Économiste - ARUC-ÉS

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L’économie sociale comme
disciplines scientifiques et
pratiques socio-économiques
Benoît Lévesque,
professeur associé
UQÀM
[email protected]
CSE Hub
Montréal, le 13 novembre 2006
1
Plan de l’exposé
• De l’utopie à des approches
disciplinaires
• ÉS: des pratiques contrastées misant
sur la convergence (France et Québec)
• Constructions théoriques pour l’analyse
de l’ÉS
2
De l’utopie à des disciplines
dites scientifiques
3
Théorisation de la sphère politique et
de la sphère économique
Théorie politique
(État: le contrat
social)
Théorie économique
(Marché: main invisible)
Théorie sociale
(société= totalité)
Machiavel (1516)
Hobbes (1651)
(Absolutisme)
Mercantilisme
Utopie
Thomas More (1512)
(Communauté)
Libéralisme politique Libéralisme économique
Locke (1690)
Mandeville (1714)
Montesquieu
Smith (1776)
Socialisme utopique
(Owen, Fourrier,
S.Simon)
Science politique
Sciences sociales
Science économique
4
Deux utopies?
•
Libéralisme
–
–
–
–
Raison (une science)
Nature (des choses)
Individus
Démonstration a
postériori
•
Utopisme
–
–
–
–
Raison (une science)
Nature (de l’homme)
Association
Construction a priori
• Désordre actuel
• Proposition (utopie)
Construction faisant
appel à l’imaginaire..
5
Sociologie et économie sociale
•
Le Play (1806-1882)
–
–
–
–
–
•
Weber (1864-1920)
– Sozialokonomische Wissenschaft (à partir de 1904)
–
•
•
•
Événements économiques: Institutions à des fins économiques
Phénomènes économiques (religion) mais pertinents économiquement
•
Phénomènes conditionnés par l’économie
Wirtschaftssoziologie (à partir de 1910)
Durkheim (1858-1917) lors de son séjour en Allemagne (1886) –
–
•
Économie politique: les lois naturelles
ÉS: sc de la paix et de la vie heureuse, les rapports volontaires et contractuels,
amélioration de la condition physique et morale de la population
Crée la Société d’économie sociale (1856-1914)
Expositions universelles de Paris (1855; 1867)
Revue: La Réforme sociale (1881)
Économie sociale (Volkswirtschaft) - instiutionnalisme allemand
Autre définition de l’économie: histoire, institution, fait moral
Socio-Economics (Etzioni)
6
Science économique et ÉS
• Charles Gide (1847-1932)
– Économiste:
• Avant: ÉS une approche alternative
• Après: ÉS une approche complémentaire à la SÉ
– Acteur d’économie sociale: Expo U de Paris
– Acteur coopératif (1886): École de Nîmes, FNCC (1902),
unification du mouvement coopératif (1912), etc.
• Léon Walras (1834-1910)
– ÉS: « la partie de la science de la richesse qui traite de la
répartition de cette richesse entre les individus et l’État et qui
a recours au principe de justice » et non pas « de la charité, de
la fraternité, de l’association libre »…
• Social Economics (Gary Becker) - économie du social
7
Des pratiques contrastées et
portées par diverses inspirations
(les cas français et québécois)
8
Reformulation de l’utopie?
• Quatre écoles d’ÉS (1890-1920)
• École socialiste (Jaurès)
• École libérale: self help des individus et avantages
économiques
• École social chrétienne: doctrine sociale de l’Église (1891)
• École solidariste: une république coopérative (Gide)
• De l’utopie à la troisième voie (recentrage sur la
coopération)
• De l’économie sociale à la coopération comme finalité
– De la « communauté » à la République coopérative (État
comme forme de coop.)
