EMMY & STÉPHANE JONAS Laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » (UMR du CNRS n° 7043) Université Marc Bloch, Strasbourg <[email protected]> Friedrich Naumann et l'idée germanique de Mitteleuropa L a liste impressionnante des précurseurs de l’idée de la nécessité de réunifier l’Europe ne cesse de s’allonger sous l’influence de la naissance concrète de l’Union Européenne et de son élargissement continu et actif. L’historiographie actuelle, qui ne souhaite pas allonger cette liste en amont, avant le XIXe siècle, distingue – mais la typologie n’est pas fermée – deux types fondamentaux de précurseurs : soit des personnalités issues de la société civile (écrivains, artistes, hommes de sciences et de technique) et des hommes de la vie politique (ministres, hauts fonctionnaires, chefs de partis), soit des représentants des dynasties et des républiques des superpuissances coloniales européennes dominantes du siècle : l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France, l’Autriche-Hongrie, la Russie et l’Empire Ottoman. La situation d’avant la Première Guerre Mondiale est complexe, parce que le XIXe siècle européen est caractérisé aussi très fortement, du point de vue historique et politique, par la naissance des États Nations et par le réveil des nationalités et leur aspi100 ration à l’indépendance. À l’époque, ce puissant mouvement des peuples soumis et des nations colonisées met directement en cause l’avenir des trois empires coloniaux multinationaux et multiethniques en présence : la monarchie d’Autriche-Hongrie, l’Empire Ottoman et la Russie. En outre, ces superpuissances sont, pendant la Grande Guerre de 1914-1918, dans deux camps opposés : les empires de l’Axe, avec l’Allemagne, l’AutricheHongrie et l’Empire Ottoman, d’une part ; et les Alliés ou l’Entente, en l’occurrence la Grande-Bretagne, la France et la Russie, d’autre part. Les projets européens pour l’unification, nés au cours de la période fondamentale de1840-1915, n’auront donc pas le même poids selon que les initiatives seront issues du camp des vainqueurs ou de celui des vaincus, d’après les principes polémologiques bien vérifiés dans l’histoire de notre Vieille Europe. En outre, les deux empires centraux germaniques, successeurs élus (les Habsbourg) ou autoproclamés (les rois de la Prusse) du Saint Empire Romain Germanique, veulent unifier Emmy & Stéphane Jonas l’Europe sous leur direction. C’est là en quelque sorte l’origine de l’idée de Mitteleuropa, qu’on a parfois aussi appelé l’Europe du Milieu ou l’Europe du Centre. En réalisant autour des deux empires centraux une « Petite Europe », le monde germanique, riche et dynamique grâce à sa réussite dans le domaine de l’industrie et de l’urbanisme, cherche ainsi une place plus importante dans le concert des superpuissances européennes. Dans ce domaine, le projet de Mitteleuropa le plus important est sans doute celui de Friedrich Naumann (1860-1919), un pasteur luthérien, homme politique libéral progressiste, fondateur du Parti Démocrate Allemand (DDP). Naumann publie – courageusement – ses thèses sur l’unification de l’Europe du Milieu en pleine guerre, en 1915, dans un ouvrage intitulé Mitteleuropa1, qui devient le plus grand succès de librairie de l’année en Allemagne, malgré la réserve, voire l’hostilité, des généraux et des milieux proches de l’Empereur. Le lecteur alsacien sensible à l’histoire de sa région peut être intéressé, lui aussi, par cet ouvrage, d’autant plus que Naumann, populaire dans les milieux universitaires et les cercles libéraux de l’Alsace-Lorraine, a été en 1903 à l’origine de la fondation du parti libéral-démocrate alsacien, la Liberale Landespartei, par le pasteur luthérien, journaliste et homme politique alsacien, Georges Wolf (1871-1951), ainsi que son frère, tous deux des naumanniens convaincus. Une des figures naumanniennes les plus éminentes de l’Alsace était alors Rodolphe Schwander (1868-1950), maire de Strasbourg, un homme politique libéral de gauche, d’origine alsacienne2. De plus, la préface importante de l’ouvrage traduit en français en Suisse en 1916 – contournant ainsi la censure en vigueur en France pendant la guerre – fut écrite par une des personnalités les plus marquantes du parti socialiste (SPD) de l’Alsace , Salomon Grumbach (1884-1952), journaliste, homme politique alsacien, alors correspondant de L’Humanité à Genève. Une des caractéristiques politiques et culturelles des thèses de Naumann sur l’unification de la Petite Europe, sous la direction des deux empires centraux, est qu’il Friedrich Naumann et l'idée germanique de Mitteleuropa reprend à son compte les thèses des précurseurs allemands du XIXe siècle sur le préalable fondamental de toute réunion, qui serait d’entamer la démarche par l’union douanière et économique