Histoire des États germaniques II : D’un empire à l’autre Septième cours : La république de Weimar (1919-1933) Septième cours : 1 — La constitution weimarienne 2 — Évolution politique d’une crise à l’autre 3 — Évolution économique et sociale d’une crise à l’autre (1919-1930) 4 — Politique étrangère 5 — La crise finale et l’arrivée au pouvoir du NSDAP 1 — La constitution weimarienne • La constitution de la république de Weimar, adoptée par le Reichstag en juillet 1919 se veut un compromis entre les tenants d’une modernisation étatique inspirée des recettes libérales des États vainqueurs et ceux du conservatisme et de la tradition étatique germanique. • Ce désir de compromis s’illustre dans les symboles : le drapeau noir-rouge et or de 1848 est adopté, les couleurs commerciales demeurent le drapeau prussien. Et si le régime républicain est adopté, l’Allemagne demeure un Reich... • La répartition des pouvoirs entre le centre et les régions illustre aussi ce désir de compromis entre les tendances unitaires, représentées par la tradition prussienne, et les particularismes régionaux. • La nouvelle Allemagne est un État fédératif, mais dont les pouvoirs les plus importants restent entre les mains du gouvernement central, laissant aux 17 länder, pourvus de leur propre parlement et constitution, des compétences limitées (police, cultes, culture et instruction). • L’essentiel du pouvoir de taxation reste entre les mains du centre, à qui appartient le dernier mot en matière judiciaire. Le gouvernement central a aussi compétences en matière diplomatique, militaire et économique. • Suivant l’article 54, le parlement dispose de la prédominance, car le gouvernement est responsable devant lui. • Mais les pouvoirs concédés au Reichpresident (dont celui de nommer le chef du gouvernement) font en sorte que celui-ci dispose des moyens nécessaires pour faire de lui le centre ultime du pouvoir : c’est la pratique qui déterminera qui du parlement ou du président est le réel maitre politique. • L’article 48 permet au président de déclarer l’état d’urgence, de suspendre la constitution d’un land et de faire appel à l’armée, dont il est le chef. • L’article 73 lui permet de contourner l’assemblée législative, en soumettant à un référendum toute loi votée par le parlement. Il peut aussi dissoudre le Reichstag. • Le fait qu’il soit élu au suffrage universel des plus de 20 ans (à partir de 1925 — Ebert sera élu au suffrage indirect en 1919), incluant les femmes, pour une période de sept ans, lui confère autant de légitimité que le Reichstag. • Le parlement est constitué de deux chambres, le Reichstag et le Reichrat. Le premier est formé de députés élus pour quatre ans dans le cadre d’un scrutin de liste proportionnelle. Théoriquement, il est le maitre du processus législatif. • La 2e chambre, le Reichrat, ne dispose que d’un veto suspensif de quatre ans, mais permet une représentation des Lander au parlement fédéral. • Les membres du Reichrat sont désignés par les parlements des Länder proportionnellement à leur population. • Très complète, la constitution weimarienne définit un certain nombre de principes généraux, comme le rôle des églises (pas d’Église d’État, exigence du Zentrum), la structure scolaire (qui implique, ou non, la participation des églises), ainsi que, par les articles 151 à 165, des dispositions concernant le caractère social des politiques de l’État (protection sociale, conseils ouvriers, etc.). 2 — Évolution politique d’une crise à l’autre 2.1 — La république centriste • Jusqu’en 1924, la politique de l’Allemagne est dominée par la coalition qui lui a donné naissance, mais le temps passant, et la crise aidant, la balance de cette coalition centriste penche de plus en plus à droite et les forces modérées reculent au profit des partis extrémistes. • À l’inévitable instabilité politique qui accompagne la mise en place de nouvelles institutions, le contexte international et la gravité de la crise économique favorisent les forces politiques qui préconisent des ruptures. • La lutte des deux extrémismes préfigure alors déjà celle qui détruira les institutions weimarienne en 1933. • Avec la constitution weimarienne commence la première véritable expérience parlementaire pluraliste de l’histoire germanique. • Les terres allemandes ont alors déjà vu au certaines expériences pluralistes, mais il s’agissait de systèmes ploutocratiques et elles furent limitées sur le plan géographique à quelques territoires de l’ouest. • À partir de 1919 sera tenté d’appliquer au monde germanique les modèles que l’Europe de l’Ouest a mis de longs siècles à élaborer. • Le manque d’expérience a joué un grand drôle dans l’échec weimarien, mais le contexte économique et politique du monde y est pour beaucoup. Et l’expérience acquise au cours de cette période fut précieuse après 1945. • Au moment de la mise en place des institutions, certains partis politiques existent déjà et d’autres naissent d’une reconfiguration des partis du 2e Reich. • Quant aux deux principales forces extrémistes, elles auront besoin de temps, et de crises, pour se former. • Après les élections de 1920, le centre du jeu politique est occupé par les formations qui sont à l’origine de la constitution. • Le premier rôle est tenu par le SPD (qui restera premier parti du Reichstag jusqu’en 1932), dont la scission au cours de la guerre a accentué le caractère centriste. • Il peut compter en général sur l’appui du zentrum, même si ce parti confessionnel, compte autant de grands agrariens de l’est que de représentant du monde catholique ouvrier de l’ouest et du sud, beaucoup plus à gauche. • Le 3e parti de la coalition centriste, le parti démocrate, est un nouveau venu, formé des éléments les plus à gauche de l’ancien parti national-libéral. • Partisan de la république et des principes parlementaires, c’est un parti de large coalition, regroupant des personnalités remarquables, qui s’appuie sur la petite bourgeoisie libérale et qui est favorable à l’implication économique de l’État. • Les adversaires de gauche de cette coalition sont d’abord le parti socialiste indépendant (USDP) qui ne survivra pas longtemps, car dès 1920, la majorité de ses membres