– De la République coopérative au secteur coopératif (1932) à
côté d’un secteur public (la coopération comme intérêt
général)
• De la coopération comme moyen: visions socialiste,
chrétienne et libérale
9
Retour de l’économie sociale
•
1975 = une demande des coopératives et mutuelles
• Réaménagement des rapports avec l’État (ex. mutualité)
• Coopératives et mutuelles en concurrence avec le privé
• Besoin d’ajustement législatif + financement externe
• Recherche d’un sens: mort de l’utopie de la république
• Choix du terme ÉS: référence historique
• Soutien socialiste (Rocard, Delors), crise du marxisme
• Longue démarche de concertation entre parties prenantes
• Stratégie de reconnaissance
– Entre les grands secteurs (coopératives et mutuelles)
– Par les pouvoirs publics français (1981: Délégation IM à l’ÉS*)
– Par la CEE, le BIT, le CIRIEC International et autres pays (1978)
10
Forces centripètes et forces centrifuges
M
M 1852, 1898
C 1894
Associations
A 1901 ÉS
multifonctionnelles
C
A
S 1884
1800-1850
1850-1901
ÉS
ÉSol
S
1890-1920
1920-1970
1980-2000
Conjoncture politique
Conjoncture économique
Lévesque d’après Vienney
11
Tensions et relance de l’ÉS (1990-2000)
• Pour un statut européen d’ÉS
– « Chacun pour soi » (voir J. Delors)
– Un statut coopératif européen
– Mutuelles et associations sans reconnaissance spécifique
• Remobilisation à partir de l’Économie solidaire (1990)
– La problématique de l’Économie solidaire, opposition à ÉS instituée*
– Promoteurs: NMS, Parti vert et initiatives locales
– Secteurs: ÉS émergente et des services relationnels
•
•
•
•
Entreprises d’insertion
Services de proximité
Entreprises sociales et coopératives de solidarité
Alternative plutôt que complémentarité
• Vers un compromis (2000): l’Économie sociale et solidaire?
– Délégation interministérielle
– Revue internationale de l’ÉS
– CIRIEC France
12
Contexte québécois d’émergence
et de reconnaissance
• Contexte global
– Le modèle québécois de développement volontariste et
corporatiste
– Une structure économique plurielle: importance des entreprises
collectives (sociétés d’État et coopératives)
– Syndicats forts, groupes communautaires et de femmes
– Concertation ponctuelle: les sommets, forums (ex. emploi), états
généraux, colloques (coopération, monde rural, communautaire,
etc.)
• Contexte immédiat: Sommet sur l’économie et l’emploi (1996)
– Concertation pour un déficit zéro et pour emploi
– Partenaires sociaux traditionnels + femmes et communautaires
– Chantiers sur six mois dont un Groupe de travail sur l’ÉS
13
Compromis fondateur = ÉS émergente
•
•
•
•
•
•
•
•
Gouvernement: coupure budgétaire et création d’emploi
Groupes communautaires: une composante à part entière
Groupes de femmes: emplois de qualité + lutte vs pauvreté
Coopératives: une légitimité nouvelle + crainte pour l’image
Syndicats: non substitution d’emploi + emplois durables
Patronat: oui à une réduction de l’État, découverte de l’ÉS
« Action communautaire autonome »: refus d’être dans ÉS
En conséquence, un plan de développement de l’ÉS
–
–
–
–
–
–
–
ÉS marchande + non marchande
ÉS émergente, projets pilotes ou déjà expérimentés
Insertion, un type d’ÉS parmi d’autres
Objectifs: création d’emplois et répondre à des besoins non comblés
ÉS partie prenante du modèle de développement
« Action communautaire autonome » = financement à part
Groupes de femmes: un Fonds de lutte à la pauvreté par la
réinsertion par le travail
14
Plan de dév. du GTÉS: ÉS émergente (1996-2001)
•
Développement de l’ÉS émergente
– 300 projets principalement dans secteurs émergents (coopératives et
associations)
– Identification des groupes promoteurs
– Objectifs: 20 000 emplois
•
Des outils de développement
–
–
–
–
•
Capitalisation: RISQ
Formation : CSMO-ESAC
Recherche: ARUC-ÉS
Ressources techniques pour suivi et accompagnement
Une structure souple de gouvernance
– D’abord pour deux ans (1996-1998), relève du premier ministre
– Soutien du Mouvement Desjardins et du CCQ
– En 1999, cette structure se transforme en « organisme autonome »
• Refus du CCQ d’en faire partie
• Représentation des syndicats
• Représentation des CRES
