conséquences du dérèglement climatique sur les infras-
tructures, les chaines de valeur, l’approvisionnement
en eau… qui apparaissent déjà mais ne sont pas pris
en compte par les marchés nanciers. Le second est le
«risque carbone » : atteindre nos objectifs climatiques
suppose de désinvestir progressivement des énergies
fossiles qui vont être soumises à des contraintes (régle-
mentaires, d’image, de rentabilité…) et des taxes de
plus en plus élevées et présentent donc dès maintenant
un risque nancier et ce à tous les stades – extraction,
production, distribution, consommation.
Récemment des acteurs financiers puissants ont
commencé à prendre difrentes initiatives pour rendre
compte de leur risque carbone et réorienter leurs in-
vestissements. Ainsi de grands gestionnaires d’actifs
prennent des engagements climatiques au sein d’ini-
tiatives internationales, comme le Montreal carbon
pledge2 ou la Portfolio decarbonization coalition3. Des
fonds d’investissement évaluent l’impact carbone de
leur portefeuille d’investissements. Le Fonds souverain
norvégien commence à sesengager des entreprises
du secteur des énergies fossiles. Les régulateurs nan-
ciers se saisissent de la question. Le gouverneur de
laBanque d’Angleterre et président du Conseil de
ne « trajectoire 2°C », c’est là le chemin
que doit poursuivre impérativement l’économie mon-
diale, sous peine de subir des coûts humains et écono-
miques qui seraient bien supérieurs aux investisse-
ments à engager aujourd’hui pour réaliser cette
transition. Cette formidable mutation suppose des
transferts massifs d’investissements : des énergies fos
-
siles vers les énergies décarbonées mais aussi de la
production d’énergie vers la maîtrise de sa consom-
mation. Ces programmes d’investissements doivent en
outre intégrer la prévention des catastrophes dites
naturelles et la nécessaire adaptation des populations
et des infrastructures aux effets du changement cli-
matique. Au niveau mondial, il s’agit d’investir des
trillions de dollars chaque année dans les secteurs de
l’énergie, de l’urbanisme, du transport, de l’eau, de
l’agriculture et de la forêt. Le rapport New Climate Eco-
nomy
1
, évalue les besoins en infrastructures décarbo-
nées sur la période 2015-2030 à 93 trillions de dol-
lars. Ce montant, colossal, ne dépasse en fait que de
5trillions, soit 6%, le besoin tendanciel, sans prendre
en compte les surcoûts inévitables liés aux consé-
quences des chocs climatiques d’un monde à +4 de-
grés. Il s’agit donc d’abord d’organiser une réalloca-
tion des investissements actuels des actifs les plus
carbonés vers des actifs contribuant à la décarbona-
tion de notre économie.
SE DÉSINVESTIR DES ÉNERGIES FOSSILES
Ces trillions de dollars nécessaires pour la mutation
de l’économie supposent un recours massif à la -
nance prie, qui commence à prendre conscience des
risques nanciers associés aux enjeux climatiques et
à se mettre en mouvement. Ces risques sont doubles.
Le premier est le risque climatique à savoir les
PAR
ALAIN GRANDJEAN
ASSOCIÉ-FONDATEUR,
CARBONE 4
PAR
MORGANE NICOL
MANAGER,
CARBONE 4
Pourquoi et comment
compter le carbone dans
le nancement de projet
Les acteurs nanciers, de plus en plus sensibles aux enjeux climatiques,
ne pourront faire évoluer leur prise de décision que s’ils disposent de
thodes et d’outils d’évaluation pertinents. Dans le domaine du nan-
cement des infrastructures, c’est chose faite.
U
Des fonds d’investissement
évaluent l’impact carbone de leur
portefeuille d’investissements
FINANCE & GESTION JANVIER 2016
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DOSSIER
Comment la nance prend-elle en compte l’environnement ?
seuil maximal d’émissions annuelles induites par les
projets qu’ils nancent : au-delà de ce seuil les projets
ne sont pas nancés. Cette méthode permet également
de comparer l’impact carbone de deux projets concur-
rents répondants au même besoin. Par exemple les
émissions évitées par un projet de tramway par rap-
port à un projet de bus à haut niveau de service dépen-
dront fortement de la zone géographique d’implanta-
tion, du nombre de passagers transportés et du lieu de
fabrication du matériel roulant.
