Universitas Décembre 2012
ÊTRE CATHOLIQUE-ROMAIN, QU’EST-CE À DIRE ?
[chapeau] Tout catholique a quelque chose d’italien, sauf s’il se réclame de l’Église catholique-
chrétienne (ou « vieille-catholique »), séparée de Rome après le Concile Vatican I (1870), à
cause de la définition de l’infaillibilité pontificale. Parce que le Pape exerce son ministère
d’unité au sein du collège épiscopal en tant qu’évêque de Rome, c’est-à-dire successeur de
Pierre dont le tombeau se trouve à Rome. Quand des catholiques helvètes se rendent au
Vatican, ils sont bel et bien un peu « chez eux ». Pas seulement à cause de la « garde
suisse », mais surtout du fait que la Ville éternelle appartient à tout membre de l’Église
« catholique-romaine ».
Évêque de Rome
Dans l’Église d’Orient, tous les prêtres sont « papes » (ou « popes ») ! Le terme grec signifie en
effet « père », et ce n’est qu’en 1073 que Grégoire VIII réserve le titre au seul évêque de Rome.
Dans les premiers siècles, trois Églises locales exercent une fonction particulière, parce qu’elles
ont été fondées par Pierre (Antioche et Rome) ou par un collaborateur de Pierre, Marc
(Alexandrie). Mais très vite Rome, en tant qu’Église bâtie sur les tombeaux des deux colonnes
Pierre et Paul, s’est vu attribuer une sorte de primauté, à la suite de l’Église de Jérusalem en
quelque sorte. C’est ainsi que du Ier au IIIe siècle, l’évêque de Rome intervient dans plusieurs
conflits théologiques en tant que médiateur, si bien que saint Irénée (130-200) affirme : « C’est
avec cette Église de Rome, en raison de sa puissante autorité de fondation, que doit
nécessairement s’accorder toute Église, c’est-à-dire les fidèles du monde entier. »
Successeur de Pierre
Dès les IIIe et IVe siècles, les théologiens s’efforcent d’enraciner dans l’Écriture cette primauté
romaine. C’est alors qu’on passe du rôle spécifique joué par la communauté de Rome à la
primauté de Pierre. Car dans le Nouveau Testament, Jésus désigne ce dernier comme le « chef
des Apôtres ». D’une part, Pierre s’exprime régulièrement au nom du groupe apostolique, quand
il proclame la divinité de Jésus, en réponse à la question « Pour vous, qui suis-je ? » : ‒ « Tu es le
Fils du Dieu vivant » (Matthieu 16,15) ; lorsqu’il s’écrie au terme du discours sur le pain de vie,
alors que beaucoup de disciples abandonnent le Maître : « À qui irions-nous, tu as les paroles de
la vie éternelle ? » (Jean 6,6-8) ; et quand il réagit au geste de Jésus qui veut lui laver les pieds
en premier, lors de la dernière Cène (Jean 13,6-17).
Puis trois déclarations du Christ, dans trois évangiles différents, spécifient cette responsabilité
unique de Pierre, dont les catholiques estiment qu’elle s’est transmise à ses successeurs au long
des siècles : « Tu es Pierre et sur cette Pierre je bâtirai mon Église » (Matthieu 16,16), un texte
invoqué pour signifier le ministère de référence du Souverain Pontife ; ‒ « J’ai prié pour toi afin que
ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Luc 22,32), cité en
faveur du primat doctrinal du Pape ; « pais mes agneaux, pais mes brebis » (Jean 21,15-19),
une affirmation répétée trois fois par Jésus pour bien établir qu’il confie à Pierre et à ses
successeurs la charge de son Église.
Enfin, après l’Ascension du Seigneur, les Actes de Apôtres attribuent à Pierre un rôle prééminent
au sein de la communauté primitive lorsqu’il s’agit de remplacer Judas dans le groupe des
Douze (Actes 1,15-22) ; ‒ et quand il convient d’interpréter l’événement décisif du don de l’Esprit à
la Pentecôte (Actes 2,14-41). De plus, au moment où Paul veut obtenir une reconnaissance pour
la révélation particulière dont le Christ l’a gratifié, c’est vers Céphas à Jérusalem qu’il se rend
1
naturellement (Galates 1,18). Ainsi, dès l’Église primitive, c’est au successeur de Pierre, résidant à
Rome, lieu de son martyr, que la théologie catholique attribue la primauté d’enseignement et de
gouvernement.