• Représentation des secteurs d’ÉS émergente
15
Une définition = ÉS « inclusive »
• La question de la définition
• La définition institutionnelle québécoise: trois éléments
– Une définition de l’économie et du social
• de l’économie: substantive (inclusion du non marchand)
• du social: bien-être et citoyenneté
– Des principes éthiques
• Inspiration wallonne
• Inspiration coopérative
– Des statuts juridiques: coopératives, mutuelles et associations
• Pour l’inclusion de l’ÉS émergente
– Québec: une définition inclusive mais un mandat et un plan de
développement pour l’ÉS émergente
– Canada: une partie de l’ÉS émergente: cohésion sociale et lutte contre
la pauvreté
16
Constats concernant la période 1996-2006
•
Acquis (bilan à faire)
–
–
–
–
–
•
Reconnaissance de l’ÉS par les gouvernements et la plupart des composantes
Développement et consolidation des entreprises et organisations d’ÉS
Nouveaux outils, notamment dans le domaine du financement
Recherche universitaire sur l’ÉS et les coopératives (chaires et ARUC)
Rayonnement international (nord-sud
Tensions plus structurelles qu’idéologiques
– Entre le mandat initial (développement de l’ÉS émergente) et une définition dite
inclusive de l’ÉS
– Entre la mission du CCQ et celle du Chantier de l’ÉS
• CCQ regroupement sur la base du statut juridique, monopole de la
représentation des coopératives (acquis de longue date et reconnu)
• Chantier ÉS dont la mission prolonge le mandat du GTÉS de 1996,soit assurer
la promotion et le développement l’ÉS émergente (associations et
coopératives)
• Tension accentuée par la mise sur pied d’outils dédiés à l’économie sociale
– Au sein de l’appareil administratif de l’État: Direction des coopératives et Bureau
de l’économie sociale
– Entre le Québec et le Fédéral concernant la définition et le rôle de l’ÉS
– La résolution nécessaire des conflits les plus manifestes et immédiats ne fera pas
disparaître les tensions structurelles génératrices de conflits
17
FIGURE 1: SYST ÈME COOPÉRATIF QUÉBÉCOIS D ’INNOVATION
•
.
RECHERCHE:
Chaires, IRECUS,
Centre Desjardins (HÉC)
CIRIEC, Fondation de
l’entrepreneurship ,
Direction des coop
CCQ
SERVICES AUX ENTREPRISES COOPERATIVES:
Fédérations sectorielles
CDR, GRT, CLD, MCE,
ORION,Tandem, RQCCT
et alii,
regroupements
sectoriels+ territoriaux
entreprises et organisations
coopératives
FORMATION ET
ÉDUCATION:
Fondation de l ’éducation
à la coopération, CDR,
GRT, Entente avec CSQ,
Programmes universitaires
MDEIE
Direction des
coopЋratives
FINANCEMENT:
CRCD (Desjardins), RISQ,
RIC, Fiducie, FIER-Région,
Fondaction (CSN),
Filaction, Investissement
Québec
Lévesque, 2005
18
FIGURE 4: SYSTÈME QUÉBÉCOIS D’INNOVATION EN
ÉCONOMIE SOCIALE (ÉMERGENTE)
•RECHERCHE:
.
ARUC-ÉS, Réseau
québécois de recherche
en ÉS, Chaires, IRECUS,
CIRIEC, Fondation de
l’entrepreneurship,
SERVICES AUX ENTREPRISES D’ÉS:
Regroupements sectoriels
CDEC, SADC, CLD, CDR,
GRT, RQCCT, MCE etalii,
CHANTIER DE L’ÉS
regroupements
sectoriels+p ôles régionaux
entreprises et associations
FORMATION ET
ÉDUCATION:
CSMO-ÉSAC, Chantier,
Programmes universitaires
MDEIE
Bureau de
lХЋ
conomie sociale
(Ћquipe)
FINANCEMENT:
RISQ, RIC, Fiducie, FIERRégion, Filaction, Caisse
d’Économie Solidaire,
Investissement Québec,
Fondaction (CSN), Fonds
de solidarité,
Lévesque, 2003
19
Comparaison France-Québec
Modèle français
Modèle québécois
Initiative
Regroupements coopératifs, mutualistes
État québécois et cadre
corporatiste
Contexte
politique
Socialisme renouvelé des Reconfiguration de l’État
années 1970-80 puis verts interventionniste (1995)
Définition de
L’ÉS
Statuts juridiques
Statuts, éthique et
économie substantive
« Plan » de dé- ÉS mature et émergente
veloppement
(consolidation des secteurs)
ÉS émergente (emplois et
demandes nouvelles)
Instance de
Un comité de liaison des
gouvernance secteurs + délégation
interministérielle
GTÉS puis Chantier
comme maïtre d’œuvre du
plan de développement
Outils
Renforcement des outils
existants
Nouveaux outils pour ÉS
émergente
Tensions
structurelles
Économie sociale vs
économie solidaire
CCQ et Chantier,
définition vs plan de 20
dév.