rejoignent le parti communiste allemand (KPD), les autres se ralliant au SPD. • Pour sa part, le KPD (légalisé en février 1924) est calqué sur le modèle soviétique : il rejette le parlementarisme, réclame l’établissement d’une dictature du prolétariat et est agité par les purges, reflet des luttes de pouvoir à Moscou. • La droite est plus complexe et comprend le Parti populaire allemand (DVP), formé par la droite des anciens nationauxlibéraux, recrutant dans les grands milieux d’affaires. • Peu enthousiasmé par les institutions weimariennes, c’est un parti pragmatique qui préfère la collaboration à l’opposition. Sa participation au gouvernement va d’ailleurs contribuer à tirer celui-ci vers la droite. • Mais la formation du DVP tient avant tout au rejet par une frange imposante des milieux conservateurs des idées du Parti National-Allemand (DNVP), jugées rétrogrades, car hostile à la république, dont les membres, souvent antisémites, proviennent de la Prusse profonde. • À l’extrême-droite, la première moitié des années 1920 verra le début de l’ascension du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP), fondé en 1920, qui participera d’abord aux élections en coalition avec d’autres partis populistes d’extrême-droite. • En plus des autres partis fédéraux (une trentaine en 1920), il faut ajouter des partis régionaux qui peuvent jouer un rôle important aux élections régionales, comme en Bavière. • La présidence est occupée par le chef historique du SPD, Friedrich Ebert, à partir de son élection en février 1919, qu’il remporte haut-la-main avec près de 75 des voix. Il occupera le poste jusqu’à sa mort en février 1925 • Même s’il est le premier parti, le SPD doit faire des concessions et abandonne la chancellerie dès1920. Les gouvernements sont instables et sept hommes occuperont le poste de chancelier au cours de la période 1919-1924 : 2 SPD, 3 membres du zentrum, un DVP et un indépendant. • Ce fait illustre la difficulté de gouverner l’Allemagne en cette époque. Car le traité de Versailles nourrit le mécontentement des milieux nationalistes, qui accusent les partis au pouvoir de trahison, alors que le gouvernement ne sait pas trop quoi faire avec l’armée qu’il doit démobiliser. • Le pays compte des centaines de milliers d’hommes désœuvrés et en colère, dont une partie rejoindra les CorpsFrancs, le Stahlhelm ou d’autres organisations paramilitaires. • Dès 1920, on voit une première tentative de coup d’État mené par la droite : le 13 mars, un haut fonctionnaire prussien, Kapp, appuyé par des corps francs et une partie de l’armée, s’empare de Berlin, mais le putsch sera mis en échec par une grève générale conduite par la gauche. • Celle-ci est très active, les conseils ouvriers de 1918 ne disparaissant pas tous lors de la répression du printemps 1919. • La tentative de Kapp provoque des insurrections ouvrières menées par les communistes, qui aboutissent à la prise de contrôle de certaines villes de la Ruhr et déclenchent une répression de de l’armée. • Après les élections du 6 juin 1920, le SPD (22 % pour 102 sièges) reste premier parti, mais doit compter sur le Zentrum (14 % du vote pour 64 sièges) et sur le parti démocrate (8 % pour 39 sièges) pour obtenir une majorité relative jusqu’en 1923. Élections de 1920 • Il doit donc obtenir l’appui d’autres forces (USPD jusqu’en 1922; 18 % pour 84 sièges), et surtout DVP (15 % pour 71 sièges), illustrant le glissement à droite, stimulé par les actions des milieux ouvriers et la crainte du bolchévisme. • Les tensions sociales se maintiennent en 1922, de pair avec la détérioration de la situation. Grèves et manifestations se succèdent et quelques fois dégénèrent. • Les assassinats politiques sont fréquents, dont celui emportant Walter Rathenau en juin 1922, ce Juif partisan de la république et signataire d’un traité avec l’URSS ayant tout pour révulser les forces d’extrême-droite. • La grande crise de la période survient en 1923, alors que l’inflation atteint son sommet et que la confrontation avec les puissances occidentales au sujet des réparations et de la Rhénanie entrainent la formation d’un gouvernement très à droite, dirigé par le sans-parti Cuno et s’appuyant entre autres sur le DNVP. • Malgré cette tentative, tout au long de l’année 1923, l’autorité politique faiblit et le chaos s’installe poussant le Reichstag et le président à accorder au nouveau chancelier Gustav Stresemann (DVP) les pleins pouvoirs. • En Rhénanie, la proclamation d’une république ne survit pas au départ des Français, mais en Bavière, la crise sera plus sévère, car après sa tentative de république des conseils, ce grand land est devenu le repaire des forces de l’extrêmedroite. • En octobre 1923, le ministre-président de Bavière von Khar rompt tout contact avec Berlin, en s’appuyant sur diverses forces d’extrême-droite, dont le NSDAP d’Hitler. • Hésitant à recourir à la force et rejetant les appels de ce dernier à marcher sur Berlin, von Kahr est débordé et le 9 novembre survient le putsch de la Brasserie, alors qu’Hitler tente de s’emparer du gouvernement de Bavière. • Le ministre-président parvient cependant à renverser la situation grâce à l’appui de la police et de la Reichswehr et la tentative d’Hitler échoue. • Les troubles profitent aussi à l’extrême-gauche, qui hésite cependant sur la tactique à suivre. Mais lorsqu’après les élections d’octobre 1923 en Saxe et en Thuringe, qui ont permis la formation légale de gouvernements ouvriers radicaux, Ebert ordonne à l’armée de déposer par la force ces derniers, les chefs communistes, Thälmann en tête, se convainquent de l’impossibilité d’arriver au pouvoir par les voies légales. • Celui-ci tente donc aussi à l’automne 1923 un coup d’État, de gauche, cette fois, dans la région d’Hambourg, mais qui est rapidement écrasé par la Reichswehr, qui prend alors véritablement le statut de gardien de l’ordre constitutionnel. 