du monde germanique et de celui des futurs adhérents. Projets des précurseurs pour une union économique et douanière ■ Bien que pour lui le concept de Mitteleuropa fût essentiellement un concept politique, Naumann était conscient de la primauté, dans la phase de départ, de l’union économique et douanière de l’Europe centrale. De ce point de vue, il fut donc un visionnaire de l’Europe économique du XXe siècle. Dans cette voie, le premier précurseur avait été Friedrich List (1789-1846), un théoricien, économiste et publiciste allemand de la première moitié du XIXe siècle. Son idée était, d’après l’historien et politologue français Jacques Droz, de constituer dans l’Europe du Milieu un grand espace économique3. Ce grand espace servirait à faire barrière contre l’expansion de l’influence britannique sur le continent. Dans son effort pour limiter l’influence prussienne à l’intérieur des empires centraux et dans le cadre du Zollverein constitué après la Révolution de 1848, l’Autrichien Karl von Bruck, ministre du commerce extérieur du Cabinet Schwarzenberg, préconisa la constitution d’un espace douanier de plus de 70 millions d’habitants, allant de la Mer du Nord à l’Adriatique, sous direction autrichienne. D’autres, comme l’homme politique prussien Constantin Frantz, envisageaient l’avenir de la Mitteleuropa comme une fédération des peuples allemands et des nationalités qu’ils contrôlaient, sous direction prussienne. Formé par le romantisme allemand et travaillant pour la Bundschaft germanique, Frantz était convaincu de l’importance des questions économiques et douanières pour une future fédération à constituer4. Et il voyait un danger dans la politique de Bismarck de consti- tuer seulement un empire allemand, « la Petite Allemagne », excluant ainsi l’Autriche. Le poids de la question économique était reconnu, à quelques nuances près, par tous les autres précurseurs germaniques connus de l’idée de Mitteleuropa5. Nous savons maintenant que l’Union Européenne a emprunté cette même voie. Friedrich Naumann était tout à fait conscient de l’importance de la question économique dans son projet d’une union, à tel point que la moitié des chapitres concernant le sujet est consacrée aux problèmes économiques et douaniers6. Friedrich Naumann : un libéral de gauche marqué par le christianisme social ■ Les activités politiques et culturelles et les convictions sociales chrétiennes antérieures de ce pasteur protestant, devenu un chef politique, un écrivain et journaliste influent, expliquent bien la naissance de son projet d’union. Après des études de théologie à Leipzig, il est nommé en 1883 pasteur dans la Mission intérieure, à Hambourg. Il devient rapidement un leader chrétien social de gauche, épris d’un socialisme chrétien œuvrant pour une démocratie sociale7. En 1883, il crée la revue Die Hilfe, et trois ans plus tard, il fonde à Erfurt l’Association Sociale Nationale, le National-Sozial Verein, dont le sociologue Max Weber deviendra un membre actif. Le programme de cette association d’influence sociale est de tenter de concilier la pensée chrétienne avec l’Empire allemand démocratique et social8. Face au peu d’impact de son association, il s’allie avec l’Union des Libres Penseurs pour fonder le Parti Populaire Progressiste, la Fortschrittliche Volkspartei, dont il devient député au Reichstag en 1907. Il sera un théoricien libéral et démocrate écouté, et il se battra pour une société industrielle moderne, issue d’un système germanique où prédominerait la démocratie. Naumann a une activité culturelle extraordinaire. Pour rapprocher les industriels des artistes et des architec101 tes, il est le cofondateur du Werkbund, et pour combattre la Wohnungsnot, la crise du logement des travailleurs, il soutient l’Association Allemande des Cités-Jardins et il envoie un de ses proches collaborateurs, Ernst Jäckh, animer cette association9. Dans son cercle évoluent des universitaires et des savants célèbres, tels que les historiens Friedrich Meinecke (1862-1954) et Hans Delbrück (1848-1929), le théologien Ernst Tröltsch (1865-1923), le juriste Georg Friedrich Knapp (1842-1926), l’économiste Lujo Brentano (1844-1931), les sociologues Max Weber (1864-1920) et Werner Sombart (1863-1941).Cette activité débordante mine sa santé. Après la chute de l’empire wilhelminien, à la fin de la guerre de 1914-18 , et peu avant sa mort, il fonde en 1919, pour réunir les forces libérales progressistes de la République de Weimar naissante, le Parti Démocratique Allemand dont il devient le Président. Orateur brillant, sincère, volontariste, prophète de la modernité, il devient pour une courte période la bonne conscience du parlement de la République. Il meurt d’épuisement à 59 ans, dans l’Allemagne secouée par les révolutions, qui cherche sa nouvelle