obtenu n’est pas essentiellement surjectif : il existe des octaèdres, et même
des octaèdres vérifiant les conditions supplémentaires de [BBD 1.1.13], qui ne sont
pas isomorphes à l’image par C d’un objet de DF [0,2] (A). Pour les besoins de cet
article, les octaèdres suffiraient, mais nous avons trouvé plus agréable de travailler
avec des croix distinguées.
Soit T : A → B un foncteur additif entre catégories abéliennes. Supposons que
A possède suffisamment d’injectifs. Alors T admet un dérivé droit RT : D + (A) →
D + (B) (resp. D + F [0,2] (A) → D + F [0,2] (B)), d’où l’on déduit un foncteur RT de
Croix(A) dans Croix(B) transformant croix distinguées en croix distinguées.
Perversité et variation
293
Il est parfois commode d’utiliser l’une des descriptions équivalentes suivantes
de la catégorie DF [0,2] (A) :
Proposition 4.3. Notons Cr (A) la catégorie des triangles commutatifs de complexes de A :
/ A
A@
@@
@@
@@ b
@ B
a
et Cr (A) la sous-catégorie pleine formée des triangles où b est injectif (de sorte
que CF [0,2] (A) est la sous-catégorie pleine de Cr (A) formée des triangles où, de
plus, a est injectif). Notons Dr (A) (resp. Dr (A)) la catégorie dérivée correspondante, déduite de Cr (A) (resp. Cr (A)) par inversion des quasi-isomorphismes
(i. e. des morphismes induisant des quasi-isomorphismes sur chacun des trois sommets). Alors les foncteurs naturels
DF [0,2] (A) → Dr (A) → Dr (A)
sont des équivalences.
La vérification est standard : si f : L → M est une flèche de C(A), remplaçant
f par (i, f ) : L → C(I dL ) ⊕ M (où C(I d) est le cône sur l’identité de L et
i : L → C(I d) l’injection canonique), on rend f injectif, et l’on définit ainsi des
quasi-inverses aux foncteurs envisagés.
Les critères suivants sont également utiles :
Proposition 4.4. Soit X une croix (4.1.1). On suppose que la flèche Ext −1 (A, C ) →
Hom(A, A ) (resp. Ext −1 (A, C ) → Hom(C, C )) est nulle. Alors X est distinguée.
L’hypothèse implique que a (resp. c) est l’unique flèche A → A (resp. C →
C ) rendant commutatif le triangle correspondant. Plaçons-nous dans le second cas.
Considérons le triangle
T =
A
~>
a ~~
i
~~
~~ i
/B
A
de la croix X. Quitte à remplacer A, A , B par des objets isomorphes, on peut
supposer que a, i, i sont des morphismes de complexes, que a et i sont injectifs,
et que i = i a (comme morphismes de complexes), i.e. que T provient d’un objet
de DF [0,2] (A). Soit X la croix qui lui est associée par (4.2.1). On a alors un
isomorphisme de la ligne (resp. colonne) de X sur la ligne (resp. colonne) de X,
induisant l’identité sur (A → B) (resp. (A → B)). D’après la remarque initiale,
la flèche c : C → C définie par X via ces isomorphismes coı̈ncide avec c, et
donc X est isomorphe à X.
294
L. Illusie
Proposition 4.5. Si, dans une croix distinguée (4.1.1), Ext −1 (A , C ) = 0, alors
/ se
/ C c / C
tout prolongement de c en un triangle distingué M
prolonge uniquement en un octaèdre (4.1.2).
La croix étant distinguée, il existe en effet une flèche u : A → M complétant
le diagramme donné en un octaèdre, et comme Ext −1 (A , C ) = 0, cette flèche u
est uniquement déterminée par la commutativité du carré au-dessous de u.
References
[BBM]
[Dem]
[F]
[Ga]
[Ga 1]
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[SGA 5]
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Cohomologie l-adique et fonctions L, Séminaire de géoémtrie algébrique
du Bois-Marie 1965–66, dirigé par A. Grothendieck, SLN 589, SpringerVerlag, 1977
Groupes de monodromie en géométrie algébrique, Séminaire de géométrie
algébrique du Bois-Marie 1967–1969, I, dirigé par A. Grothendieck, II par
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