2.2 — Le triomphe de la droite • À l’issue de la crise, Stresemann est remplacé par Wilhelm Marx, qui forme un gouvernement de droite s’appuyant sur le Zentrum, le DNVP et le DDP. • L’année 1924 sera plus calme, alors que deux élections législatives tenues coup sur coup (en mai puis en décembre, devant l’impossibilité de former un gouvernement stable,) témoignent de deux changements importants dans l’opinion publique. • D’abord, la droitisation du centre, car si le SPD demeure le premier parti (il augmente ses appuis entre mai et décembre, obtenant 26 % des suffrages pour 131 députés), la force du DNVP (qui passe de 71 à 95 , puis à 103 députés) en fait désormais un acteur politique incontournable, d’autant que les modérés du DVP et DDP ont vu leurs appuis se réduire. • Ensuite, les élections de 1924 voient la montée des tendances extrémistes et le KPD, désormais légal, obtient de bons résultats lors des deux scrutins. • C’est aussi le cas de l’extrême-droite, plus divisée, deux partis participant alors aux élections (parti populaire allemand de la liberté (DVFP) et Parti populaire bavarois (DVP)) obtenant des résultats de 10 % (mai) et de 7 % (décembre). • Devant l’impossibilité de former un gouvernement avec les socialistes, Ebert confie au sans-parti Hans Luther le soin de former un gouvernement dans lequel entre le très conservateur DNVP, aux côtés du Zentrum, du DVP et du DPP, laissant de côté le premier parti de la chambre. • Jusqu’en 1928, la droite a le vent en poupe, alors que Alfred Hugenberg (DNVP), fait preuve d’un grand activisme et grâce à sa large fortune, restructure le Stahlhelm pour en faire une puissante organisation paramilitaire, acquiert un empire médiatique qu’il met au service de son idéologie ultranationaliste et revancharde. Élections de 1924 • Jusqu’en 1928 aussi, la gauche végète, éclatée entre différentes tendances, le KPD respectant les consignes de Moscou quant au rejet de toute collaboration avec les « sociaux-traîtres » du SPD. • En 1925, la mort d’Erbert et l’élection présidentielle illustrent ce glissement à droite et von Hindemburg est élu au second tour avec près de 50 % des voix, devançant le candidat du Zentrum Wilhelm Marx, appuyé par le SPD, pendant que Thälmann obtient un maigre 6 %. • Réactionnaire et conservateur, Hindenburg va mettre en place une orientation politique très proche des valeurs traditionnelles prussiennes et en 1926, il limoge les artisans du redressement de la Reischwehr, au profit de ses proches collaborateurs, posant les bases d’un retour à la tradition militaire prussienne qui jouera un rôle si important dans les événements de janvier 1933. • Malgré le retour au pouvoir du SPD après les législatives de mai 1928, la ligne politique conservatrice sera maintenue, car malgré 30 % (153 sièges), le SPD doit compter sur l’appui d’autres partis pour gouverner, se trouvant captif de la droitisation observée. • Ces élections voient également la première participation du NSDAP pour cause de réalignement de l’extrême-droite (avec des résultats modestes : 2,6 % des voix pour 12 députés), dont les ténors favorisent un ralliement, financé par les grands groupes industriels comme Thyssen, derrière le charismatique chef nazi. • Notons l’arrivée à la tête du DNVP du réactionnaire Hugenberg, un autre signe manifeste de la droitisation de la société, particulièrement des élites. • C’est donc le SPD qui dirige le gouvernement au moment où s’abat la crise de 1929, qui ne frappera l’Allemagne qu’à la fin de 1930. Élections de 1928 3 — Évolution économique et sociale d’une crise à l’autre (1919-1930) 3.1 — La crise de l’après-guerre • L’Allemagne sort saignée de la guerre et au 2,5 millions de morts s’ajoute un déficit de naissance de 3 millions. • Si elle a peu été affectée par les destructions, l’effort de guerre a ralenti les investissements et accru l’usure de l’appareil productif. • Les chiffres de la production du charbon (108 tonnes en 1919 contre 190 en 1913) et de l’acier (7 tonnes en 1919 contre 17 en 1913) illustrent la situation et il en est de même pour la production agricole. • La guerre aura coûté 140 milliards de marks or à un trésor fédéral disposant de peu de ressources financières, si bien que le recours à l’emprunt a été massif. • De sorte qu’entre 1913 et 1919, la dette flottante (les bons du Trésor) est passée de 500 millions à 49 milliards de marks or, ce qui est insuffisant pour combler les dépenses. • Il a donc fallu recourir à la planche à billets (le mark a perdu la moitié de sa valeur entre 1914 et 1918) et liquider les réserves d’or et de devises de la Reichsbank. • Il faut aussi compter la condition de perdant de l’Allemagne, souligné par le traité de Versailles. Parmi les territoires perdus, certains jouaient avant guerre un rôle fondamental : l’Alsace et la Lorraine pour de fer, la sidérurgie et l’industrie textile, la Sarre pour le charbon, la Silésie pour la métallurgie et les ressources minérales... • De même, en guise de réparation, l’Allemagne dut céder une part de ses capacités industrielles et de transport. • Ainsi 5 000 locomotives, 15 000 wagons, 25 % de la flotte de pêche, 20 % de la flotte fluviale, tous les navires de plus de 1 600 tonnes, etc. furent cédés. • Le traité de Versailles prévoyait de nombreux avantages économiques pour les vainqueurs: abandon du protectionnisme, cession de tous les brevets allemands, levée des péages sur l’Elbe, l’Oder et le canal de Kiel, congés de 3 à 5 ans d’accises sur certaines marchandises d’Alsace, de Lorraine, de Posnanie... • L’Allemagne est donc exsangue et hypothéquée. Rien d’étonnant à ce que le gouvernement allemand se soit employé à réduire le montant des réparations (dont il ne conteste pas le principe) et à payer le moins possible. • En mai 1921, la conférence de Londres fixe le montant des réparations à 132 milliards de marks or, portant intérêt de 6 % et devant être acquitté par des versements annuels de 2 milliards, plus la valeur de 26 % des exportations du pays. • Le tout est assorti d’un ultimatum de 6 jours pour souscrire aux exigences, sous peine d’occupation de la Ruhr. • Le résultat ne se fait pas attendre : la valeur du mark s’effondre et si en mai 1921, un dollar valait 60 marks, en octobre 1923, un dollar en vaut désormais 42 milliards… • Les causes de l’effondrement sont complexes, car en plus des réparations, on observe une la forte spéculation sur le mark par les industriels allemands, empruntant de grosses sommes pour les placer