identité. Les ÉtatsUnis d’Europe, dont la Mitteleuropa aurait constitué le noyau fondateur germanique et continental, était au centre de sa Weltanschauung, de la vision du monde à laquelle il a consacré une vie exemplaire qui force le respect. La Mitteleuropa : un concept politique ■ La Mitteleuropa en tant que projet et concept est dès le départ, et surtout suite à la révolution de 1848, une expérience de pensée utopique et un concept politique, géopolitique et sociopolitique. Expression de la dynamique germanique continentale des empires centraux, elle doit cette formulation et sa diffusion aux Allemands et aux Austro-hongrois qui en constituent le noyau. « L’Europe centrale, observe Naumann, sera allemande au cœur : elle emploiera d’elle-même l’allemand comme langue d’affaires et langue uni- verselle, mais dès le premier jour, elle devrait faire preuve de tolérance et de souplesse à l’égard de toutes les langues voisines et participantes, afin que puisse s’élever la grande harmonie nécessaire à un État combattu et pressé de tous côtés »10. Il y a deux aspects importants de sociologie politique dans cette citation. D’une part, la situation de guerre dans laquelle le livre a été rédigé, et d’autre part le renoncement de Naumann à accorder la primauté politique à une seule nation-leader. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser tous les stratagèmes pour ne pas heurter les généraux et l’empereur. Naumann est patriote et il soutient son pays, comme le font les leaders de tous les partis importants, y compris les sociaux-démocrates et les principaux intellectuels du pays. Il en est de même dans le camp adverse, chez les Alliés. C’est la nature politique de la guerre qui lui révèle l’un des aspects fondamentaux de l’affrontement entre superpuissances, en 1914-18, à savoir qu’au XXe siècle seules les grandes puissances coalisées pourront survivre comme nations-leaders. « L’Europe centrale, écrit-il, est le fruit de la guerre. Ensemble, nous avons été enfermés dans la prison économique ; ensemble nous avons combattu : nous voulons vivre ensemble dorénavant »11. Naumann exprime ainsi le sentiment politique des libéraux démocrates et du parti du centre catholique d’être isolés sur le plan international par l’alliance entre l’Angleterre libreéchangiste, la France révolutionnaire et la Russie absolutiste. De ce point de vue, le projet de Mitteleuropa s’avère une nécessité, une réaction de défense de l’organisation des peuples de cet espace contre le péril que représentaient ces grands empires coloniaux. Rappelons aussi la position paradoxale des libéraux, des démocrates et des chrétiens qui, dès l’automne 1915, quand l’ouvrage de Naumann paraît, préparent déjà la Conférence de la Paix qu’ils pensent inévitable – et qui est alors encore une perspective de « paix honorable » entre les belligérants, et non une défaite humiliante pour les pays de l’Axe – pour sauver ce qui peut l’être… 102 Revue des Sciences Sociales, 2007, n° 37, « (Re)penser l’Europe » Le projet naumannien de Mitteleuropa est aussi un concept culturel, dans le sens sociologique du terme de Kultur, tel qu’il est entendu par le sociologue Raymond Aron, qui considère l’Allemagne comme un Kulturvolk, un peuple où la culture fait partie de l’identité politique12. Comment définir, en pleine guerre mondiale, les conditions socioculturelles d’une existence historique commune, d’une communauté de destin des deux empires centraux ? Sur cette question brûlante, la position fondamentale consiste à bien identifier les nationalités composantes dans chaque empire. La composition des Allemands de l’Empire était la suivante : Allemands, Polonais, Français (essentiellement Alsaciens et Lorrains), Danois ; et celle des Autrichiens de l’Empire : Allemands, Hongrois, Tchèques, Slovaques, Polonais, Slaves de l’Est (Ruthènes d’Ukraine) et Slaves du Sud (Slavons, Croates et Serbes)13. L’appel à la communauté de destin de l’Europe centrale avait certes alors une actualité économique et politique à cause de la dynamique germanique dans ce vaste espace continental, mais il avait aussi une dimension historique, dans la mesure où cette partie de l’Europe est l’héritière de l’Empire romain sous la forme du Saint Empire Romain Germanique : c’est à ce titre que les Germains, surtout depuis le romantisme, ont pris conscience qu’ils remplissaient ainsi une mission civilisatrice. Les pères fondateurs de la sociologie tels que Tönnies, Weber, Simmel et Sombart ont manifesté à ce sujet, sinon leur adhésion, du moins leur conviction et leur sympathie14. Une « Grande Allemagne » ou une « Petite Europe » germanique ? ■ À la suite du succès considérable du livre de Naumann auprès de l’opinion publique avertie qui souhaite la paix – plus de 100 000 exemplaires vendus