Constructions théoriques pour
l’analyse des pratiques d’économie
sociale
21
Pour une analyse d’une configuration
sociétale ou sectorielle
• Contexte historique et immédiat
• Compromis et reconnaissance institutionnelle de l’ÉS
– Acteurs, définition adoptée, stratégie de développement
• Composantes de l’ÉS
– Les entreprises et organismes
• Coopératives, mutuelles et filiales
• Associations avec activités économiques
• Autres formes d’entreprises et organismes
– Les regroupements intersectoriels et sectoriels
• Politiques publiques et stratégie de développement
– Programmes de développement de l’ÉS
– Stratégie et outils de développement
• Place de l’ÉS dans le développement économique et
développement social
22
Diversités des constructions
théoriques (1)
•
•
Par les composantes (statuts juridiques) et les acteurs de la
combinaison entreprise/association (Desroche).
Par les acteurs, les activités et les règles (Vienney)
• Activités nécessaires mais délaissées
• Des acteurs relativement dominés
• Règles pour domestiquer le marché (acteurs et combinaison
entreprise/association
•
Les valeurs: équité, entraide (Defourny)
•
•
•
•
•
Finalité de service aux membres ou à la collectivité (n- profit)
Autonomie de gestion
Processus démocratique
Primauté des personnes sur le capital dans la répartition du profit
Co-construction de l’offre et de la demande + hybridation des
ressources (Laville)
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Diversités des constructions
théoriques (2)
• Néo-institutionnalisme: coûts de transaction, relations
d’agence, droits de propriété, théorie des jeux (faillite du
marché et de l’État) - Hansmann
• Approche des conventions: ÉS comme compromis entre
conventions (civique, domestique, marchande, inspirée, de
l’opinion, de projet) - Enjolras, Thévenot
• Approche de la régulation: compromis institutionnel, mode
de régulation, modèle de développement - Lipietz
• Approches évolutionnistes: trajectoire, sentier de la
dépendance, apprentissages collectifs, etc.
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Diversités des constructions
théoriques (3)
• Contexte (modèle de développement)
• Acteurs collectifs et individuels: projet (NMS)
• Forme institutionnelle (régulation)
• Forme organisationnelle (conventions)
• Evaluation (performance économique et sociale)
25
Conclusion
• Dans une société ou une région donnée, prédominance
d'une définition institutionnelle douée d'une certaine
stabilité. En revanche, quelque soit la société ou la région,
les chercheurs peuvent se donner des définitions
différentes selon les approches théoriques adoptées.
• Pour une approche socio-économique ou institutionnaliste;
toute économie est sociale, y compris l’entreprise
capitaliste (mais absence de reconnaissance). Il existe un
continuum qui dépasse les statuts juridiques.
• En ce qui concerne les pratiques et acteurs que nous
considérons relever de l’économie sociale, la question est
moins de savoir qui en fait partie que de savoir qui veut en
faire partie et en vue de quel projet.
26
• « L’une des leçons de l’histoire de l’économie sociale est
qu’elle se nourrit d’utopies alternatives tout en se
construisant comme économie régulatrice. Elle définit une
idéologie, c’est-à-dire un ensemble d’idées capable d’offrir
aux acteurs des raisons de s’engager, mais ne produit pas
un système économique autonome. »
Jean-François Draperi, 2000.
• « Mais nous ne pouvons pas imaginer une société sans
utopie, car ce serait une société sans dessein. »
Paul Ricoeur
27
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