L’évaluation de lempreinte carbone se fait en cohé-
rence avec la norme internationale ISO14064, avec
les règles du bilan carbone de l’ADEME et du référen-
tiel GHG Protocol. Elle évalue les émissions de GES
directes et indirectes du projet. Dans le cas d’un projet
greeneld autoroutier, par exemple, la méthode prend
en compte les émissions de GES induites par : la
construction de l’infrastructure – émissions liées à la
fabrication du bitume et du ciment, et à la combustion
du carburant utilisé par les engins de chantier notam-
ment ; l’exploitation de l’infrastructure – émissions
liées à la maintenance et à la consommation d’électri-
cipour l’éclairage et les auvents de péage ; et l’usage
de l’infrastructure – émissions liées à la combustion
de carburant par les véhicules lourds et légers utilisant
l’autoroute.
Les émissions évitées par le projet se calculent comme
la différence entre les émissions de GES induites par le
projet et les émissions qui auraient été générées dans
un snario de référence, repsentant le plus souvent
la situation avant projet. Un projet de centrale éolienne,
par exemple, remplace une situation avant projet ca-
ractérisée par le contenu carbone moyen de l’électrici
dans le pays d’implantation : il permet donc d’éviter
des émissions de GES. Un projet de transport en com-
mun remplace une situation de référence caractérisée
par le mix des moyens de transport auparavant utilisés
par les futurs usagers du projet.
En comparant le total des émissions annuelles in-
duites par un projet par rapport à un autre projet ou
par rapport à un seuil maximal d’émissions, et en ana-
lysant si telle infrastructure permet d’éviter des émis-
sions de GES qui auraient é émises si le projet n’avait
pas existé, les acteurs nanciers sont ainsi capables de
réorienter leurs nancements des actifs les plus carbo-
s vers les actifs contribuant à une décarbonation de
l’économie. Ils limitent ainsi leurs risques nanciers
liés aux enjeux du changement climatique.
Stabilinancière4, Mark Carney, a déclaré que son
mandat de superviseur doit maintenant intégrer la
demande d’informations sur le management de ce
risque à tous les acteurs nanciers.
INVESTIR DANS DES INFRASTRUCTURES
RÉSILIENTES FACE AUX ENJEUX
DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Une grande part des trillions de dollars à investir
dans la carbonation de l’économie doit être oriene
notamment vers le financement d’infrastructures
énergétiques, de transport et d’urbanisme. Il faut donc
pouvoir les distinguer méthodiquement selon leur
impact en termes de réduction des émissions de GES
mondiales.
Cette mesure de « l’impact carbone » d’un projet
d’infrastructure permet de piloter l’allocation de son
portefeuille d’actifs et des ses nancements vers les
projets les moins à risque carbone et contribuant le
plus à la décarbonation de l’économie ; elle permet
aussi de rendre compte de l’empreinte carbone de son
portefeuille d’actifs infrastructures, et donc de son
risque carbone, à ses actionnaires et clients.
Si le premier objectif est couvert par les banques de
développement, grâce à la méthodologie décrite dans
le paragraphe suivant, le second objectif de reporting
de l’impact carbone d’un portefeuille d’actifs infras-
tructure est encore peu couvert.
COMPTER LE CARBONE INDUIT ET ÉVITÉ
PAR LES PROJETS D’INFRASTRUCTURES
Engagée de longue date dans la cause climatique et
confronté à cette question, l’Agence Française du
Développement (AFD) a mis au point une méthodolo-
gie pour mesurer systématiquement les émissions de
GES induites et évitées par les projets d’infrastructures.
L’AFD peut maintenant évaluer la part de ses nan-
cements induisant des co-bénéces climatiques, qui
s’élève actuellement à 50%. Elle a en outre, au sein
d’un club de banques de veloppement (l’IDFC), dont
elle tient la vice-présidence, co-animé un groupe de
travail conduisant à l’établissement d’une nition
d’un actif « climat » (c’est-à-dire contribuant à la ré-
duction des émissions de GES) acceptée par l’ensemble
de ces banques. Dès lors elles peuvent s’engager sur
des objectifs de part croissante de projets positifs pour
le climat. C’est un levier clef pour la lutte contre le
changement climatique : les banques de développe-
ment, à commencer par les multilatérales, inuencent
largement les décisions des acteurs privés qui co-in-
vestissent à leur côté.
La méthode consiste à évaluer, dès le début du pro-
cessus d’instruction des financements potentiels,
l’empreinte carbone des projets sur toute leur durée
de vie, et les émissions de GES évitées par ces projets
sur leur durée de vie.
Les acteurs financiers se servent de cette mesure
pour accepter de participer au nancement d’un pro
-
jet d’infrastructure. Certains acteurs ont inclus un
1. Issu d’une année de travaux présidés par
l’économiste Nicholas Stern et l’ancien président du
Mexique Felipe Calderon, voir La nouvelle économie
climatique, Les Petits matins, 2015
2. Voir http://montrealpledge.org/
3. http://unep.org/pdc/
4. http://www.bankofengland.co.uk/publications/
Pages/speeches/2015/844.aspx
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