en six mois et un format de poche populaire lancé la même année –, des passions paradoxales naissent dans les cercles dirigeants et dans des associa- Emmy & Stéphane Jonas tions d’influence sociale, sur l’actualité d’un projet continental restreint par rapport à la Weltpolitik. En effet, la politique mondiale du pouvoir wilhelminien avait, avant la guerre, abreuvé les Allemands d’une propagande sur la nécessité d’élever l’Allemagne au rang de superpuissance. Pour simplifier, on peut dire que le puissant complexe militaro-industriel qui profite de l’économie de guerre, associé aux partis de la droite traditionaliste pro-wilhelminienne, rejette le projet de Naumann. « Les industriels allemands, observe François Fejtö, politologue français d’origine hongroise, craignaient que le protectionnisme impliqué par le projet de Naumann ne fermât à l’Allemagne des débouchés sur le marché mondial autrement plus importants que ceux que pouvait offrir l’Europe centrale et balkanique »15. Certes, en cas de victoire allemande, la perspective du maintien du con- Friedrich Naumann et l'idée germanique de Mitteleuropa trôle étatique de l’économie pendant la période de transition qui suivrait la Conférence de Paix était un calcul plausible, mais Naumann, que les milieux politiques du Reich wilhelminien appellent aussi « l’impérialiste démocrate » à cause de ses efforts pour mondialiser la puissance économique de l’Allemagne, rejette déjà en partie ces accusations dans son ouvrage. Il revient sur cette question dans son introduction à l’édition française de 1916, en ces termes : « Toutefois, je désire profiter de cette occasion pour insister quelque peu sur deux fausses conceptions de mon but et de mes intentions, à savoir : que la diffusion de la mentalité mitteleuropéenne serait nuisible aux intérêts maritimes et coloniaux et que, d’après mon livre, l’unité économique des puissances centrales serait une idée née de dispositions agressives à l’égard de l’Europe. La première de ces opinions est plutôt spécialement allemande et la seconde est plutôt étrangère »16. Une minorité d’industriels allemands soutient cependant le projet de Naumann. C’est le cas de certains parmi les plus puissants, tels que Robert Bosch, Walther Rathenau (1867-1922) et Peter Bruckmann (1805-1937) qui, comme Naumann, pensent qu’une union douanière et économique des pays de l’Axe préserverait mieux l’Allemagne après la guerre, contre une éventuelle « guerre économique » des puissances occidentales17. Dans les milieux politiques allemands, les cercles dirigeants sont influencés par les forces conservatrices qui, suivant la tradition bismarckienne de la « Petite Allemagne » à direction prussienne, victorieuse contre la « Grande Allemagne » autrichienne à Sadowa en 1866, veulent une « Grande Allemagne » dominante sur le continent, plutôt qu’une « Petite Europe Centrale », qui Klaus Jung, Le Rhin, 1985. 3 sculptures-maquettes en carton laqué. 250 x 120 x 50 cm. Collection Frac Alsace, Sélestat. © Droits réservés. 103 reviendrait à perdre une part d’énergie pour aider la monarchie austro-hongroise, affaiblie par les questions des nationalités et par une économie de guerre ruineuse pour son industrie moins développée. Salomon Grumbach, le leader social-démocrate alsacien, souligne lui aussi, dans sa préface à l’édition française, que l’influence de Naumann est plus grande dans la bourgeoisie industrielle et commerciale, et les journaux libéraux de gauche tels que la Frankfurter Zeitung et le Berliner Tagblatt appuient avec sympathie le projet et commentent largement les débats des colloques scientifiques organisés à ce sujet par les cercles sociaux universitaires. La sociologie est aussi impliquée, puisque l’Association pour la Politique Sociale fondée par le Professeur Gustav Schmoller – et dont Max Weber, Sombart et Herckner faisaient partie – organise un grand débat contradictoire international le 6 avril 1916, sur la question du rapprochement économique des deux monarchies de l’Axe18. Double monarchie et double leadership ? ■ Dans un chapitre consacré aux questions constitutionnelles, Naumann est très clair en ce qui concerne la nature de l’Union projetée : « On doit donc parler de l’Europe centrale comme d’une union d’États, pressentie nécessaire, voire même indispensable ; comme une confédération des peuples de l’Europe moyenne »19. Néanmoins, plusieurs compétences étatiques devraient être centralisées et de nombreux foyers d’activité communs devraient être créés dans l’espace ainsi agrandi. Il s’agirait donc d’une confédération d’États indépendants. Les particularismes locaux et régionaux devraient être maintenus, ainsi que l’instruction publique. L’administration intérieure et les franchises communales ne bougeraient pas. Les lois régissant les