à l’étranger, puis les rapatrier et ainsi acquérir pour une bouché de pain usine, hôtels, entreprises diverses, permettant aux grands groupes industriels d’accroitre leur puissance. • Si les milieux d’affaires profitent de la crise , la population est lourdement affectée et malgré l’augmentation des salaires (versé fréquemment 2 fois par jour à l’automne 1923), ces derniers ne peuvent suivre l’augmentation des prix. • Entre 1921 et 1923, le pouvoir d’achat s’est contracté de 30 à 75 % suivant les groupes sociaux. Les plus affectés sont les rentiers, les retraités et la petite et moyenne bourgeoise. • D’où leur haine des hommes qui dirigent le pays et leur nostalgie de l’empire qui s’illustre par la droitisation du vote. • Tout ne va pas mal, car la crise va de pair avec une vigoureuse expansion économique, basée sur deux facteurs objectifs : la disponibilité du capital, et une main-d’œuvre abondante, résultat de la démobilisation et des déplacements de populations depuis les régions perdues, ce qui permet de maintenir les salaires bas. • La production explose et dès 1922, les chiffres de production ont atteint ceux de 1913 (pour le charbon) ou les ont même dépassés (pour le lignite) et malgré la perte de la Silésie et de la Lorraine, la production d’acier atteint déjà alors 65 % du niveau d’avant-guerre. • La situation agricole est moins réjouissante, pour cause d’ouverture des frontières et d’usure du matériel difficilement remplaçable pour nombre de petites et moyennes exploitations ou de fuites des ouvriers agricoles pour les grandes. • De grandes terres restant alors incultes, le gouvernement tente d’en forcer le morcellement et la vente, mais l’opposition des grands propriétaires rendra la réforme inefficace. • L’incapacité du gouvernement à briser cette résistance aura pour conséquence la consolidation des grands agrariens et leur rapprochement avec les grands industriels pour présenter une alternative aux « rouges » et aux « roses » au pouvoir. 3.2 — Les années de croissance (1924-1929) • Malgré les difficultés de l’immédiat après-guerre, l’adaptation de l’économie, alliée à l’amélioration de la situation internationale, va permettre à l’économie du pays de connaitre une période de forte croissance avant 1929, croissance qui va améliorer la situation politique. • Mais au début de 1924, il fallait résorber la crise monétaire, d’autant qu’il y existait alors un paradoxe flagrant entre la valeur du mark et l’état réel de l’économie que seule une réforme monétaire pouvait résoudre. • Le gouvernement décida d’émettre un mark parallèle (le rentemark), provisoire, dont la valeur serait adossée à l’économie réelle, et non à l’or, ce qui estimait-on permettrait de résorber l’inflation et d’accroitre la confiance. Une fois la valeur du mark or stabilisée, il serait supprimé. • Un institut indépendant, la Rentebank, émet en novembre 1923 3,2 milliards de rentemarks, dont la valeur est fixée à 1 rentemark pour 1 000 000 000 000 de mark. • Garantie par la propriété d’État et ayant cours légal partout au pays, la nouvelle devise s’impose sur le marché. • Disposant d’une monnaie de rechange, la Reichbank décide de briser la spéculation en fixant au tiers de sa valeur marchande la valeur du mark, détruisant les capacités financières des spéculateurs. • S’imposant de même une sévère politique déflationniste, le gouvernement procède à un défaut de paiement sur sa dette intérieure, privatisant celle-ci, remboursant les titres à 5 % en moyenne de leur valeur de départ. • Le coût politique généralement associé à une manœuvre de ce type ne sera pas très élevé, car la politique suivie va favoriser une forte expansion de l’économie. • Dès 1924, grâce à l’équilibre budgétaire, à la stabilisation monétaire et à la purge de la dette, les réserves d’or de la Reichsbank croissent, permettant à celle-ci en août 1924 d’émettre une nouvelle monnaie, le Reichsmark, dont la valeur est semblable à celle du rentemark. • Grâce au plan Dawes, l’économie se développe, en dépit des versements que le gouvernement doit effectuer. • Parmi les autres causes de l’expansion économique de 19241929, il faut compter le retour de la confiance, les gouvernements de la période se situant à droite, les investissements se font plus nombreux. • Comme l’économie s’améliore, les grèves se font plus rares et la gauche modérée abandonne la confrontation au profit de la négociation avec d’autant plus de facilité que le chômage se résorbe et le pouvoir d’achat croit modestement, mais continument. • Pour venir en aide à sa clientèle terres agricoles de l’est, les gouvernements de droite adoptent des politiques protectionnistes et interventionnistes, rendues possibles par la bonne santé des finances : garantie des achats des surplus à prix fixes, allégements fiscaux, subventions diverses et prêts à faible taux d’intérêt. • L’agriculture peut alors se développer et reprendre son retard, mais aux frais de l’orthodoxie économique et à des coûts nettement supérieurs à celui des cours internationaux. • Dans le secteur industriel, dont la récupération était visible dès 1923, l’expansion se poursuit et en 1928, la production industrielle allemande dépasse de 15 % celle de 1913. • Dans certains secteurs, l’industrie du pays est à nouveau la première au monde : chimie, optique, industries électrotechniques et mécaniques. • Les exportations remontent dès 1925 à leur niveau de 1913, entrainant le retour des investissements à l’étranger. • Outre les conditions financières déjà évoquées, l’expansion s’appuie sur certaines modifications du mode de fonctionnement des entreprises et du marché. • On note de forts investissements dans l’accroissement de la productivité, par la mécanisation et l’électrification. • Celle-ci réclame de très importants moyens, qui accentuent la tendance à la concentration capitalistique, qui prend parfois la forme de puissants oligopoles comme l’IG Farben industries, qui regroupe les trois plus grandes entreprises chimiques du pays et impose ses règles du jeu. • Cette concentration permet les investissements dans le développement scientifique, lequel peut compter sur une population totalement alphabétisée et un système