Une primauté collégiale
Dans la ligne de la Tradition venue des Apôtres, les trois derniers Conciles ont confirmé le
caractère particulier attaché à la fonction de l’évêque de Rome. Mais tandis que Trente (1545-
1563) et Vatican I (1869) se sont principalement appliqués à souligner la primauté de juridiction du
Souverain Pontife sur l’Église universelle, Vatican II, dont nous célébrons cette année le Jubilé de
l’ouverture par Jean XXIII le 11 octobre 1962, s’est efforcé de décrire la manière dont s’exerce
cette prééminence du « Vicaire du Christ ». Rappelant un autre de ses titres, « serviteur des
serviteurs de Dieu », la Constitution sur l’Église du dernier Concile Lumen Gentium situe le primat
du Pape à l’intérieur du collège des évêques, eux-mêmes successeurs des Apôtres. Primus inter
pares, le Souverain Pontife n’a « rien de plus » au plan du sacrement de l’ordre que tous les autres
évêques. Le gouvernement pontifical ne peut s’exercer que de façon collégiale, le Pape ne peut
rien décider d’essentiel sans le concours de ses frères dans l’épiscopat.
Cette collégialité met en évidence la communion qui existe entre les diverses communautés des
disciples du Christ et valorise l’importance de chaque Église locale et de chaque évêque dans son
diocèse. À cet égard, l’autorité suprême de l’Église catholique est véritablement le Concile, c’est-à-
dire le rassemblement de tous les évêques du monde, et Jean-Paul II comme Benoît XVI ont
essayé de multiplier les Synodes, soit régionaux (Proche et Moyen Orient), soit continentaux
(récemment pour l’Afrique), soit enfin thématiques (avec des délégués des Conférences
épiscopales, comme celui qui vient de se tenir en octobre dernier sur le thème de la « nouvelle
évangélisation »). Ce sont des moyens dont l’Église s’est dotée pour mettre effectivement en
œuvre la collégialité. Mais en même temps, Vatican II réaffirme que le Pontife romain demeure le
chef du collège épiscopal et qu’il en assure l’unité : le Concile, les Synodes et chaque évêque ne
peuvent prendre aucune option essentielle sans l’accord du successeur de Pierre.
Une pierre d’achoppement œcuménique
Être catholique-romain signifie donc se reconnaître de l’Église « catholique » c’est-à-dire
universelle dont la communion est réalisée par l’évêque de Rome. Cette question de la
prééminence pontificale demeure le principal obstacle à une réunification plénière avec les frères
et sœurs orthodoxes : ceux-ci se disent prêts à admettre une « primauté d’honneur » au
« patriarche d’Occident », telle qu’elle se vivait aux premiers siècles, mais pas une suprématie de
juridiction. Quant aux communautés issues de la Réforme, à part peut-être certaines parties de
l’Église anglicane, elles restent fidèles à la pensée des Luther, Calvin et Zwingli qui rejetait toute
notion de succession apostolique, et donc de primat pontifical.
Toutefois, des cercles théologiques œcuméniques, comme le Groupe des Dombes, poursuivent la
réflexion autour des formes que pourrait prendre un ministère de l’unité accueilli par une majorité
d’Églises chrétiennes1, et Jean-Paul II lui-même dans son Encyclique sur l’œcuménisme Ut unum
sint (1995) demandait explicitement aux autres communautés chrétiennes de l’aider à exercer son
service de communion.
Prof. François-Xavier Amherdt
Théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique
Président du Département de théologie pratique
1 J’ai participé il y a deux ans à un colloque œcuménique sur la catholicité, organisé par le pasteur réfor
Shafique Keshavjee au Centre de Bossey près de Genève, dont les Actes devraient paraître sous peu. 2
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