rapports anciens entre les représentations parlementaires et la couronne seraient maintenues. En quoi consisterait alors l’Union ? Naumann est très prudent, mais à cette étape, le nœud du rapprochement est pour lui la question de « la distinction à faire entre les États nationaux et l’État économique et militaire envisagé »20. En clair : une alliance militaire et une union économique, pour commencer. Les circonstances ultérieures de la naissance de l’Union Européenne ont prouvé la justesse des vues de Naumann sur les premiers pas à faire pour rapprocher les superpuissances du XXe siècle. Pour commencer, il faudrait, selon Naumann, que l’économie et la défense commencent à déborder des limites des États nationaux (le terme est de lui). La direction commune d’une politique étrangère ne poserait ensuite pas de problèmes. Sur le plan des pays légaux, c’est donc le principe du double leadership germanique qui est préconisé. Mais la réalité de la guerre donne à l’époque le leadership principal à l’Allemagne. Cette réalité ne facilite pas la tâche de Naumann qui est néanmoins catégorique : si les puissances centrales ne veulent pas l’Union de la Mitteleuropa, elles se rendront séparément à la prochaine Conférence de la Paix. Naumann prédit qu’en cas d’absence d’un projet d’union, l’Autriche-Hongrie sera la grande perdante et risquera ainsi de disparaître. L’histoire a confirmé le pressentiment de Naumann. Laissons aux historiens le soin de trancher sur la question que voici : une Mitteleuropa constituée à la hâte aurait-elle pu sauver la monarchie austro-hongroise ? Une approche de sociologie du conflit permet peut-être d’affirmer que toute tentative de sauvetage de cette monarchie était vouée à l’échec parce qu’elle avait, pendant le demi-siècle de son existence, été incapable de résoudre la question des nationalités de son empire multinational et multiethnique. Les débats politiques les plus passionnés animèrent les deux capitales de la monarchie danubienne, Vienne et Budapest, autour du paradigme Grand État (Autriche-Hongrie) / Petite Europe (les deux empires de l’Axe) posé par le livre de Naumann. Le clivage fondamental entre les courants favorables et les opposants au projet de Mitteleuropa ne séparait pas simplement les partis bourgeois de droite et la social-démocratie de gauche, mais 104 Revue des Sciences Sociales, 2007, n° 37, « (Re)penser l’Europe » traversait chaque camp en son sein. En outre, chacune des nations composantes de la monarchie avait sa position politique propre, en fonction de ses intérêts nationaux. Naumann navigue à l’époque avec habileté entre les deux camps, mais il doit surtout prendre en considération l’existence de deux monarchies. Les débats austro-hongrois sur le concept de Mitteleuropa se compliquent aussi du fait qu’il existe déjà, depuis les années 1850, une réflexion autrichienne propre sur la nécessité de créer une union économique et douanière entre les deux empires, réflexion inaugurée par l’homme d’État précurseur Karl von Bruck. Ses représentants à l’époque de Naumann sont le professeur libéral d’économie de l’université de Vienne, Eugen Freiherr von Philippovich (1858-1917), auteur d’un ouvrage retentissant intitulé Une union économique et douanière entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie21, et le social-démocrate Karl Renner (1870-1950), une personnalité éminente de la majorité de son parti, partisan de l’union entre les deux empires de l’Axe dès avant la guerre22. Karl Renner, qui sera Chancelier d’État de l’Autriche après la guerre (1918-1920), défend, avec Viktor Adler, leader socialiste autrichien, la nécessité de l’union, à la Conférence extraordinaire de la SPD de Berlin, tout en « … condamnant une politique de force militaire ou une politique d’expansion nationaliste »23. L’aile gauche et marxiste orthodoxe du parti social-démocrate autrichien condamne violemment toute idée d’une union entre les deux empires centraux, sous la plume de l’économiste et théoricien Rudolf Hilferding, dans un article important publié en 1915 dans la revue socialiste Der Kampf 24. Pour Hilferding, tout rapprochement est à condamner du moment qu’il sert avant tout la politique militaire et protectionniste de l’Allemagne. Plusieurs historiens notent que le projet de Naumann est favorablement accueilli dans les milieux progressistes – radicaux et socialistes – de Hongrie, où son livre est traduit dès 191625. L’appui le plus précieux au projet de Naumann vient du sociologue, écri- Emmy & Stéphane Jonas Friedrich Naumann et l'idée germanique de Mitteleuropa vain et homme politique Oszkàr Jàszi (1875-1957)26. Président du parti radical, Jàszi est convaincu que l’union économique et douanière des deux empires de l’Axe pourrait favoriser la fédération danubienne dont il