d’éducation de grande qualité. • L’Allemagne multiplie les innovations au cours de la période : extraction de l’azote, essence artificielle, cinéma parlant, transmission sans fil, etc. • On constate entre 1924 et 1928 une sorte d’euphorie économique qui profite à tout le monde, de façon certes inégale, cependant. • La concentration capitalistique observée accroit la puissance politique des grands groupes industriels et provoque le retour de l’alliance entre la grande bourgeoisie et les grands propriétaires, qui avait été le socle de la puissance du Reich au début du XXe siècle. Les conséquences politiques de ce phénomène seront d’ailleurs aussi très néfastes. • Mais dès 1928, des esprits avisés, comme Schacht et Stresemann, soulignent le caractère fragile de cette croissance, qui doit beaucoup aux investissements étrangers (23 milliards de reichsmarks entre 1924 et 1929, provenant des États-Unis, du Royaume-Uni et des Pays-Bas) et aux prêts. Que survienne une crise à l’étranger et l’économie allemande s’effondrera. 4 — Politique étrangère • Une bonne partie de la politique étrangère weimarienne est liée au traité de Versailles et aux réparations, problèmes qui monopolisent les discussions internationales au cours de la première moitié d’existence de la république de Weimar. • Cependant, ces questions graduellement résolues, un climat international plus sain est de retour et l’Allemagne weimarienne, sans reprendre les positions perdues, réintègre peu à peu le concert des nations. • En juin 1919, les députés acceptent le traité de Versailles, en insistant sur le rejet de l’article 231 et des exigences concernant l’extradition des « criminels de guerre » que sont aux yeux des alliés Ludendorff, Hindenburg et quelques autres, pendant que sur le terrain, l’armée tente parfois de s’opposer aux nouveaux tracés des frontières. • À l’ouest, les forces françaises empêche toute remise en cause, mais à l’est, la présence militaire allemande et de la crainte du bolchévisme favorise une reconquête partielle de la Haute-Silésie en 1919 qui aboutira à un compromis laissant à l’Allemagne les deux tiers de la zone, le reste étant récupéré par la Pologne. • Entre 1919 et 1921, la diplomatie allemande se concentre à limiter les réparations, utilisant les désaccords entre alliés et allant jusqu’à décréter en 1921 l’incapacité de payer du pays, ce qui provoquera l’occupation par les forces de l’Entente de certaines villes, dont Düsseldorf. • Rathenau inaugure en 1922 une autre approche que celle de l’opposition frontale. Tout en déclarant être prête à assumer ses responsabilités, l’Allemagne, qui commence alors à payer, compte sur sa bonne foi pour que soit revu à la baisse le montant des réparations. • Cette stratégie aboutit à une conférence à Gênes pour discuter de l’ordre de l’après-guerre. • Si la chute du gouvernement Briand en France empêche une issue favorable concernant les réparations, la conférence aura un effet inattendu : la conclusion d’un traité entre l’Allemagne et la nouvelle URSS. • Outre les avantages de cette entente, qui permettra à l’Allemagne de contourner certaines dispositions du traité de Versailles, Rapallo provoque un vent de panique à l’Ouest, qui craint un rapprochement entre l’Allemagne et l’URSS. • C’est d’ailleurs pour Rathenau la principale raison de cette entente, car la panique devrait favoriser l’esprit de compromis des gouvernements occidentaux… • Sur ces entrefaites se produit la crise de la Ruhr : le chancelier Cuno réclame en 1922 un moratoire sur les paiements, ce qui provoque l’occupation de la Ruhr par la France en janvier 1923. • La réponse allemande est molle, soit que Berlin considère ne pas avoir le choix, soit que l’on espère que la crise provoque une détérioration de l’entente entre Paris et Londres qui faciliterait les négociations. • Le coût de cette politique est élevé pour Berlin, car au 3,5 milliards de marks consacrés quotidiennement à subvenir aux besoins de la population s’ajoute la perte des exportations vers le Royaume-Uni. • Devant ces coûts, qui provoquent l’inflation et la crise politique déjà évoquées, le gouvernement abandonne la politique de désobéissance en septembre 1923. • Mais à long terme, la crise sera positive, car la France, qui fait figure d’agresseur, est isolée, ce qui va obliger Paris à revoir ses exigences. • Dès la fin de 1923, Paris donne son accord à la renégociation des modalités des versements des réparations et se montre même ouverte à discuter du montant. • C’est le premier succès du nouveau ministre des Affaires étrangères, Gustav Stresemann, qui dominera la politique étrangère jusqu’à sa mort en 1929 et c’est le problème des réparations qui va d’abord le préoccuper. • En 1924 est conclu le plan Dawes, conclu pour cinq ans qui, sans fixer le montant des réparations, s’appuie sur le principe de la capacité de payer de l’Allemagne, qui doit aussi pouvoir développer son économie. • Le plan, qui prévoit l’évacuation de la Ruhr et la création d’une Banque Nationale indépendante dirigée par des commissaires étrangers pour gérer les réparations, s’articule autour du principe du caractère progressif des réparations, passant de 1 milliard de marks la première année à 2,5 milliards de marks à la dernière année. • Les sources des réparations sont de même identifiées, soit certaines taxes : sur le transport et sur certains produits comme l’alcool, le tabac et le sucre. • De même, le plan prévoit une hypothèque obligatoire sur les grandes entreprises et sur les chemins de fer de l’Allemagne, qui doivent verser 6 % de la valeur de leurs actions chaque année à une commission des réparations, dirigée depuis Berlin par un commissaire américain. • Au terme de l’entente, en 1929, l’Allemagne aura versé 7 milliards de marks. La perte de souveraineté que la procédure impliquait était compensée aux yeux de Stresemann par la possibilité de rétablir la confiance des États de l’ouest envers l’Allemagne. • Entre temps, Stresemann élabore à partir de 1924 sa « politique de conciliation » visant à rétablir la confiance, afin d’obtenir le plus rapidement possible la fin de la tutelle internationale sur la Rhénanie. • C’est dans cette optique que Stresemann accepte la proposition de Londres de tenir une conférence sur la paix en Europe, dans le but de réconcilier la France et l’Allemagne. • La conférence de Locarno d’octobre 1925 permettra la conclusion d’un certain nombre de traités, dont le pacte rhénan, qui considère comme définitives les frontières occidentales de l’Allemagne. • Toute l’habileté de Stresemann apparait ici : par l’abandon de l’Alsace-Lorraine, l’Allemagne fait montre de sa bonne volonté dans l’espoir de convaincre ses interlocuteurs occidentaux de revoir les frontières orientales. En outre, le traité prévoit l’intégration de l’Allemagne à la SDN. • Devant le retard de cette admission et la conclusion de pactes de garanties entre la France, la Pologne et la République tchèque, Stresemann, fait monter les enchères et en 1926, l’Allemagne signe avec l’URSS le traité de Berlin qui réaffirme les termes du traité de Rapallo... • Cette pression porte fruit et en automne 1926, l’Allemagne intègre la Société des Nations, d’où Berlin réclame dès lors l’égalité des droits. • Puis en 1928, Stresemann, lors des négociations du pacte Briand-Kellog, proposera un plan définitif de règlement des réparations, en échange de la reprise de contrôle de Berlin sur la Rhénanie. • C’est sur cette base qu’en 1929, une commission établira les modalités pour le versement du reste des réparations, soit des versements annuels de 1,6 à 2,4 milliards de mark jusqu’en 1988, pouvant être suspendu pour deux ans en cas de difficultés économiques. • Même si en retour les hypothèques obligatoires sont levées et que l’Allemagne récupère sa pleine souveraineté sur la Rhénanie, l’acceptation du plan suscitera une levée de boucliers menée par l’extrême-droite. • Après la mort de Stresemann en octobre 1929, ses successeurs tenteront de maintenir le cap de sa politique dans le contexte troublé de la crise financière, accentué par l’agitation de l’extrême-droite allemande. • Dans ce contexte, Hoover proposera un moratoire sur les réparations, avant de suggérer, en 1932, l’abandon de cellesci, après un ultime paiement de 3 milliards de marks. • Après la guerre, la RFA s’engagea à rembourser après la réunification les prêts contractés dans les années 1920 auprès de divers gouvernements et banques internationales pour s’acquitter du paiement des réparations. • C’est sur la base de l’égalité des droits que l’Allemagne défendra en 1932 son droit à réarmer si les autres États refusent de le faire. La conférence avortant, Berlin consédrera ne plus être contraint par les limitations militaires du traité de Versailles. • Ainsi, à la veille de l’arrivée au pouvoir d’Hitler, les grands objectifs que s’était fixés Stresemann sont atteints : l’Allemagne a récupéré sa souveraineté territoriale, n’a plus les mains liées par les réparations et s’est imposé comme interlocuteur de plein droit. 5 — La crise finale et l’arrivée au pouvoir du NSDAP 5.1 — Hitler et le NSDAP • Hitler est né le 20 avril 1889 dans la petite ville autrichienne de Braunau-sur-l’Inn, à proximité de Linz. Après la fin de ses études scolaires, il part pour Vienne, où il tentera sans succès de rejoindre l’Académie des beaux-arts. • De 1908 à 1913, miséreux et toujours à Vienne, il vit de petits boulots et de la vente de ses aquarelles. C’est de cette époque que date la formation de son caractère et de certaines de ses lubies, Hitler supportant mal l’idée de vivre plus difficilement que les « sous-hommes » slaves, et surtout que les Juifs, qu’il prend rapidement en haine. • Au cours de cette période, Hitler lit certains classiques de la philosophie allemande, s’intéresse aux publicistes pangermanistes et antisémites et développe une haine tenace à l’endroit de l’empire des Habsbourg, auquel il reproche de faire obstacle à l’union des Allemands. • En 1913, Hitler s’installe à Munich pour échapper au service militaire en Autriche, mais quand éclate la Première Guerre mondiale, il s’engage dans l’armée bavaroise, où il fait preuve de réelles aptitudes et obtient la Croix de fer de première classe. • L’armistice le met hors de lui et il partage le point de vue des nationalistes au sujet du « coup de poignard dans le dos ». Toute son énergie sera consacrée à partir de 1933 à venger l’honneur national et à châtier les coupables de l’infamie de 1918. • Après avoir passé encore une année dans l’armée, Hitler la quitte pour se consacrer à sa carrière politique naissante au sein du NSDAP, un petit parti extrémiste bavarois. • Peu à peu, la verve d’Hitler aidant, la situation du pays attire au parti un grand nombre de sympathisants. Hitler prend alors lentement le contrôle de l’organisation, à qui il donne ses emblèmes et son service d’ordre. • En Bavière les autorités font preuve de peu d’enthousiasme à appliquer les mesures d’exception décrétées par Berlin pour garantir la sécurité de la république. Les nazis se rapprochent alors de certaines autorités bavaroises dont certaines songent à une marche sur Berlin. • La situation incite à Hitler à se montrer plus agressif et le 8 novembre, Hitler et ses alliés rassemblent leurs hommes et profitant d’une réunion politique des principales autorités de Bavière dans une brasserie, tente un coup d’État. • Hitler parvint d’abord à s’emparer des chefs politiques du land et à se proclamer chef d’un gouvernement national, mais la résistance inattendue de la police fait échouer son coup de force. • Condamné à une peine de prison de 5 ans, il élaborera alors son programme politique, exposé dans son ouvrage « Mon combat ». • Au sortir de prison, alors que son parti est en proie à la division, il reprend son rôle de chef, avec une stratégie claire : au lieu d’essayer de prendre le pouvoir par un coup de force, il décide qu’il vaut mieux y parvenir légalement. • Les premières années furent difficiles, car, la situation économique du pays s’améliorait, les tensions internationales s’apaisaient et Hitler continuait de faire peur, au point où les autorités bavaroises lui interdisent de prendre la parole en public sur le territoire du land. • Cette situation ne dura pas, et avec la crise de 1929, son audience recommença à croitre, comme en font foi les statistiques