est un fervent partisan27. L’adversaire social-démocrate hongrois le plus virulent sera l’homme de gauche Jenö Varga, économiste bien connu qui, dans la revue berlinoise Neue Zeit du 21 mai 1915, conclut ainsi son article : « Du point de vue de la classe ouvrière on ne peut pas condamner chaque pays qui s’efforce de créer une industrie nationale. Si nous jugeons la question de l’Union douanière avec l’Allemagne de ce point de vue, la réponse de la classe ouvrière doit être négative… »28. Le « protectionnisme de gauche » de Varga deviendra, après la révolution russe de 1917, une position stalinienne de soutien inconditionnel au protectionnisme soviétique, régime totalitaire dont il sera l’économiste chevronné. Deux considérations déterminent l’adhésion ou l’opposition au projet Naumann en Autriche-Hongrie : l’alliance militaire avec l’Allemagne qui se retournera contre la monarchie austro-hongroise dans les négociations avec les Alliés dans une Conférence de la Paix à venir, et le développement économique et industriel de l’Allemagne, plus important que celui de son allié danubien, et qui sera défavorable à ce dernier, quelle que soit l’issue de la guerre, c’est-à-dire même si les puissances de l’Axe venaient à l’emporter. Le projet Naumann, l’Alsace et la France ■ La partie paradigmatique la plus discutable du livre de Naumann concerne sans doute l’avenir qu’il prévoit pour la France dans la stratégie des superpuissances assises autour de la table de négociation pour la paix. Bon polémologue pourtant, il ne voit pas encore clairement la stratégie du tiers que jouent dans ce conflit les États-Unis et le Président Wilson (qui rejoindront les Alliés en 1917), non plus que la place de la France au sein des Alliés, et la politique de ces derniers sur l’avenir de l’Alsace. Lui-même et les Nauman- niens du parti libéral alsacien29 sont pour le maintien de l’Alsace-Lorraine dans l’Allemagne après la guerre, mais avec un statut d’autonomie élargie. Ils s’intéressent au projet de Mitteleuropa parce qu’il favorise la lutte pour une meilleure représentation politique des Alsaciens au sein de l’Empire. En attendant, Naumann ne soulève pas la question de l’Alsace-Lorraine dans son ouvrage. En ce qui concerne la France, il ne la voit pas comme une future superpuissance mondiale au sein des Alliés. Certes, il ne la range pas non plus parmi les empires en déclin tels que l’empire Ottoman, et il sait que dans les négociations à venir la France posera ses conditions. En la négligeant dans l’analyse politique de l’avenir proche, il essaie sans doute de minimiser son rôle aux yeux de l’opinion publique. Il semble cependant que cette erreur d’analyse tienne plus du calcul politique que du jugement de valeur à proprement parler. La meilleure preuve en est l’accord de Naumann sur le choix de ses éditeurs français et suisses, qui se porte sur la personne du leader social-démocrate alsacien Salomon Grumbach, comme analyste politique de son essai pour le présenter au public francophone. « Salomon Grumbach, observe l’historien alsacien JeanClaude Richez, a été l’une des grandes figures du socialisme alsacien. Son itinéraire personnel est à bien des égards exemplaire de l’histoire mouvementée du mouvement ouvrier alsacien qui se développe au point de contact des deux grandes traditions socialistes allemande et française »30. Écrivain, journaliste, homme politique issu d’une famille juive de la région de Mulhouse, Grumbach a joué un rôle décisif dans l’adoption par les socialistes alsaciens de la revendication d’une République alsacienne à construire, dont il devient le porte-drapeau dès 1908, et il restera fidèle à ses engagements républicains par la suite, lorsqu’il deviendra partisan du rattachement de l’Alsace à la France. Pendant la guerre il est le correspondant de L’Humanité en Suisse, et en 1915 il termine une brochure dédiée au leader socialiste Jean Jaurès, dans laquelle il prend position pour le principe d’un plébiscite pour l’AlsaceLorraine31. La préface de Grumbach est approfondie, critique et objective. Elle ne sera pas analysée ici en détail, mais après une présentation assez élogieuse de la biographie de l’auteur, Grumbach souligne à propos de son livre que « … la véritable source de son succès, c’est le fait que dans ce livre se trouvaient cristallisées des centaines et des centaines de pensées qui remplissaient depuis le 4 août 1914 plus que jamais l’atmosphère politique des deux monarchies centrales » (p. VI). Grumbach voit bien que Naumann a pour objectif politique de souligner la nécessité de l’union économique, militaire et politique des deux puissances centrales qui tiennent à rester de grandes puissances. Il observe que « presque toutes les discussions sur Mitteleuropa sont consacrées en première ligne, souvent exclusivement, à cette question : l’union douanière entre l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie est-elle possible ? C’est devenu le véritable, voire même le seul sujet du débat » (p. VII). En présentant l’ouvrage comme une analyse politique axée sur les questions économiques, Grumbach gomme en quelque sorte son intérêt en tant que projet d’union des États centraux sans leadership unique (allemand), favorisant ainsi les critiques, surtout celles des sociaux-démocrates doctrinaires, qui accusent Naumannn de proposer aux pouvoirs centraux des idées et des stratégies protectionnistes. L’aspect le plus étonnant – et même quelque peu déroutant – de la Préface de Grumbach, c’est d’une part l’absence de critiques françaises et alsaciennes de la version allemande du livre publié un an auparavant, et d’autre part l’absence totale de la question de l’Alsace-Lorraine dans ce volume. Cela est sans doute voulu, mais même maintenant, on ne voit pas le pourquoi de cette façon de présenter l’ouvrage à l’opinion française et/ou alsacienne. Grumbach était un homme politique socialiste trop averti pour penser que le lecteur tomberait dans le piège de sa seule note ajoutée à la fin de cette préface : « Nous croyons inutile d’ajouter qu’il convient de faire toutes les réserves nécessaires au sujet des opinions 105 personnelles de Naumann touchant la politique générale de l’Entente et celle notamment de la France. Il suffit de se rappeler que l’auteur est un Allemand écrivant pour les Allemands » (p. XXVI). Nous pouvons supposer que pour les socialistes français il aurait sans doute été utile de présenter les thèses élaborées sur le concept de Mitteleuropa par un leader libéraldémocrate allemand, de même que leur critique exprimée surtout dans les rangs sociaux-démocrates et libéraux allemands et autrichiens, démocrates libéraux qui seraient peut-être des alliés après les négociations de paix. On peut aussi spéculer sur la question de savoir si en 1916 Grumbach avait déjà fait son choix de rejoindre finalement la France. Pour conclure, il faut réaffirmer l’intérêt historique et l’actualité du projet de Mitteleuropa que Naumann a élaboré et présenté en1915. Pour le soutenir, Naumann a révélé le courage de l’homme politique et de l’homme d’église en réclamant des négociations de paix auprès des belligérants. En pleine guerre mondiale, il a présenté le projet d’une « Petite Europe » dont les objectifs profonds étaient de créer en Europe centrale une fédération supranationale d’États, sous direction germanique certes – allemande et autrichienne –, mais comprenant des nationalités voisines multiples. Sur le plan politique, il s’agissait aussi d’un projet visant à maintenir l’ensemble germanique au rang de superpuissance, afin qu’elle puisse rivaliser par son espace et par sa masse avec les autres superpuissances, disposant de colonies importantes, et de surcroît coalisées en tant qu’Alliés, lesquelles semblaient déjà en 1916 devoir être les futurs vainqueurs de la Première Guerre Mondiale. En volant au secours de la monarchie d’Autriche-Hongrie, Naumann visait aussi à résoudre les questions des nationalités et à contribuer ainsi à la naissance et à la survie ultérieure de nouveaux États-Nations en Europe. C’est pour nous aussi une question d’actualité, depuis la chute du Mur de Berlin et la décomposition des systèmes totalitaires modernes. Peut-on reprocher à Naumann de raisonner, pour construire une fédération d’États indépendants en Europe centrale, en termes de superpuissances ? L’Histoire lui a donné raison. Les traités de Versailles et du Trianon ont été négociés par les superpuissances coloniales anciennes et établies : l’Angleterre et la France, alliées à celle qui montait, les États-Unis d’Amérique du Nord. Dans cette bataille – provisoire – des superpuissances dominantes, deux ont mordu la poussière et ont disparu : la monarchie austrohongroise et l’empire ottoman. Une troisième, en l’occurrence la Russie, s’est transformée en un puissant système totalitaire. Trente ans plus tard, et après à une seconde guerre mondiale, le projet de créer une Union Européenne a non seulement resurgi, mais il est devenu opérationnel, par un de ces renversements d’alliances dans le jeu des superpuissances dont les peuples européens ont le secret. Le pivot de cette construction initiale de l’Europe n’a pas été une « Petite Europe » sous direction germanique, comme l’avait rêvée Naumann, mais une Petite Europe sous direction franco-germanique, entourée de petits et grands États-Nations intéressés et parti-prenants, comme il l’avait imaginée dans un autre contexte. Cette Petite Europe devient, sous nos yeux, une grande Union Européenne qui présuppose l’accord des superpuissances anciennes et nouvelles, comme l’avait vu Naumann trente ans plus tôt. Naumann était non seulement un grand visionnaire, mais aussi un grand précurseur d’un « Nouvel Ordre », dans une Europe dont la véritable réunification reste cependant à construire. 