de vente de Mein Kampf et le nombre de membres payant cotisation au parti : 27 000 en 1925, 72 000 en 1927 et 178 000 en 1929. • Ce développement de la puissance du parti fait en sorte que des hommes puissants, comme Hugenberg, commencent à s’intéresser à lui en tant qu’arme dans leur lutte contre le gouvernement et la gauche en général. • Après une certaine hésitation, car l’anticapitalisme était encore important pour de nombreux membres du parti, Hitler se laissa convaincre d’une alliance avec ces forces par des promesses de financement. • Grâce à ces fonds, il remet le parti en pleine santé financière et lui donne les moyens de ses ambitions à l’échelle fédérale. C’est à ce moment que survint le Krach boursier de 1929. L’économie allemande, très exposée, reçut de plein fouet les conséquences de l’événement. • C’est ainsi qu’entre 1930 et 1932, la gravité de la crise va favoriser l’appui populaire aux partis extrémistes, de droite comme de gauche, et entrainer l’affaiblissement des forces libérales et du système de Weimar. • Mais c’est surtout à l’extrême droite que profite la mort lente des forces politiques libérales. • Bien sûr, l’appui populaire des communistes augmente aussi, mais celui accordé aux nazis est encore plus important. • Plus encore, les milieux économiques et politiques de l’Allemagne se méfient beaucoup plus des communistes que des nazis, surtout depuis que ceux-ci ont abandonné une bonne part de leur discours anticapitaliste. 5.2 — L’effondrement économique • Toutes les économies sont frappées par les répercussions du krach de 1929, mais les symptômes varient d’un pays à l’autre • Les banques allemandes, comptant sur une bonne croissance solide, surinvesti les fonds étrangers dans des opérations à long terme et ne sont pas en mesure de les mobiliser rapidement en cas de crise. • La structure du secteur bancaire allemand, très concentrée, est aussi en cause, car il n’y a pas de distinction entre banques de dépôt et banques d’investissements. • L’épargne de la population est largement investie et les institutions ne conservent en général que 5 % en fonds de couverture. Ici aussi, les capitaux sont donc difficilement mobilisables. • Les banques allemandes sont donc surexposées à cause du risque extérieur et du risque intérieur et lorsque les investisseurs étrangers retirent leurs fonds en même temps que les épargnants d’Allemagne, elles sont menacées de faillite, contraignant la Reichsbank à venir à leur secours et ses réserves s’évaporent rapidement. • La crise de surproduction constitue l’autre facette de la crise en Allemagne, car la contraction de la demande et l’effondrement des prix frappent le secteur industriel et les exportations s’effondrent de plus de 60 % entre 1930 et 1932, suivi par la production : celle de charbon se contracte de 40 %, celle des voitures de 50 %, celle de l’acier de 60 % en deux ans à peine. • De nombreuses entreprises sont alors contraintes au dépôt de bilan, et comme le secteur bancaire et le secteur industriel en Allemagne sont étroitement liés, la faillite des premières entraine la faillite des seconds. • Le contexte politique n’aidera pas non plus, car la montée en puissance des forces extrémistes qui favorise une diminution de la confiance et accélère la fuite des capitaux. • Ces courants puisent leur force dans la détresse de la population, car l’effondrement bancaire et industriel la frappe violemment : alors que le pays ne comptait que 600 000 chômeurs en 1928, en décembre 1931, ils sont déjà plus de 6 millions, chiffre catastrophique auquel il convient d’ajouter 8 millions d’autres travailleurs en chômage partiel. • Si les ouvriers et les jeunes de 15 à 25 ans sont les premiers touchés, les faillites bancaires, qui détruisent l’épargne des classes moyennes, constituent aussi un facteur puissant de radicalisation politique de la société. • Enfin, l’effondrement des recettes, l’augmentation des dépenses liés aux allocations chômages et les plans de secours élaboré par le gouvernement vont faire gonfler le déficit public et exploser le niveau de la dette. • Le gouvernement intervient de différentes façons, expérimentant des remèdes parfois pires que les maux. • Sa première réaction, avant même l’effondrement du secteur bancaire, alors que Brüning (zentrum) occupe le poste de chancelier, c’est le recours à l’austérité budgétaire. • Refusant de dévaluer le reichsmark, Brüning doit recourir à la déflation en comprimant les dépenses (diminution des salaires des fonctionnaires, réduction des allocations de chômage et augmentation des impôts), ce qui accentue la contraction du marché intérieur. • Pour compenser l’effet de l’effondrement des exportations et maintenir une balance commerciale positive, le gouvernement impose de lourdes restrictions aux importations, rendant difficile l’approvisionnement en matière première de certains secteurs industriels, contraints de cette façon à réduire la production. • La cohabitation des classes dirigeantes de l’économie et de la politique entraine l’adoption de mesures favorisant le grand capital au détriment de la population. • Car pendant que les aides de l’État à celles-ci sont réduites, Berlin vole au secours des grandes entreprises, qui voient leur fardeau fiscal allégé. • De même, il investit massivement dans le sauvetage des banques par le biais de prêts, si bien qu’à la fin de 1931, on estime que le gouvernement contrôle 60 % du secteur bancaire du pays. Il créé alors une institution spécifique (l’Akzept) pour gérer son implication dans le secteur. • Et puisque le secteur industriel allemand est étroitement lié aux banques, l’État se retrouve alors propriétaire et gestionnaire d’une part importante des capacités industrielles du pays, en complète contraction avec les dogmes libéraux de l’équipe au pouvoir alors... • Cette situation sera pour Hitler fort avantageuse lorsqu’il prendra le contrôle de l’État, car il n’aura même pas besoin de nationaliser la production, les grands industriels ayant de toute façon les mains liées par leur dépendance financière à l’État... 5.3 — L’effondrement de la république • Parallèlement à la crise économique se déroule une crise institutionnelle