106 Revue des Sciences Sociales, 2007, n° 37, « (Re)penser l’Europe » Notes 1. F. NAUMANN, Mitteleuropa , Georg Reimer Verlag, Berlin, 1915. 2. F. IGERSHEIM, L’Alsace des notables, 1870-1914, BF Editions, Strasbourg, 1981 ; S. JONAS (Dir.), A. GERARD, M.N. DENIS, F. WEIDMANN, Strasbourg, capitale du Reichsland Alsace-Lorraine et sa nouvelle Université, 1871-1918, Editions Oberlin, Strasbourg, 1995 ; E. HEUSSKNAPP, Souvenirs d’une Allemande de Strasbourg, 1881-1934, Editions Oberlin, Strasbourg, 1996. 3. J. DROZ, L’Europe Centrale; évolution historique de l’idée de „Mitteleuropa“, Editions Payot, Paris, 1960. 4. C. FRANTZ, Die deutsche Föderation, Leipzig, 1851. 5. H.C. MEYER, Mitteleuropa in German Thought and Action, La Haye, 1955. 6. Les chapitres de l’ouvrage se suivent ainsi: 1. La guerre en commun et ses conséquences ; 2. L’Europe centrale au cours de l’histoire ; 3. Confessions et nationalités ; 4. Le peuple économique de l’Europe centrale ; 5. Problèmes économiques communs de la guerre ; 6. Dans l’économie mondiale ; 7. Questions douanières ; 8. Questions constitutionnelles ; 9. Notes statistiques et historiques ; 10. Bibliographie. 7. Th. HEUSS, Friedrich Naumann. Der Mann, das Werk, die Zeit, Siebenstern Taschenbuch Verlag, München und Hamburg, 1968 (3e édition); voir aussi la notice biographique par S. Jonas in Strasbourg, capitale…, op.cit., p. 240-241. 8. F. NAUMANN, Demokratie und Kaisertum, Leipzig, 1900. 9. S. JONAS (Dir.), Les cités-jardins du Mitteleuropa, Editions Images Hongroises, Budapest, 2002, (en français). 10. F. NAUMANN, Mitteleuropa, (1916), op.cit., p.100. 11. Cité par J. DROZ, Europe centrale..., op.cit., p. 20. 12. « La nation allemande est un peuple de culture (Kulturvolk).La puissance est certes le but, mais elle est aussi condition du rayonnement de la culture. Vis-à-vis des générations à venir, l’Allemagne, en tant que grande puissance, est responsable de ce que sera la culture de l’humanité. » (R. ARON, Les étapes de la pensée sociologique, Gallimard, Paris, 1967, p.645). 13. Entre l’édition allemande d’octobre 1915 et l’édition française de 1916, la Bulgarie a rejoint l’Axe. C’est pourquoi, dans l’édition française figure une annexe conséquente de 80 pages sur le thème de la Bulgarie et l’Europe centrale. 14. Il faut rappeler que tous les fondateurs allemands – et français – de la sociologie ont pris une position nationale pour sou- Emmy & Stéphane Jonas Friedrich Naumann et l'idée germanique de Mitteleuropa tenir la guerre, parfois partiellement et en la critiquant . Dans la bibliographie de leurs publications, on parle pudiquement à leur sujet « d’ouvrages de circonstance ». 15. F. FEJTÖ, Requiem pour un empire défunt ; histoire de la destruction de l’AutricheHongrie, Lieu Commun, Paris, 1988, p. 192. 16. F. NAUMANN, L’Europe Centrale (Mitteleuropa), Editions Delachaux et Niestlé, S.A. Neuchâtel et Librairie Payot, Paris, 1916, p. 7. 17. J. DROZ, Europe centrale…, op.cit., p. 209 et 210. 18. F. NAUMANN, L’Europe centrale…, op.cit., Préface de S. GRUMBACH, p. XIII. 19. Idem, p. 232. 20. Idem, p. 249. 21. E. PHILIPPOVITCH, Ein Wirtschaftsund Zollverband zwischen Deutschland und Oesterreich-Ungarn, Leipzig, 1915. 22. K. RENNER, Oesterreichs Erneuerung, Wien, 1916. 23. S. GRUMBACH, Préface, in op.cit., p. XXII. 24. Idem, p. XXIII-XXIV. 25. F. NAUMANN, Középeuropa, Budapest, 1916, (traduit en hongrois par Madame Andor Kintz). 26. K. IRINYI, A Naumann –féle Mitteleuropa tervezet és a magyar politikai közvélemény, (Le projet de Mitteleuropa de Naumann et l’opinion publique politique hongroise), Akademiai Kiado, Budapest, 1963. 27. O. JASZI, Magyarorszàg jövöje és a Dunai Egyesült Allamok, (L’avenir de la Hongrie et les États-Unis Danubiens), Budapest 1918. 28. S. GRUMBACH, Préface, in op.cit., p. XXIII. 29. En 1907, le nouveau parti libéral démocrate compte 24 groupes en Alsace, avec environ 9.000 adhérents. Mais il est constitué de deux tendances ; l’aile gauche naumannienne est dirigée par le Président alsacien Georg Wolf (1871-1951), et affiliée au Parti Progressiste allemand fondé par Naumann ; l’aile droite est dirigée par le Vice-président vieil-allemand Fritz van Calker, professeur d’université, et affiliée au Parti National-libéral . 30. Voir la notice biographique de J. C. RICHEZ sur S. Grumbach, in J. C. RICHEZ, L. STRAUSS, F. IGERSHEIM, S. JONAS, Jacques Peirotes et le socialisme en Alsace, 1869-1935, BF Editions, Strasbourg, 1989, p. 97-101. 31. S.GRUMBACH, Le destin de l’AlsaceLorraine, discours d’un socialiste à deux nations, Neuchâtel, 1915. 107