qui lui est liée, sans en être complètement dépendante, car elle commence dès le début de 1930. • Elle est liée à la question du plan Young, contesté par l’extrême-droite, qui multiplie les manifestations contre le gouvernement de Müller qui, depuis la mort de Stresemann, se retrouve sur la sellette, le parti populaire allemand se rapprochant alors de la droite. • De même, devant les premières manifestations de la crise économique, les élites économiques du pays voient d’un mauvais œil le maintien d’un gouvernement socialiste. • Fin mars 1930, Müller est contraint à la démission parle Hindenburg qui, sous les conseils de ses collaborateurs ultraconservateurs, confie au centriste Brüning le soin de former un gouvernement clairement orienté à droite. • Comme il est incapable d’obtenir l’appui du DNVP d’Hugenberg, il est mis en minorité en juillet et demande au président de dissoudre le Reichstag. • Les élections qui suivent voient la déconfiture des partis républicains de droite et la victoire des forces extrémistes : le NSDAP d’Hitler, réunissant 19 % des voix, parvient à faire élire 107 députés et devient le 2e parti du Reichstag. • À gauche, même si le SPD parvient avec 24 % des voix et 143 députés à demeurer le premier parti, son appui fléchi au bénéfice du KPD (13 % pour 77 sièges). • De sorte que le 2e et le 3e parti du parlement sont désormais des partis antirépublicains et les prémisses de la confrontation KPD-NSDAP sont posées. • C’est au cours de cette campagne qu’Hitler devient un homme politique d’envergure fédérale, sa tournée électorale sur tout le territoire financée par Hugenberg lui permettant alors d’élargir son audience. Élections de 1930 • Brüning pourra compter jusqu’en 1931 sur les socialistes pour se maintenir au pouvoir, le SPD devant appuyer les politiques anti-ouvrières de ce dernier pour éviter son effondrement, provoquant une désertion de ses appuis. • Il est contraint à ce choix par la réaction de l’extrême-droite devant le succès du NSDAP, car en 1931, Hugenburg réunit à Harzburg toute l’opposition d’extrême-droite pour élaborer un programme réclamant le départ de Brüning et de nouvelles élections. • Dans ce contexte, les élections présidentielles des mars 1932 verront l’ensemble des forces pro-républicaines de gauche comme de droite se rallier à la candidature de Hindenburg à sa propre succession, le SPD préférant appuyer le vieux maréchal que le candidat du KPD. • Le simple fait qu’Hindenburg ait eu besoin d’un second tour pour être élu avec 53 % des voix illustre la baisse de popularité du système dans l’opinion publique. • Arrivé deuxième avec de 37 % des voix, Hitler s’impose comme un élément incontournable du monde politique. • À noter que le chef du KPD ne parvient à obtenir que 10 % des voix. • Brüning se maintient au pouvoir grâce à l’appui du président et en juin 1932, sous la pression des grands propriétaires terriens menacés par sa réforme agraire, il est contraint à la démission. • Se refusant à appeler Hitler à la chancellerie, Hindenburg décide de gouverner lui-même en s’appuyant sur ses collaborateurs et nomme von Papen à la chancellerie. • Formant un cabinet des « Barons », von Papen tente de domestiquer les « modérés » de l’extrême-droite en allant chasser sur leurs terres par un programme très à droite, la dissolution du Reichstag, une diminution de l’aide à la population et un plan de relance très favorable à la grande industrie. • Préférant l’original à la copie, la population donne au NSDAP ses meilleurs résultats lors des élections de juillet 1932, qui se déroulent dans un contexte de crise sociale aiguë, où nazis et communistes s’affrontent dans les rues. • Avec 37 % des voix et 230 sièges, le NSDAP devient le premier parti du Reichstag. Alors que le SPD (22 % pour 133 sièges) perd des plumes au profit du KPD (14 % pour 89 sièges), les partis de la droite traditionnelle sont littéralement laminés, seul le zentrum parvenant à résister tant bien que mal à la vague brune (12 % pour 75 sièges). • Hitler exigeant la chancellerie pour entrer au gouvernement, Papen, qui dispose d’à peine 40 voix au parlement et alors que le pays est le théâtre de grèves multiples et que la paix sociale est remise en cause par les actions violentes du NSDAP, tolérées par les forces de l’ordre, convainc Hindenburg de dissoudre à nouveau le parlement. • Les élections de novembre donnent partiellement raison à von Papen, car le NSDAP recule pour la première fois depuis 1928, peut-être signe d’un rejet d’une part de la population des méthodes violentes de ce dernier. • S’il demeure premier parti du Reichstag, ses appuis glissent à 33 % pour 196 députés. Mais comme la poussée du KPD se poursuit (17 % pour 100 députés), ces résultats sont encore plus inquiétants pour l’équipe dirigeante. • Dans ce contexte, après avoir été chassé du pouvoir au profit d’un autre conseiller du président, le colonel von Schleicher, qui tente à son tour de domestiquer l’extrême-droite, à nouveau sans succès, von Papen élabore la combinaison politique qui sera fatale à la république. • Car puisque le NSDAP semble perdre de son influence et que les communistes menacent, pourquoi ne pas proposer à Hitler de former un gouvernement de coalition avec les autres forces de droite? Élections de 1932 • Von Papen et Hitler se rencontrent le 4 janvier 1933 et mettent au point un projet de gouvernement, qui verrait Hitler devenir chancelier, appuyé par von Papen en tant que vicechancelier, croyant ainsi pouvoir contrôler Hitler. • Après avoir convaincu Hugenberg et son DNVP, von Papen présente son projet au président. • Celui-ci, après consultations, approuve le projet et convoque Hitler et c’est ainsi que le 30 mars 1933, Adolphe Hitler accepte de devenir le chancelier de la république. • À noter que contrairement à ce qui est souvent répété, l’arrivée au pouvoir du NSDAP n’est pas le fruit de la colère des masses, mais plutôt celui de la peur et de la crédulité d’élites qui n’avaient jamais vraiment d’ailleurs été très attachées au système de Weimar. • D’une certaine façon, ceux qui reprochaient aux « criminels de novembre » leur trahison de 1918 se vengent alors d’eux sur leur rejeton...